PCF Commission Énergie
Note de la commission Énergie du PCF en date du 24 janvier 2024
Après la conférence de presse du 6 novembre, nous avons pris connaissance de manière détaillée de la version préliminaire du plan climat Empreinte 2050. C’est une initiative politique importante, de grande ampleur et inédite pour notre Parti. Nous en partageons les grandes orientations qui touchent à tous les aspects de la société. Nous avons la préoccupation de le faire connaître au plus grand nombre des militants du PCF pour qu’il devienne un outil pour le Parti. Car comme le souligne le projet lui-même « ce plan a vocation à être débattu ». C’est dans ce débat que notre commission souhaite s’inscrire, dans la compétence qui est la sienne.
Toutefois, la version actuelle du plan climat soulève, à nos yeux, des interrogations qui méritent des approfondissements auxquels il est possible de répondre par des discussions objectives. C’est dans ce but que notre commission a souhaité contribuer à son amélioration.
Nous pensons qu’il est indispensable de rappeler dans notre plan climat que l’accès à l’énergie doit être un droit fondamental pour tous, que sa consommation répond à des besoins sociaux vitaux et nul doit en être privé pour cause de pauvreté. En cela, l’électricité n’est pas une marchandise, et les lois de la concurrence avec le marché ne peuvent garantir ce droit. Seul un service public national peut le garantir.
Une autre de nos interrogations que soulève le modèle réside dans son approche purement physique : il ne fournit que des équilibres emplois-ressources de flux physiques d’énergie. Son approche économique est réduite aux questions de financement. Or les choix des sources ou des moyens de production sont autant des choix économiques que physiques. Le plan climat ne se préoccupe pas des coûts des diverses solutions énergétiques qu’il préconise, ni des prix auxquels ces choix conduiront et s’ils seront acceptables pour l’usager notamment par exemple les coûts des réseaux qui ne sont pas du tout estimés et qui pèsent pour la moitié du prix hors-taxe sur la facture des usagers.
Cette approche physique pourrait sembler simplificatrice, puisqu’elle ne fournit que des équilibres physiques annuels, sans prendre en compte les fluctuations saisonnières et journalières qui sont critiques, puisqu’elles dimensionnent la capacité et la structure du parc de production et son aptitude à faire face aux demandes de pointe et d’extrême pointe qui sont en général les plus difficiles et les plus coûteuses à satisfaire.
Il en résulte une prévision de mix électrique qui s’appuie sur un développement considérable des ENR au cours des dix prochaines années, et notamment du solaire photovoltaïque et de l’éolien offshore (dont les 33 GW occuperaient un linéaire de côtes d’un peu plus de 1000 km) qui accuse d’ores et déjà un retard non négligeable par rapport au Pacte éolien en mer. Et d’autre part minimise le potentiel du développement de l’hydroélectricité.
Ce fort développement des ENRi interroge. Aujourd’hui, celles-ci font déjà au sein des populations l’objet de critiques d’occupation excessive de l’espace (l’artificialisation des sols), d’atteintes à la biodiversité (faune aviaire très concernée), de dégradation des paysages, de nuisances pour les populations au voisinage des parcs…. c’est un élément à prendre en compte.
La prévision de recours à l’énergie solaire nous semble surdimensionnée, puisqu’elle conduirait à un accroissement de 8 GW par an dès 2028 (et à plus de 100 GW en 2035) soit l’équivalent de la surface de 30 terrains de football par jour jusqu’en 2040 et 25 ensuite ! Aujourd’hui le rythme actuel est de 2 GW/an et RTE dans ses scénarios vise 4 GW/au minimum et 7 GW au maximum. En outre, cette prévision est essentiellement motivée par l’augmentation de la consommation électrique due à la motorisation électrique et aux PAC pour le chauffage. Or le chauffage est nécessaire en hiver, quand le solaire marche mal, faute d’éclairement, et la recharge des véhicules électriques se fera sans doute majoritairement la nuit, quand le solaire ne fonctionne pas du tout. Ce que le modèle bouclé en énergie néglige.
En outre, avec ce fort développement des ENRi, l’équilibre conso/prod qui se fait aujourd’hui au niveau du RT, se fera demain également par ENEDIS. (électricité montante et descendante) et mènera à des surtensions en permanence sur la moyenne tension (Enedis) compte tenu des transformateurs non adaptés (études récentes d’ENEDIS 2023).
Enfin, le modèle ne prend en compte ni les échanges intra-européens, ni les contraintes et les coûts de réseau, notamment d’investissement qui, d’après RTE et ENEDIS, atteindraient 200 milliards d’ici 2040.
Nous avons bien noté qu’une version à venir du plan devrait corriger ces biais, notamment en améliorant l’analyse économique. Nous souhaiterions être associés à l’élaboration de ce nouveau modèle, notamment aux hypothèses de courbes de charge qui traduisent des choix politiques de satisfaction des besoins : flexibilité, sobriété, réindustrialisation etc.
Quel mix énergétique ?
Le plan est trop hexagonal sur le nucléaire. Écarter de l’horizon 2050, la possibilité de faire de l’électronucléaire avec des réacteurs à neutrons rapides n’est pas forcément opportun. Il faudrait en faire tout de même une option. Avec ce développement on résout les problèmes des déchets (on possède plus de 200 tonnes d’uranium appauvri en stock) et on n’a plus besoin d’uranium naturel puisque les réacteurs utiliseront ce stock. C’est un intérêt écologique pour notre pays et pour les pays producteurs d’uranium où l’on puise beaucoup d’eau pour pouvoir enrichir le minerai. Il nous parait important que le plan climat souligne la poursuite du programme Astrid.
Le mix énergétique qui résulte du plan climat repose sur un certain nombre d’hypothèses fortes touchant à la consommation qui n’ont jamais fait l’objet de discussions au sein des instances du parti ni même des commissions de travail, notamment la commission énergie. Il s’agit essentiellement des hypothèses de consommation des énergies autres que l’électricité : solaire thermique, biogaz, hydrocarbures de synthèse et hydrogène.
Parmi ces hypothèses on peut citer : le chauffage des bâtiments, les usages de l’hydrogène et les carburants de synthèse.
Les hypothèses sur lesquelles se base le plan climat pour évaluer les besoins en matière d’énergie dans les logements demandent réflexion compte tenu qu’il parie sur une demande de logement qui décroit en 2030 due à une baisse démographique. Or le dernier rapport INSEE de 2022 indique que la population française atteindrait 68.1 millions d’habitants (contre 66.8 aujourd’hui) et augmenterait jusqu’en 2044.
Dans le secteur du bâtiment (logement et tertiaire) le Plan climat pour la France Empreinte 2050 se donne pour objectif de sortir complètement du fioul d’ici 2030 et du gaz avant 2050. « Parallèlement, le recours au bois-énergie devra baisser de plus de la moitié ». S’agissant des combustibles fossiles et notamment du gaz naturel (dont une partie sera tout de même conservée à partir de 2035 pour répondre à 15 % de la pointe), le plan mise sur une baisse de 75 TWh en 2050 contre 435 TWh en 2023. Si cet objectif est parfaitement justifié pour atteindre la neutralité carbone, en revanche, dans le logement, le plan climat exclut tout recours aux gaz « verts » de substitution au motif que « le gisement limité de biogaz (biométhane) empêche d’y recourir dans les logements. »
En fait, le plan fait le choix de réserver ce biogaz à l’industrie au motif que « certaines industries ont des actifs à très longue durée de vie utilisant des combustibles » (Plan p.32). Le biogaz (qui a représenté en 2021 une production d’énergie de 11 TWh dont 4.3 TWh injecté dans les réseaux)serait donc éliminé du secteur domestique avec pour conséquence « d’abandonner le réseau de distribution de gaz opéré par GRDF » (Plan, p. 26). Mais le réseau de gaz n’est-il pas lui-aussi un actif à très longue durée de vie, qui plus est, public ? Pourquoi faudrait-il le sacrifier au profit de la sauvegarde d’installations privées ? D’autant que des alternatives technologiques matures ou quasi-matures existent dans l’industrie, notamment l’hydrogène. Alors que conserver une part de biogaz dans le chauffage, notamment par PAC hybrides, soulagerait grandement la pointe (que le plan chiffre à 160 GW, soit 60 % de plus que le record actuel) et les réseaux électriques. Par ailleurs, certains industriels l’orientent plus vers les transports que l’industrie. Cette alternative mérite d’être étudiée avant de faire un choix. En outre, le solaire thermique n’est pas même envisagé.
Nous aurions besoin de confronter nos analyses avec celles d’experts de la filière gaz qui évalue que la filière gaz renouvelable pourra couvrir 100 % de la consommation française en gaz en 2050.
Le plan est, nous semble-t-il également ambigu sur l’usage du bois énergie. Il est proposé de le réduire significativement (de 130 TWh à 51TWh) essentiellement chez les usagers domestiques, mais dans le même temps, il est proposé un tarif spécifique de l’électricité incitatif à la consommation de bois énergie en période de froid. Une telle politique dépend grandement des prix relatifs du bois et de l’électricité dont le plan ne fournit aucune évaluation.
Concernant l’hydrogène, il nous semble que la version actuelle du plan est confuse. Il prévoit une limitation de son usage industriel aux « usages essentiels » (lesquels ?) au motif que c’est « une ressource coûteuse en raison de l’électricité, des électrolyseurs et des infrastructures de transport et de stockage ».Si cette ressource est si coûteuse, comment alors espérer en exporter 30 TWh par an comme le propose le plan ? Une analyse économique plus fine nous paraît nécessaire. Quid du projet H2 MED ?
Le plan indique également qu’il faut être prudent sur l’hydrogène compte tenu de certaines incertitudes technologiques. Mais un aspect pas du tout évoqué est la possibilité de faire de l’hydrogène à partir de réactions thermochimiques (source nucléaire qui a un bien meilleur rendement que l’électrolyse). Il y a des accords faits il y a plusieurs années entre CEA et le DOE pour développer des réacteurs nucléaires qui produiraient de l’hydrogène par réaction thermochimique
Dans le secteur des transports, le plan limite l’usage de l’hydrogène à 10 % des transports lourds, au motif que « cette technologie restera coûteuse » et « que les progrès des batteries permettront des autonomies de plus en plus élevées ». Il y a là des hypothèses technologiques dont la justification mériterait d’être précisée. En outre, le plan fait totalement l’impasse sur une technologie plus que quasi -mature : le moteur à combustion interne jugé par les experts déjà plus compétitif que la pile à combustible pour les grosses cylindrées et dont le développement permettrait de conserver le savoir-faire de notre industrie automobile.
Le plan vise une électrification totale des voitures sans prendre en compte ni évaluer les difficultés d’installations de bornes de recharges qui impliquent des raccordements spécifiques et la liste d’attente est déjà très longue aujourd’hui. Stellantis estime ses besoins entre 600 000 et 700 000 bornes de recharge contre 10 000 aujourd’hui.
Enfin, le plan n’envisage aucun recours à l’hydrogène natif, dont des découvertes significatives ont déjà été faites et qui à, l’horizon que se fixe le plan, 30 ans, pourrait prendre une place importante. Il nous semble que cette ressource devrait être prise en compte, au moins sous forme de scénario alternatif.
Le captage du CO2 n’est pas envisagé dans le plan climat et devrait faire l’objet d’un débat compte tenu des approches différentes que peuvent avoir certains experts au sein du HCC.
La production de carburants de synthèse nous parait elle aussi un peu arbitrairement limitée dans les hypothèses du plan. Par exemple, la feuille de route de la filière secteur aérien consacre 1.2 Mt de biomasse en 2050 et 1.8 % de la production d’électricité décarbonée. Nous souhaiterions aussi avoir un échange sur cette question qui est un enjeu-clé pour desserrer la contrainte pesant sur la décarbonation des transports aériens et des questions industrielles (sauvegarde de l’industrie aéronautique) et sociétales (liberté de déplacement) qu’elle soulève. Les propositions du plan sont en-deçà des objectifs européens.
Dans la partie D.1. « Développer les services publics », Il nous semble qu’il peut y avoir une ambiguïté qu’il nous faut lever. On indique que l’économie sociale et solidaire est le complément des services publics. Cela peut être vrai pour des secteurs mais concernant l’énergie nous ne pouvons pas l’accepter. On ne peut pas à la fois défendre le service public de l’énergie et accepter des centrales villageoises et/ou des coopératives énergétiques sous couvert de gouvernance citoyenne. Ce modèle « solidaire » (dont le plus connu est Enercoop) a d’abord besoin de la marchandisation de l’électricité pour se développer et d’assurer une bonne rentabilité pour ses actionnaires, ce modèle reste dans une logique de marchandisation. La multiplication des acteurs ne va pas dans le sens d’un service public national de l’électricité avec la sauvegarde du modèle actuel d’égalité et de péréquation tarifaire.
D’autre part, le plan Climat du PCF avance des propositions sur le transport multimodal, notamment le fret et le transport fluvial sans pour autant en évaluer les projets d’aménagement, les estimations financières et délais. Il pourrait être intéressant d’illustrer le plan par des exemples concrets
En résumé, la commission énergie partage évidemment les grandes orientations de ce plan, réindustrialisation, électrification des usages et développement du nucléaire, mais nous souhaiterions que soient approfondies les pistes propres à en faciliter sa mise en œuvre et en alléger les contraintes : recours aux combustibles gazeux décarbonés pour réduire la pointe électrique et la charge des réseaux, limitation des problèmes d’intermittence, et solutions alternatives pour préserver nos industries d’excellence, automobile et aéronautique.
Nous souhaitons vivement que cet approfondissement se fasse en commun, par des réunions périodiques, éventuellement associant toutes les commissions concernées pour avoir une réelle confrontation, organiser des auditions d’experts dans les filières énergétiques pour confronter nos propositions et notre vision, jusqu’à la publication d’une nouvelle version du plan Climat 2050.