Didier Le Reste
Secrétaire général de la Fédération CGT des Cheminots de 2000 à 2010 Conseiller PCF de Paris de 2014 à 2020.
Sans contestation possible, les citoyens-es mesurent de plus en plus les réelles conséquences du dérèglement climatique qui appellent des décisions politiques fortes à la hauteur des enjeux. Comme l’alertent depuis des années les rapports du GIEC, cette situation est due en grande partie à l’activité humaine et aux émissions de gaz à effet de serre dont le transport routier est le principal contributeur. Les opinions publiques demandent de plus en plus qu’on privilégie des transports alternatifs à la route notamment. Ainsi, nous constatons depuis quelques années un regain d’intérêt pour les déplacements en train qui est, avec le fluvial, le mode de transport le moins polluant. En ce sens le législateur a fixé des objectifs, que l’on peut considérer comme ambitieux, de développement des trafics ferroviaires, voyageurs et fret, d’ici 2030, visant la neutralité carbone en 2050 !
Contre toute attente, que font le gouvernement français et les directions SNCF ? Eh bien, sous couvert d’une enquête (procédure formelle) engagée en Janvier 2023 par la Commission européenne qui considère que les aides financières « croisées » accordées depuis plusieurs années à l’activité Fret de la SNCF seraient contraires au code européen de la concurrence, ils se sont précipités, a contrario d’autres pays concernés peu ou prou par la même procédure, pour élaborer un plan de démantèlement de la SA Fret SNCF. Ce plan dit de « discontinuité économique » concocté en catimini entre le précédent ministre des Transports et la Commission européenne avec l’accord tacite des différents gouvernements « macronistes » va, comme le dénonce le rapport d’enquête parlementaire, déboucher sur un « report modal inversé », un transfert de marchandises du train vers la route !!
C’est un véritable gâchis environnemental, social, économique et industriel qui confine à un scandale d’État !
Dès 2019, la France consciente de ses errements, a mandaté le trop fameux cabinet Mc Kinsey pour imaginer une liste de sanctions à proposer à la Commission de l’UE. C’est ce qu’a d’ailleurs reconnu devant la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale une ancienne directrice de Fret SNCF qui a ajouté que le projet proposé par le cabinet susvisé « ne garantissait ni la viabilité, ni le report modal ». Ainsi, ce plan de casse de l’outil ferroviaire prévoit que la SNCF abandonne 23 flux, essentiellement du transport combiné, les plus rémunérateurs, représentant 7 500 trains par an avec la cession de 62 locomotives, la suppression de 10 % des effectifs de cheminots, le transfert des personnels restants dans deux filiales (New Fret et New Technifret) qui seront créées le 1er janvier 2025. Pour les cheminots de Fret SNCF qui se sont beaucoup investis ces dernières années pour redresser l’activité, au point que celle-ci a dégagé des excédents budgétaires en 2022, la stratégie des pouvoirs publics en Europe et en France et de la SNCF de quasi-liquidation de Fret SNCF, constitue un coup de poignard dans le dos de ceux qui ont le rail public au cœur !
Pour une relance massive du rail public
Dans la période préélectorale du scrutin européen de juin prochain, voyons bien qu’en matière de réforme du secteur ferroviaire, cela dépend quasi exclusivement de textes européens, imposant directives et règlements de libéralisation. Ainsi, sous l’impulsion de ces politiques dogmatiques, l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire, dont les partisans d’hier reconnaissent aujourd’hui que cela a été un échec, s’est opérée en 2003 (trafics internationaux) et en 2006 en France pour les trafics nationaux ! Les différentes directions de la SNCF ont géré le déclin progressif de l’activité fret, parent pauvre des stratégies patronales et des politiques publiques, accentué par le fait que la Commission européenne, de plus en plus ultralibérale, n’a jamais aimé le rail. Du fait de son histoire, celui-ci symbolise un caractère trop national, trop public, composé de cheminots trop syndiqués ! En un mot, un obstacle majeur au marché unique et à la fameuse « concurrence libre et non faussée » qui s’avère d’ailleurs être complètement faussée, au regard de la concurrence déloyale qui sévit entre le rail et la route notamment. Dernier exemple en date, l’adoption en première lecture au Parlement européen de la révision d’une directive visant à permettre la circulation des « gigaliners », des camions mastodontes de 25 m de long, pesant 60 tonnes !! La mode américaine !!!
L’ensemble des services publics et les activités du secteur public doivent impérativement sortir de la loi du marché et de sa rapacité. On a coutume de dire que le service public, c’est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. Malheureusement, dans nombres de territoires, couplés à la désindustrialisation, les services publics disparaissent, sacrifiés sur l’autel de la rentabilité financière. Les citoyens s’estiment ainsi ciblés par l’Union Européenne et abandonnés par l’État, déclassés, considérés comme des citoyens de seconde zone. Cette situation explique en partie l’augmentation de l’abstention aux élections et les votes pour l’extrême droite.
Réussir une véritable transition écologique et énergétique, exige d’investir massivement dans le rail public. Cela passe par une nouvelle organisation de la SNCF qui verrait la création d’une entité rassemblant le transport de marchandises et de voyageurs permettant de mutualiser les moyens de production. Afin de répondre aux besoins de transports du tissu industriel territorial, il convient de relancer la technique dite du « wagon isolé » (trafic diffus), en engageant un programme de recherche et développement pour la conception de nouveaux types de wagons, adaptés aux dimensions, à la nature et à la manutention des produits à transporter. Dans le même mouvement, afin d’optimiser le réseau ferré national, il s’agit de poursuivre son électrification qui n’est pour l’heure que de 55 % et de réactiver et réouvrir des lignes ferroviaires qui présentent un intérêt géostratégique ! Élaborer un schéma d’infrastructures pertinent pour le fret, développer les coopérations entre réseaux européens au lieu de la concurrence mortifère, mettre en œuvre des synergies avec les filiales du Groupe SNCF, rapprocher l’organisation commerciale des clients potentiels en réinstallant des démarcheurs commerciaux territoriaux, remettre en place des ressources humaines en nombre et qualifiées, améliorer la desserte ferroviaire des grands ports permettraient au rail d’atteindre 40 % de part modale à horizon 2050 et d’être déterminant dans la décarbonation et la neutralité carbone !
Comme cela a été utilisé par le passé pour apurer la dette de SNCF Réseau entre 2020 et 2022, il y a lieu d’instaurer une « caisse de la dette » du transport de marchandises visant à régler l’endettement attaché à la SAS Fret SNCF. Mais il s’agit surtout d’investir largement pour développer le rail voyageurs et marchandises partout en Europe et donc l’activité. Un fonds européen pour les services publics financé à taux zéro par la BCE permettrait d’assurer ces investissements en hommes et en matériels à la demande et sous le contrôle des salariés, des populations et des parlements. Il s’agit par exemple de terminer au plus vite le tronçon « Lyon-Turin » qui est une partie d’une ligne allant de Lisbonne à Budapest permettant aux marchandises de transiter par le rail à travers toute l’Europe plutôt que d’utiliser les camions.
La liquidation de fret SNCF n’est pas inéluctable ! La convergence des luttes sociales et citoyennes peut arrêter le bras des casseurs et imposer d’autres choix, plus tournés vers l’intérêt général !
Il y a urgence, dans un premier temps, à mettre en œuvre la recommandation numéro 27 du rapport de la Commission d’enquête parlementaire piloté par le député PCF Hubert Wulfranc, à savoir : « fixation d’un moratoire sur le plan de discontinuité proposé par le gouvernement Français afin de réviser le processus de démantèlement de Fret SNCF à la lumière des travaux de la Commission d’enquête ».