Ce qui doit changer dans le projet de plan climat

Évelyne Ternant
économiste, membre du comité exécutif national du PCF

Intervention au webinaire de la commission économique du PCF, 19 décembre 2023

Je voudrais commencer par rappeler l’état d’esprit de notre commission économique. Nous nous engageons au-delà des simples débats pour adopter une démarche constructive visant à transformer cette version du plan climat. Nous souhaitons que ce plan prenne en compte les travaux et réflexions de toutes les commissions, y compris la nôtre, et qu’il soit discuté et validé par l’instance de direction du parti, c’est-à-dire le Conseil national.

Les critiques émises ne sont pas là pour diviser, mais pour nous faire progresser dans un exercice de prospective, exercice difficile surtout lorsqu’il s’inscrit dans une perspective révolutionnaire. En effet, la transformation écologique devient alors une partie intégrante de notre projet global de transformation. Historiquement, la transformation écologique était souvent considérée comme un sous-produit espéré du socialisme ou du post-capitalisme. Aujourd’hui, nous devons éviter une inversion hiérarchique où l’écologie, sous la pression de l’urgence climatique, dominerait le projet communiste avec des variables physiques supposées indépendantes des logiques économiques et considérées comme des contraintes absolues. Cette approche restreindrait finalement le champ des possibles.

L’ambition du plan climat du Parti communiste doit être d’intégrer l’écologie dans la cohérence économique et sociale du projet de transformation communiste. Cela implique évidemment de répondre aux urgences actuelles tout en prenant des mesures structurelles à long terme. Nous ne cherchons pas à produire un énième plan d’adaptation au réchauffement climatique, mais bien la première prospective révolutionnaire répondant aux enjeux climatiques.

Le projet préliminaire proposé montre clairement qu’il est nécessaire de changer les rapports de production pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Laisser les variables économiques et techniques constantes mène à des réductions de consommation et à des exigences irréalistes de consommation électrique. Nous devons sortir d’une certaine ambiguïté interne pour ouvrir largement le débat sur le projet actuel.

Je vais synthétiser quelques demandes et propositions issues des exposés de Denis Durand et Frédéric Boccara pour alimenter le débat :

1. Transparence sur le modèle mathématique utilisé :

   – Le modèle utilisé doit être transparent car il ne comporte pas que des relations physiques, il intègre aussi des variables économiques comme la productivité du capital et les normes d’emploi.

   – Ces normes ne peuvent pas rester constantes si nous envisageons de faire régresser la logique de rentabilité dans les modes de production.

2. Intégration des émissions produites hors du territoire :

   – Inclure les émissions des multinationales et des banques dans le bilan carbone de la France. Cela a été bien expliqué et son importance soulignée.

3. Prise en compte des besoins des citoyens :

   – Proposer des alternatives et des incitations compatibles avec la neutralité carbone.

   – Par exemple, pour la réduction de 50 % du trafic aérien à l’horizon 2040, diverses études montrent que 50 % du trafic sont réalisés par les 20 % de ménages ayant les revenus les plus élevés. Réaliser cet objectif en rationnant principalement ces personnes pourrait toucher violemment et massivement les modes de déplacement et de vie des couches moyennes et même du bas des couches moyennes.

   – Les chiffres montrent que les 20 % les plus aisés ont un revenu commençant à 2 568 € par mois, et les 10 % les plus riches commencent à 3 283 €. Même les 1 % les plus riches commencent à 7 170 €, ce qui inclut des professions comme les ingénieurs après 40 ans.

   – Il est essentiel de construire l’unité du salariat contre la domination du capital sans opposer les salariés aux revenus les plus bas à ceux dont le revenu autorise des escapades lointaines.

4. Aménagement du territoire :

   – L’aménagement du territoire est une dimension clé d’une transition écologique réussie.

   – Un modèle urbain qui incite à revenir vers des bourgs de plus de 5 000 à 6 000 habitants et des villes bien desservies par les transports collectifs peut aider à lutter contre la périurbanisation.

   – Les politiques passées ont échoué car elles n’ont pas répondu aux besoins des ménages pour des logements grands et abordables.

   – Nous devons développer l’envie d’habiter dans ces bourgs en offrant une large palette de services, de commerces et de transports collectifs faciles d’accès.

5. Pluralité de scénarios :

   – Proposer plusieurs scénarios en fonction des choix des citoyens et du rythme des transformations économiques, sociales et techniques envisagées.

   – La planification doit être un outil d’aide à la décision, non un plan impératif. Les expériences étatistes de gauche ont échoué car elles imposaient des plans rigides.

   – Une prospective à l’horizon 2050 doit intégrer des scénarios multiples et prévoir des hypothèses sur la croissance du fret ferroviaire, par exemple.

6. Rôle de l’emploi et de la formation :

   – L’emploi doit être une variable d’entrée, non une conséquence. Il est la condition sine qua non de la transition.

   – Les évaluations des emplois détruits ou créés par les mutations technologiques doivent être revues. Elles sont basées sur des rapports de production actuels, avec des dépenses en capital faites contre l’emploi et intégrant la surexploitation des salariés.

   – Nous devons prévoir une évolution des ratios d’emploi pour un système de sécurité d’emploi et de formation émancipant progressivement les salariés des critères capitalistes.

7. Perte d’illusion sur les taxes carbone :

   – Il faut rapidement clarifier notre position sur les taxes carbone. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières européennes est inefficace et peut accélérer les délocalisations tout en pénalisant fortement les pays africains qui n’exportent que des matières premières.

Sur le processus du débat interne, il est dommage que la date butoir prématurée pour la présentation publique n’ait pas permis un processus démocratique interne normal. Nous devons réussir cette deuxième phase en organisant un débat large et interactif, impliquant toutes les instances du parti.

Nous proposons qu’une journée complète du Conseil national soit dédiée à la discussion du plan climat en 2024, avec un travail en amont des commissions et des fédérations. Il faut lancer dès maintenant un appel à contributions à toutes les organisations du parti. L’enjeu écologique nécessite un plan construit collectivement, réaliste et accessible aux luttes sociales, politiques et électorales.