Avec le RN, la France qui s’aligne

Alain Morin

En voulant faire du 9 juin un référendum contre la politique de Macron et un vote pour s’opposer à la « submersion migratoire » et à « l’écologisme », Jordan Bardella entend surfer sur les colères et les frustrations, masquer les renoncements et les contradictions des choix européens du RN, tout en poursuivant son alignement sur les attentes du patronat.

Ainsi, il entend faire de ces élections européennes une étape pour apparaitre comme un recours dans le futur pour la bourgeoisie face à l’échec du pouvoir actuel.

« Référendum contre la politique de Macron »

À Marseille, lors du lancement de sa campagne, Jordan Bardella a fustigé « l’effacement de la France » en Europe et ciblé le « grand effaceur » Emmanuel Macron. En faisant du 9 juin le « jour 1 de l’alternance », il entend faire des européennes une véritable élection de mi-mandat.

Cette posture du Rassemblement National qui s’auto décrète comme l’unique opposant de Macron vise à « présidentialiser » l’élection européenne dans le cadre de sa stratégie de conquête du pouvoir. Pour cela il cherche à réduire le débat de campagne à un affrontement entre l’extrême-droite et la macronie. Celle-ci y trouverait aussi son avantage en apparaissant en première ligne pour combattre l’extrême-droite,

Comme toutes les forces d’extrême-droite en Europe, le Rassemblement National entend récupérer à son compte toutes les frustrations, les colères, les exaspérations provoquées par les choix du capital et par les politiques socio-libérales et ultra libérales à son service mises en œuvre dans le cadre d’alliances de la droite, des sociaux-démocrates et des Verts. Face à ces échecs il entend incarner le recours avec un slogan : « la France qui revient et l’Europe qui revit ». Mais pour faire quelle politique ?

Mais cette posture d’opposition s’efface bien vite devant la réalité de ses propositions qui non seulement ne font pas le poids face à la crise, mais s’a      vèrent de plus en plus compatibles avec les orientations ultralibérales de par la politique de Macron et d’Ursula von der Leyen. Ce que confirment largement les votes des députés à l’Assemblée nationale comme au Parlement européen.

Rallier le capital

La mue du RN sur les institutions européennes est spectaculaire.

Après avoir applaudi le Brexit et proposé le retour du franc avec la sortie de l’euro, il fait son mea culpa et se rallie à la monnaie unique. Après avoir préconisé la suppression de la Commission européenne, il ne la remet plus en cause. Après avoir demandé la suppression de la PAC, non seulement ses députés européens la votent mais ils ne s’opposent pas aux amendements de la gauche proposant une répartition plus équitable de ses subventions aux agriculteurs. Après avoir affirmé son opposition aux traités, il renvoie aux futures élections présidentielles le débat sur ce point. Après avoir fait du rejet des accords de Schengen un axe central de ses propositions, il est prêt à s’y rallier mais dans une optique raciste en réservant le droit à la libre circulation des personnes en Europe aux seuls Européens.

La multiplication de ces retournements au gré des circonstances caractérise l’opportunisme sans principe du RN au service d’une stratégie visant une conquête du pouvoir pour mettre en œuvre son projet ultra-réactionnaire.

Ces transformations ouvrent la voie à un alignement sur les choix ultralibéraux de l’Union européenne comme le pratique jour après jour Giorgia Meloni en Italie avec, par exemple, son choix significatif de Giancarlo Giorgetti, ministre du développement économique sous Mario Draghi, comme ministre de l’Économie, ou son étroite collaboration avec Ursula von der Leyen.

Démagogie sociale

Face à l’inflation qui lamine le pouvoir d’achat et appelle une augmentation des salaires, le RN propose des mesures dérisoires et illusoires :

  • exonération de la cotisation patronale sur les augmentations de salaire dépassant 10 % : outre que cette proposition démagogique ne risque pas de faire fortune, ce serait de nouveaux cadeaux pour le patronat au détriment de la sécurité sociale ;
  • exonération d’impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans : or le revenu annuel moyen de 7 490 euros pour les 18-25 ans rend la quasi-totalité d’entre eux non imposables tout comme de ceux de 25 à 30 ans aux revenus moyens de 16 220  euros ;
  • remplacement de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) – qui n’est guère pénalisant pour les plus fortunés puisque la résidence principale en est exonérée – par un impôt sur la fortune financière. Le RN vise sans doute à satisfaire son électorat de propriétaires rentiers ;
  • la baisse de la taxation sur l’héritage, quant à elle, ne fera qu’enrichir les plus fortunés puisque cet impôt a déjà été considérablement allégé au détriment des recettes budgétaires. Dans le même temps, Marine Le Pen dénonce le déficit du budget de la nation et appelle à la réduction de la dépense publique et sociale.

Alors que sur les estrades Bardella prétend porter « la voix de cette France du travail », les députés du RN votent systématiquement contre les intérêts des travailleurs. « Quand arrive l’heure du scrutin, leurs députés protègent les patrons et votent contre les travailleurs », résume la Confédération européenne des syndicats

Il vote contre la hausse du Smic et contre l’indexation des salaires sur l’inflation, le revalorisation des petites retraites et de 10 % du point d’indice des fonctionnaires, ou de 10 % de l’APL. Il refuse le conditionnement des aides publiques aux entreprises à des critères sociaux et environnementaux, la gratuité des premiers m3 d’eau et s’oppose à tous les textes permettant de meilleures rémunérations, notamment pour lutter contre les inégalités salariales entre hommes et femmes, ou pour introduire des revenus minimaux dans tous les pays européens.

Surenchère d’orthodoxie financière sur la dette

Dans une récente tribune parue dans le journal Les Echos [1], Marine Le Penformule quatre propositions qui au prétexte de parer à une « mise en péril de la souveraineté nationale »relèvent d’une totale duperie pour le monde du travail qu’elle prétend défendre, venant dans les faits au total secours du MEDEF et du capital.

Pour elle, la dette c’est le diable ! Il faut donc désendetter et les 10 milliards supplémentaires de réduction de la dépense proposés par Bercy sont ainsi lui semblent totalement insuffisants.

En prenant soin de préciser qu’il va falloir faire avec des taux d’intérêts voués à rester hauts (bien qu’elle dise que ceux-ci représentent le budget de l’Éducation nationale), elle accepte les diktats de l’institution européenne la plus fédérale – la BCE – sans broncher.

Alors qu’elle prétend défendre la souveraineté, elle accepte une politique monétaire précipitant l’Europe dans la récession qui aura à nouveau pour conséquence de freiner les recettes budgétaires.

En affirmant qu’il y a besoin d’accélérer la cadence pour rentrer dans les clous des 3 %, jugeant l’horizon 2027, comme beaucoup, trop éloignée, elle pousse à la réduction des moyens financiers pour les dépenses publiques (hors militaires) et sociales.

Et après cela, elle continuera à se plaindre du manque de services publics !

Pour elle donc, pas question d’agir pour faire baisser les taux, pour changer la BCE et sa politique du crédit, pour utiliser autrement les banques, pour une réforme fiscale incitative à de nouveaux comportements des entreprises.

Mais le clou du propos de Mme Le Pen tient dans ses quatre propositions pour soi-disant rétablir les comptes publics :

  • le « coût de l’immigration ». Avec ce vieux cheval de bataille du clan Le Pen, elle compte ainsi récupérer 16 milliards d’euros… Ne voyant dans l’immigration qu’un coût alors que de nombreuses études montrent l’apport indispensable de l’immigration au fonctionnement de la France, elle va même jusqu’à critiquer le fait qu’ils n’exerceraient que des « boulots peu qualifiés », ce qui tirerait vers le bas la rémunération du travail des autres et générerait du travail au noir, sources du déséquilibre des comptes fiscaux et sociaux. Il faut oser ! Quelle formation propose-t-elle pour ces salariés ? Quelle politique de l’emploi, quel contrôle des entreprises, dont certaines sont passées maîtresses dans l’art de recourir à des salariés non déclarés ou déguisés en micro entrepreneurs, préconise-t-elle ?
  • la « lutte » contre la fraude fiscale et sociale. On remarquera que le seul chiffre qu’elle avance en termes de fraudes est celui de la fraude sociale lié au travail dissimulé, 7 à 8 milliards d’euros. Et c’est en reprenant ce montant qu’elle propose de « rendre au total 15 milliards d’euros par an aux Français », ce qui tend à signifier que la fraude fiscale n’est finalement pas aussi importante que cela. Pourtant elle est de loin la plus importante. Diverses estimations la chiffrent aux alentours de 100 milliards d’euros, à ajouter d’ailleurs à une fraude dont on parle moins, la fraude économique autour de produits passant les frontières de l’UE puis mis en libre pratique sur son sol sans n’avoir supportés aucun contrôle ni aucune taxe à leur entrée. Mais bien sûr, pour effectuer de tels contrôles. il faut créer des emplois de fonctionnaires, les former. Ce qui exige de la dépense publique !
  • la « concurrence internationale déloyale ». Pour elle, le remède c’est d’instaurer la préférence nationale et d’en finir avec les normes estimées trop pesantes pour recréer une « économie de production enracinée ». L’OMC, les traités de libre-échange, le poids du dollar dans les échanges internationaux, tout cela n’existe pas ! Rien n’est à changer, surtout pas imaginer d’autres types d’échanges et de coopérations mutuellement avantageux. Ce serait sans doute trop intrusif pour les multinationales… Pour elle, le salut viendra du repli sur les productions locales… Disons que ça pourra prendre un certain temps !
  • au nom de la rigueur budgétaire l’austérité perpétuelle. En priorité, elle veut engager une réforme de la LOLF (Loi Organique relative aux Lois de Finances). Pour Marine Le Pen il faut introduire une séparation stricte entre le budget d’investissement et le budget (elle dit dépenses) de fonctionnement. Cette proposition est révélatrice. Elle donne à voir la quintessence du projet du RN, un projet qui a ainsi définitivement et totalement fait sien les choix néolibéraux de l’UE et de la soumission au capital qui en découlent. Elle rejoint ainsi la quasi-totalité des autres forces politiques du pays qui y ont fait allégeance depuis longtemps. C’est sans aucun doute la position la plus grave. Non contente des règles déjà fort restrictives imposée par la LOLF en matière de gestion budgétaire, notamment avec la fongibilité asymétrique des crédits qui interdit d’utiliser les excédents d’investissement pour financer le fonctionnement mais qui oblige quasiment à dégager des excédents de fonctionnement pour financer l’investissement, elle propose de financer uniquement les dépenses d’investissement par la dette, c’est-à-dire par le recours au crédit. Dès lors, exit toute possibilité d’anticiper quelques dépenses de fonctionnement que ce soit, seraient-elles par exemple le financement de créations d’emplois ou de dépenses pour développer les capacités humaines, notamment de formation. Un choix qui plongerait les services publics dans les affres d’un rationnement insensé auquel beaucoup ne survivraient pas. Tout le contraire de ce qui a été fait à plusieurs moments de notre histoire, notamment au sortir de la dernière guerre.

Par cette interview, Marine Le Pen signifie son ralliement aux politiques néolibérales de l’Union Européenne en donnant ainsi des gages au grand patronat des multinationales. Pour elle, les banques n’existent pas, sauf pour soutenir les profits capitalistes. Pas question de changer quoi que ce soit aux critères d’attribution du crédit de la BCE ou des banques de dépôt. Les avances pour le développement écologique et social, il n’en est pas question. La dette, on ne la gère pas en faisant croître les richesses et en l’affectant aux dépenses utiles en ce sens, mais en faisant décroître la demande sociale, c’est-à-dire les dépenses de protection sociale, pour les services publics, l’emploi et les salaires. Pourtant, autant d’éléments indispensables à une politique soucieuse avant tout de l’humain et de la planète et à laquelle elle tourne le dos.

Conquérir le pouvoir pour une révolution conservatrice

Pour le Rassemblement National, il s’agit, à travers ces contorsions et ce ralliement aux politiques d’austérité européennes, de poursuivre son objectif de fond d’instaurer son projet de société donnant au patronat les moyens d’exploiter sans entrave, une société de division fondée sur le racisme, le patriarcat et le suprématisme, une société de répression anticommuniste et antisyndicale, fondée sur le culte du chef, l’ordre et la discipline. Une véritable révolution réactionnaire à l’opposé des aspirations à l’émancipation humaine, au libre développement de chacun.e appelant une Europe de progrès social, en coopération avec un autre euro au service du développent des services publics.


[1]  Tribune de Marine Le Pen, Les Echos, mars 2024.