L’urgence d’un travail de fond pour la paix et le progrès en Afrique

Nasser Mansouri-Guilani
économiste, membre honoraire du Conseil économique, social et environnemental, président de l'Association des Amis de Paul Boccara

Dans un monde qui bascule, le dynamisme démographique de l’Afrique, les conditions de son développement, seront un facteur déterminant dans l’histoire du XXIe siècle. La France face à ces défis, a une responsabilité considérable à assumer. 

Sur l’ensemble du continent, les peuples africains souffrent, à des degrés différents, des conséquences néfastes des siècles de politiques et pratiques criminelles liées à la colonisation, puis aux programmes dits d’ajustement structurel imposés par les « bailleurs de fonds », le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, et ensuite par la multiplication d’invasions militaires sous prétexte de l’instauration de la démocratie et de la lutte contre le terrorisme, sans oublier les rivalités entre puissances mondiales pour établir des zones d’influence et exploiter les ressources naturelles et humaines du continent. Ces maux ont pour corollaire l’établissement de pouvoirs souvent antidémocratiques et corrompus.

À la multiplication des drames migratoires où des milliers de migrants, originaires particulièrement de l’Afrique, périssent en mer dans l’indifférence totale de la plupart des gouvernements viennent se greffer récemment deux séries d’événements attestant, une fois de plus, de l’ampleur des difficultés en Afrique : 1) plusieurs coups d’État militaires ; 2) le séisme au Maroc et les inondations en Libye. L’ampleur des dégâts de ces deux catastrophes naturelles s’explique aussi par des facteurs politiques. Au Maroc, les régions les plus touchées sont celles qui ont été délaissées car jugées « peu intéressantes » par la puissance coloniale, puis par le pouvoir en place. En Libye, les rivalités politiques consécutives à l’invasion militaire des États-Unis d’Amérique et de leurs alliés ont donné lieu, entre autres, à un manque d’investissements dans les infrastructures.

D’énormes défis à relever

Un indicateur permet de mesurer l’ampleur des difficultés auxquelles les peuples africains sont confrontés. Il s’agit de « l’indice du développent humain » (IDH), un indicateur composite développé par le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). La valeur de cet indicateur pour l’Afrique subsaharienne est de 0,547 (0,899 pour les pays de l’OCDE, 0,732 pour le monde).

Pourtant, de par son dynamisme démographique, l’Afrique est appelée à juger un rôle formidable dans les décennies à venir.

Selon les Nations-Unies : « plus de la moitié de la croissance démographique dans le monde d’ici à 2050 aura lieu en Afrique. Proportionnellement, c’est le continent qui connaîtra la plus forte évolution démographique. La population d’Afrique subsaharienne, par exemple, devrait doubler d’ici à 2050. » Et cela, alors même que selon ces mêmes projections, « les populations de 61 pays ou régions dans le monde devraient diminuer… ». Parmi ces régions figure l’Europe.

Ces évolutions posent d’énormes défis non seulement pour les peuples africains, mais également pour l’ensemble du monde, car avec la « mondialisation », les problèmes des uns sont aussi ceux des autres[i].

Cette perspective explique, d’ores et déjà, les rivalités entre puissances et les conflits qu’elles génèrent avec d’énormes souffrances pour la population et des débouchés importants pour les marchands d’armes et les mercenaires.

La France a une grande responsabilité

La France n’est pas la seule puissance en cause. Les États-Unis d’Amérique, l’Union européenne, la Chine, la Russie, etc. ont aussi leur part de responsabilité.

De par son passé colonial, mais également en tant que pays des droits de l’homme, la France a, pour sa part, une grande responsabilité qu’elle a du mal à assumer.

En effet, la politique de la France vis-à-vis du continent a une allure plutôt paternaliste. De plus, elle est surtout définie et pilotée par les visées dominatrices et les intérêts des multinationales et des marchands d’armes. Cela explique, au moins partiellement, trois choses :

  1. L’établissement des régimes antidémocratiques et corrompus ;
  2. La poursuite des déclarations fautives des plus hauts responsables politiques français. Citons trois exemples. Un Nicolas Sarkozy affirmant que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Un François Hollande considérant l’envoi des troupes françaises au Mali comme le plus beau jour de sa vie. Un Emmanuel Macron considérant que le Mali, le Burkina Faso et le Niger n’existeraient plus sans les opérations militaires françaises.
  3. Un sentiment antifrançais largement présent notamment en Afrique francophone. Sentiment qu’enveniment les putschistes dans leurs propres intérêts et dont essayent de profiter les autres puissances, et notamment le capitalisme russe.

L’ensemble de ces facteurs explique aussi dans certains cas le soutien des putschistes par la population et, paradoxalement, les syndicalistes.

Pourtant, la France dispose d’énormes atouts pour travailler et véhiculer un vrai projet de paix et de progrès en Afrique. Elle pourrait influer sur les choix de l’Union européenne, notamment en ce qui concerne ses politiques de coopération et de migration ou encore le positionnement de l’Union au sein des instances internationales (ONU, FMI, Banque mondiale…). Elle pourrait aussi jouer un rôle glorifiant au sein de ces institutions toute seule, comme cela fut le cas aux Nations-Unies lors de l’invasion de l’Irak par les États-Unis d’Amérique et leurs alliés.

Dans de nombreux domaines, les sociétés françaises et singulièrement les entreprises publiques et semi-publiques pourraient participer à la réalisation des projets de développement. Il en est de même en ce qui concerne les services publics et leur place formidable pour répondre aux besoins élémentaires des populations en matière de santé, d’éducation, d’accès à l’eau potable, à l’électricité, aux transports, etc. Ces coopérations pourraient être relayées au niveau européen.

La triste expérience des politiques d’ajustement structurel confirme que pour relever ces défis il faut rompre avec le libéralisme économique qui considère la rentabilité financière comme le principal, voire l’unique objectif de l’activité économique.

En d’autres termes et à d’autres proportions, ces enjeux se posent également en France et en Europe, tout comme sur les autres continents.

C’est dire qu’une fois de plus, on voit la communauté d’intérêts des travailleurs, des peuples partout dans le monde.

Les progressistes, parmi lesquels singulièrement le PCF et la CGT qui ont l’internationalisme dans leurs gènes, ont toute leur place pour mener ce combat.


[i] Pour de plus amples explications voir, par exemple, notre travail, La mondialisation à l’usage des citoyens, Les éditions de l’Atelier.