Réforme Macron des retraites : une nouvelle étape dans la déstructuration du modèle social français et la construction d’un modèle ultra-libéral

Le gouvernement a lancé une réforme systémique des retraites. Cette réforme est une étape nouvelle des réformes de nos retraites. Elle vise à redessiner l’ensemble de l’architecture du système et à refonder l’ensemble de ses objectifs. Il s’agit bien de déstructurer notre modèle social construit après la seconde guerre mondiale et de lui substituer un système compatible avec les objectifs de financiarisation du modèle ultra-libéral.

La fonction retraite : analyse théorique et empirique

Les retraites : analyse théorique

La fonction vieillesse tend à assurer le remplacement des travailleurs âgés et organiser leur retrait de l’activité professionnelle, tout en permettant le maintien d’un niveau de vie suffisant au retraité et à sa famille, notamment en cas de décès où une pension de réversion de moitié est versée au bénéfice du conjoint survivant. La création du système de retraite répondait également à un objectif de maintien de la demande effective contribuant à stimuler la croissance économique. Elle favorisait le développement de la productivité du travail et le renouvellement de la main-d’œuvre vieillissante, à partir d’une main-d’œuvre plus jeune, bien formée et dynamique quantitativement et qualitativement (en liaison avec les politiques familiales, de santé, d’emploi et de formation).

Analyse empirique

Les prestations sociales liées au risque vieillesse-survie représentaient 331,4 Mds €, 14,8 % du PIB, et 46 % du total des prestations sociales en 2017.

On recense ainsi 16 millions de retraités de droit direct et 1,5 million de pensions de réversion.

La fonction vieillesse au sens strict comprend les pensions publiques de retraite de base et de retraites complémentaires obligatoires, le minimum-vieillesse et les aides aux personnes âgées dépendantes. Cela représente en 2017, 39,2 % des prestations. Le taux de croissance des prestations vieillesse-survie s’accélère depuis 2000. C’est alors le poste qui croît le plus au sein des prestations sociales, dépassant largement leur croissance moyenne. Mais, en liaison avec des réformes drastiques, il ralentit ensuite (3,5 % en 2012, 1,9 % en 2017).

La mise en place et la montée en charge de l’APA (allocation personnalisée à l’autonomie). Les dépenses de ce poste (5,8 Mds € en 2016) se sont d’abord accrues fortement + 73 % en 2003, mais depuis leur croissance ralentit, en liaison avec l’arrêt de la montée en charge de cette prestation. La prise en charge de la dépendance des personnes âgées et leur maintien à domicile apparaissent aussi comme une source de création d’emplois, à condition d’assurer le financement nécessaire et les formations adéquates.

La fonction survie comprend essentiellement les pensions de réversion, celles-ci s’élèvent à 38,6 Mds € en 2017. Elles sont aujourd’hui menacées par de dangereuses propositions de réforme Mais, il faut aussi remarquer que les femmes qui en sont les principales bénéficiaires touchent de plus en plus de droits directs en raison de la progression de leur taux d’activité.

C’est aussi la diminution du nombre de bénéficiaires du minimum vieillesse. En 2007 est créée l’ASPA (allocation de solidarité pour les personnes âgées), qui remplace le minimum vieillesse. Le nombre d’allocataires continue de baisser. Mais le nombre de basses retraites, ce que l’on appelle le minimum contributif de la CNAV, (moins de 85 % du Smic), a augmenté.

Vers une réforme systémique des retraites. La grande marche vers un nouveau modèle ultra-libéral

Les générations qui arrivent à l’âge de la retraite actuellement ont dans l’ensemble acquis des droits meilleurs que les précédentes, cependant la part des dépenses vieillesse dans le PIB ne s’est élevée qu’assez lentement jusqu’à 2005, en lien avec l’effet de génération creuse en raison de la stagnation démographique de l’entre-deux-guerres. En revanche, d’ici 2040-2050, les générations du baby boom arriveront à l’âge de la retraite. On passerait ainsi à 24 millions de retraités. Or le dogme du pouvoir est de maintenir la part des pensions dans le PIB à 14 %.

Aussi, loin d’être une réforme a minima, la réforme des retraites Macron de 2019 est d’ordre systémique. Le pouvoir avance d’un pas supplémentaire et radical dans une réforme régressive visant à restructurer l’avenir du pays et à remodeler en profondeur le modèle social français, particulièrement notre système de sécurité sociale. Il tente d’étouffer le débat public. Les dites concertations avec les organisations syndicales et patronales reposent en réalité sur un duo du gouvernement avec le patronat. Une façon de tenter de couper l’herbe sous le pied au mouvement intersyndical.

Les mesures avancées auparavant par F. Hollande et déployées en grand par E. Macron trouvent leurs bases dans le rapport Moreau de juin 2013. Celui-ci confirme l’allongement de la durée de cotisation à 43 ans pour commencer, pour une pension à taux plein en 2035, le relèvement des cotisations des salariés, et la marche vers la fiscalisation. Tandis que le Comité de suivi des retraites vise à assurer l’équilibre comptable permanent des régimes, qui va être l’instrument d’un changement de nature de notre système de retraite universel et solidaire. Les réformes antérieures portées par la droite depuis 1993 vont être radicalement amplifiées. Cela tendra à la réduction du niveau des pensions de base servies et au transfert de la contribution sociale des entreprises vers les ménages.

Cependant, la volonté de régler au plus vite la réforme des retraites ne se justifie pas. Les risques démographiques et financiers sur le système sont mesurés. L’évolution démographique n’aura pas l’effet dramatique annoncé. Ainsi, le taux de fécondité en France était de 2,1 enfants par femme en 2012. Avec celui de l’Irlande, il était le plus élevé d’Europe (1,57 en moyenne dans l’UE). Mais les politiques menées contre les familles ont sensiblement réduit ce taux (1,87 en France en 2018).

L’augmentation du nombre de retraités peut être encore compensée pour une part par l’arrivée d’actifs sur le marché du travail. Aussi, le coût des retraites ne serait pas « abyssal ». Le déséquilibre du régime général de la branche vieillesse qui s’élevait à 4,5 Mds € en 2013 se réduit considérablement, il y a même un excédent de 1 Md € en 2018. Cependant, il ne faut pas s’en réjouir, parce que ce montant résulte des mesures régressives prises depuis 1993 qui ont fait chuter de 2 points de PIB le niveau des pensions de base servies. Cela invalide l’argument d’une urgence comptable qui obligerait à mettre en place une nouvelle réforme régressive. En tendance, la progression de la part des prestations vieillesse dans le PIB ne dépasserait pas 1 point de 2013 à 2020. Cela nécessiterait 21 Md €, dont 7,6 pour le régime général. Or, cela équivaut au coût annuel pour le budget de l’État du CICE (Crédit d’impôt compétitivité emploi), que le gouvernement a offert au patronat au titre du « choc de compétitivité » du rapport Gallois. Un allégement fiscal des entreprises au nom de la compétitivité octroyé sans contreparties, ni contrôle fiscal.

Rappelons que le financement des retraites est assis sur la richesse produite dans les entreprises. Cette richesse double tous les 30 ans, il s’agirait de la consolider, par une croissance de l’emploi et du nombre de cotisants à un rythme plus rapide que la croissance du nombre de retraités, ceci contribuent à fournir des moyens d’assumer nos retraites futures.

Les choix gouvernementaux visent pourtant la précipitation afin de renflouer les caisses de l’État sur le dos de la Sécurité sociale et au profit du patronat et des marchés. Le dit équilibre des comptes sera donc un objectif affiché essentiel. Retraités et actifs seront les grands perdants de ces réformes.

Le rapport Moreau avait envisagé les besoins de financement de la branche vieillesse pour un montant global de 13,6 Mds €, dont 10,6 Mds € pour les ménages, soit 7 Mds € imputables aux retraités, 3,6 Mds € aux actifs. Et 3 Mds € pour les entreprises. Au final, dans le plan Hollande, les ménages seraient ponctionnés à hauteur d’au moins 2,3 Mds € dès 2014, et de 7,3 Mds € en 2020. En revanche, le Medef est épargné. On est bien loin d’un partage équitable des efforts de financement des retraites, malgré une hausse des cotisations sociales employeurs retraite, neutralisée en 2014, afin de « ne pas peser sur le coût du travail et leur compétitivité ». La logique de baisse du coût du travail s’intensifie avec Macron en la plaçant au centre de sa réforme du financement de la protection sociale, de la branche famille à la branche retraite. On remet en cause aussi le nouveau financement du compte pénibilité introduit en 2013 et on ouvre la voie à une réforme régressive financière et institutionnelle de la branche accidents du travail et maladies professionnelles.

Ainsi, les cris d’indignation du patronat devant la hausse de 0,3 point pour 2017 des cotisations sociales patronales retraite ne se justifiaient pas. Cette hausse est loin de rattraper le recul de 0,7 point de sa contribution sociale au financement de la Sécurité sociale depuis 1993. En outre, l’effort demandé sera largement limité par l’exonération des cotisations sociales dont bénéficient les entreprises pour les salaires versés jusque 1,6 SMIC. Ces dernières seront les grandes gagnantes de la réforme, loin devant les comptes de la Sécurité sociale, et plus loin encore devant les assurés sociaux.

Vers une réforme systémique

Cette réforme, de Hollande à Macron, n’est pas une réforme régressive parmi les autres. Le pouvoir prétend aller bien plus loin, en se dotant des moyens d’en finir avec le modèle solidaire, universel et par répartition de notre système de retraite construit dès 1946. Ainsi, le Comité de suivi des retraites, composé d’experts dits « indépendants », avait pour mission d’assurer l’équilibre financier à moyen et long termes des régimes de retraite, en faisant évoluer en permanence les paramètres, les critères et les modes de calcul des pensions. Ses conclusions pouvaient être transposées sans négociations avec les organisations syndicales, ni débat public national, dans les lois de financement de la Sécurité sociale. L’objectif serait d’« éviter une réforme tous les 3 ou 4 ans », aussi durée de cotisation, âge légal ouvrant droit à pension, niveau de la pension servie, modalités d’indexation… seraient constamment évolutifs. Cette option institutionnelle peu discutée mais essentielle ferait alors de la réforme des retraites une réforme systémique d’ampleur. Cette « Règle d’or » appliquée aux régimes de retraite entérinerait en effet définitivement le plafonnement systématique des pensions servies au nom de l’équilibre des comptes, pour le plus grand bonheur des complémentaires privées. Les assurés sociaux n’ayant d’autres choix que de compléter par une épargne individuelle, s’ils le peuvent, leur pension de base structurellement insuffisante.

Le passage aux comptes notionnels ou par points achèvera le changement de logique de notre système de retraite. D’un système à « cotisation définie-prestation définie », nous glisserions vers un système à « cotisation définie-prestation indéfinie ». Chaque assuré social contribuerait mais sans savoir ce qu’il percevra une fois à la retraite ni pendant sa retraite, condamnant chaque retraité à l’insécurité perpétuelle sur sa pension de base et à des retraites complémentaires par capitalisation.

Par ailleurs, combinée à la création d’un compte retraite unique de chaque Français conçu comme un outil de coordination entre les régimes et qui constitue un premier pas vers leur convergence, la logique s’appliquera à l’ensemble des régimes de retraite.

Le pouvoir s’inscrit dans les recommandations régressives et austéritaires de la Commission européenne et au programme de réforme structurelle des retraites de la Banque mondiale. Toutes deux (avec le FMI et l’OCDE) revendiquent la mise en place d’un système de retraite multi-piliers : retraite obligatoire de base publique, retraite obligatoire d’entreprise par capitalisation, retraite individuelle par capitalisation.

Vers un nouveau « modèle social » marqué du sceau du libéralisme ?

La création du Comité de pilotage devenu Comité de suivi des retraites, avec ses conséquences institutionnelles, n’est donc pas neutre. Au-delà de l’ambition « auto-régulatrice » du système, cela s’inscrit dans une démarche visant la refondation d’ensemble de notre système de protection sociale par une accumulation de réformes sociales, qui donnent forme au « nouveau modèle social » revendiqué par le gouvernement et le patronat.

Ainsi, l’option choisie par F. Hollande en 2013 concernant la complémentaire santé d’entreprise, instituée dans le cadre de l’ANI du 11 janvier 2013, qualifiée par le patronat de victoire historique, tendait à la construction institutionnelle d’un système de retraite multi-piliers. On institutionnalise un système de Sécurité sociale à 3 niveaux qui restructure la Sécurité sociale et raffermit le pouvoir du patronat sur la protection sociale du travailleur, à partir de l’entreprise. L’employeur reprend la main sur une part du financement de la Sécurité sociale, à partir de la complémentaire retraite et santé obligatoire d’entreprise, sous couvert d’une négociation d’entreprise.

Le travail de déconstruction des acquis de 1945 engagé par la droite depuis 2002, et en particulier depuis la présidence Sarkozy, débouche sur la construction du « nouveau modèle social » prôné par F. Hollande et surtout E. Macron. On reprend ainsi les grands principes posés par le Medef en 2000 dans son texte d’orientation « La refondation sociale », à l’origine duquel on retrouve Denis Kessler (alors n° 2 du Medef) et Ernest- Antoine Seillière (ex-n°1 du Medef et dirigeant de l’UNICE, syndicat patronal européen).

Le Rapport Moreau, lui-même en juin 2013 avait souligné que d’ici à 2040, à législation constante, le cumul des réformes engagées depuis 1993 ferait perdre 5 points de PIB supplémentaires aux retraites servies.

La réforme gouvernementale de 2019, cohérente avec les autres réformes engagées ou projetées, participe de la construction d’un nouveau modèle libéral à mille lieux de l’esprit qui a bâti notre système de Sécurité sociale en 1945-1946. Elle est un des éléments du projet de société porté par le patronat en France, mais aussi en Europe et dans le monde. Or contrairement aux annonces habituelles, elle ne réglera pas les problèmes de fond. La responsabilité des forces politiques et syndicales qui n’ont pas renoncé à la transformation sociale est immense. Elles doivent mobiliser la population, les salariés, les fonctionnaires, les retraités pour une construction sociale de grande ampleur.

Des réformes paramétriques à la réforme systémique

Les comptes notionnels

[Sylvie Durand, 2016]

La réforme programmée par Macron en 2019 est encore beaucoup plus lourde de conséquences que les réformes qui l’ont précédée depuis 1993, car il s’agirait de faire des choix définitifs, qu’il ne serait plus question de rediscuter à l’avenir. La démarche est inspirée de ce que les responsables politiques suédois, des sociaux-démocrates aux conservateurs, ont fait dans les années 1990. Elle participe de la volonté de mettre en place un système qui, selon un responsable politique suédois à l’origine de la réforme en Suède, « va durer jusqu’à la prochaine ère glaciaire ». Un nouveau système que le Parlement suédois a adopté en 1998 par 80 % des voix.

En France, il s’agirait aussi, selon certains, d’en finir avec des réformes paramétriques pour opérer une refonte définitive du système, avec (ou sans) consensus à la suédoise. Les réformes dites paramétriques agissent sur les trois leviers qui permettraient d’équilibrer un régime de retraite :

  1. L’âge de départ en retraite et son corollaire la durée de cotisation.
  2. Le niveau des pensions.
  3. Les ressources.

Toutes les réformes intervenues depuis la désindexation des pensions de l’évolution des salaires de 1987 ont agi sur les deux premiers leviers en organisant un décrochage progressif mais à terme drastique des taux de remplacement. Elles ont suscité à chaque fois des mobilisations sociales très fortes. Il y a donc un intérêt objectif des forces dominantes à abandonner les réformes paramétriques au profit d’une réforme systémique.

Une réforme « systémique »

La Loi portant réforme des retraites du 9 novembre 2010 dans son article 10 précisait qu’à compter du premier semestre 2013, le Comité de pilotage des régimes de retraite organise une réflexion nationale sur les objectifs et les caractéristiques d’une réforme systémique de la prise en charge collective du risque vieillesse. Parmi les thèmes avancés figurent les conditions d’une plus grande « équité » entre les régimes de retraite légalement obligatoires ; les conditions de mise en place d’un régime universel par points ou en comptes notionnels, en prétendant respecter le principe de répartition au cœur du pacte social qui unit les générations ; enfin les moyens de faciliter le libre choix par les assurés du moment et des conditions de leur cessation d’activité.

La proposition principale est celle d’un régime unique fusionnant tous les régimes du public et du privé existants actuellement pour fonctionner selon le système des comptes notionnels. Le Medef propose une variante avec un régime universel de base et un régime universel complémentaire fonctionnant l’un et l’autre comme les comptes notionnels.

Les comptes notionnels ? « Notionnel » veut dire virtuel. Certes, les comptes notionnels suédois fonctionnent en répartition. L’argent des cotisations est immédiatement redistribué sous forme de pension. Cependant, la deuxième idée clef, c’est que les comptes notionnels fonctionnent à ressources constantes. Le taux de cotisation est fixé une fois pour toutes, en l’occurrence, en Suède, à 16 % du salaire. Il ne peut pas être augmenté quelles que soient les circonstances économiques, il est intangible. C’est cette caractéristique qui a déterminé le soutien du patronat et des libéraux suédois à ce nouveau système. Concrètement, l’agence suédoise de Sécurité sociale enregistre, année après année, sur le compte individuel de chaque salarié le montant de sa cotisation. Le salarié se constitue ainsi un capital, virtuel, puisqu’on est en répartition. Lorsque le salarié veut liquider sa pension, à partir de 61 ans, l’Agence additionne, après les avoir revalorisés, tous les montants cotisés puis les divise par l’espérance de vie de la génération concernée. Il en résulte une rente viagère : plus l’intéressé part tard, plus sa rente est élevée, plus il part tôt plus elle est modeste. Mais la rente ainsi calculée n’est qu’un maximum, le système est en effet conçu pour régler définitivement la question de son équilibre financier en réconciliant en permanence le montant des pensions à verser avec le montant des ressources encaissées. Ainsi, si le régime doit verser 100 € de rente alors qu’il n’a perçu que 70 € de cotisations (dont le taux ne peut, par construction, augmenter) il applique à la pension un mécanisme d’équilibrage automatique qui prend la forme d’un coefficient ici de 0,70 (0,70 x 100 € = 70 €). Aussi, qui percevait 100 € de pension ne percevra plus que 70 €. Ce mécanisme a conduit en Suède dès 2010 à une baisse de toutes les pensions liquidées de 3 % et en 2011 de 7 %. En cumul sur 5 ans, c’est une baisse de 40 % qui est anticipée. Il s’agit donc d’un système de retraite, certes par répartition, mais qui fonctionne « à cotisations définies » par opposition au système français par répartition, mis en place en 1945, qui, lui, a été conçu pour fonctionner « à prestations définies », c’est-à-dire pour garantir un taux de remplacement déterminé du salaire par la retraite. Ce taux avait été historiquement fixé à 75 % dans la Fonction publique et c’est cet objectif que les salariés des régimes du privé ont visé jusqu’à la réforme de 1993.

C’est le mécanisme d’équilibrage automatique qui a séduit tous les partis en Suède, selon un haut responsable de l’Agence suédoise de Sécurité sociale. Il visait à décharger les hommes politiques « de la responsabilité de prendre les décisions difficiles et si sensibles qui consistent à suivre, contrôler et ajuster en permanence les paramètres du système des retraites ». Il ne s’agit plus de choisir entre répartition et capitalisation, mais entre répartition « à prestations définies » et répartition « à cotisations définies ». Cependant, la mise en œuvre d’un système « à cotisations définies » entraînera de telles baisses des taux de remplacement que les citoyens tenteront nécessairement l’aventure de l’épargne retraite pour essayer de compenser le manque à gagner. C’est d’ailleurs le calcul du Medef et des libéraux.

L’enjeu « cotisations ou prestations définies ». Les régimes par annuités, comme les régimes par points, peuvent fonctionner « à cotisations définies » si on les dote d’un mécanisme d’équilibrage automatique. Ils peuvent fonctionner « à prestations définies » si on leur assigne un objectif définissant un taux de remplacement déterminé du salaire par la pension de retraite.

Ainsi, le régime AGIRC, créé par Ambroise Croizat et la CGT en 1947, a fonctionné « à prestations définies » jusqu’en 1994. Il en est de même pour les régimes ARRCO créé en 1961.L’AGIRC et l’ARRCO, en dépit des accords signés entre 1993 et aujourd’hui, ne sont pas des régimes « à cotisations définies ». Il est toujours possible d’augmenter les cotisations, ce que les organisations syndicales de salariés ne manquent pas de revendiquer à chaque ouverture de négociation et il y est impossible de diminuer le montant des pensions liquidées, ce que le Medef a tenté de faire en 1994 et ce qui a été sanctionné par la Cour de cassation en 1999.

Les promoteurs et les adversaires d’un système à cotisations définies. Les promoteurs sont les forces libérales et le Medef, une partie du gouvernement socialiste en 2012 ainsi que certains courants du Parti socialiste d’alors, tandis que d’autres y sont résolument opposés ; dans l’état-major de la CFDT. Le travail d’information reste donc primordial d’autant qu’un certain nombre de cercles de réflexion (think tank) et de groupes de pression font un gros travail de lobbying comme l’Institut Montaigne ou Terra Nova. Les adversaires des systèmes « à cotisations définies » sont la CGT, la CFE-CGC, Solidaires, la FSU ; mais aussi FO et la CFTC même si les positions peuvent évoluer.

La refonte du système en France implique un changement « de paradigme ». Le concept d’équité tend à se substituer à celui de solidarité. Cela participe de l’idée qu’il est « équitable » que chaque génération récupère au cours de la retraite le total des cotisations versées et rien de plus. Une rente viagère est donc équitable. Une pension de retraite pensée comme la continuité du salaire pour garantir la continuité du niveau de vie n’est pas équitable. Les mécanismes de solidarité ne le sont pas non plus. Ainsi, la pérennisation de la répartition n’est pas un objectif suffisant en soi, par exemple les comptes notionnels prétendent pérenniser la répartition en organisant un effondrement des taux de remplacement. Thomas Piketty et Antoine Bozzio, pour leur part, partisans des comptes notionnels, ont développé une argumentation qui joue sur la division du salariat : ils prétendent que leur système favoriserait les carrières « planes » c’est-à-dire les carrières les plus modestes. C’est la stigmatisation de groupes sociaux que leur modèle oppose les uns aux autres.

La disparition de la notion de taux de remplacement du salaire par la retraite devient un objectif explicite revendiqué notamment par le think-tank « Économies et Générations » selon l’un de ses membres, Antoine Delarue, il faut tester la généralisation d’une retraite par points « qui ferait disparaître les sacro-saintes notions de taux plein et de taux de remplacement ».

Les retraites complémentaires obligatoires par répartition dans le collimateur

Les enjeux

Les négociations ARRCO et AGIRC ont été difficiles. Une raison affichée de leur réouverture était la situation de l’AGIRC. En effet, depuis 2003, la somme des cotisations perçues par l’AGIRC ne permettait plus de couvrir le paiement des pensions et l’organisme puisait dans ses réserves pour maintenir le montant des retraites. Les réserves sont épuisées en 2017. Toutes les pensions AGIRC devaient être diminuées de 5,15 % en 2018. La situation de l’ARRCO annonçait aussi un horizon d’épuisement des réserves à 2 027 entraînant une diminution de toutes les pensions ARRCO de 10,48 % en 2028.

Refusant obstinément d’augmenter les ressources des régimes, le Medef proposait donc de faire payer, pour partie, la retraite des cadres par les non-cadres en créant un nouveau régime unique de retraite complémentaire, fusionnant les deux régimes ainsi appelés à disparaître l’un et l’autre. Il s’ensuit que l’Accord national interprofessionnel (ANI) du 8 décembre 1961, portant création de l’ARRCO (le régime complémentaire de tous les salariés du privé) serait dénoncé et la Convention collective nationale du 14 mars 1947, portant création de l’AGIRC (le régime complémentaire des cadres et assimilés pour la partie de leur salaire supérieure au plafond de la Sécurité sociale) ne serait pas reconduite.

L’idée du Medef est de siphonner les réserves de l’ARRCO pour maintenir le montant des pensions des cadres retraités et de se donner ainsi le temps, de reculer l’âge d’ouverture du droit à retraite d’abord à 65 ans, voire plus selon les nécessités financières. Mais l’épuisement des réserves ainsi mutualisées surviendrait en 2024 au lieu de 2 027 pour l’ARRCO.

Des baisses de retraites pour tous les salariés du privé

Pour faire passer une mesure aussi impopulaire auprès des non-cadres, le Medef prétendait imposer de gros sacrifices aux cadres et assimilés. L’organisation patronale proposait de supprimer la Garantie minimale de 120 points (GMP) de pension accordée depuis 1996 chaque année à tout cotisant à l’AGIRC. Soit pour 40 années cotisées, un total de 4 800 points représentant, en valeur 2014, un montant annuel de pension AGIRC de 2 089 €. La perte de ressources induite par la suppression de la cotisation forfaitaire GMP pouvait être compensée par la mise en place d’une Contribution d’équilibre technique (CET), non génératrice de droits, à laquelle seraient assujettis tous les salariés, pour financer les points acquis par le passé au titre de la GMP. Il s’agissait d’une forme de solidarité à l’envers des non-cadres envers les salariés cadres. L’approche du Medef est dogmatique : dans un système à « cotisations définies », par construction, un minimum de prestation garantie n’est pas concevable. C’est pour cela qu’il militait pour la disparition de la Garantie minimale de points. Le décrochage du niveau des futures pensions ainsi induit serait ensuite inéluctablement étendu à l’ensemble du salariat au nom du « partage des efforts ». Car ce nouveau régime unique de retraite complémentaire serait conçu pour pouvoir fonctionner à « cotisations définies » : le taux de cotisation étant fixé une fois pour toutes, tous les ajustements se feraient par le recul de l’âge de la retraite et par la baisse continue du niveau des pensions, aussi bien celles déjà liquidées que celles en cours de constitution. La date du 1er janvier 2019 a été fixée pour sa mise en place ce qui correspond au préavis de 4 ans pour dénoncer l’ANI du 8 décembre 1961 instituant l’ARRCO.

Bien évidemment toutes ces mesures, labellisées « partenaires sociaux », auraient vocation à être généralisées par le gouvernement à l’ensemble des régimes de retraite du public et du privé.

Développement massif de la capitalisation

La disparition de l’AGIRC est une étape incontournable pour les forces libérales afin de développer massivement la capitalisation en substitution à la répartition. Elle aura pour conséquence de précipiter les cadres vers les dispositifs d’épargne retraite individuels. Les salariés non cadres n’auraient plus d’autres alternatives que d’épargner pour leurs vieux jours.

La création de l’AGIRC, régime complémentaire obligatoire des cadres, à l’initiative de la CGT visait à ne plus laisser place à la capitalisation en couvrant sans exception tous les salariés sur la totalité de leur salaire par un dispositif de retraite en répartition.

La Sécurité sociale en ligne de mire

La mise en place du régime complémentaire obligatoire des cadres a aussi été la contrepartie de leur affiliation à la Sécurité sociale, à une époque où ceux qui étaient sceptiques vis-à-vis des solidarités entre générations, qui sont le ciment de la répartition, étaient convaincus qu’ils allaient cotiser en pure perte.

Le renvoi des Ingénieurs, cadres, techniciens, etc., vers la capitalisation serait donc une menace pour tout l’édifice de Sécurité sociale. Pourquoi, en effet, devraient-ils cotiser deux fois, une fois dans un système en répartition qui ne leur garantirait plus la continuité du niveau de vie et une fois en capitalisation ? Menace d’autant plus sérieuse que les cadres et assimilés, à peine 250 000 salariés à la création de l’AGIRC, sont aujourd’hui plus de 4 millions, un effectif de cotisants dont la Sécurité sociale ne peut se passer.

La fusion de l’AGIRC et de l’ARRCO : une menace sur les conventions collectives de branche et sur le statut cadre

La fusion de l’AGIRC avec l’ARRCO a aussi pour effet de faire disparaître le seul organisme en charge de la reconnaissance interprofessionnelle et opposable du statut cadre. L’idée du Medef est de faire travailler les cadres en les rémunérant comme des employés pour pouvoir rémunérer les employés comme des précaires. Le Medef entend ainsi opérer un tassement sans précédent des grilles salariales. Il s’ensuivrait l’ouverture de négociations sur les classifications et la prévoyance dans toutes les branches, le Code du travail, sur les catégories objectives se référant à l’AGIRC pour identifier les cadres, les assimilés cadres et les employés. Avec la destruction de l’AGIRC, c’est le statut cadre comme l’ensemble des grilles salariales qui sont visés.

La disparition de l’AGIRC entraînera mécaniquement celle de l’APEC et de l’IRCANTEC. Le recouvrement des cotisations APEC se retrouverait privé de toute base légale, de même la convention bipartite entre l’AGIRC et l’APEC pour opérer ce recouvrement se retrouverait sans objet. Tandis que l’intégration de l’IRCANTEC au nouveau régime unique complémentaire est un objectif des pouvoirs publics et en particulier de la Cour des comptes.

Pistes alternatives : quatre leviers pour financer l’AGIRC et l’ARRCO

L’égalité salariale femmes/hommes devrait être progressivement réalisée d’ici 2024. Cette mesure permettrait de rétablir l’équilibre financier de l’ARRCO au moins jusqu’en 2040 et elle effacerait 46 % du déficit anticipé de l’AGIRC à cette même échéance. Le Medef exclut cette mesure au motif qu’elle porterait préjudice à la compétitivité des entreprises alors même qu’elle est rendue obligatoire par la loi 2014-873 du 4 août 2014, « pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes ».

L’alignement des taux de cotisation pour la retraite pratiqués au-dessus du plafond de la Sécurité sociale sur ceux pratiqués en-dessous : cette mesure permettrait d’effacer 95 % du déficit projeté pour l’AGIRC. Compte tenu de la nécessité de rééquilibrer la contribution des salariés et des employeurs au financement des régimes AGIRC et ARRCO, l’augmentation de la cotisation AGIRC de 2,45 points qui s’ensuivrait serait affectée à 90 % sur la part dite « patronale » des cotisations et 10 % sur la part dite « salariée ». Cette hausse serait mise en œuvre en appliquant une proposition de modulation en fonction du rapport masse salariale sur valeur ajoutée.

L’augmentation de la Garantie minimale de points on aurait pu porter de 120 à 150 points cette garantie et, en augmentant en conséquence la cotisation, le déficit prévu à l’AGIRC à l’horizon 2040 aurait pu être réduit de 8,57 % et les pensions améliorées.

La mise en place d’une cotisation strictement patronale, sur le modèle du forfait social (destiné au financement de la Sécurité sociale), pourrait avoir pour principale assiette l’intéressement, la participation et l’abondement aux plans d’épargne entreprise. Appelée au taux de 10 %, cette cotisation permettrait d’effacer 23,57 % du déficit de l’AGIRC et 74 % du déficit de l’ARRCO.

En combinant et modulant ces quatre mesures, il serait non seulement possible de rétablir l’équilibre financier de l’AGIRC et de l’ARRCO mais aussi de reconstituer des excédents ; ce qui signifie la possibilité d’augmenter le niveau des futures pensions. Il était donc parfaitement inutile et contre-productif de contaminer l’ARRCO avec les problèmes de l’AGIRC, le maintien de deux régimes distincts aurait permis de surcroît d’adopter pour chacun d’entre eux des mesures différenciées. La « réforme » gouvernementale de 2019 est accompagnée d’un battage médiatique, organisé par le Medef, autour de l’épuisement des réserves de précaution des régimes AGIRC et ARRCO qui préfigurerait, selon eux, la faillite des régimes complémentaires. Il s’agit ici de préparer les esprits à des reculs majeurs sur le niveau des droits à retraite liquidés ou en cours de constitution sous prétexte de sauvegarder la retraite complémentaire. La fusion AGIRC et ARRCO vise à mettre en place un régime complémentaire unique qui fonctionnerait « à cotisations définies ».

Le Medef voit autour de cette opération l’occasion d’en finir avec le statut cadre et l’un de ses piliers, l’AGIRC qui est aujourd’hui la seule reconnaissance interprofessionnelle et opposable du statut cadre. L’enjeu à terme est de faire exercer aux cadres et assimilés leurs responsabilités tout en les rémunérant comme des employés ce qui permettra de payer les ouvriers et employés comme des précaires. Toutes les grilles conventionnelles de salaire s’en trouveraient remaniées.

De surcroît, l’encadrement se verrait renvoyé à la capitalisation pour se financer un espoir de revenu à la retraite. La disparition de l’AGIRC, comme l’a été sa création, est tout sauf une affaire catégorielle. Derrière sa disparition, il y a un effet domino très largement sous-estimé.

Le modèle suédois lui-même est en train de s’effondrer. La ligne de clivage entre sociaux-démocrates et conservateurs passe aujourd’hui en Suède par la question des retraites.

Conscients de cela, les partisans des systèmes à cotisations définies font de moins en moins référence à la Suède pour se référer plus volontiers à nos systèmes par points. Ils oublient de dire que AGIRC et ARRCO sont construits pour fonctionner à prestations définies, ce qui est à l’opposé de ce que veulent faire ses détracteurs, puisque leur modèle c’est le RAFP (retraite additionnelle de la Fonction publique, créé en 2003 et dont on voit les graves limites.

Démanteler le système des retraites en montant la capitalisation contre la répartition

Alors qu’il n’y a pas aujourd’hui de péril financier pour le système des retraites, le projet de réforme Macron prend comme alibi les réels besoins de financement de l’autonomie des personnes âgées. Or, sous couvert de simplification et d’égalité des droits entre citoyens, l’objectif poursuivi est de construire une société d’assurance individuelle qui sape la solidarité à la base de nos régimes de retraite. En liant les pensions de retraite au parcours des cotisants et en montant la capitalisation, ce système est celui du « chacun pour soi ».

Des pensions condamnées à diminuer au profit de la finance

Préconisant une retraite unique par points, proche de la réforme suédoise, l’idée est de fusionner le régime général de la Sécurité sociale, les retraites complémentaires AGIRC-ARRCO, les retraites de la Fonction publique, les régimes spéciaux, etc.? en un seul régime dit « universel ». Cette prétendue simplification conduit notamment à supprimer les régimes spéciaux et les droits que les salariés ont acquis par leurs luttes et qui sont partie intégrante de leur statut.

Pour le financement, Macron avançait l’objectif : « Pour un euro cotisé, un euro versé. » Le résultat est que le taux de la cotisation dédiée au financement des retraites serait définitivement bloqué et le montant des pensions alors condamné à baisser avec l’augmentation du nombre de retraités et de leur espérance de vie. On prétend accroître l’attractivité du marché de l’épargne-retraite individuelle et collective, selon les vœux du Medef, au détriment du financement de la retraite par répartition. Les produits d’épargne-retraite resteront à cotisations définies c’est-à-dire que les épargnants cotiseront à l’aveugle. Ils n’auront aucune garantie de récupérer leur épargne, les banquiers et assureurs leur faisant intégralement supporter la volatilité des marchés financiers, la CSG dont les salariés sont les tributaires essentiels, deviendrait la source principale du nouveau système pour la satisfaction du monde de la finance.

Sous couvert de « mieux financer l’économie française en développant le financement en fonds propres des entreprises », on ouvrirait de nouveaux débouchés aux fonds de pension, notamment anglo-saxons, déstabilisés par des rendements à long terme historiquement bas, voire négatifs ; tandis que les entreprises reprises par des fonds de pension connaîtront dépeçages et licenciements en nombre. Gérés par les institutions financières, banques, compagnies d’assurance, ces fonds sont dépendants de la rentabilité des marchés financiers et soumis à leurs aléas (inflation, crises boursières). Ce sont des acteurs de la spéculation et des effondrements financiers dans le monde.

La capitalisation : un système beaucoup plus coûteux que le système par répartition

La capitalisation, même par « petites doses », ne peut fournir un complément à la retraite par répartition, car les fonds épargnés pour développer les fonds de pension feront défaut au système par répartition. Elle fragilise les pensions en les rendant dépendantes des marchés financiers et renforce les risques de crises financières. En captant l’épargne des couches moyennes – notamment des ingénieurs, cadres et techniciens – au profit de la constitution de réserves financières considérables (trois fois plus que pour un système de retraite par répartition), elle sape le financement de la Sécurité sociale. Au final, elle « cannibalise » la répartition au lieu de la sauver et n’offre, dans les faits, que des prestations triées et limitées.

S’inscrivant dans la volonté plus générale de baisser les dépenses publiques et sociales, cette réduction du financement de la protection sociale solidaire s’effectue contre la croissance réelle et durable en minant le développement de l’emploi, des salaires et des dépenses sociales. En poussant au développement des assurances privées complémentaires, cette réforme va encore renforcer les inégalités entre salariés selon le secteur d’activité ou l’entreprise, et entre ceux qui ont eu des carrières complètes, des revenus élevés, et les autres, victimes de la précarisation de l’emploi ou de discriminations et d’inégalités salariales importantes, notamment les femmes. Les inégalités de revenus dans la période active s’amplifieront dans le niveau des retraites.

Le système par répartition plus sûr que les systèmes par capitalisation

À l’inverse de la capitalisation, le système par répartition ne fait pas dépendre les montants des retraites des cours de bourse. Il est directement branché sur la croissance réelle, les cotisations collectées dans l’année étant immédiatement reversées aux retraités. Ces pensions se retrouvent directement dans la consommation en nourrissant les débouchés des entreprises, en incitant les investissements productifs et les embauches. La répartition stimule donc la croissance réelle, appelle à un autre type de production des richesses, source de rentrées de cotisations pour financer les retraites par répartition. Ainsi, financer les retraites par répartition ne constitue pas un « boulet » pour l’économie, mais contribue au renouvellement de la force de travail, à un développement d’un autre type de progression de la productivité du travail, en relation avec la politique familiale, la formation, et la création d’emplois qualifiés et bien rémunérés.

Garantir le financement des retraites par répartition

Pour garantir le financement des retraites par répartition, il faut combattre la pression idéologique autour du « coût » du travail et s’attaquer au coût du capital. En effet, les entreprises françaises paient deux fois plus de charges financières que de cotisations sociales patronales, par an. Il s’agirait de promouvoir le financement des retraites par les cotisations sociales, au lieu de la suppression des cotisations sociales qui s’effectue au profit de la fiscalisation et de la capitalisation. Un développement des cotisations sociales pourrait viser d’accroître le taux et la masse des cotisations sociales notamment patronales, en lien avec l’accroissement de l’emploi et des salaires qui sont au cœur du financement des retraites par répartition.

En outre, afin de répondre aux besoins sociaux nouveaux, notamment la montée du risque dépendance des personnes âgées, la mise en cause du coût du capital pourrait déboucher sur une nouvelle contribution sur les revenus financiers des entreprises et des banques, qui échappent largement aux prélèvements sociaux et pèsent sur la croissance réelle. Les revenus financiers des entreprises (le coût du capital : dividendes et intérêts) avoisinent 200 Md € en 2018. En les soumettant au même taux que la cotisation patronale sur les salaires, en incluant aussi les cotisations patronales aux régimes complémentaires obligatoires, cela représenterait un taux de cotisation total de 15 %, et ferait rentrer plus de 30 Mds € par an. Cette nouvelle contribution sur les revenus financiers des entreprises, ainsi que sur les revenus financiers nets des banques, participerait au financement des retraites et notamment de la dépendance. Ceci constituerait une mise en cause de la logique de la financiarisation.

Les retraites constituent un véritable enjeu de civilisation, à construire comme les forces de progrès avaient pu construire la Sécurité sociale en 1945. Pour sortir de la crise systémique en cours, une sécurisation de l’emploi, de la formation et du revenu ouvrirait aussi sur une articulation de tous les âges de la vie. Cela entraînerait une énorme montée de la formation et une réduction du temps de travail sur toute la vie permettant l’augmentation du temps libre pour la culture et plus généralement les activités choisies. Cela peut favoriser le développement des activités créatrices des retraités et de l’autonomie des plus âgés. Loin des plans de privatisation, elle exige une irrésistible montée de la solidarité, des services publics et notamment la création d’un nouveau service public d’autonomie des personnes âgées.

Pour une autre approche : la retraite, un enjeu de civilisation. Pour une véritable réforme de progrès social et d’efficacité économique et sociale

La retraite, passage à une nouvelle période de la vie sociale, est aussi un temps utile pour la société, c’est d’abord une question de choix de société. Alors qu’elle est abordée dans tous les plans du libéralisme en refusant tout débat de fond pour privilégier une approche comptable. Il s’agirait au contraire de répondre aux questions suivantes : quelle place les plus de 60 ans doivent-ils occuper ? Les retraités sont-ils un fardeau ? Ou au contraire, jouent-ils un rôle irremplaçable qui profite à toute la collectivité ? Les retraités de droit direct sont environ 16 millions en France. Ils ne constituent pas une catégorie homogène : il y a des retraités pauvres et des très riches, de jeunes retraités et des très âgés, des bien portants et des très malades. Mais les retraités, dans leur ensemble, apportent une contribution importante au fonctionnement de la société ; souvent non marchande, elle est indispensable, comme en témoigne l’investissement de nombreux retraités dans le tissu associatif ou la participation des retraités dans les conseils municipaux ou autres assemblées territoriales. Les retraités permettent souvent dans les familles de suppléer aux carences en matière d’accueil de la petite enfance ou de l’enfance.

Les retraités participent de la croissance du pays et ils doivent en bénéficier. Devrait-on considérer que les enfants ne devraient pas bénéficier des fruits de la croissance, au motif qu’ils ne sont pas impliqués dans la production des richesses ?

La retraite, un droit et pas seulement la couverture d’un risque. Le risque était celui de ne plus être en état de travailler et donc de se retrouver sans ressources. L’amélioration des conditions sociales d’une manière générale et les progrès réalisés dans le domaine de la médecine ont permis à l’espérance de vie de progresser significativement.

La dégradation des conditions sociales pourrait provoquer une inversion quant à l’évolution de l’espérance de vie, au même titre d’ailleurs qu’une dégradation des conditions d’accès aux soins et à la prévention en matière de santé. Ces évolutions sont toujours le produit d’un rapport de force, fait notamment de luttes et de mobilisations.

Nous sommes passés de la « retraite des morts » de la première moitié du xxe siècle à une phase de vie durant en moyenne plus de vingt ans.

Ainsi la retraite doit être considérée d’une manière complètement différente. Le passage du risque au droit doit conduire notamment à revisiter la question du revenu des retraités. Il ne s’agit plus d’assurer à chaque retraité un revenu de subsistance. Il s’agit de permettre, par la pension de retraite, à chacun de vivre pleinement cette nouvelle phase de la vie, de faire des projets, d’être en mesure de s’investir et de jouer un rôle social. Le constat est à ce titre sans appel : les retraités qui s’investissent le plus ne sont pas les plus pauvres pour ces derniers, comme pour les plus jeunes, l’insécurité sociale empêche toute approche autre que celle au jour le jour. Pour pouvoir faire des projets, se consacrer aux autres, il faut avoir un niveau de vie convenable et ne pas être contraint de compter en permanence pour atteindre la fin du mois.

Un choix de société. Ces choix relèvent de la nature de notre vie en société, du rôle et de la place des retraité-e-s. C’est une exigence de justice et d’efficacité sociale avec la sécurisation du parcours de vie de la naissance à la mort ‒ ce qui implique un financement intergénérationnel et solidaire, s’appuyant sur les richesses créées par le travail. L’âge de 60 ans, pour une retraite active et en bonne santé, semble une bonne limite pour partir en retraite, pour avoir une nouvelle vie sociale et personnelle. Ce choix de société nécessite un grand débat public.

Combattre les inégalités sociales d’espérance de vie en bonne santé

La question n’est pas seulement celle de l’espérance de vie, qui jusqu’à présent a progressé, mais bien celle de l’espérance de vie en bonne santé. Ce n’est pas l’altération de la santé qui doit déterminer le moment du départ à la retraite, comme le voudrait le patronat. Ainsi, le patronat et les gouvernements ne sortent pas d’une approche de la pénibilité par l’incapacité, donc par un état de santé dégradé.

L’augmentation de l’espérance de vie ne s’accompagne pas automatiquement d’une augmentation de l’espérance de vie en bonne santé. Comme le montre une étude de l’INSERM l’espérance de vie sans incapacité des femmes est passée de 64,3 ans à 63,6 ans entre 2004 et 2011. Alors que dans le même temps, l’espérance de vie des femmes a augmenté de 2 ans, ainsi les deux années gagnées le sont donc avec une santé altérée. Cela remet en cause l’idée martelée selon laquelle on vit plus longtemps, donc on doit travailler plus longtemps.

En effet, le recul de l’âge légal de la retraite, la dégradation des conditions de travail, l’intensification du travail mais aussi l’augmentation de la précarité ont et auront un impact négatif. Les espérances de vie annoncées aujourd’hui pour justifier de nouveaux allongements de la durée d’activité ne constituent pas une garantie de durée de vie pour les générations qui atteignent l’âge de la retraite. Il s’agit simplement d’un constat de la mortalité pour une année donnée.

La durée d’activité sur une vie tend à diminuer. Depuis le début de l’industrialisation (1830-1840) les gens travaillent sur une période de leur vie de plus en plus courte. Aujourd’hui, on tend vers une moyenne de 35 années de travail sur une vie. Mais l’allongement continu de la durée exigée pour une retraite à taux plein est tel que de moins en moins de salariés réuniront ces conditions de durée.

Or, les réformes libérales gouvernementales parient sur une future augmentation de la durée de travail sur une vie, ce qui va clairement à l’encontre du progrès social, comme de l’histoire. Une telle hypothèse semble contradictoire, compte tenu de la situation de l’emploi. D’autant que le recul de l’âge de la retraite a surtout eu pour effet de faire croître le chômage des « seniors ».

Un argument matraqué à combattre : « On vit plus longtemps, on doit travailler plus longtemps » ! Travailler plus, plus longtemps, pour… toucher moins, avec une baisse des pensions. Les différentes réformes mises en œuvre depuis celle de 1993, celle de 2003 puis celle de 2010 et celle de 2013 ont amené un allongement de la durée de cotisation, une perte de pouvoir d’achat des pensions et des difficultés accrues pour des millions de retraités. Et maintenant la réforme de 2019 !…

Le chômage, la précarité font qu’il est de plus en plus difficile d’espérer partir avec une retraite à taux plein. Jamais le patronat n’a bénéficié d’autant d’exonérations (avec l’intégration du CICE, 69 milliards en 2018). Le recul de l’âge réel de départ et l’allongement du nombre d’années de cotisations ne feront qu’aggraver la situation.

On présente régulièrement comme inexorable la nécessité de travailler plus en fonction d’une augmentation de l’espérance de vie. Formule que nous récusons. Les gains d’espérance de vie n’ont pas vocation à augmenter la durée de soumission au travail mais plutôt d’augmenter le temps de vie hors travail. La vie ne doit pas être uniquement liée au rapport au travail. C’est une véritable bataille idéologique qu’il s’agirait de mener.

Le véritable objectif de l’allongement de la durée de cotisation : faire baisser les pensions

La hausse de la durée exigée pour une retraite à taux plein, alors que par ailleurs la durée réelle d’activité sur une vie se maintient autour des 35 années, entraîne de façon inévitable la baisse des pensions. Si on prend la durée validée à 30 ans, elle est inférieure de 10 trimestres pour les générations 1974 par rapport à la génération 1950. La génération 1974 a validé 30 trimestres à 30 ans. Si on lui applique les préconisations du rapport de la Commission pour l’avenir des retraites présidée par Yannick Moreau de juin 2013, avec une durée de 44 ans ou 176 trimestres, il resterait à valider pour cette génération 146 trimestres, soit 36,5 ans. Autrement dit, en supposant que l’on puisse travailler jusqu’à cet âge, pas de retraite convenable avant 66,5 ans. En réalité, la cessation d’activité interviendra probablement bien avant cet âge. Ainsi pour les libéraux ce qui importe, c’est de pouvoir abaisser les pensions et pas de faire travailler réellement les gens plus longtemps.

La question de la démographie

Les dogmes de la pensée unique assènent depuis des années qu’il y aurait une situation insoutenable au niveau démographique. Pourtant en France, le taux de fécondité s’élevait à 2,1 par femme. Il est vrai néanmoins que les réformes contre les familles l’ont ramené à 1,87 enfant par femme. Cependant l’augmentation du nombre de retraité-e-s restait encore compensée par l’arrivée d’actives et d’actifs sur le marché du travail. Il n’y a donc pas de catastrophe démographique en prévision.

Emploi et salaires au cœur du débat sur les retraites

On ne peut sérieusement aborder le dossier retraite sans affronter les questions de l’emploi et des salaires. Or, pour faire une bonne retraite, il faut un emploi convenablement rémunéré (et de bonnes conditions de travail).

Pour une part, les difficultés actuelles des régimes de retraite tiennent au déficit d’emploi des personnes en âge de travailler et à la baisse relative des salaires. La crise a amplifié ce constat. Ainsi, l’activité est concentrée entre les âges de 30 et 50 ans. Avant, il est de plus en plus difficile d’accéder à un premier emploi, qui plus est un emploi stable. Après, on est considéré comme moins productif et trop cher. Il est urgent de s’attaquer à cette réalité, et pas seulement pour financer les régimes de retraite. Or ces deux fléaux : la hausse du chômage et de la précarité, concernent plus de cinq millions de personnes. Une lutte véritable contre ces fléaux permettrait aux salariés de se constituer de meilleurs droits, tandis que les régimes de retraite verraient leurs ressources augmenter.

Une inégalité salariale considérable entre les hommes et les femmes

Les écarts de pensions sont énormes entre les femmes et les hommes. Pour une part, cela tient à des carrières en moyenne plus courtes pour les femmes. Mais cela tient surtout aux inégalités de salaires (et de carrières). La Cnav (Caisse nationale d’assurance vieillesse) a chiffré les conséquences pour ses comptes de l’atteinte de l’objectif d’égalité. La Cnav a pris pour hypothèse que l’égalité serait atteinte, de manière progressive, en 2 023. Dans ce cadre, l’incidence est plus que significative. Dès 2015, le solde (entre cotisations supplémentaires et meilleures retraites pour les femmes) s’élèverait à cinq milliards d’€ chaque année pour passer à dix milliards d’€ dès 2020, soit la moitié du déficit annoncé pour cette même année pour l’ensemble du système de retraite. Cela ne peut que nous conforter dans la lutte pour l’égalité salariale. C’est un combat incontournable et essentiel pour aller vers la suppression des inégalités de pension entre les femmes et les hommes.

La question du travail et des conditions de travail est centrale. Pour une bonne retraite, en bonne santé, il faut œuvrer à leur amélioration. De ce point de vue, la tendance actuelle à la dégradation doit devenir une préoccupation majeure.

Avec le chômage et la précarité, elle montre à quel point le travail est aujourd’hui maltraité. C’est une calamité pour la retraite, et pas simplement d’un point de vue comptable. Il convient d’investir en grand la question du travail. Cela porte l’exigence d’interpeller les salariés sur leur travail, son sens, ses finalités, sa reconnaissance, les conditions dans lesquelles il s’accomplit. Les salariés aspirent à faire du bon travail, utile à la collectivité, à s’y épanouir. C’est sur cette base qu’il est impératif de redynamiser les luttes et le mouvement social. Ce serait une manière efficace de préparer de meilleures retraites pour demain, car pour connaître une bonne retraite, il faut être bien dans son travail. Développer la prévention, améliorer les conditions de travail afin d’arriver à la retraite en bonne santé.

Reconnaissance de la pénibilité, une exigence immédiate. Des dizaines de milliers de salariés qui ont aujourd’hui passé la cinquantaine doivent impérativement bénéficier d’un départ anticipé. Ce que proposent les rapports officiels ne répond en rien au problème. Pour notre part nous défendons des dispositions qui permettent réellement aux salariés concernés de partir en retraite avant de connaître une dégradation de leur santé, dès 55 ans, à taux plein. Ce qui exigera évidemment un financement solidaire et efficace.

Les choix effectués en matière de retraite sont l’expression d’une vision de la société et de la civilisation. Malheureusement, les réformes des retraites de Hollande à Macron reprennent l’antienne des réformes antérieures qui ont tendu à dévaloriser ce temps de vie hors emploi. Celui-ci est considéré comme un coût, la « réforme » en cours cherche à en réduire le montant en allongeant la durée de cotisation et à en transférer la charge sur les ménages. C’est évidemment à l’opposé d’une réforme progressiste que nous proposons et qui implique une rupture avec les réformes libérales.

La retraite : un enjeu de civilisation majeur

Les personnes âgées sont-elles une charge, une source de profits, ou des citoyens à part entière ayant toute leur place dans notre société pour vivre dignement leur retraite dans de bonnes conditions, après une vie de travail ? L’appauvrissement des retraités ne peut qu’entraîner un nouveau recul social.

Le mouvement social avait réussi à imposer le concept de régime par répartition. Même à droite depuis la crise financière de 2008, la capitalisation n’est pas « vendable ». Nous voulons promouvoir ce concept de régime par répartition.

Pour autant, la répartition ne suffit pas. Il convient de préciser : le système mis en place à partir de 1946 c’est de la répartition à prestation définie, c’est-à-dire que le niveau de la pension est établi au départ en retraite et n’est pas une variable d’ajustement ; ce sont les cotisations qui évoluent si nécessaire.

Il existe des systèmes par répartition à cotisation définie, comme les comptes notionnels à la suédoise. Dans ce cas-là, le niveau des cotisations est bloqué, ce sont les niveaux des pensions qui sont une variable d’ajustement à la baisse. Cela est, de plus, utilisé par le monde financier pour promouvoir des compléments assuranciels de retraites ‒ ce qui est une nouvelle source de profit pour les assurances et les banques.

Il est donc déterminant de réaffirmer notre défense de la retraite par répartition à prestation définie. La bataille des idées est encore à mener.

Le gouvernement Hollande avait d’abord assuré maintenir l’âge ouvrant droit au départ en retraite à 62 ans, ce qui signifiait l’abandon de la référence à 60 ans alors qu’elle était le repère de toute la gauche. Puis il a présenté la poursuite de l’allongement de la durée de cotisation comme indispensable. Or, cet allongement de durée de cotisation se traduit obligatoirement par un recul de l’âge réel de départ en retraite. En effet, l’augmentation de la durée de cotisation signifie le recul de l’âge limite de départ en retraite mais aussi et surtout le recul de la limite de calcul de la décote inventée par la réforme de 2003. Cela amène donc, en prétendant maintenir un âge ouvrant droit au départ, à diminuer le montant de la pension possible à cet âge. En conséquence, c’est la personne qui demanderait à partir qui déciderait « d’elle-même » de retarder son départ pour diminuer la décote. Il est donc urgent de remettre en cause les « réformes » menées depuis 1993 et d’imposer le départ à 60 ans à taux plein. Il faut impérativement une rupture avec les réformes libérales.

Une véritable réforme de progrès et d’efficacité économique et sociale est indispensable.

Le départ à 60 ans à taux plein reste une idée d’avenir. Cette belle idée de la retraite solidaire inventée par Ambroise Croizat et actualisée par le mouvement social est plus que jamais d’avenir. Il faut en dégager les moyens.

Face à la mise en cause d’un financement efficace et solidaire des retraites. Quelles alternatives ?

On assiste à une course acharnée à la réduction des déficits publics. Elle s’incarne principalement et de façon accélérée aujourd’hui avec les politiques d’austérité, dans une réduction massive de la dépense publique. C’est ainsi que dans la Fonction publique, d’État ou des collectivités territoriales ou hospitalière, des coupes claires sont intervenues ou programmées dans leurs effectifs et leurs crédits de fonctionnement, hier au nom de la RGPP, aujourd’hui celui de la MAP (Modernisation de l’action publique). C’est aussi vers les dépenses des collectivités territoriales et donc vers la Fonction publique territoriale que les feux de l’austérité se sont tournés. Comme cela ne suffira encore pas sauf à faire disparaître tout le maillage administratif et l’ensemble des outils d’évaluation et de maîtrise de la politique nationale, l’heure est maintenant à s’attaquer au noyau dur que représente le financement de la protection sociale. Il s’agit d’une part de changer la nature du financement de la protection sociale en en basculant une partie, par le biais d’une fiscalisation des recettes, dans le budget de l’État. De l’autre un processus de captation du financement populaire (part salariale) est à l’œuvre qui se matérialise de deux manières par une baisse des prestations offertes ; par une augmentation des prélèvements sur les salariés.

L’objectif de ces thèses libérales est de regonfler les recettes budgétaires de l’État en prétendant donner à la France les moyens de se mettre en situation d’afficher une réduction tangible de son déficit public et de s’inscrire ainsi dans le dogme maastrichtien du déficit zéro à l’horizon 2017. C’est aussi fournir à l’État un pouvoir de contrôle supplémentaire sur les dépenses sociales et donc leur limitation.

Enfin, il s’agit de poursuivre et d’accroître le désengagement social des entreprises françaises avec le secret espoir de ramener leur taux de prélèvements au niveau de celui des entreprises allemandes. Sauf que, s’agissant du volet retraite par exemple, celui-ci relève en Allemagne plus largement d’assurances privées complémentaires, ce qui rend viciée toute comparaison globale entre le taux de prélèvements des entreprises françaises et des entreprises allemandes. Naturellement, ce que les entreprises ne financent pas, ce sont les citoyens qui se le payent au plus grand bonheur des fonds de pensions et autres compagnies d’assurances.

Pour un financement solidaire et efficace des retraites

Les réformes libérales contre nos retraites continuent de montrer leur dangerosité. Des propositions alternatives radicales et crédibles sont indispensables pour une autre réforme des retraites.

La réforme Hollande de 2013 et plus encore la réforme Macron de 2019, visent à relever l’âge effectif de départ en retraite et la durée de cotisation, à réduire les pensions et leur financement solidaire. On assiste ainsi à la reprise du dogme selon lequel, puisqu’on vit plus longtemps, il faudrait travailler plus longtemps, et l’on s’appuie sur l’idéologie réactionnaire selon laquelle les retraites seraient une charge trop lourde pour l’économie et pour la société ce qui exigerait des réformes et des efforts.

Pour notre part, nous voulons montrer que les retraites constituent au contraire une chance, qu’une réforme alternative est possible, à la condition de mettre au cœur de nos propositions la bataille pour son financement. On peut financer les retraites de demain, c’est un véritable enjeu de civilisation. Articulées à une politique familiale moderne ainsi qu’à un financement nouveau lié à la promotion de l’emploi et des salaires, elles contribueraient à une issue de progrès à la crise systémique.

Répondre aux enjeux du financement d’une réforme de progrès social des retraites

La part des 60 ans et plus dans la population augmente, certes, mais on est très loin de la catastrophe démographique annoncée. En outre l’accroissement de l’espérance de vie en bonne santé permettrait de réaliser la conquête sociale que représenterait une retraite « active ». Les retraités peuvent grâce à l’augmentation de la longévité participer à des activités sociales utiles et créatrices (formation, vie associative et culturelle).

En outre, loin de constituer seulement une charge, les retraites jouent un rôle économique majeur ; ainsi elles permettent le remplacement et le renouvellement de la force de travail.

Des moyens de financement nouveaux sont indispensables afin de répondre aux besoins sociaux qui montent. Ainsi il faut se donner les moyens de sortir des inégalités sociales face à la retraite : 7 ans d’écart d’espérance de vie entre les ouvriers et les cadres supérieurs.

Elles sont plus élevées encore pour l’espérance de vie en bonne santé. Elles doivent être combattues en agissant notamment sur les causes de la mortalité prématurée des hommes ouvriers.

Il s’agirait aussi de lutter contre les inégalités en matière de pensions et revaloriser en priorité les plus basses, qui concernent particulièrement les femmes dont les pensions sont inférieures de près de 40 % à celles des hommes.

En outre, il est indispensable de financer de façon solidaire le risque dépendance, et de créer un nouveau service public de l’autonomie.

Il est impératif de rompre avec la régression du pouvoir d’achat des retraites. Les retraités sont loin d’être des « nantis », et l’on voit resurgir l’importance des retraités pauvres.

Il faut au contraire établir un plancher à 75 % du revenu net d’activité pour une carrière complète, avancer l’âge de la retraite, notamment pour ceux qui ont commencé à travailler tôt ou exercent des métiers pénibles.

Notre projet pour les retraites doit s’inscrire dans la sécurisation et le développement de l’emploi et de la formation. Cela tendrait à sécuriser les cotisations. En outre, cela s’accompagnerait d’une prise en charge par des cotisations des années d’interruption de la carrière (chômage, retrait d’activité des femmes) ou d’insertion. Il s’agirait notamment d’instaurer une allocation-autonomie-formation pour les jeunes et la prise en charge de leurs années d’études comme période cotisée.

Le taux d’activité et d’emploi des « seniors » doit également être accru : il faut rompre avec l’éviction des travailleurs vieillissants : 2/3 des salariés sont en effet sortis du monde du travail dès 55 ans (retraite anticipée forcée, chômage, RSA…). Cela entraîne une décote de leur future pension, mais aussi des cotisations en moins pour le système de retraite et des prestations chômage supplémentaires, un phénomène aggravé par le report de l’âge de la retraite.

Un nouveau financement de la retraite par répartition : outil majeur de l’alternative à construire contre la réforme Macron et pour une réforme de progrès des retraites

Il faut garantir le financement de la retraite par répartition. Celle-ci repose sur la solidarité intergénérationnelle, les cotisations d’aujourd’hui sont immédiatement versées aux retraités actuels. Elles alimentent la consommation, la croissance et l’emploi, alors que la capitalisation repose sur l’épargne individuelle et les placements financiers, au détriment des retraites, de l’emploi et d’un nouveau type de croissance réelle.

Cela exige d’oser rompre avec les dogmes libéraux qui présentent les cotisations sociales comme un boulet handicapant l’emploi, en prétendant que cela élève de façon excessive le coût du travail et s’oppose à la compétitivité des entreprises. Au contraire les cotisations sociales favorisent la demande : en effet en finançant des prestations sociales nouvelles, elles contribuent à élargir les débouchés des entreprises, elles anticipent une croissance nouvelle et durable, à l’opposé de la logique d’austérité. Les salariés cotisent en fonction de leur capacité contributive et reçoivent des prestations sociales en fonction de leurs besoins.

Nous sommes opposés à la fiscalisation des retraites et au transfert du financement sur les ménages. Ils visent la réduction des cotisations sociales, notamment patronales, et une pression à la baisse sur les salaires et sur les retraites. Cette fiscalisation compromet la gestion paritaire de la Sécurité sociale. La CSG, loin d’être plus juste que les cotisations, ne repose que sur les ménages (et pour 88 % sur les salariés et les retraités tandis que les revenus financiers ne contribuent que pour 11 %).

De nouveaux moyens de financement pour garantir l’avenir des retraites

Emploi, salaires, nouveau type de croissance et de gestion des entreprises au cœur d’une dynamique nouvelle du financement des retraites :

  1. 100 000 chômeurs en moins cela représente plus de 2 Mds € de cotisations sociales nouvelles pour la Sécurité sociale, soit environ 0,8 Md € pour les retraites. D’où l’urgence de la construction d’un nouveau système visant à sécuriser et à développer l’emploi et la formation.
  2. 1 % de masse salariale en plus cela représente 2,5 Mds € de cotisations sociales nouvelles pour la Sécurité sociale soit près de 1 Md € pour les retraites. D’où l’urgence des luttes pour relever les salaires dans la valeur ajoutée.
  3. 1 point de croissance du PIB représente 2,5 milliards de ressources supplémentaires pour la Sécurité sociale dont près de 1 milliard pour les retraites.

Les cotisations sociales constituent un principe moderne et efficace à promouvoir.

Nous proposons la suppression des exonérations de cotisations patronales, notamment sur les bas salaires (30 milliards par an) qui ne créent pas d’emplois et tirent tous les salaires vers le bas, ce qui prive la Sécurité sociale de ressources. D’autant que c’est le budget de l’État qui doit compenser le manque à gagner. Nous proposons de réorienter les aides publiques pour l’emploi vers de nouveaux Fonds régionaux et nationaux pour l’emploi et la formation, ce qui exigerait aussi une nouvelle politique du crédit, notamment pour les PME-PMI.

Nous voulons dégager de nouveaux financements pour garantir l’avenir de nos retraites en créant une dynamique nouvelle branchée sur le développement des cotisations sociales appuyé sur l’accroissement de l’emploi et des salaires.

Quatre pistes de propositions alternatives de financement

  1. Il faut rompre avec la pression idéologique autour du « coût » du travail. Il convient de rappeler que les entreprises françaises paient deux fois plus de frais financiers, par an, que de cotisations sociales patronales. D’où nos propositions pour la sécurisation de l’emploi et de la formation, pour de nouveaux pouvoirs des salariés sur les gestions des entreprises, pour un pôle financier public et un crédit sélectif pour l’emploi et la formation.
  2. La modulation des cotisations sociales patronales en fonction de la politique salariale, d’emploi et de formation des entreprises permettrait de renforcer l’articulation entre le financement des retraites et l’entreprise. Cela viserait à porter le développement des cotisations sociales en s’opposant à la financiarisation et à la fiscalisation.
  3. La suppression des exonérations de cotisations sociales patronales. Inventées pour prétendre créer des emplois, elles sont inefficaces et coûteuses (290 Mds € en vingt ans).
  4. Une cotisation sociale additionnelle sur les revenus financiers des entreprises. En leur appliquant les taux actuels de cotisations patronales sur les retraites, on pourrait prélever chaque année 30Mds € pour notre système de retraite solidaire.

Accroître le taux et la masse des cotisations sociales notamment patronales en réformant l’assiette des cotisations patronales

Cet accroissement pourrait s’appuyer sur une modulation du taux des cotisations patronales en fonction de la politique d’emploi et de salaires des entreprises. Ainsi les entreprises qui licencient et réduisent la part des salaires dans la valeur ajoutée pour fuir dans la croissance financière seraient assujetties à un taux de cotisation beaucoup plus lourd.

L’objectif est d’encourager au développement des emplois, des salaires, de la formation et au contraire de lutter contre la montée des placements financiers. Il s’agirait donc de tenir compte du rapport entre les salaires et la valeur ajoutée, avec l’objectif de relever ce rapport afin de dégager de nouvelles rentrées de cotisations sociales.

Nous proposons de créer une nouvelle cotisation sur les revenus financiers des entreprises et des institutions financières. Ceux-ci s’élèvent à près de 300 Mds € en 2018 et échappent largement aux prélèvements sociaux. Nous proposons donc de les soumettre au taux global de la cotisation patronale sur les salaires, 10 % pour les retraites, ce qui apporterait près de 30 Mds € au système de retraites, cela contribuerait à la croissance réelle, contre la financiarisation