Quelle filière industrielle pour quel service public de l’électricité ?

États généraux de l’énergie – Samedi 13 février 2021

Intervention de Sébastien Ménesplier, secrétaire général de la FNME CGT

Alors que ce matin les débats ont été riches sur le sujet du « mix électrique, recherche, technologies, maîtrise industrielle, emplois et formation » il me semble indispensable de commencer mon intervention par un rappel primordial de la position de la FNME CGT. En effet, les sujets étant clairement orientés autour de l’électricité pour cette première journée, cet acte 1 des états généraux de l’énergie, il est de ma responsabilité de vous dire qu’il ne doit jamais s’agir d’opposer les énergies entre elles mais bien de démontrer avant tout leurs complémentarités.

La filière gaz, à laquelle la FNME-CGT est attachée, rassemble 130 000 emplois en France, essentiellement implantés au cœur des territoires, dont 20 000 emplois dédiés aux missions de service public de gestion des infrastructures qui permettent d’acheminer, en toute sécurité, le gaz aujourd’hui nécessaire tant à l’usage énergétique de nos concitoyens qu’à l’industrie, ainsi qu’à la production d’électricité à hauteur de 10 % de la consommation nationale.

La FNME CGT porte dans son Programme Progressiste de l’Energie (PPE) la conviction de la nécessité d’un véritable service public de l’énergie, fondé sur l’équilibre entre la création d’un EPIC Gaz et d’un EPIC Électricité comme ce fut le cas en 1946 mais nous y reviendrons plus tard. S’il ne faut pas se priver d’étudier les spécificités de chaque énergie, le gaz ne doit pas être oublié car il est véritablement porteur de projet d’avenir. C’est pourquoi mon intervention portera aussi certaines positions en lien à cette énergie gaz indispensable au mix énergétique décarboné de demain.

Bilan

A partir des années 2000, l’obligation de mise en concurrence imposée par le droit européen et transcrite en droit français (directive de 1986) a complètement balayé les partenariats entre les équipementiers – principalement entre GE Alstom et Schneider à l’époque mais aussi entre Areva et Framatome avec l’opérateur historique EDF (dans une dynamique d’investissements moindres par la fin de la construction du parc nucléaire).Ces industries (très spécialisées et rompues aux prescriptions techniques de haut niveau que ce soit dans le dimensionnement des équipements ou les performances exigées) ont pour la plupart essayé de se diversifier à l’international.

Autour des années 2000, la politique de « moins-disance » de la fameuse nouvelle direction des Achats d’EDF dirigée par le premier transfuge hors statut arrivant tout droit de l’automobile avec un parachute doré, a achevé l’ère des coopérations et des innovations et a complétement abandonné un pan entier de notre industrie, de fait obligée de se tourner vers les autres pays d’Europe mais surtout en Asie pour aller chercher des marchés. Même si EDF a ensuite évolué des années après en corrigeant sa position par la recherche de « mieux-disance », le mal était fait.

Si certaines entreprises industrielles actrices dans le domaine énergétique ont résisté quelque temps en surfant en France sur la mini-vague de cycle-combinés-gaz (justifiant leur mise en service en un temps record (24 à 30 mois avec des hypothèses macro-économiques favorables à court et moyen terme pour des installations se rémunérant en semi-base), d’autres se sont essayées à l’internationalisation se frottant à une concurrence féroce les poussant à l’optimisation économique et à la délocalisation. Ces industriels autrefois partenaires et « collaborateurs » d’EDF ont développé les pires travers de l’économie libérale et de marché avec d’un côté des marges calculées au plus juste dans la fabrication des équipements, obérant une baisse indéniable de qualité et durée de vie des équipements, et de l’autre des gains sur la masse salariale allant jusqu’aux délocalisations d’une partie de la fabrication des équipements, puis de leur totalité.

Mondialisation et financiarisation

Malgré quelques échecs, le captage des matières premières se fait désormais par l’Asie. Lorsqu’une relocalisation est désormais obtenue – souvent en contrepartie de contrats imposant une part locale – elle se fait dorénavant à partir de matières en partie déjà transformées (atelier de conduites forcées ou usine de fabrication d’éoliennes tout récemment). On peut dire que l’Europe a délaissé définitivement la première étape de fabrication des équipements, celle qui justifie un besoin énergétique important d’ailleurs.

C’est bien la mondialisation, orchestrée par les directives européennes et les gouvernements successifs, qui a désorganisé le secteur énergétique, créé un manque de planification/anticipation sur le très long terme, et qui a donc été la principale cause de la désindustrialisation. Désindustrialisation qui a aussi touché les entreprises électro-intensives dont le modèle d’affaire dépend d’un coût de l’électricité attractif, ce que la libéralisation n’a pas permis de maintenir mais c’est un autre sujet.

Pire que la mondialisation, la financiarisation des entreprises achève maintenant le tout. Pour une entreprise, il est plus facile de neutraliser un concurrent par une OPA plutôt que de se confronter à une bataille concurrentielle. Même si ce dernier possédait des savoir- faire de « niche » répondant à une demande spécifique, son « absorption » rime souvent avec disparition des spécificités pour permettre des marges et donc des dividendes supplémentaires aux actionnaires. C’est le cas dans la rocambolesque affaire Alstom-General Electric !

Nous constatons par ailleurs une tendance des plus critiquables, celle qui amène les entreprises dites « progressistes » à se concentrer particulièrement, à verdir leur image à coup de raison d’être, de conseil de parties prenantes alors qu’elles évitent et se dispensent de travailler avec les instances de dialogue social. Le salarié est pourtant un meilleur contributeur et investisseur que l’actionnaire : lui, il est inscrit dans la durée et se soucie de la raison d’être et de la pérennité de son entreprise !

Où sont nos leviers ?

Les différentes politiques de subventionnement des dernières années ont montré leurs limites dans leurs destinations/destinataires et dans leurs montants, un « pognon de dingue » ayant été dilapidé. Cet effet d’annonce du gouvernement n’a qu’un seul objectif : soigner sa communication vers les citoyens.

Pour exemple, au sein du secteur, le fléchage de ces aides vers les promoteurs privés de la filière des renouvelables intermittents (dont les équipements arrivent majoritairement d’Asie) ne crée que très peu d’emplois. Pourtant, ces subventions à outrance alourdissent notre balance commerciale tout en pénalisant les filières pilotables issues de la maîtrise publique dans leurs fonctionnements et leurs rentabilités. Fin 2018, la Cour des comptes enregistrait 121 milliards d’aides à venir par la CSPE, pour la promotion d’un secteur qui n’apporte finalement aucun gain en réduction des gaz à effet de serre, se supplantant au nucléaire et à l’hydraulique.

L’État stratège a disparu. L’État actionnaire se concentre à ponctionner ses entreprises publiques. Arrive donc maintenant l’État philanthrope qui déverse des aides sans en attendre aucun retour alors même que les biais et les incohérences sont démontrés et avérés. Par exemple, le plan de relance 2020 qui devrait consacrer 7 milliards pour la filière hydrogène : Des conditionnalités de divers types, et en particulier vers la protection des salariés, devraient être définies pour éviter les rapprochements opportunistes avec des actionnaires avares en dividendes qui cherchent rarement à réinvestir, même pas a minima, dans le secteur dont l’entreprise dépend. Comment l’état peut-il débloquer des montants pareils sans s’assurer d’un cadre d’utilisation contraint et de contreparties voire d’engagements solides de la part des entreprises qui bénéficieront de ces mannes financières ? Cela parait absurde mais c’est la réalité.

Il y a urgence à agir sur le volet réglementaire partout où cela est possible en embarquant les exigences sociales et environnementales de demain. Il n’est pas normal que le coût extrêmement bas du transport mondial combiné à des avantages fiscaux sur les importations permette par exemple à EDF d’acheter les panneaux photovoltaïques dont il a besoin en Asie, délaissant sa filiale française Photowatt aujourd’hui au bord du gouffre.

Que dire de la turbine de GE Hydro pour le site de Gavet, étudiée et fabriquée en Inde et qui a dû retourner en Inde avec les calculs refaits par les bureaux d’études de Grenoble ? Aujourd’hui, c’est pourtant le site GE de Grenoble qui est menacé de fermeture.

La nécessité de changer de logique et de philosophie économique comme éthique est une évidence qui pourtant se fracasse sur le mur du capitalisme et de l’individualisme. Mais alors comment faire renaître l’espoir ?

La crise sanitaire assortie d’une crise économique permet de rebondir sur les priorités de la société d’aujourd’hui : faire la chasse aux inégalités commence par disposer d’un coût de production de l’électricité bas carbone au plus bas, et accessible à tous pour permettre le report des usages fossiles sur ceux bas carbones. Ce défi-là, nous l’avions déjà̀ relevé dans les années 2000, le constat est donc que c’est possible. Et c’est ce que la FNME CGT porte et rappelle dans son Programme Progressiste de l’Énergie :

revenir à des EPICs est nécessaire et permettrait à l’État de reprendre sa responsabilité essentielle dans des activités et des prises de décisions qu’il a délaissées.

i) Dans la planification et dans l’optimisation technico-économique du mix énergétique, ii) Dans l’optimisation d’un secteur aval libéralisé et présenté de manière mensongère comme vertueux alors qu’artificiel, structuré avec des offres et services « verts » alors que les emplois de la commercialisation sont en partie délocalisés (ex : TOTAL – ENGIE), iii) Pour le maintien des tarifs réglementés gaz et électricité pour le bien de première nécessité qu’est l’énergie : sans maîtrise de la variabilité des prix, la stabilité des modèles d’affaires des entreprises sera à coup sûr perturbée dans l’avenir.

 La libéralisation a engendré énormément de risques que les usagers paient de manière certaine dans leur facture. Le constat pour l’usager est amer : sa facture d’électricité a fait un bond de +40 % au-dessus de l’inflation, +70 % en gaz, alors que jamais, du temps de l’EPIC EDF ou de l’EPIC GDF et des investissements massifs en moyens de production, les augmentations n’avaient dépassé l’inflation.

La continuité d’approvisionnement est également aujourd’hui même menacée, alors qu’il s’agit d’une préoccupation majeure lorsqu’il s’agit d’envisager l’intérêt général pour tous les usagers particuliers comme professionnels. La décision d’investissement pour les EPR n’est pourtant pas encore actée, ce qui est très inquiétant et pose le risque de notre dépendance aux autres pays du fait des choix qui sont en train de se dessiner pour l’avenir en termes de transition énergétique.

N’oublions pas que l’EPR de Flamanville est un prototype d’EDF sous la forme juridique de société anonyme dont l’expertise technique a été balayée par une gouvernance essentiellement financière.

Ce marasme des années passées met en exergue des pistes de réflexions pour redynamiser la filière industrielle et en même temps répondre aux enjeux d’un véritable service public de l’énergie. Il s’agirait notamment de travailler sur les besoins en compétences techniques, d’ingénierie, de recherche, de développement et de la formation. Il y a aussi urgence à ré internaliser des activités aujourd’hui sous-traitées, mais le faire avec l’accompagnement nécessaire à un redéploiement d’une meilleure gestion de la sous-traitance sur le territoire. L’exemple d’un manque de soudeurs dans les métiers de la chaudronnerie est évident : que faisons-nous ? Pourquoi pas se tourner vers les solutions du passé qui ont largement fait leurs preuves comme avec les écoles de métiers par exemple qui ont su donner pleinement satisfaction par le passé ?

Il y a aussi un autre domaine où une filière est à construire sous maîtrise publique : c’est celle du démantèlement de la filière nucléaire ! On ne peut pas nier les objectifs politiques d’arrêt de 12 réacteurs d’ici 2035. C’est cependant mal parti par des jeux d’alliances entre EDF et d’autres entreprises dont les dividendes seront la priorité avant le nécessaire traçage des éléments irradiés par exemple. EDF ne gère pas moins de 30 milliards d’euros d’argent public qui seront déversés pour ces opérations délicates. Une niche certainement pour certains et… l’État philanthrope !

Portage revendicatif FNME-CGT

Le secteur énergétique a besoin de se réindustrialiser. Il est nécessaire d’investir dans les différentes filières de production, dans les infrastructures gazières et électriques qui deviennent incontournables pour dessiner l’avenir et mettre en œuvre la transition énergétique. Les critères de choix doivent être fondés sur l’intérêt général, la maîtrise publique, la sécurité d’approvisionnement et de desserte pour atteindre les objectifs de réduction de CO2. L’hydroélectricité, le nucléaire tout comme le captage et la séquestration de CO2 contribuent avec les ENR au développement de l’énergie bas carbone et à la réduction de gaz à effet de serre. Au regard des besoins pour la consommation électrique, l’énergie pilotable et réactive des centrales thermiques, nucléaires et hydrauliques est nécessaire. La France devra développer de nouveaux projets pour les années à venir, comme construire des stations d’énergie par pompage pour l’hydroélectricité et développer la future génération 4 de réacteurs pour le nucléaire (démonstrateur Astrid) permettant un peu plus la fermeture du cycle. Les filières biogaz, l’hydrogène ou le méthane de synthèse seront des vecteurs importants pour permettre le report des usages des process industriels dans la lutte contre le dérèglement climatique. Autre piste, le captage de CO2 et le projet de reconversion portés par exemple par les travailleurs des centrales de Lucy, Cordemais et de Gardanne.

II sera primordial de maîtriser et gérer la complémentarité des énergies constituant ce nouveau mix énergétique. La FNME-CGT par son Programme Progressiste de l’Énergie préconise des solutions pour la réindustrialisation de la France. Cela passera inévitablement par l’exigence d’un service public de l’énergie, véritable enjeu de société. L’électricité et le gaz sont des biens de première nécessité, l’énergie notre bien commun !