Jean-Marc DURAND
Une des prérogatives des députés européens que nous allons élire le 9 juin sera de voter le budget de l’Union européenne, conjointement avec le Conseil qui réunit les représentants des 27 gouvernements des États membres. C’est un enjeu dont l’importance croît, et pourrait croître encore si les conceptions fédéralistes, tendant à faire de l’UE ce qu’elle n’est pas – un État – venaient à l’emporter.
Dépenses de l’Union européenne en 2020 (milliards d’euros)
Les présentations
Le budget de l’Union Européenne a été en 2023 de 168,6 milliards d’euros en crédits de paiements (182,7 milliards d’euros en crédits d’engagements). Ce budget doit équilibrer les dépenses et les recettes. Il ne prévoit pas de déficit. C’est là une différence importante avec le budget des États qui la composent. Néanmoins, l’Union européenne différencie crédits de paiement et crédits d’engagement. Les engagements contraignent l’UE à allouer des moyens à des projets, contrats, travaux de recherche au cours de l’année de l’engagement… ou alors plus tard. Les paiements correspondent eux, au montant que l’Union dépense effectivement au cours de l’année, y compris pour des projets réalisés les années précédentes. Enfin, ce budget s’inscrit dans un cadre pluriannuel de 7 ans qui, selon les promoteurs de ce modèle, permet de prévoir à moyen terme où concentrer les dépenses en respectant un montant maximum d’engagement annuel. Pour la période 2021-2027, le plafond a été fixé à 1 074,3 milliards d’euros. S’y ajoute un plan de relance inédit de 750 milliards d’euros baptisé « Next Generation EU », afin de répondre aux conséquences économiques de la pandémie Covid-19.
Chaque année, les États membres versent environ 1 % de leur richesse (PIB) à l’UE. La recette principale, le RNB (revenu national brut) représente selon les années entre 60 % et 75 % du total. Le reste provient d’une collecte des États pour le compte de l’UE d’une partie de TVA ainsi que de droits de douanes sur les importations de pays tiers.
En matière de dépenses, l’essentiel est consacré à la Politique Agricole Commune (PAC, à hauteur de 33 % du budget européen en 2022) et à la Politique de cohésion (30 %), dont l’objectif est la réduction des inégalités régionales et sociales au sein de l’Union européenne.
Enfin l’Union Européenne ne dispose pas d’une fiscalité propre. Il n’existe pas d’impôts spécifique européen venant directement alimenter les caisses de l’UE.
Un profond débat
Budget et fiscalité européens sont au centre de discussions récurrentes qui, selon les niveaux de crise budgétaire atteints, prennent plus ou moins d’ampleur. La période post covid actuelle fait ressortir les difficultés budgétaires cachées par la pandémie et le « quoi qu’il en coûte ». On voit ainsi se profiler un risque d’explosion des déficits budgétaires et une entrée en récession généralisée de la zone euro ; un contexte propice aux débats sur la dette, le déficit et la politique budgétaire. Fleurissent ainsi des propositions qui vont de l’instauration d’une fiscalité européenne en passant par un budget de l’Union renforcé jusqu’à un calage des budgets nationaux sur le fonctionnement strict du budget européen, c’est-à-dire un budget à l’équilibre ne tolérant aucun déficit.
Que ce soit la course au fédéralisme ou le corsetage budgétaire, aucune de ces solutions n’offre aux peuples et aux nations le moyen de se développer. Toutes les deux, sous des aspects apparemment opposés ont le même objectif, contenir sinon contraindre la dépense publique et assurer une prédominance de la tutelle politicofinancière de l’UE sur les peuples, leur imposant l’austérité et les amputant dans les faits, de leur pouvoir de décision.
Quel budget et quelle fiscalité pour coopérer et se codévelopper ?
Il faudra bien sortir du faux dilemme entre fédéralisme et corsetage qui ne sont finalement que les deux faces d’une même pièce, celle de l’austérité et de la négation de la souveraineté des peuples. Or une tout autre conception du rôle de l’Union Européenne est nécessaire pour coopérer en Europe, résister à la domination américaine en s’émancipant du dollar avec un euro libéré et ouvrir de nouveaux horizons en matière de relations internationales.
Dès lors, la question est sans doute moins d’épiloguer sur le montant du budget européen que sur ses conditions d’utilisation. Sauf la part destinée au fonctionnement des institutions européennes à propos de l’utilité et de l’efficacité desquelles il est toujours bon de s’interroger afin d’en améliorer l’action au service des peuples, l’utilisation de la manne européenne ne devrait-elle pas être conçue autrement ?
Par exemple, comme un instrument d’impulsion, d’incitation, un vecteur, un levier de déblocage de fonds à destination des populations et nations européennes, permettant d’aller vers d’autres modes de production, d’organisation et de développement ? La PAC n’est-elle pas un exemple criant de ce qu’il ne faut plus faire ? Plutôt que d’utiliser son montant pour venir assurer, par un système d’aides, le revenu des agriculteurs, ne devrait-elle pas être conçue comme le moyen de réorienter la production agricole vers une agriculture saine et l’obtention par chaque agriculteur d’un revenu issu de son travail plutôt que venir compenser les dégâts commis par une agriculture productiviste soumise aux diktats des marchés financiers et commerciaux ?
Plutôt que d’interdire des avances (budget à l’équilibre), la politique budgétaire de l’Union ne devrait-elle pas se fixer pour objectif de mobiliser l’euro et la création monétaire de la BCE pour financer une croissance nouvelle en Europe pour l’humain et la planète à base de services publics et d’une industrialisation écologique ? Le budget de l’Union ne pourrait-il pas, en appui d’un fonds social écologique et solidaire pour les services publics financé à taux zéro par la BCE, aider à garantir les États pendant la période située entre la réalisation des investissements matériels et humains et leur traduction en une réelle nouvelle croissance ?
Et n’est-ce pas dans le même esprit de solidarité, de codéveloppement, de coopération mais aussi de lutte contre la fraude fiscale internationale sur le territoire européen que doit être conçue la politique fiscale au sein de l’UE ?
Une politique fiscale qui se compose de deux branches : la fiscalité directe qui reste de la compétence exclusive des États membres et la fiscalité indirecte qui touche à la libre circulation des marchandises et à la libre prestation des services au sein du marché unique. En ce second domaine, même si formellement l’UE n’a pas d’influence directe sur la fixation des taux et des modes de prélèvements, elle a imposé un taux plancher de 15 % en matière de TVA et le principe du pays de destination.
Cela crée une distorsion de traitement entre type de prélèvements et contribue à faire largement progresser dans tous les pays de l’Union le poids de la fiscalité indirecte (imposition sur les consommations) au détriment de la fiscalité directe (impôt sur le revenu et impôt sur les sociétés). C’est-à-dire à créer une fiscalité de plus en plus injuste.
De tels choix poussent au moins-disant fiscal en matière de fiscalité des entreprises, du capital, des revenus et de la fortune afin d’être attractif. S’installe ainsi une concurrence fiscale sur le territoire européen, engendrant des politiques de dumping, d’évasion et d’optimisation par les entreprises et les banques, ces dernières passées grandes amatrices de paradis fiscaux. Il faut changer ce système. C’est pourquoi nous proposons :
- la création d’un serpent fiscal européen. Son mécanisme serait basé sur la mise en place de niveaux d’imposition plancher en dessous desquels on ne pourrait descendre notamment pour les catégories d’impôts directs et progressifs (IR, IS, ISF) et de niveaux plafond au-dessus desquels on ne pourrait aller, particulièrement pour les impôts sur la consommation dont le plus emblématique est la TVA ;
- l’installation d’une commission de l’harmonisation fiscale. Le mécanisme du serpent fiscal (contrôle et élaboration) serait géré par une commission de l’harmonisation fiscale installée dans chaque États et au niveau européen. Leur travail s’effectuerait sous le contrôle des parlements nationaux et européen. Chacune serait composée de députés, de représentants des organisations syndicales et patronales, de responsables d’organismes de consommateurs et de spécialistes de la fiscalité (administration et conseils), ces derniers, en nombre limité. Cette commission aurait en outre la responsabilité d’administrer un dispositif complémentaire au serpent fiscal qui consisterait à établir et à faire respecter une convention solidaire entre tous les pays de l’Union. Cette convention préciserait que les contribuables (personne physique ou personne morale) dont il serait avéré que l’exil fiscal est guidé par une volonté de défiscalisation se verraient taxer sur le territoire du pays de destination au même taux que dans le pays d’origine (de résidence). La recette fiscale ainsi obtenue serait répartie entre ces deux pays respectivement à hauteur d’un tiers, deux tiers du montant collecté. Ces outils permettraient une lutte efficace contre les paradis fiscaux. C’est-à-dire, de réduire les possibilités d’évasion fiscale, en cassant les pratiques d’optimisation fiscale qui seraient elles-mêmes limitées par la disparition des possibilités de jouer sans entrave sur les différentiels de taux et de législation entre pays de l’Union ;
- l’engagement d’un travail d’inventaire et de prospective pour de nouvelles administrations financières dans chaque pays membre. Leur action reposerait sur la connaissance du terrain, la collecte d’informations, la recherche et le renseignement, le suivi et le contrôle ; avec les moyens humains et matériels en nombre suffisant. Leurs services de contrôles et d’intervention devraient être développés et étendus grâce à la mise en place d’un échange d’informations complet et permanent et un droit de suivi des affaires. De nouveaux droits devraient permettre aux représentants du personnel des entreprises, de saisir les administrations fiscales afin d’obtenir leur intervention.