Un grand absent : le projet communiste

Denis Durand
membre du conseil national du PCF, codirecteur d'Économie&Politique

Intervention de Denis Durand au webinaire de la commission économique du PCF, 19 décembre 2024

Cette réunion a pour but de favoriser et de susciter le débat au sein du PCF pour l’élaboration d’un plan climat du Parti. En effet, une proposition de plan climat a été élaborée par une petite équipe sous l’égide de la commission Écologie, et présentée à la presse le 6 novembre.

Il faut saluer le travail intense qu’elle a réalisé en ouvrant le chantier d’un bilan énergétique de la société française, et d’une première mesure de ce qu’implique l’objectif de neutralité carbone en 2050.

On dispose ainsi, non pas d’une modélisation de ce que devrait être la transformation écologique des productions, des consommations, des modes de vie, mais plutôt d’une double comptabilité :

  • une comptabilité physique de l’évolution souhaitée des émissions nettes de gaz à effet de serre en France (prenant en compte les importations) ;
  • une comptabilité de la quantité d’électricité nécessaire pour répondre aux besoins en énergie à l’horizon 2050.

Sur cette base, un ensemble d’objectifs sont énoncés :

  • le plan climat pour la France, Empreinte 2050, vise la neutralité carbone à l’horizon 2050, et la réduction de son empreinte carbone, c’est à dire les émissions liées à nos importations  ;
  • cela implique de diviser au moins par 10 les émissions territoriales de la France. La baisse des émissions suivra une forte accélération d’ici 2030 pour atteindre ‑6 % par an ;
  • il est préconisé de réduire la consommation d’énergie finale de 43 % ;
  • la part de l’électricité dans la consommation d’énergie finale doit progresser de 24 à 72 pour atteindre 694 TWh en 2035 et 970 TWhé en 2050, soit 55 TWhé / an de plus que les prévisions les plus hautes du dernier bilan prévisionnel de RTE pour 2035.
  • ces objectifs impliquent un programme nucléaire ambitieux. En attendant sa montée en charge à partir de 2035, il est prévu un recours au déploiement des énergies renouvelables dès les prochaines années.

Le document présenté le 6 novembre – et dont une version complète, mise à jour, a été publiée dans le numéro 42 de la revue Progressistes – détaille ces objectifs par grands secteurs économiques et par composantes du mix énergétiques.

Il s’agit là de données utiles au débat public, et dont la communication a prouvé que le PCF se préoccupe d’écologie.

En revanche, on ne peut pas considérer, à ce stade, que le document actuellement disponible serait le « plan climat du PCF » car il n’émane pas des instances du PCF et, de fait, il pose de très nombreux problèmes au regard des orientations élaborées collectivement au sein du Parti, par exemple à l’occasion de nos derniers congrès.

Ce dont nous disposons aujourd’hui n’est donc qu’une première version de travail à partir de laquelle on peut discuter.  Ce qu’on peut faire, pour lancer le débat maintenant, c’est de mettre en regard le projet écologique du Parti, tel qu’il ressort des choix effectués par les communistes, notamment au dernier congrès, et l’état actuel du plan climat.

L’ambition communiste

Le projet communiste est à la fois but d’une société radicalement différente de la société actuelle et chemin pour y parvenir. Il consiste en une transformation profonde, à la fois des relations des êtres humains entre eux, dans leur dimension biologique, parentale, culturelle, politique, sociale – ce que nous appelons anthroponomie – et des relations des êtres humains entre eux et avec la nature pour la production, la circulation, la répartition, la consommation de ces produits. Il n’y a donc pas d’un côté des impératifs écologiques, considérés sous leur angle essentiellement physique, et de l’autre côté une économie et une société qui n’auraient d’autre choix que de s’adapter. 

Du point de vue du projet communiste, la transformation écologique, dans lequel un plan climat tient évidemment une place très importante, ne peut donc être qu’un projet d’émancipation des individus, condition du « libre développement de tous ».

Il comporte une transformation des façons de produire et de consommer qui présente un caractère très profond puisqu’il s’agit de construire une civilisation radicalement différente de la civilisation capitaliste et libérale actuelle, tout en étant réaliste, c’est-à-dire qu’il part de la situation existante et qu’il propose les moyens techniques, mais aussi politiques et économiques de sa réalisation.  Autrement dit, il prend en compte la réalité des obstacles qui se sont opposés jusqu’à présent à une réponse réelle au défi climatique.

Pour l’essentiel, ces obstacles sont de deux ordres. Premièrement, les transformations qu’il faut opérer dans le système productif ne sont pas rentables, et donc sans cesse rejetées ou reportées à plus tard par la logique capitaliste qui domine tous les choix économiques. Deuxièmement, l’appropriation par les citoyens d’un projet alternatif n’atteint pas un stade tel qu’il entraînerait des mobilisations sociales mettant en cause, graduellement mais radicalement, cette logique capitaliste, en agissant pour faire prévaloir, contre la rentabilité, des critères d’efficacité écologique, économique et sociale.

Un plan climat n’a donc de chances de réussir que s’il s’inscrit dans un processus de prise de pouvoir des salariés dans les entreprises, de prise de pouvoir des citoyens sur les choix économiques. Un tel projet exclut donc toute illusion étatiste.  Il devrait d’ailleurs prendre la forme, non d’un « plan », car une planification à horizon de 25 ans n’a pas de caractère opérationnel, mais plutôt d’un outil d’aide à la délibération démocratique destiné à être adapté à la lumière de l’expérience dans le cadre d’un processus de décision placé entre les mains des citoyens. 

Il est par principe internationaliste, et il l’est par nature compte tenu du caractère mondial du réchauffement climatique. 

Pour répondre à ces impératifs, la version actuelle du plan climat doit à notre avis considérablement évoluer. Si elle manifeste une préoccupation internationaliste en prenant en compte l’empreinte carbone de l’économie française, c’est-à-dire le contenu carbone des importations, elle omet une dimension essentielle : les émissions de gaz à effet de serre engendrées par les multinationales, industrielles comme Total, ou bancaires (il aurait fallu au moins discuter les estimations de Carbone 4, reprises par Oxfam, selon lesquelles ces dernières représenteraient 7,5 fois les émissions territoriales).  

Elle s’inscrit dans un consensus selon lequel la contrainte physique est tellement pressante que toute autre considération devrait être subordonnée à des objectifs exprimés exclusivement en termes physiques (la neutralité carbone en 2050), avec des moyens définis avant toute délibération démocratique.

De fait, le plan s’en remet à l’État pour imposer et mettre en œuvre les mesures préconisées et pour les faire « accepter » à la population dans une optique, de limitation des effets sociaux négatifs de la « transition ».

C’est pourquoi les nombreux éléments empruntés au projet communiste qui sont cités dans le texte actuellement disponible ne s’articulent pas à sa logique d’ensemble ou sont même employés à contresens. C’est le cas, par exemple, de la référence à la sécurité d’emploi et de formation présentée comme destinée à faciliter l’acceptation par la population de mesures décidées par l’État et inspirées par les experts. Or, d’une part, un développement tout à fait révolutionnaire de l’emploi et de la formation est le seul moyen de faire face aux dépenses qu’exigera la transformation écologique des productions et des consommations ; d’autre part, il est essentiel que les salariés soient les acteurs de cette transformation, qu’ils aient un pouvoir d’initiative dans sa mise en œuvre. De nombreux exemples montrent déjà que la capacité des salariés à prendre l’initiative de projets répondant à des objectifs d’efficacité sociale et économique est cruciale pour la réussite d’une transformation écologique des productions. 

Un plan « décroissant » malgré lui ?

L’état actuel du « plan climat » s’en remet pour l’essentiel à l’action de l’État pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Parce qu’il n’est pas vraiment mis en cohérence avec les aspects démocratiques et économiques du projet communiste, il ne prend pas en compte les effets sur l’efficacité du capital qu’aurait une prise de pouvoir démocratique sur l’utilisation de l’argent dans les entreprises et dans le système bancaire, avec de nouveaux critères mettant en cause la rentabilité capitaliste. C’est pourquoi il n’est pas en état de mobiliser les moyens économiques et financiers à la hauteur des gigantesques dépenses en formation, en salaires et en investissements matériels qu’exigera la réalisation de la neutralité carbone en 2050. Deux conséquences en résultent.

La première est une certaine timidité dans des domaines certes coûteux mais essentiels, comme le transfert du fret routier vers le rail ou les voies d’eau. Il est prévu de faire passer la part modale du ferroviaire de 10 % à 25 % en 2045, soit moins qu’en 1984 (26,6 %), ce qui suppose, est-il écrit, un niveau constant en volume du trafic routier. La crise actuelle du service public des transports ferroviaires, et les besoins urgents d’embauches massives, ne sont pas pris en compte. Le document cherche à compenser en partie cette faible ambition par une forte contrainte sur les ménages en termes de réduction de la part de la voiture individuelle, par une adhésion à l’interdiction dès 2035 de la vente en France des véhicules légers thermiques ou hybrides, et par une réduction massive du trafic aérien qui devrait baisser de 50 % à l’horizon 2040 sans que soient étudiés les nouvelles formes d’intermodalité qui permettraient d’optimiser l’usage coordonné de l’avion, du rail et de la route dans le cadre d’une nouvelle conception de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme.

C’est précisément là une deuxième conséquence des limites que l’état actuel du plan impose aux moyens de réaliser les objectifs qu’il définit : beaucoup de propositions consistent à faire décroître des activités. C’est le cas dans l’agriculture avec la réduction des cheptels qui est préconisée. Encore est-il prévu d’atténuer cette pression sur le cheptel par la suppression des importations de produits animaux. Mais cette annonce protectionniste ne s’accompagne d’aucune modélisation des effets du plan sur les échanges extérieurs de la France. C’est un manque préoccupant pour un document qui affiche cependant une ambition de relocalisation de nombreuses activités industrielles : nous y reviendrons dans la suite de cette présentation.

Au total, la pression se concentre sur la consommation des ménages. Cet état du plan laisse craindre qu’il laisse prise, à son corps défendant, à l’idéologie dominante qui fait passer la lutte contre le réchauffement climatique par la décroissance, baptisée « sobriété » pour les besoins de la cause, au mépris des immenses besoins à satisfaire pour la France et pour les dix milliards d’habitants de la planète. Il manque dans ce document un effort pour définir de ce qui devrait décroître (par exemple les activités financières, et les investissements matériels destinés à supprimer des emplois) et de ce qui devrait croître beaucoup plus (les dépenses en salaires, en formation, en recherche).