Dépense publique  :L’alternative communiste face à la démagogie effrénée de Marine Le Pen

Jean-Marc DURAND
membre du conseil national - PCF

C’était prévisible ! Dans le numéro 830-831 de la revue Economie et Politique, nous disions : « le budget 2024 se présente sous le double signe de l’austérité et de l’incertitude ». Austérité car pour revenir aux 3 % du pacte de stabilité, il fallait engager 16 milliards d’euros d’économies (10 milliards d’euros au titre de la sortie du bouclier tarifaire). Incertitude car malgré les coupes annoncées, il ressortait clairement que l’optimisme de la prévision de croissance (1,4 %) sur laquelle reposait ce budget le rendait irréaliste, voire insincère.

Une situation d’enlisement

Patatras ! A peine l’année 2024 commencée, que Bercy annonce devoir ramener son estimation de croissance à 1 % et du même coup opérer une réduction supplémentaire de la dépense publique de 10 milliards d’euros… Un pronostic de croissance qui demeure toujours plus optimiste que ceux de l’OCDE (0,6 %) et d’un consensus d’économistes (entre 0,7 % et 0,8 %).

Nous touchons là à ce qu’il est permis d’appeler le cercle vicieux de la récession dans lequel nous ont enfoncé les politiques de ces dernières années et qui ont repris leur cours depuis la fin de la pandémie de la covid19. La crise covid intervenue à un moment où l’économie donnait de sérieux signes d’essoufflements aura finalement masqué une récession naissante mais pour mieux rebondir ensuite. La période covid a en effet ouvert les vannes à une transgression jusque-là impensable des règles budgétaires en vigueur. Au plan européen, oubliés le pacte de stabilité et les 3 %. En France c’était le « quoiqu’il en coûte ». Des milliards d’euros ont ainsi été déversés par la BCE pour racheter des titres de dettes publiques sur les marchés et soutenir les profits… Le covid passé, retour aux règles des traités, en clair à l’austérité budgétaire.

Ce brusque réajustement ajouté à la rupture des chaînes de production à flux tendu de l’avant-covid, à la confiscation pour le capital de l’argent distribué au lieu qu’il serve l’économie réelle (services publics, recherche, emplois, développement de productions écologiques) ainsi que la remontée des taux directeurs pour juguler une inflation née d’un choix pour assurer la rentabilité du capital accumulé ne trouvant pas assez de débouchés dans la production, conduit à une demande en berne, à une paralysie de l’offre et ainsi, à une croissance atone. Comment dans ces conditions désendetter comme le souhaite le ministre des Finances, autrement qu’en taillant dans la dépense publique, faisant repartir de plus belle le cercle vicieux régressif ? Car les coupes répétées dans la dépense publique sont autant de potentiels de développement du pays et de son économie qui sont anéantis et qui ne permettront pas de produire les richesses nécessaires pour rétablir les comptes. Pire, l’augmentation des taux directeurs des banques centrales fait augmenter les dépenses inutiles de l’État. Il déboursera en 2024 quelque 50 milliards d’euros en charge d’intérêts de sa dette, soit plus que le budget du primaire et du secondaire de l’Éducation nationale. En même temps, l’emploi et le pouvoir d’achat reculent.

Le besoin d’une alternative radicale

La question est aujourd’hui non seulement d’éviter un nouveau tour de vis mais de changer

de paradigme pour conjurer la crise ; à la différence totale de ce que préconise Marine Le Pen – on le verra plus loin. L’urgent est la création de richesses nouvelles et pour cela il faut investir en priorisant les dépenses humaines avec des critères écologiques et sociaux. Il faut investir pour assurer un fonctionnement optimal, c’est-à-dire dans les capacités humaines et l’écologie au lieu de ne miser que sur le matériel (les machines, le technicisme, les bâtiments). C’est ainsi que la dette pourra être avalée et que pourront être dégagées des marges nouvelles d’intervention et d’action. Au cœur du projet communiste (voir 39ème congrès) est l’enjeu de l’utilisation de l’argent et non pas l’obsession de réduire la dépense pour sauver le capital comme le préconise Marine Le Pen. D’une part, l’argent de la BCE avec sa création monétaire par un fonds financé à taux zéro pour les services publics et une nouvelle industrialisation. L’article 123.2 du traité de Lisbonne le permet juridiquement. D’autre part, Il s’agit de conditionner autrement les aides publiques aux entreprises (200 milliards d’euros) selon des critères de salaires et de créations d’emplois plutôt que d’en faire des trappes à bas salaires qui minent les qualifications et ruinent la productivité. Enfin une réforme fiscale d’ampleur doit être conduite, notamment de la fiscalité des entreprises pour les inciter/pénaliser à utiliser leurs bénéfices pour des investissements favorisant l’emploi, les productions écologiques et élargir la base imposable au lieu de les gaspiller en dividendes et opérations financières hasardeuses. Aujourd’hui elles versent 300 milliards d’euros de dividendes et d’intérêts bancaires soit les ¾ de leur excédent. Les entreprises du CAC 40 ont versé à elles seule, 143 milliards d’euros de dividendes. Que reste-t-il pour des investissements réels ?

Voilà dans le contexte économique et social actuel de quoi constituer le socle d’une politique faisant le choix de juguler la crise jusqu’à la dépasser pour construire une société nouvelle, fondement d’une autre civilisation pour chacune et chacun, faite de partage, de co-développement et de paix.

Marine Le Pen : des solutions aux antipodes du social et de l’environnemental.

Ce n’est visiblement pas la voie choisie par Marine Le Pen dans une récente tribune parue dans le journal Les Echos,même si le discours se veut habile. Elle y formule quatre propositions qui, au prétexte de parer une « mise en péril de la souveraineté nationale »,relèvent d’une totale duperie pour le monde du travail qu’elle est censée défendre, car elles viennent en fait au total secours du Medef et du capital. Je m’excuse par avance de faire appel à mon expérience vécue en tant qu’élu municipal dans ma commune. Mais le discours de Marine Le Pen me rappelle quasi-mot pour mot les interventions du FN suite à mes propos dans le cadre du débat d’orientation budgétaire : « nous sommes d’accord avec le représentant du PCF, il faut mieux subvenir aux besoins de notre population mais, s’adressant ensuite au maire, il faut faire des efforts beaucoup plus conséquents pour réduire les dépenses de fonctionnement ».

Quelle similitude ! Les chats ne font pas des chiens ! Ainsi au motif de désendetter le pays Marine Le Pen prône des solutions qui peuvent le pousser au bord du gouffre et l’enfoncer dans une crise beaucoup plus grave qu’aujourd’hui. Une situation noire qui à défaut de pouvoir être acceptée par le peuple, lui serait imposée par la manière forte. Voyons plutôt.

Pour elle, la dette c’est le diable ! Il faut donc désendetter. Les 10 milliards supplémentaires de réduction de la dépense proposés par Bercy sont ainsi présentés comme totalement insuffisants. Ne retenant que l’inadéquation avec les prévisions de croissance, la cheffe du RN appelle en réalité à une réduction beaucoup plus sévère ! Elle prend ainsi soin de préciser qu’il va falloir faire avec des taux d’intérêts voués à rester hauts (bien qu’elle dise que ceux-ci représentent le budget de l’éducation nationale) et qu’il y a besoin d’accélérer la cadence pour rentrer dans les clous des 3 %, jugeant l’horizon 2027 comme beaucoup trop éloigné. Et après cela, elle continuera à se plaindre du manque de services publics ! Pour elle, pas question d’agir pour faire baisser les taux, pour changer la BCE et sa politique du crédit, pour utiliser autrement les banques, pour une réforme fiscale incitative à de nouveaux comportements des entreprises.

Ainsi, très tranquillement dans le prolongement de son idée, elle annonce la couleur. Ce sont les agences (sous-entendu de services publics) qui sont dans son collimateur. Eh bien, supprimons les agences, lui dirons-nous ! Ce qui veut dire supprimons les délégations de services publics et retour aux missions exécutées en régie pour les services publics territoriaux et assurées en direct pour les autres. Mais à ce propos pas un mot, pas l’ombre d’une proposition…  sauf à préciser qu’il faut restaurer la « responsabilité politique » de l’État… Suivez la flèche, serait-on tenté de dire ! La dette, il n’y a pour elle qu’une façon de la concevoir : un fardeau dont il faut alléger le montant et surtout sans en changer l’objet. Ce qui veut dire que la dette doit continuer à nourrir le capital et, pour ce faire, continuer et accentuer les coupes dans les moyens de développement des capacités humaines et du pays.

Mais le clou du propos de Marine Le Pen tient dans ses quatre propositions pour soi-disant rétablir les comptes publics :

  1. Le coût de l’immigration. Vieux cheval de bataille du clan Le Pen, elle compte ainsi récupérer 16 milliards d’euros… Ne voyant dans l’immigration qu’un coût alors que de nombreuses études montrent l’apport indispensable de l’immigration au fonctionnement de la France, elle va même jusqu’à critiquer le fait qu’ils n’exerceraient que des boulots peu qualifiés ce qui ferait baisser la rémunération du travail des autres et générerait du travail au noir, sources du déséquilibre des comptes fiscaux sociaux. Il faut oser ! Plus c’est gros, plus… ! Quelle formation propose-t-elle pour ces salariés ? Quelle politique de l’emploi, quel contrôle des entreprises dont certaines sont devenues reines dans l’emploi de salariés non déclarés ou déguisés en micro-entrepreneurs, préconise-t-elle ?
  2. La lutte contre la fraude fiscale et sociale. On remarquera que le seul chiffre qu’elle avance en termes de fraudes est celui de la fraude sociale lié au travail dissimulé, 7 à 8 milliards d’euros. Là encore suivez mon regard… ! Car avec ça elle propose de rendre au total 15 milliards d’euros par an aux Français, ce qui tend à signifier que la fraude fiscale n’est finalement pas aussi importante que cela. Pourtant, elle est de loin la plus importante. Diverses estimations la chiffrent aux alentours de 100 milliards d’euros, à ajouter d’ailleurs à une fraude dont on parle moins, la fraude économique autour de produits passant les frontières de l’UE puis mis en libre pratique sur son sol sans avoir ainsi supporté aucun contrôle ni aucune taxe à leur entrée. Mais bien sûr pour effectuer ce travail il faut créer des emplois de fonctionnaires, les former et bien les former. Et pour cela il faut de la dépense publique.
  3. La concurrence internationale déloyale. Pour elle, le remède c’est instaurer la préférence nationale et en finir avec les normes estimées trop pesantes pour recréer une « économie de production enracinée ». L’OMC, les traités de libre-échange, le poids du Dollar dans les échanges internationaux, circulez, il n’y a rien à voir ! Rien n’est à changer, surtout ne pas penser à la mise en place d’échanges et de coopérations mutuellement avantageux. Ce serait sans doute trop intrusif pour les multinationales…On va se sauver en se repliant sur les productions locales… Disons que çà pourra prendre un certain temps !
  4. Le chantier de nos institutions. En priorité, elle veut engager une réforme de la LOLF (Loi Organique relative aux Lois de Finances). Pour Marine Le Pen, il faut introduire une séparation stricte entre le budget d’investissement et le budget (elle dit dépenses) de fonctionnement. Cette proposition est absolument révélatrice. Elle donne à voir la quintessence du projet du RN, un projet qui a ainsi définitivement et totalement fait sien les choix néolibéraux de l’UE et de la soumission au capital qui en découle. Elle rejoint ainsi la quasi-totalité des autres forces politiques du pays qui y ont fait allégeance depuis longtemps. C’est sans aucun doute la position la plus grave. Non contente des règles déjà fort restrictives imposée par la LOLF en matière de gestion budgétaire, notamment avec la fongibilité asymétrique des crédits qui interdit d’utiliser les excédents d’investissement pour financer le fonctionnement mai qui oblige quasiment à dégager des excédents de fonctionnement pour financer l’investissement, elle propose de financer uniquement les dépenses d’investissement par la dette, c’est-à-dire par le recours au crédit. Dès lors, exit toute possibilité d’anticiper quelques dépenses de fonctionnement que ce soit, seraient-elles par exemple le financement de créations d’emplois ou de dépenses pour développer les capacités humaines, notamment en formation. Tout le contraire de ce qui a été fait à plusieurs moments de notre histoire, notamment au sortir de la dernière guerre.

Par cette interview, Marine Le Pen signifie en fait son ralliement aux politiques néolibérales de l’Union Européenne en donnant ainsi des gages au grand patronat des multinationales. Pour elle, les banques n’existent pas, sauf pour soutenir les profits capitalistes. Pas question de changer quoi que ce soit aux critères d’attribution du crédit de la BCE ou des banques de dépôt. Les avances pour le développement écologique et social, cela n’existe pas. La dette, on ne la gère pas en faisant croître les richesses et en l’affectant aux dépenses utiles en ce sens, mais en faisant décroître la demande sociale, c’est-à-dire les dépenses de protection sociale, pour les services publics, l’emploi et les salaires ; autant d’éléments indispensables à une politique soucieuse avant tout de l’humain et de la planète.