Les immigrés face au chômage : l’enjeu de la formation

Martine Rico

L’autrice de cet article a rédigé, au nom du Conseil économique et social de la région Centre – Val de Loire, où elle représente la FCPE, un rapport sur L’enjeu de la formation des personnes primo-arrivantes et des mineurs non accompagnés [1] dans la région. Elle en présente ici les principales conclusions.

En 2022, le taux de chômage global en France était d’environ 8 %, tandis que celui des immigrés se situait autour de 12 %. Ces chiffres varient également en fonction des pays d’origine des immigrés, de leur durée de résidence en France et d’autres variables. Plusieurs facteurs contribuent à expliquer cette différence. Parmi eux, l’éducation et la formation occupent une place centrale

Les immigrés peuvent être confrontés à des défis liés à la reconnaissance de leurs qualifications et de leurs compétences professionnelles, ce qui peut limiter leur accès à certains emplois. La maîtrise de la langue française est également un facteur crucial. Les discriminations sur le marché du travail représentent un défi supplémentaire.

Initiatives et solutions

Pour réduire le chômage des immigrés, des initiatives ciblées sont nécessaires. Les programmes de formation linguistique, d’évaluation des compétences professionnelles et d’accompagnement à l’emploi peuvent jouer un rôle clé dans l’amélioration de l’employabilité des immigrés.

Le CESER Centre-Val de Loire s’est interrogé sur l’enjeu de la formation pour les personnes primo-arrivantes et les mineurs non accompagnés sur le territoire régional. L’objet était d’analyser en quoi la formation est un atout pour les personnes migrantes pour leur intégration socio-économique mais aussi quels sont les impacts pour le territoire qui les accueillent. De manière volontaire, le CESER ne voulait pas ouvrir le débat sur l’immigration qui était en cours avec le projet de loi, il n’aborde donc pas cette question.

Pour s’appuyer sur des éléments chiffrés incontestables, le CESER a passé une convention avec l’INSEE Centre-Val de Loire pour mener une étude spécifique relative aux immigrés récents et leur insertion professionnelle [2].

Les dispositifs d’accueil ne permettent pas un accès à la formation de manière rapide et en lien direct avec les aspirations des concernés. Les compétences acquises, les diplômes ne sont pas forcément reconnus et la priorité dès l’arrivée sur le territoire est donnée aux démarches administratives et à l’apprentissage du français. Or les situations sont différentes selon le lieu d’accueil, en fonction des moyens en place et aussi dépendantes de la volonté des autorités locales.

Entrer en formation nécessite certaines conditions relatives aux conditions matérielles et financières, aux questions de santé mais aussi aux conditions d’accompagnement administratif et associatif. Ce n’est pas l’envie ni l’énergie qui manquent à ces personnes et à ces jeunes, elles et ils sont reconnus par les employeurs, les organismes de formation et les milieux scolaires comme des apprenants motivés, sérieux et assidus. Les obstacles sont ailleurs : il faut lever les freins nombreux qui souvent se découvrent au fur et à mesure que ces personnes progressent dans les méandres et obligations qu’elles doivent affronter au cours de leur cheminement. Face à ces difficultés seul l’accompagnement est déterminant pour leur apporter les réponses. Au gré des témoignages et des auditions, le CESER a constaté que l’enjeu repose sur la première personne rencontrée pour savoir s’orienter et par où commencer.

Niveau de diplôme des immigrés et non immigrés âgés de 25 à 34 ans

Source : « Une moindre insertion professionnelle pour les immigrés récents », INSEE Centre-Val de Loire, Octobre 2023

En moyenne les immigrés récents de 25 à 34 ans sont moins diplômés que le reste de la population puisqu’un quart d’entre eux n’a aucun diplôme. Ils sont aussi moins nombreux à détenir un diplôme d’enseignement supérieur (33,7 % contre 41,5 % des non immigrés) en revanche, ce diplôme est d’un niveau plus élevé en moyenne puisque 14,7 % d’entre eux détiennent un master ou un doctorat contre 13,4 % des non immigrés.

L’Etat a mis en place plusieurs dispositifs à propos de l’accueil et de l’accompagnement des personnes primo-arrivantes nécessitant des entretiens, des déplacements, pour définir des parcours d’orientation et d’insertion professionnelle. C’est un chemin semé d’embuches. Le numérique est un frein conséquent dans la progression des démarches mais aussi la possession ou pas de la langue française. Les deux cumulés rendent l’exercice quasi impossible. Dans les textes beaucoup de choses sont prévues mais dans les faits les moyens manquent pour leur mise en œuvre. C’est au point que sans l’implication personnelle des personnes dédiées à ces emplois et l’accompagnement de bénévoles, les personnes migrantes et MNA sont à la fois démunis et désemparés confrontés à l’impossible malgré leur volonté.

Les Mineurs Non Accompagnés sont en majorité des garçons (94,8 %) âgés de 16 ans ou plus pour 59 % d’entre eux. Le Centre-Val de Loire a accueilli 422 MNA en 2021 (rapport annuel 2021 du ministère de la Justice)

Ces jeunes doivent affronter la décision de reconnaissance ou pas de leur minorité. Déclarés mineurs sur un territoire ils bénéficient de la protection par l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance) et de la scolarité. Cependant, la clé de répartition (arrêté qui fixe annuellement la répartition sur le territoire des jeunes migrants reconnus mineurs) peut aboutir à leur transfert dans un autre département par les autorités et ils peuvent ne plus être reconnus mineurs, ce qui les prive de toute protection. Ceci veut dire concrètement pour ces jeunes qu’ils se retrouvent à la rue du jour au lendemain avec l’obligation d’entreprendre des démarches de recours. Le recours aboutit souvent à reconnaître la minorité, ce qui veut dire que durant tout ce temps c’est en tant que mineurs qu’ils se trouvaient à la rue sans protection. Autant dire que le parcours scolaire en subit immédiatement les conséquences, et ce sont les associations et des bénévoles qui les épaulent (nourriture, hébergement, transport, santé, démarches…) tout en essayant de maintenir une assiduité scolaire pour préserver le parcours de la scolarité.

Le projet se retrouve soudainement bousculé par le couperet de la majorité, puisqu’au jour des 18 ans l’ASE cesse toute protection. C’est donc plus de 6 mois avant cet âge que les démarches administratives doivent être entreprises. La volonté des concernés et l’investissement des accompagnants ne suffisent pas toujours pour aboutir, le chemin est compliqué. Le risque est grand de voir les efforts des acteurs impliqués anéantis, le temps passé en formation et apprentissage perdu et l’espoir d’intégration pour une vie meilleure saccagé.

La bonne volonté ne suffit pas

Les employeurs et organismes de formation se retrouvent parfois confrontés aux décisions administratives soudaines et souvent brutales. Pourtant satisfaits de l’investissement de ces jeunes dans leur formation ou leur apprentissage et des adultes dans leur travail, ils doivent « se battre » pour garder ce MNA ou cette personne immigrée sous peine de se retrouver dans l’illégalité. Ils se débattent, passent du temps, prennent des risques, l’enjeu est de taille : pour le jeune mineur non accompagné ou la personne migrantes, de tout perdre de l’investissement personnel et de l’espoir d’une autre vie ; pour l’employeur et l’organisme de formation, la perte de quelqu’un de formé, qui donnait satisfaction et de se retrouver sans l’apprenti ou l’apprenant. Les conséquences sont parfois graves et lourdes.

Si la bonne volonté est nécessaire pour ces acteurs, elle ne suffit pas. Il faut les accompagner et qu’ils sachent où et comment trouver l’aide. Cela repose trop souvent sur les relations et la débrouille et toujours dans l’urgence. Ne pas réussir à trouver « la bonne porte » pour aboutir dans la régularisation de la situation les afflige et leur provoque la douleur de voir un projet commun anéanti. Il est parfois difficile de rebondir pour les entreprises.

La Région Centre-Val de Loire est très volontariste dans sa politique d’accueil et d’accompagnement de ces personnes, notamment en offre de parcours de formation. Les dispositifs de formation sont nombreux et il est parfois compliqué de se faire conseiller. Cependant, la plus grande difficulté réside dans la prise en charge, qui est différente selon les territoires, les moyens d’accompagnement des acteurs dédiés, des organismes, associations et syndicats impliqués pour leur maîtrise du volet juridique.

La Région Centre-Val de Loire est la seule région à avoir signé avec l’État (la préfecture) un CTAI (Contrat Territorial d’Accueil et d’Intégration). Cet outil vise à coordonner l’action des acteurs locaux dans un objectif d’accélérer l’accès à l’emploi, ce qui facilite l’intégration des personnes concernées et en même temps répond aux besoins de recrutement des entreprises. Cette initiative permet aux différents acteurs de se rencontrer, de se connaître et de constituer des réseaux sur un même objectif et donc de se réunir et travailler ensemble aisément.

Parmi tous les acteurs et institutionnels, une des difficultés réside dans le fait qu’il est nécessaire que les personnes dédiées à ces emplois s’impliquent à la hauteur attendue et ne soient pas réfractaires à cette politique au point de considérer que les primo-arrivants et MNA ne sont pas une priorité.

En conclusion, il est grand temps que l’accompagnement spécifique de ce public soit structuré avec des moyens à la hauteur. L’accompagnement doit être global et suivi sous tous ses angles : délaisser un pan de l’ensemble ouvre le risque que tous les investissements s’effondrent. Humainement, ces parcours sont très douloureux pour les concernés mais aussi pour les accompagnants et les acteurs, c’est parfois un gâchis humain et financier.

Les femmes doivent pouvoir bénéficier d’un accompagnement spécifique et dédié qui doit prendre en charge l’ensemble des problématiques. L’étude de l’INSEE conforte ce que le CESER a entendu lors d’auditions et de témoignages. Une attention toute particulière doit leur être apportée.

De manière plus générale, la réussite de ces parcours et une intégration réussie revêtent un intérêt majeur pour notre société. C’est un défi où chacun doit prendre sa place, y compris les institutionnels.

Il est à noter que le rapport du CESER a été voté à l’unanimité,h  ce qui démontre que des convergences sont possibles même si ce sujet est délicat et parfois clivant.

Encadré

Parmi ces populations, ce sont les femmes qui supportent le plus de difficultés et doivent lever le plus grand nombre de freins. La plupart du temps, ce sont elles qui s’occupent des enfants (problèmes de garde, santé, scolarité…) et la plupart du temps leur parcours pour arriver sur le territoire a été extrêmement traumatisant.

L’INSEE constate que le taux d’emploi des femmes immigrées arrivées récemment est particulièrement bas et très inférieur à celui des hommes (26,3 % contre 45,1 %).

Les immigrés sont d’avantage confrontés à l’inadéquation entre le niveau de diplôme et la profession exercée mais les femmes le sont davantage avec 28,8 % des femmes immigrées en emploi contre 25,7 % des hommes.


[1] CESER Centre – Val de Loire, L’enjeu de la formation des personnes primo-arrivantes et des mineurs non accompagnés, octobre 2023, https://ceser.centre-valdeloire.fr/publications/lenjeu-de-formation-des-primo-arrivants-et-des-mineurs-non-accompagnes-en-cvl/

[2] « Une moindre insertion professionnelle pour les immigrés récents », Insee Analyses n°101 – octobre 2023.