Dette : une question de choix !

Frédéric BOCCARA
économiste, membre du comité exécutif national du PCF

Depuis quelque temps, la dette publique est l’objet d’une croisade des représentants politiques de l’arc capitaliste. La priorité serait de rembourser la dette avant même de se développer et de renforcer nos services publics ? Se couper un bras, en amputant les services publics, et laisser couler la plaie ouverte ? C’est exactement l’inverse qu’il faut faire : se développer d’abord, cela permettra ensuite d’« avaler » la dette qui pèsera moins lourd. Pour cela il faut utiliser l’argent autrement et ne pas nourrir le cancer des marchés financiers, C’est comme cela qu’on a fait à la Libération en 1944-45, la dette ne se résorbant qu’à partir des années 1950.

Voir aussi l’argumentaire consacré à ce sujet sur le site du PCF : Le péril c’est la finance, pas la dette ! Une contribution de Frédéric Boccara – Site Internet du PCF

D’un côté, ils pleurent sur la dégradation des services publics, de l’autre ils font assaut de propositions pour les étrangler. Tartuffe est à tous les étages !

Qui va gagner au jeu du moins-disant ? Pour Bruno Le Maire, c’est moins 10 milliards d’euros cette année, moins 20 l’année prochaine et déficit public zéro en 2032. Pour Marine Le Pen, il faut tout de suite au moins 17 milliards d’euros (contre les étrangers et contre l’emploi dans les services publics) ! Pour Pierre Moscovici, l’ancien dirigeant socialiste, c’est 50 milliards d’euros !

Marine Le Pen parle même de « péril majeur pour notre souveraineté ». Mais le péril majeur, ce sont les marchés financiers qui vampirisent nos services publics et désindustrialise le pays.

C’est quoi le problème ?

Il y a deux problèmes :

  • les intérêts que paie l’État aux marchés financiers : ils viennent d’augmenter de 18 milliards d’euros à cause de la hausse des taux décidée par la BCE, et dépassent les 50 milliards d’euros ;
  • l’utilisation de l’argent emprunté par l’État qui ne développe pas l’activité, favorise les bas salaires, car cette utilisation est faite aux conditions dictées par les marchés financiers

En effet, de l’argent, il en circule beaucoup mais où va-t-il ? Pendant la période covid, la BCE a injecté 2 400 milliards d’euros dans la zone euro en rachetant des titres de dettes publiques au nom de la présevation des emplois et des entreprises. Mais cet argent est finalement allé en grande partie au capital, presque pas à l’hôpital, encore moins à l’emploi. Le covid passé, ce capital accumulé a cherché à se rentabiliser. L’inflation est venue soutenir les profits et la BCE, prétendant lutter contre l’inflation, a remonté ses taux d’intérêt. Cela a augmenté mécaniquement de 18 milliards d’euros les intérêts payés par l’État sur sa dette. Cela a, dans le même temps, pesé sur le développement de l’économie et ainsi mis la croissance en berne et causé une baisse des recettes fiscales et sociales.

Le retour au Pacte de stabilité et aux 3 % est exactement le contraire de ce qu’il faut faire ! La campagne menée sur le thème d’une prétendue nécessité d’entrer en économie de guerre tombe à pic pour faire passer auprès de la population l’inéluctabilité du serrage de ceinture !

Quelles conséquences ?

Une croissance atone, des rentrées fiscales et sociales en baisse alors qu’il faut assurer le fonctionnement des services publics, investir pour le climat, soutenir l’activité et les plus défavorisés, c’est à coup sûr un déficit qui se creuse et une dette qui s’accroît.

De dangereux remèdes

Pour les néolibéraux, à commencer par le ministre des Finances, le remède consiste à saigner le malade ! C’est-à-dire réduire la dépense coûte que coûte pour mettre les comptes à l’équilibre et faire reculer la dette ! Ce qui revient à s’enfoncer dans le cercle vicieux récession-dette qui aura pour conséquences la mise à mal des services publics, de repousser les mutations industrielles nécessaires, de générer du chômage et de la précarité, donc de dégrader fortement les conditions de vie d’une grande majorité de la population et finalement d’augmenter le poids de la dette.

Couper dans la dépense publique, c’est anéantir d’importants potentiels de développement du pays et de son économie, et geler la production des richesses nécessaires au rétablissement des comptes publics. Et cela au moment où l’augmentation des taux directeurs des banques centrales oblige l’Etat à rembourser en 2024 plus de 50 milliards d’euros de charge d’intérêts de sa dette, c’est-à-dire autant que pour le budget du primaire et du secondaire de l’Éducation nationale.

Choisir l’avenir, c’est choisir une alternative radicale 

Il faut changer de paradigme pour conjurer la crise. L’urgent est la création de richesses nouvelles et saines. Pour cela, il faut investir en priorisant les dépenses humaines avec des critères écologiques et sociaux.

Il faut dépenser pour les capacités humaines et l’écologie au lieu de ne miser que sur le capital matériel (les machines, le technicisme, les bâtiments), ou, pire, sur le capital financier. C’est ainsi que la dette pourra être « avalée » et que seront dégagées des marges nouvelles d’intervention et d’action.

L’enjeu c’est l’argent : son utilisation, sa gestion !

A l’opposé de l’obsession de la réduction de la dépense publique pour sauver le capital et répondre ainsi aux exigences des multinationales et des marchés financiers, il faut mobiliser beaucoup d’argent pour répondre aux défis écologiques, sociaux, économiques et financiers. C’est-à-dire développer les services publics (santé, éducation, transports, énergie), créer des emplois, les former, les rémunérer, les sécuriser, convertir l’industrie à des productions écologiques. Cela suppose :

  • des avances massives : un nouveau rôle de l’euro et de la Banque centrale européenne. Et c’est possible en mettant la création monétaire de la BCE au service d’un fonds qu’elle financerait à taux zéro pour développer les services publics ― par exemple par des pré-recrutements massifs de soignants et d’enseignants, rémunérés durant leur formation ― et soutenir la conversion écologique de l’industrie. L’article 123.2 du traité de Lisbonne le permet juridiquement [i] ;
  • d’autres conditions d’attribution des aides publiques aux entreprises (200 milliards d’euros) selon des critères de salaires, de créations de bons emplois et de production saine plutôt que d’y mettre comme condition de pratiquer de bas salaires, ce qui mine les qualifications et ruine l’efficacité ;
  • une réforme fiscale d’ampleur, notamment de la fiscalité des entreprises, pour peser sur leur comportement face aux pressions exercées par les actionnaires et la finance. La fiscalité devrait les inciter à utiliser leurs bénéfices pour des investissements favorisant l’emploi, les productions écologiques et élargir leur base imposable ; les pénaliser si elles les gaspillent en dividendes, suppressions d’emplois et opérations financières hasardeuses. Il faut savoir qu’elles versent actuellement 300 milliards d’euros de dividendes et d’intérêts bancaires, soit les trois quarts de leur excédent. Les entreprises du CAC 40 ont versé à elles seules, 143 milliards d’euros de dividendes. Que reste-t-il pour des investissements réels, des qualifications et des embauches ?

Voilà de quoi constituer le socle d’une politique faisant le choix de juguler la crise jusqu’à la dépasser pour construire une société nouvelle, jusqu’à une autre civilisation de chacune et de chacun, faite de partage, de co-développement et de paix.


[i] Voir dans notre dossier Denis Durand, « Un fonds de développement économique, social et écologique européen ».