Alain Paker
Les données du projet de loi de Finances pour 2024 en disent long sur les faiblesses et les contradictions de ce que le gouvernement présente comme un « budget vert ».
La chose est acquise : la France est engagée dans une vaste politique de réduction des empreintes carbone, de diminution des pollutions, de recherche de modes de développement durable, d’optimisation des consommations énergétiques, de gestion rationnelle des déchets, d’émergence de nouvelles professions du conseil et de la stratégie en programmation énergétique, en promotion des circuits courts et on en passe.
Nous en sommes même arrivés au point où le gouvernement propose une lecture alternative de la loi de Finances, avec la présentation d’un « budget vert » pourvu d’un certain nombre (pour ne pas dire un nombre certain) d’indicateurs.
Mais il convient de garder raison puisque les documents fournis par l’équipage du paquebot de Bercy nous indiquent :
« En PLF 2024, parmi l’ensemble des dépenses budgétaires et fiscales du budget de l’État (569,7 milliards d’euros), 39,7 milliards d’euros sont considérées comme ayant un impact favorable à l’environnement (38,6 milliards d’euros hors plan de relance), 3,1 milliards d’euros un impact mixte et 13,1 milliards d’euros un impact défavorable. Les dépenses sans impact significatif sur l’environnement représentent 425,5 milliards d’euros, et les dépenses « non cotées » (faute d’information suffisante sur l’utilisation finale des crédits ou de consensus scientifique sur l’impact environnemental) représentent 88,2 milliards d’euros ».
Nous sommes donc, pour 2024, à 7 % de dépenses favorables à la transition écologiques et à 4,7 % en dépenses favorables nettes, une fois déduites les mesures ne permettant pas de poursuivre les objectifs de la transition écologique.
Comme l’analyse gouvernementale a tendance à mélanger les torchons et les serviettes, lesdites dépenses combinent les dépenses directes (par exemple la réalisation de voies ferrées destinées au transport du fret ou celle d’un réseau urbain de tramway) et les dépenses fiscales (par exemple le crédit d’impôt MaPrimeRénov) et ne se situent du coup pas toujours au même endroit dans la nomenclature budgétaire.
Ce que dit l’Inspection générale des Finances
Un bon exemple nous en est fourni, au demeurant, par un rapport de mission, relativement bref mais néanmoins instructif, de l’Inspection Générale des Finances qui effectue une Revue des aides à la transition écologique.
Le rapport porte notamment sur les aides directes et fiscales aux entreprises et aux particuliers. Il met en évidence, dans le cas des entreprises, la multiplication et la complexité des aides à la transition écologique et environnementale, ce qui pose la question de leur efficience.
Ainsi est il dit :
« Les dispositifs d’aide à la transition écologique de faible ampleur se prêtent mal à une évaluation d’impact. La mission observe que l’éclatement des aides à la TEE se traduit par nombre de dispositifs de faible ampleur, en volumes financiers et en nombre d’entreprises accompagnées. Ainsi, sur les 65 dispositifs opérés par l’ADEME pour lesquels la mission a pu disposer du nombre d’entreprises aidées en 2022, seuls 14 d’entre eux (soit 22 %) ont aidé plus de 50 entreprises ; et seuls 2 ont accompagné plus de 500 entreprises (le dispositif Tremplin pour la transition écologique des PME et le Fonds Tourisme Durable).
De même, parmi les sept prêts « verts » opérés par BPI France et créés après 2022, seuls le Prêt vert et le Prêt énergie environnement ont financé plus de 30 entreprises en 2022. La situation des CCI et des CMA apparaît encore plus illustrative de ce phénomène : les données d’enquête montrent que ~30 % des dispositifs régionaux des CMA et ~45 % des dispositifs régionaux ou déclinés d’une offre nationale des CCI ont accompagné moins de 30 entreprises en 2022. Cette situation suggère que, faute d’une taille critique minimale, de nombreux dispositifs ne pourront pas faire l’objet d’une évaluation robuste ».
Au-delà de l’évaluation, on peut se poser la question de l’utilité même de ces dispositifs…
Le chapitre relatif aux aides dévolues aux particuliers revient notamment sur deux dispositifs majeurs : les aides destinées à la rénovation des bâtiments et l’amélioration de leurs performances énergétiques, et celles destinées à la décarbonation du parc automobile, par incitation à l’achat de véhicules hybrides ou non polluants (voitures électriques, propulsion hydrogène, développement du vélo en mobilité dite douce).
Les sommes en jeu ne sont pas secondaires.
Pour le bâti, ont ainsi été engagés près de 3,8 milliards d’euros (l’équivalent du rendement de l’ancienne redevance audiovisuelle) au titre des certificats d’économie d’énergie accordés à raison des travaux d’isolation et d’amélioration des performances énergétiques et rien moins que 2,5 milliards d’euros au titre de MaPrimeRenov’, disposant ayant concerné en 2022 plus de 630 000 dossiers (il en faudrait beaucoup plus chaque année au regard des objectifs poursuivis, mais soit).
Problème : une bonne partie de ces aides a couvert des dépenses concernant des matériaux importés, au regard des factures consultées par l’équipe de la mission.
Ainsi, sur 6 228 millions d’euros de matériaux et d’équipements, 972 millions arrivaient d’autres pays de l’UE (notamment les pompes à chaleur, équipement rencontrant un grand succès dans le processus général de transition) et 467 millions de pays hors UE, soit un ensemble de 23 %.
En quelque sorte, des importations subventionnées et des emplois à l’étranger, directement soutenus par les contribuables français.
Sur le segment des véhicules non polluants, la situation est également fort intéressante à regarder.
Le bonus écologique destiné à l’aide à l’acquisition de ces véhicules a été mobilisé (pour 81 % de son montant) pour l’achat de véhicules importés (pour deux tiers d’un autre pays de l’UE, pour un tiers d’autres pays) et un montant de 841 millions d’euros.
La prime à la conversion, pour sa part, porte sur des montants plus faibles avec un total de 142 millions d’euros dont 122 portent sur l’achat de véhicules importés.
En pratique, donc, les aides à la transition ont subventionné pour 963 millions de véhicules non produits en France.
De manière plus marginale, la situation a été la même pour l’aide à l’acquisition de vélos, les deux tiers de la dépense concernant en effet des machines assemblées hors de nos frontières.
Quelques explications à ce processus.
Pouvons-nous y faire quelque chose si Décathlon, l’un des principaux vendeurs de vélo, fait fabriquer ses vélos premier prix hors de nos frontières ?
Que peut-on déduire si, dans le groupe Renault, on construit la Zoé dans l’usine de Flins (tout en restant dépendante des micro processeurs importés indispensables à sa motorisation) pendant que les Dacia Sandero sont produites au Maroc ou en Turquie, les Renault Twingo E – Tech dans celle de Novo Mesto (en Slovénie) et les Dacia Spring directement en Chine ?
La remarque vaut aussi pour Peugeot qui avait lancé la production de la Peugeot e – 208 dans son usine slovaque de Trnava avant de la rapatrier à Saragosse (Espagne).
On peut se demander, dans ce cadre, à quoi servent les principes qui guident les politiques publiques, d’autant que l’empreinte carbone du « rapatriement » des matériels peut être assez fortement génératrice d’émissions de gaz à effet de serre… pour peu notamment que ces « produits » fassent l’objet de la cargaison d’un porte-conteneurs parti de Shanghai.