Non pas enrichir le scénario proposé, mais construire d’autres scénarios

Yves DIMICOLI

Intervention au séminaire de la commission économique du PCF – 19 décembre 2023

D’abord, je veux remercier pour les trois interventions introductives de grande qualité qui donnent beaucoup à réfléchir. Elles constituent une invitation forte à engager un travail collectif. Et quand on dit travail collectif, ce n’est pas seulement un travail au sommet du Parti, c’est tous les collectifs de réflexion du Parti qui doivent être impliqués. Le CN qui devrait avoir lieu – dont j’espère qu’il aura lieu – sur ces questions si fondamentales devrait être effectivement une amorce, un lancement plutôt qu’un aboutissement.

Alors, s’agit-il d’enrichir le scénario tel qu’il nous est proposé par ce plan climat, ou de construire des scénarios supplémentaires ? Personnellement, je suis pour construire d’autres scénarios. J’ai vu, en effet, dans ma propre section ce que ce travail a donné. Le texte présenté en impose aux communistes satisfaits de ce que, enfin, un document se présentant comme suffisamment audacieux et cohérent sur ces sujets soit mis à leur disposition. Il leur donne l’impression de disposer d’un « prêt à porter » très rassurant, d’autant plus qu’y est associée l’idée selon laquelle « certes, il y aura des ajustements à opérer mais, en gros, l’essentiel est là ». Je pense que c’est engager le Parti dans une mauvaise voie que de procéder ainsi. Il faut toujours travailler sur un scénario central et des scénarios alternatifs, ce que, d’ailleurs, tout le monde fait.

Comment raisonne le scénario unique qui nous est proposé, tout du moins ce que j’en ai compris ? À partir d’un objectif donné par la science (le GIEC) à l’horizon 2050, on déroule ce qui serait le seul et unique chemin communiste pour l’atteindre. Pourtant le monde entier est plongé est dans une situation d’incertitude, pas seulement au plan économique et social, mais à tout point de vue et, donc, plus aucun risque n’est probabilisable. C’est aussi cela la crise systémique. Aussi, présenter un seul scénario serait très prétentieux, voire arrogant et, en pratique, totalement dépourvu de crédibilité, surtout un scénario où le seul décideur serait en quelque sorte, pour reprendre une vieille expression, un « despote éclairé » au sommet de l’État. Comme cela a été dit par Évelyne Ternant, c’est là une démarche typique de la planification impérative laquelle, pourtant, a échoué de partout. Mais, en plus, ce scénario unique se donne un horizon à 25 ans alors que nous sommes en situation d’incertitude. C’est dire la contrainte qu’on entendrait ainsi imposer par des moyens despotiques en prétendant ainsi avancer vers l’objectif, dans l’intérêt général, et cela, dans une économie fermée, l’Hexagone. Ce serait l’État qui déciderait ainsi, du haut des besoins à traiter et monopoliserait les moyens financiers, indépendamment de toutes les interrelations internationales qui existent.

J’ai relevé, page 68 par exemple, quelque chose qui m’a étonné,. On invite le lecteur à distinguer les « besoins nécessaires » des « besoins superficiels ». Qu’est-ce que ça veut dire ? Qui va décider de ce qui est superficiel et de ce qui est nécessaire ? Est-ce l’État éclairé par des savants qui décidera si un besoin est « nécessaire » ou « superficiel » et ce qu’il faut ou non rationner ? Ce n’est pas tenable, nous ne sommes pas dans une économie primitive ! Je pense, au contraire, qu’il faudrait travailler à partir de la typologie non hiérarchisée des besoins avancée par Frédéric Boccara. On chercherait à les faire s’exprimer, les inventorier et décider des moyens et des pouvoirs à mobiliser pour y répondre par les luttes et la délibération démocratique. C’est tout autre chose que ce qui est proposé.

Comme ça a été dit par l’un de nos des intervenants, les assemblées régionales, les assemblées de bassins, les comités d’intervention sont indispensables pour faire se révéler les besoins et procéder à l’inventaire des moyens permettant de mobiliser les ressources nécessaires. On retrouve là la démarche proposée pour construire un système de sécurité d’emploi ou de formation pour chacun-e avec des conférences régionales et nationales de sécurisation de l’emploi et de la formation où l’on va faire se révéler et évaluer  les besoins d’emploi et de formation dans chaque bassin de vie – et pas seulement les bassins d’emploi existants – en impliquant tous les acteurs, les salariés et leurs représentants, les syndicats et les associations, les élus, les représentants des banques et du patronat, ceux de l’État. On y décidera des moyens financiers à mobiliser et des pouvoirs pour le faire. Soit dit en passant, la relation banque-entreprises est en crise terrible en France, dans tous les territoires. Aussi, parler, dans la partie financement de ce plan climat, du crédit en général en proclamant « on nationalisera et on va faire de la création monétaire », c’est très insuffisant. Et la maîtrise des relations banques-entreprises, banques-industrie, doit se construire dès le terrain.

Pourquoi ne pas envisager des conférences régionales sur les six types de besoins proposés par Frédéric, avec des comités d’intervention dans les entreprises et dans les bassins de de vie et d’emploi impliquant les élus, les populations ? Et non pas faire décider l’État « éclairé » au sommet sur ce que doivent faire et accepter les populations ?

Je voudrais terminer sur l’international, notamment l’Europe. On va entrer dans les élections européennes avec un plan climat qui ignore, en fait, totalement le niveau européen. Certes, on y parle de Banque centrale européenne (BCE)à un moment donné, on y parle de PAC mais sans du tout chercher à expliciter les relations entre ce que l’on va faire en France et ce que l’on va entreprendre pour impulser une transformation de la construction européenne et faire avancer une autre construction mondiale.

Ce plan raisonne en économie fermée, au seul niveau de l’Hexagone. Ça ne peut pas marcher, ce n’est pas l’économie d’aujourd’hui, ce n’est pas le monde d’aujourd’hui qui est très interconnecté et qui doit le devenir encore plus encore avec le rôle joué, comme l’a dit Frédéric, par les multinationales qui, certes, mettent en concurrence et pillent mais sont aussi dépositaires de potentiel de partages, de coopérations considérables. Cela exige alors de concevoir et développer, à tous les niveaux de construction, des interventions des salariés, des citoyens et de leurs élus sur la gestion et les choix stratégiques de ces firmes.

Ne pas aborder la question de l’Europe et dire « dans l’Hexagone, je vais faire ça », c’est ouvrir la voie à des rapports fratricides en Europe – je pèse mes mots – avec la course à la suraccumulation de capitaux dans chaque pays d’Europe. En gros le texte proposé revient à dire à ces pays : « Voilà mon plan climat, mes investissements, mes normes de consommation en France et débrouillez-vous avec » ! Mais ces pays vont rivaliser comme ils le font déjà maintenant. Ça serait une sorte de chaos.

Par ailleurs, je suis étonné de ce qu’avance le plan à propos de la balance commerciale de la France. Il est dit que, finalement, seuls deux soldes demeureraient négatifs, les minéraux et minerais et l’industrie textile, alors qu’on part d’un déficit du commerce extérieur colossal. De plus, on se donnerait comme objectif de réduire les importations tout en continuant à exporter fortement. Mais les autres pays vont-ils accepter sans rien faire que l’on réduise l’accès à notre marché intérieur et que l’on continue de conquérir celui des autres ? Non, il y a besoin de construire des coopérations d’intérêt commun et des institutions susceptibles de les favoriser.

Je suis étonné aussi que le plan proposé ne dise pas un mot du dollar. Fait-il implicitement l’hypothèse que le dollar serait la monnaie mondiale de décarbonation ? Ce serait là une étrange naïveté, car le dollar, monnaie mondiale de domination, est la poutre centrale du système de pouvoirs des marchés financiers et des multinationales US. Il repose sur un complexe productif hyper carboné. Je pense qu’on ne peut pas parler d’un plan climat sans aborder le problème des relations monétaires et financières internationales.

J’ai un tout dernier mot. On ne peut pas découpler – ça a été pointé aussi bien par Évelyne Ternant que par Denis Durand – le plan climat de notre stratégie d’avancée révolutionnaire vers le communisme. Ce n’est pas possible parce qu’on ne peut pas reculer par rapport à nos choix. Et nos choix, ce n’est pas « on accède au pouvoir d’État, et, après, l’appareil d’État va faire tout ce qu’il faut pour « mettre en place les nouveaux critères de gestion » dans les entreprises – c’est le terme qui est utilisé – mettre en place « la sécurité d’emploi et de formation « qui serait conçue, au sommet de l’État « éclairé » pour faciliter l’acceptation par les gens qui seront soumis aux suppressions d’emplois du plan climat.

Où sont les luttes là-dedans ? Où sont les luttes sur les objectifs à définir, les moyens financiers à conquérir et les pouvoirs pour le faire ? Je pense qu’il faut faire attention, on ne peut pas mener les communistes dans une impasse, en régressant par rapport à toute la recherche tâtonnante du Parti depuis le 22e Congrès pour essayer de construire une voie de transformation sociale radicale.