La poudrière du capitalisme mondial

Évelyne Ternant
économiste, membre du comité exécutif national du PCF

Les désordres du monde font peser de lourdes menaces sur l’avenir de l’humanité. L’engrenage des tensions et affrontements auxquels les peuples assistent sans en avoir décidé démultiplie les crises de toute nature, et rend possible la perspective d’une nouvelle déflagration mondiale.

Au commencement se trouve la crise systémique du capitalisme monopoliste d’État social (CMES), sur laquelle viennent buter toutes les politiques néo-libérales : le soutien au capital contre le travail épuise les êtres humains et détruit la planète ; l’affaiblissement des services publics produit de l’inefficacité économique ; la création monétaire des banques est dévoyée dans le soutien aux marchés financiers. Ce capitalisme, souvent absous de ses dégâts sociaux par ses thuriféraires, au nom d’une efficacité économique qui serait inégalable, est à bout de souffle, avec une chute de la productivité globale, une croissance faible et malsaine, des phases ascendantes des cycles conjoncturels de plus en plus courtes.

Un choc de récession menace aujourd’hui les États Unis malgré la perfusion de l’énorme plan Biden de relance post-covid (1 900 milliards de dollars) suivi du plan dit IRA (Inflation Reduction Act, 500 milliards), malgré le privilège de détenir la monnaie mondiale qui permet à la puissance hégémonique de payer ses dettes avec sa propre monnaie, malgré le diktat du principe d’extra-territorialité au nom duquel un droit autoproclamé de sanctions économiques s’exerce sur l’ensemble du monde.

La Chine, en croissance affaiblie, affronte un chômage des jeunes inédit alors qu’elle se remet difficilement d’une crise immobilière. La guerre économique États-Unis-Chine, lancée par l’administration Trump et poursuivie par Biden, n’affecte pas seulement la conjoncture chinoise : elle a des impacts sur l’économie mondiale dans son ensemble, avec un effet boomerang sur leur initiateur.

L’inquiétude
des milieux dirigeants européens

 L’Union Européenne, maillon faible des puissances occidentales, s’enlise dans son carcan néolibéral et dans le suivisme d’un impérialisme américain qui défend d’abord et toujours ses propres intérêts. Même l’Allemagne, qui s’est longtemps nourrie de l’affaiblissement de ses partenaires européens, dans la logique de concurrence qui préside à l’organisation de l’Union, ne peut plus compenser, comme ces années passées, les limites du marché européen en s’arrimant au moteur chinois. Elle subit de plein fouet le retournement de conjoncture et traverse une récession qui va évidemment peser sur la situation économique en Europe. Cet avenir d’une Europe terriblement fragilisée inquiète même les acteurs les plus zélés de ses politiques. Dans un rapport récent, Mario Draghi, ancien président de la BCE, lance une alerte sur le décrochage économique et technologique de l’UE par rapport aux Etats-Unis alors que la Chine monte en puissance. Il y voit « un défi existentiel » et prédit « une lente agonie » de l’UE si rien ne change, avec comme d’habitude, dans les éclairs de lucidité des dirigeants libéraux, les deux côtés de la médaille : le bon côté, c’est l’affirmation de la nécessité d’accroître les dépenses publiques, en clair un désaveu des politiques d’austérité qui font leur grand retour en Europe et en France après le « quoiqu’il en coûte ». Le mauvais côté de la médaille, c’est en premier mieux le mode de financement proposé, un recours au financement par eurobonds, c’est-à-dire la double impasse d’un accroissement de la dépendance des marchés financiers et du fédéralisme européen ; c’est, en second lieu, l’absence de véritable réflexion critique sur les aides publiques massives aux entreprises qui, au lieu d’être conditionnées à des critères sociaux et écologiques, sont associées à une conception de la compétitivité qui repose sur la baisse du coût du travail et gâche le potentiel humain que requiert l’intensité de la révolution informationnelle.

Aux risques économiques majeurs que fait courir le capitalisme mondial dans sa poursuite aveugle des stratégies de concurrence et d’affrontement sur les niches de rentabilité, s’ajoute la menace d’un krach financier mondial, que les soubresauts boursiers de l’été rendent crédible. Si l’épée de Damoclès est tenue pour l’instant à distance de nos têtes, c’est parce que les banques centrales soutiennent les marchés financiers à grands coups de création monétaire, un remède qui cache les symptômes mais aggrave le mal de l’accumulation de capitaux et du risque inflationniste.

La poudrière du capitalisme mondial, c’est l’installation de la guerre dans de nombreux endroits de la planète, en lien étroit avec les affrontements économiques sur les ressources en matières premières et énergétiques et les rapports de domination entre impérialismes, alors que s’effacent progressivement les institutions dont la fonction était de régler pacifiquement les contentieux. L’Ukraine, Gaza, le Congo, le Yemen, la Somalie, le Soudan, la liste n’est pas exhaustive, ce sont des millions de morts et des destructions colossales d’infrastructures. Les marchands de canons se réjouissent du gonflement des budgets militaires (413 milliards prévus en France par la loi de programmation militaire pour 2024-2030, soit une augmentation de 30 %), l’OTAN y contribuant largement. Les marchands de béton et d’infrastructures jouent des coudes pour profiter des opportunités offertes par les reconstructions. Les vies gâchées et les dégâts écologiques des guerres n’ont que peu de poids « dans les eaux glacées du calcul égoïste ». Les dégâts écologiques, ce ne sont pas seulement les émissions de CO2 pour réparer des destructions qui n’auraient jamais dû se produire, ce sont aussi les dépenses indispensables à la transformation écologique qui n’auront pas lieu du fait des dépenses de guerres.

Des voies nouvelles se cherchent
pour un autre monde

Dans ce fracas global, des voies nouvelles se cherchent pour un autre monde : avec beaucoup de contradictions, les BRICS essayent de s’ériger en puissance alternative à un Occident de plus en plus rejeté par le « Sud global ». Pour quelle perspective, un fractionnement durable du monde ou une avancée vers une prise en compte des intérêts communs de l’humanité ? Il manque une Europe progressiste pour faire le pont et peser dans le sens de cette deuxième option.

Les dirigeants politiques de la France se sont mis depuis des années au service d’un capitalisme dominé par les logiques de rente financière, à la recherche de zones d’expansion principalement en dehors de la France. L’affaiblissement du pays, que l’on peut mesurer par la désindustrialisation et la dégradation des services publics, a été aggravé par une politique néolibérale de l’offre au service des grandes entreprises et des ultrariches. La crise des finances publiques, au lieu de conduire à une remise en cause des orientations suivies, est au contraire l’occasion d’engager le pays dans une baisse drastique des dépenses publiques avec, en perspective, le risque fort de la récession, l’affaiblissement des recettes, et le cercle vicieux d’un déficit public creusé par la baisse des dépenses, mis en évidence par Keynes dans les années1930 ! Cette austérité historique que les gouvernements précédents n’avaient pas réussi à réaliser, c’est celui de Michel Barnier qui va tenter de l’imposer. Installé dans le déni du résultat des urnes de juin 2024, avec la caution du RN, sans la moindre légitimité démocratique, ce gouvernement est le révélateur du basculement politique de la France vers un régime autoritaire.

Plus que jamais, la feuille de route des communistes devrait s’attacher à mener de pair la bataille des idées, le soutien aux luttes et la mise en avant de propositions politiques de transformation, afin de pousser les portes que le programme du NFP n’a fait qu’entrouvrir.

La campagne nationale et locale du parti communiste sur la thématique « Emploi-formation pour un élan des services publics et une nouvelle industrialisation », si elle est bien menée et infuse dans le corps social, peut aider à contrer l’austérité budgétaire et mettre en échec certaines stratégies prédatrices du capital. Notre revue contribuera pleinement à son déploiement.

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  1. Exercice d’ingénierie sociale

    Les hypothèses proposées dans le livre « éradiquer la pauvreté » et utilisées dans ce baromètre montrent que la France produit assez de richesse pour offrir à chaque habitant du pays un salaire compris entre 2 098,00 € et 6 235,63 €, pour financer les dépenses de santé et de l’État, pour diminuer la dette publique et pour garantir des taux de marge d’un tiers de la valeur ajoutée à chaque entreprise.

    https://www.coollibri.com/bibliotheque-en-ligne/patrick-soulier/condate-barometre-2024_822537

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