Alain Tournebise
Le projet de plan climat « Empreinte 2050 » s’essaie à un chiffrage des dépenses d’investissement nécessaires à l’atteintes des objectifs de décarbonation de l’économie française qu’il se fixe : neutralité carbone à l’horizon 2050. Mais l’exercice est loin d’être concluant et nécessitera une révision urgente pour en préserver la crédibilité.
Le projet estime aux alentours de 186 milliards d’euros par an l’investissement supplémentaire pour la transition climatique, soit 7,9 % du PIB de la France, qui se situait à 2 351 milliards d’euros en 2022. Il présente ensuite un « tableau de financement » qui vise à montrer que ces dépenses d’investissement peuvent être financées par des recettes ad hoc.
Mais le raisonnement est pour le moins surprenant, « si nous pensons que la création monétaire doit jouer un rôle décisif dans le financement, l’objectif avec les recettes indiquées est de montrer l’ampleur de l’argent mobilisable pour la transition sans même utiliser ce levier. » Autrement dit, le projet de plan climat, dans son état actuel croit possible de financer les investissements nécessaires à la transition par la mobilisation de nouvelles recettes fiscales, sans que rien soit fait pour changer l’utilisation de l’argent des entreprises et des banques.
Les besoins : sous-estimation et confusion
Une lacune lourde de conséquences est l’absence de chiffrage des dépenses de formation et de recherche que l’objectif de neutralité carbone en 2050 implique obligatoirement. Or, ces dépenses, certes difficiles à chiffrer, sont nécessairement considérables car le développement des services publics, pas plus que la réindustrialisation du pays, ne peuvent se limiter à des investissements matériels. Ces derniers ne sont rien sans l’embauche et la formation d’ouvriers qualifiés, de techniciens, d’ingénieurs, de cadres…
Même en s’en tenant aux seuls besoins d’investissement, le plan présente quelques lacunes sérieuses. Il identifie cinq postes principaux de dépenses : la rénovation thermique du bâti, la mise à niveau du système électrique, le développement des transports décarbonés, la nationalisation des entreprises énergétiques et un fonds international pour le climat.
On peut noter là un premier oubli majeur ; si le plan climat souligne à juste titre la nécessité de la réindustrialisation de notre pays, le besoin d’investissement découlant de cette réindustrialisation est tout simplement omis. Il est pourtant loin d’être négligeable, puisque le plan France 2030, lui-même très insuffisant, prévoit déjà un montant d’aides publique de plus de 50 milliards d’€ sur cinq ans.
Mais, autant que ces omissions, c’est la confusion entre la nature des financements qui décrédibilise l’ensemble de l’analyse. Le tableau de financement présenté ne distingue en aucune manière les investissements de nature privée (ménages, entreprises) des investissements de nature publique, au sein desquelles il faut encore distinguer les investissements des entreprises publiques (qui sont eux financés par les tarifs ou les subventions), des investissements de l’État ou des collectivités qui, eux sont financés par l’impôt.
Ainsi, le projet estime à 40 milliards d’euros par an l’investissement nécessaire pour parvenir à une rénovation thermique des bâtiments à la hauteur de l’enjeu. Mais ce n’est évidemment pas l’État qui assumera la totalité de cette dépense. Dans le secteur du logement, seul le logement social public est de la responsabilité directe de l’État ou des collectivités. Il en est de même du bâtiment tertiaire dont seuls les bâtiments tertiaires publics sont concernés par l’investissement public. Pour le reste, le rôle de l’État sera d’aider au financement privé, soit par des prêts (PTZ), soit par des subventions du type Ma Prim’renov. C’est cette part que le plan de financement devrait retenir et non la totalité du besoin d’investissement.
Plus significatif encore, l’évaluation retenue par le projet pour la « mise à niveau du système électrique ». Le chiffre de 46 milliards d’euros annuel est avancé sur la base du « coût complet du système électrique dans un scénario de réindustrialisation correspondant aux 970 TWh que nous préconisons ».
On peut déjà légitimement s’interroger sur cette évaluation. Qu’est-ce que le coût complet ? C’est la somme des coûts d’un mix électrique donné, d’investissement, de production, d’acheminement, et de flexibilité (stockage et effacement). Or comme le souligne le plan lui-même, « la simulation actuelle traite des équilibres annuels, l’équilibrage horaire offre / demande du système électrique sera simulé dans un second temps ». On imagine mal comment un coût complet a pu être évalué sur la base d’un parc électrique aussi simplificateur.
Mais quoiqu’il en soit, l’approche n’a pas de sens. Le coût complet de fonctionnement du système électrique n’a pas vocation à être financé par l’État, mais par l’usager de l’électricité à travers le tarif de vente. Et c’est la responsabilité de l’entreprise publique que de vendre l’électricité produite au coût de revient en répercutant à l’usager ses coûts d’investissement (production et acheminement), de financement et d’exploitation. C’est ainsi qu’a fonctionné le service public de l’électricité durant des décennies, sous la seule responsabilité d’EDF. Rappelons que l’actuel parc de production nucléaire a été financé quasiment sans intervention de l’État, à hauteur de 50 % par autofinancement et 42 % par endettement. Seul 8 % de l’investissement total a été couvert par des dotations en capital de l’État.
Les recettes : une fiscalité frénétique
La même confusion règne dans le chapitre du financement du développement des transports collectifs où aucune distinction n’est faite dans les responsabilités des différents intervenants : État, régions, municipalités, entreprises nationales : RFF, SNCF ou locales.
Cette confusion conduit le projet de plan climat à une démarche étatiste, dont le résultat est un montant d’investissement colossal, financé exclusivement par des nouvelles recettes fiscales (près de 8 % du PIB !) qui ne contribue pas à sa crédibilité ni à son acceptabilité
Des recettes qui, elles aussi, soulèvent quelques problèmes sérieux.
Comme les taxes nouvelles appliquées aux entreprises qui, si elles peuvent paraître une idée sympathique, risquent fort de se trouver répercutées sur le consommateur final par lesdites entreprises.
Le projet de plan climat reprend à son compte la proposition de revenir sur les exonérations de cotisations sociales, dont le PCF est porteur depuis longtemps, à cette différence près que le plan envisage d’affecter le produit de cette mesure aux investissements de transition, alors que par nature, il a toujours été envisagé de l’affecter au financement des retraites et à la rénovation du service public de la santé, dont le manque de moyens est devenu dramatique au cours de décennies récentes. Il y a là un manque de vision globale qui, finalement crée artificiellement des conflits entre différents objectifs sociaux et conduit à obscurcir les propositions économiques d’ensemble du PCF
En conclusion, le chiffrage du plan climat, qui est un élément essentiel de sa crédibilité, doit être sérieusement amélioré, tant du point de vue de l’évaluation des besoins financiers que de l’identification des sources de financement : création monétaire, crédit, impôt… et des acteurs en charge de les mettre en œuvre : État et collectivités, entreprises publiques, secteur bancaire etc. Un travail beaucoup plus collectif est nécessaire pour que le plan climat s’insère avec cohérence dans l’ensemble des objectifs sociaux du PCF.