Dossier
L’Europe, il faut la changer !

Dans une quarantaine de jours, le 9 juin exactement, les électrices et les électeurs sont appelés à voter pour renouveler le Parlement européen. Réputée difficile pour le Parti communiste et souvent marqué par une forte abstention, cette élection européenne renvoie pourtant à une relation contradictoire du peuple avec la construction européenne. Une enquête d’opinion (1) révèle en effet que 73 % des Français – 78 % des électeurs PCF –, sont favorables au projet européen mais pour 56 % pas tel qu’il est mis en place.

À l’évidence, les citoyens ont conscience du besoin que s’établissent entre pays européens des relations sincères et suivies, construites autour de coopérations authentiques et librement consenties. Ils en déduisent logiquement qu’un espace où puisse s’exercer démocratiquement cette solidarité est nécessaire.

Là où le bât blesse, c’est que le modèle d’Union Européenne soutenu et mis en place par les responsables politiques de cette Union ne rassemble pas. Pire, il joue même le rôle de repoussoir. Il faut dire que le caractère autoritaire des institutions européennes et le système de dominations qu’elles imposent atteint parfois les limites du supportable.

La seule réponse qui vaille face à un tel dilemme est de s’engager dans la construction d’une autre Europe, une Europe au service des peuples et de leur émancipation, respectant l’humain et la planète. C’est le choix fait par les candidats et les candidates de la liste « Gauche Unie pour le monde du travail » que conduit Léon Deffontaines. C’est le sens du dossier qu’a choisi de vous présenter dans ce numéro la rédaction d’Économie&Politique.

Sous formes de plusieurs fiches et d’articles de fond, ce numéro d’Économie&Politique se veut être un support, une aide à la compréhension des enjeux et à l’intervention de terrain, un acteur concret de la campagne qui est maintenant entrée dans sa phase décisive.

Face à la confusion savamment entretenue par les diverses têtes de listes du RN en passant par LREM et LR jusqu’au PS, tantôt soufflant le fédéralisme tantôt appelant au souverainisme, il est vital d’affirmer l’originalité des idées et du projet communistes pour l’Europe. Une autre Europe est non seulement possible mais indispensable. Pour commencer à s’émanciper du dollar et de la domination économique et militaire qu’il permet aux Etats-Unis d’imposer au monde entier afin de pouvoir tisser de nouvelles coopérations avec l’ensemble des peuples de la planète pour la paix, le social et l’écologie.

Mais aussi, et sans doute au premier rang, pour construire en Europe des solidarités actives, impulser un codéveloppement mutuellement avantageux dans le respect de la souveraineté populaire. Des dépenses utiles au développement des capacités humaines et à la préservation de l’environnement sont pour cela nécessaire. C’est pourquoi la création monétaire de la BCE doit servir le développement des services publics, de productions écologiques, et non soutenir les marchés financiers avides de profits et de domination. C’est le sens profond des trois grands thèmes de campagne retenus et que nous retrouvons traités dans cette revue : paix, écologie populaire et social.

L’argent de la BCE pour la paix, l’écologie populaire et le social

Par une Europe de paix, Il s’agit de privilégier toujours et partout les solutions pacifistes contre le choix de la guerre, contre la haine et pour préserver la vie de milliers d’êtres humains. Le monde futur ne peut se construire sur l’extermination de populations, pas plus que sur l’humiliation de peuples, voire de pays entiers. Le XXIe siècle doit être celui d’une nouvelle civilisation. La paix, le respect, le vivre ensemble doivent en être le cœur. Ils supposent d’autres relations internationales passant par la mise en cause des logiques de domination et d’exploitation que génère le système capitaliste qui « porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage » ainsi que l’écrivait Jean Jaurès.

Installer une paix durable, c’est donc s’engager dans un processus de dépassement du capitalisme. Et ce dépassement passe par l’instauration d’une écologie populaire, c’est-à-dire d’une nouvelle mise en cohérence, de la construction de nouvelles synergies et d’une nouvelle cohésion entre les êtres humains et leur environnement, et cela de façon non punitive. Ce qui veut dire changer nos modes de production, réorienter notre industrie vers des productions écologiques, la localiser sur chaque territoire. Le « produire autrement » ne signifie pas de ne plus produire ou de moins produire mais de produire à d’autres fins que la recherche du profit capitaliste. En clair, en respectant un certain nombre de critères : proximité, décarbonation, recyclage, économies de moyens et de capital, interventions des populations et des salariés.

L’autre volet de ce dépassement est le social.Car traiter la question écologique en dehors de la dimension sociale du travail, des rapports de production et d’échange c’est comme vouloir apprendre à lire sans connaître l’alphabet ! Écologie et social sont intimement liées. Marx disait : le rapport des hommes à la nature dépend en définitive du rapport des hommes entre eux ! ». Une phrase qui demeure d’une actualité brûlante.

Maîtriser les productions, produire autrement exige une intervention d’un type nouveau des femmes et des hommes dans les process de travail. Il y a besoin que chaque femme et homme prenne une nouvelle place, joue un nouveau rôle dans la société. Ce qui veut dire disposer des moyens de vivre dignement, soit concrètement : avoir un bon travail et de bons salaires, intervenir et décider des choix de production comme de ses choix de vie portant le besoin de formation tout au long de la vie à un niveau très important.

Ce besoin de formation lié à la création d’emplois constitue le socle du développement des services publics. Des services publics, moteurs de la construction d’un nouveau système répondant aux besoins des populations où qu’elles soient et quelles qu’elles soient, sortant des activités essentielles à l’émancipation humaine des griffes de la finance et de la rentabilité, rendant acteurs et décideurs les salariés, les populations et les élu.e.s.

En toile de fond est nécessairement la question des moyens c’est-à-dire de l’argent pour financer de telles évolutions. Cet axe transversal, présent à chaque étape, nécessite pour les transformations que nous voulons mener à bien de changer profondément l’utilisation de la monnaie et ses conditions de création. Dans le concret, créer un autre euro et une nouvelle BCE, fondés sur des critères humains et écologiques. Et cela peut commencer tout de suite avec la création d’un fonds social écologique et solidaire pour les services publics et la conversion écologique des productions. Il serait financé à taux zéro par la BCE et placé sous contrôle des parlements nationaux et européen ainsi que des populations à partir de demandes portées par les luttes des salariés, des élu.e.s locaux. Cette solution est possible sans attendre. L’article 123.2 du traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne en donne juridiquement la possibilité. Voilà ce qu’humblement ce numéro d’Economie & Politique a choisi de traiter. Bonne lecture à toutes et à tous.

  • Cevipof- Le Monde, mars 2024.