Budget 2020 : Des choix toujours au service du capital !

Le projet de loi de finances pour 2020 s’inscrit pleinement dans la logique néolibérale poursuivie par E. Macron. La colère sociale et une conjoncture qui se retourne n’auront jusqu’alors pas suffi à lui faire changer de cap. D’ailleurs, de ce point de vue, les choses sont claires. Dès l’introduction de la présentation du PLF 2020, il est expressément précisé que : « l’acte 2 de la politique budgétaire du gouvernement succède ainsi à l’acte 1 sans rupture — la baisse des dépenses, la baisse des impôts et la baisse des déficits restent nos ancres – ». Ces propos ne peuvent être plus limpides et les intentions gouvernementales mieux affichées. En gros, citoyens, préparez-vous à continuer de souffrir !

Une conjoncture appréhendée sous un angle particulièrement optimiste

Pour présenter son projet de loi de finances, le gouvernement a délibérément choisi le côté optimiste. Il table sur un taux de croissance de 1,4 % en 2019 et de 1,3 % en 2020. Rappelons que sur l’année 2019, la croissance a été de 0,3 % au premier comme au second trimestre. Avec de tels résultats attendus, la France verrait sa croissance beaucoup mieux résister qu’en Allemagne et en Italie par exemple, ce que ne manque pas de souligner le gouvernement qui n’en est pas à une contradiction près. Tandis que la plupart des observateurs attribuent cette résistance à la structure d’amortisseur social qui existe encore dans notre pays, lui y voit le résultat de son soutien au capital, finalement de son œuvre de casse des services publics et de la protection sociale.

L’autosatisfaction qu’il affiche quant à la baisse de 20 Mds€ du déficit entre 2019 et 2020 et à la chute du montant des prélèvements obligatoires de 40 Mds€ entre 2017 et 2022 (1) confirme cette conception. Par ailleurs, l’objectif de dépenses totales de l’état (ODETE) sera particulièrement contenu avec une augmentation de 3,3 Mds à structure constante en PLF 2020 par rapport au PLF 2019. Pour la « Macronie », le cercle vertueux, c’est « moins de dépenses publiques, moins d’impôts, moins de déficit », en fait la traduction parfaite des thèses néolibérales de libéralisation du marché, de dérégulation, qui se traduisent par une augmentation du coût du capital engendrant d’énormes gâchis financiers, au détriment des dépenses de développement social et humain (services publics, emploi, formation, protection sociale) et environnemental (gaspillage des richesses naturelles – eau, matières premières, énergie –, des biens de production et de consommation).

Tout juste le gouvernement pointe-t-il le risque d’incertitudes au niveau mondial qui viendraient contrarier son bel optimisme. Mais c’est pour mieux fuir ses responsabilités. Et surtout, pour éviter de se poser la question d’une autre politique budgétaire soutenant la dépense publique pour développer une vraie réponse aux besoins sociaux et environnementaux et ainsi non seulement se préparer à faire efficacement face aux conséquences d’un prochain épisode majeur de crise systémique, mais pour commencer à le conjurer en choisissant dès maintenant de s’attaquer à la toute-puissance des marchés financiers.

L’art de déshabiller Pierre pour habiller Paul !

C’est dans cette épure qu’il faut apprécier les principales propositions du PLF 2020. Ainsi les baisses d’impôts programmées – 5 milliards au titre de l’impôt sur le revenu et disparition de la taxe d’habitation sur les résidences principales pour 80 % des redevables, ceux au revenu fiscal de référence inférieur ou égal à 27 432 euros pour une part – n’auront qu’un effet limité particulièrement pour les ménages qui jusque-là étaient non imposables. Il ne faut en effet pas oublier que 50 % des citoyens ne paient pas d’Impôt sur le revenu comme de Taxe d’habitation d’ailleurs du fait de leur situation économique et de leurs revenus trop faibles ! En revanche, les APL ne seront revalorisées que de 0,3 % alors que l’inflation prévue est de 1,2 % en 2020 et que leur mode de calcul sera revu. La base de calcul des APL ne sera plus les revenus de l’avant-dernière année, mais ceux des 12 derniers mois glissants, avec une révision du montant des aides tous les trois mois. S’ajoute à ce tableau la réforme de l’UNEDIC qui devrait faire baisser de 4,5 Mds€ le montant des allocations servies d’ici 2022, notamment du fait d’un dispositif particulièrement contraignant pour les cadres, et de la disparition de plus de 210 000 inscrits.

Sur le fond, cette baisse des prélèvements fiscaux a de sérieux effets pervers. Elle n’est rendue possible que par une pression correspondante sur la dépense publique qui devrait passer de 53,8 % du PIB en 2019 à 53,4 % en 2020. Et qui dit pression sur la dépense publique dit des services publics en moins, donc un accès de plus en plus limité et difficile pour les couches basses et moyennes salariées à des services essentiels, voire vitaux comme la santé, la formation, le logement.

Allègements maintenus pour les entreprises et les plus fortunés

Les choix d’allégements en faveur des entreprises et des plus aisés sont confirmés. D’une part la suppression de l’ISF(2) et l’instauration du prélèvement forfaitaire unique (PFU) (3) sur les revenus de dividendes au taux unique de 30 % (17,5 % au titre des prélèvement sociaux et 12,5 % au titre de l’impôt sur le revenu) sont validés, ce qui représente un manque à gagner de 5 Mds€. à propos de ces deux mesures qui devaient normalement favoriser l’investissement dans l’appareil productif, les premières observations formulées dans le rapport du comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital mis en place à cette occasion, même si elles ne peuvent encore s’appuyer sur des éléments fiables et précis permettant une analyse rigoureuse, ne donnent pas clairement à voir que l’objectif serait atteint.

D’autre part la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés à 25 % est réaffirmée bien que quelque peu ralentie dans le temps pour les plus grosses d’entre elles. En 2020, l’allègement d’impôt sur les sociétés représentera 1 Md€. S’ajoute à cela la possibilité donnée aux collectivités territoriales d’exonérer certains commerçants ou artisans de taxe foncière sur les propriétés bâties, de cotisation foncière des entreprises (CFE) ou de cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE). Même si les difficultés de certains commerçants ou artisans existent et peuvent justifier un tel dispositif, il convient d’être attentif à cette décision qui pourrait bien anticiper sur le fond et à court terme la mise en cause de la CFE et de la CVAE qui avaient remplacé la taxe professionnelle. On sait en effet les aigreurs que ces deux prélèvements causent au Medef. En tout cas, après le CICE, avec le projet de réforme des retraites qui consiste à extraire les entreprises du financement de la protection sociale, ce projet de budget confirme la poursuite d’un soutien de tous les instants aux profits et au capital, sous couvert d’une politique dite de l’offre.

Rationnement de la dépense publique sanctuarisé

Voilà pourquoi est affichée la volonté de maîtriser les dépenses sociales, particulièrement les dépenses d’assurances maladie. L’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) est en effet limité à 2,3 % en baisse par rapport à 2019 (2,5 %) alors qu’il faudrait pour maintenir l’existant en répondant à l’urgence de la désertification médicale actuelle, que l’ONDAM soit fixé au moins à 4,4 %.

C’est exactement la même logique qui anime l’attribution des concours de l’état aux collectivités territoriales. Dans sa globalité, la somme affectée à cet effet sera de 40,9 Mds€, c’est-à-dire sans changement par rapport à 2019. Ce qui signifie une baisse, compte-tenu notamment de l’inflation. Rappelons que la Dotation Globale de fonctionnement est déjà passée de 41 Mds€ à 26 Mds€ entre 2011 et 2018 et que l’objectif de Macron est de réduire encore de 13 Mds cette dotation sur la durée de son quinquennat. C’est d’ailleurs cela l’objectif principal de la « logique partenariale avec les collectivités territoriales ». S’ajoute à cette situation la suppression de la Taxe d’habitation qui se traduira par une perte conséquente de l’autonomie fiscale des communes ne pouvant plus compter que sur un seul impôt : la taxe foncière dont la part départementale leur sera transférée. Un moyen comme un autre de spécialiser la fiscalité locale. Un moyen de plus pour aggraver les difficultés de gestion des communes. Elles seront placées sous la pression des propriétaires qui risquent de voir augmenter leur impôt foncier. Mais elles seront également soumises de plus en plus aux banques et aux marchés vers lesquels elles devront se tourner si elles veulent continuer à investir malgré un manque de recettes inévitable. Deux remarques pour clore momentanément ce sujet :

  • Se construit une inégalité de traitement entre les communes à forte implantation de résidences secondaires et les autres. Les premières pourront en effet continuer à percevoir de la TH et donc à décider es taux de cet impôt alors que les autres en seront privées. Bravo l’égalité de traitement des territoires !
  • Les départements qui se verront dépossédés des recettes de taxe foncière perdront la possibilité de voter des taux pour cet impôt. Ce qui revient à les placer directement sous perfusion de l’état et va dans le sens de leur disparition prochaine. Une orientation qui est d’ailleurs depuis longtemps dans les tuyaux.

C’est encore et toujours au motif de la réduction de la dépense publique que les emplois publics sont dans le collimateur. Certes le mouvement de gilets jaunes, comme en matière de pouvoir d’achat d’ailleurs, a limité temporairement les ambitions dévastatrices du pouvoir, mais là encore le cap est maintenu. Le ministère de l’Intérieur, ceux de la Justice et de l’Armée sortent grands vainqueurs de l’opération de dépeçage des autres ministères. En fait il y a une vraie priorité donnée à tout ce qui touche au « sécuritaire » au détriment du reste. La direction générale des finances publiques perdra 5800 emplois jusqu’en 2022 (1653 en 2020). Des centaines de services de proximité (centre des impôts, trésoreries) situés en zone rurale ou dans des petites villes vont disparaître. Et le gouvernement n’hésite pas à écrire dans son PLF que : « la présence territoriale de la direction générale des finances publiques sera renforcée ». De qui se moque-t-on ? Mais il est vrai que les maisons de services au public vont fleurir, ce sera dans le bureau de tabac, le bistrot ou la poste du coin ! Une évolution digne des pays en voie de développement ! Une honte pour un pays comme la France ! Et les suppressions d’emplois touchent aussi directement le ministère des Finances (-282) ainsi que très largement celui de laTransitionécologique(-797emplois)cequiest un comble pour un gouvernement qui dit vouloir mettre les moyens pour assurer la transition écologique et lutter ainsi efficacement contre le réchauffement climatique. Un choix qui est visiblement de la même veine que la suppression du crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) transformée en prime pour travaux, attribuée aux plus modestes.

Est également prévu l’engagement d’un processus de réduction des allégements de TICPE pratiqués pour les « carburants sous condition d’emploi ». C’est ce type de disposition qui avait mis le feu aux poudres et lancé le mouvement des gilets jaunes.

Quant à l’emploi, enjeu central s’il en est un, d’une politique budgétaire de relance de la croissance, on notera que Pôle emploi se verra renforcé de 1000 emplois équivalents temps plein, mais pour mettre en œuvre le plan pauvreté et la réforme de l’assurance chômage. Rien n’est envisagé pour un effort consistant en matière d’offres d’emplois en lien avec les services de la formation professionnelle pour qualifier les salariés, les demandeurs d’emplois et leur permettre ainsi d’accéder à un véritable travail bien rémunéré. En fait, se met en place un mode de gestion de la misère, parce qu’on ne peut pas faire autrement, ne pas le faire serait trop visible…

S’agissant de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, si aucune suppression d’emplois n’est prévue en 2020 (en 2019 -1800), aucune création n’est proposée et les moyens de fonctionnement suivront la tendance globale au rationnement de la dépense publique.

Enfin une mention spéciale à deux questions qui ne sont qu’à peine évoquées dans le PLF 2020. D’une part, la poursuite des privatisations, avec notamment d’ici la fin de l’année la cession de la Française des Jeux pour 1 Md€ au privé. Un choix qui privera ensuite l’état de 90 millions de recettes annuelles (dividendes versés chaque année par la FDJ) et de la maîtrise d’un secteur particulièrement sujet au développement de pratiques frauduleuses et douteuses. De l’autre, même si on peut en découvrir la trace au détour de quelques alignements de chiffres, quid de l’utilisation du montant correspondant à l’allégement de la charge d’intérêts de la dette qui pourrait représenter un montant de 8 Mds€ au titre de 2019 et 2020 ? Une situation qui découle de la pratique des taux négatifs qui traduisent en réalité des tendances déflationnistes persistantes ne contribuant au final qu’à ouvrir les vannes aux opérations spéculatives et à la voracité des marchés financiers. Car sans critères précis d’efficacité sociale et environnementale, la pratique des taux d’intérêts négatifs ne fait que nourrir la dérive financière de l’économie. Et donc plutôt que de se saisir de cette aubaine pour contenir la dépense, le gouvernement aurait été bien inspiré d’utiliser cette manne pour une réorientation productive de l’utilisation des finances publiques en faveur de l’emploi, des salaires et des services publics indispensables économiquement, socialement et écologiquement.

Une politique budgétaire enkystée dans les affres du néolibéralisme

Il convient de noter, sans revenir sur la présentation des principaux articles de ce projet de loi de finances, que le scénario fort optimiste de la prévision de croissance pour 2020 a une double fonction. Il s’agit d’abord de rassurer le chaland et ensuite de masquer la profondeur des difficultés actuelles alors que monte un risque extrêmement sérieux d’une nouvelle crise financière qui, à coup sûr, causera un ralentissement de l’activité et mettra à nouveau les finances publiques à rude épreuve à l’image de ce qui s’est passé en 2008. Choisir un autre angle d’attaque obligerait le gouvernement à s’engager sur une voie qu’il refuse, celle de prévenir les risques par des choix d’une toute autre nature que ceux auxquels il se range, accroché qu’il est aux objectifs de réduction du déficit public selon les dogmes soutenus par les traités européens. Un comble au moment où la majorité des économistes, y compris les plus orthodoxes d’entre eux, souligne l’anachronisme, voire l’incongruité qu’il y a à continuer de prôner le respect de traités, comme celui instaurant la limite des 3 %, voire des 0 % de déficit, alors que tout, dans le monde actuel et particulièrement la pratique des taux d’intérêts négatifs, pousse à une autre approche du traitement et de la gestion des déficits publics. La seule explication qu’ils y voient est que les politiques qui ont ratifié ces traités ne veulent pas se renier et ainsi avouer leur erreur à leur population, particulièrement vu les sacrifices endurés. Il y a un entêtement dangereux qui confine à la mise en danger d’autrui, ce qui malheureusement se vérifie un peu plus chaque jour ; que ce soit dans le domaine de la santé publique ou au niveau de la détérioration des conditions de travail pouvant pousser jusqu’à l’acte ultime.

Pire, alors qu’il faudrait soutenir un effort en faveur de la recherche-développement bien au-delà du CIR(4) dont l’inefficacité en la matière n’est plus à démontrer, pour enclencher un cycle de créations d’emplois qui reste bien en deçà de ce qu’il faudrait pour commencer vraiment à inverser la courbe du chômage, le gouvernement dirige les gains résultant des taux négatifs vers la réduction du déficit. Comme quoi le mal est profond !

Une attitude à relier à l’obsession des privatisations. Il s’agit là encore d’une posture totalement idéologique le conduisant à vendre les bijoux de famille et à se priver des recettes qu’ils procurent alors qu’il peut bénéficier, grâce aux taux négatifs, d’un financement à bas coût de son action publique. Une posture à mettre également en relation avec le choix de réduire les prélèvements obligatoires pour dégager du pouvoir d’achat. Ce choix qui confine à une sorte de crédit d’impôt permanent s’apparentant au final à de l’impôt négatif, est au final mortifère. Il conduit en effet à réduire la dépense et au final à diminuer l’offre de services publics par ailleurs si utiles au développement humain et à la préservation de la planète, deux questions intimement liées et motrices de l’élévation du niveau de civilisation.

On touche au final à la nature profonde du système capitaliste poussé à son paroxysme dans sa phase financière et mondialisée où le capital pour assurer sa régulation par le taux de profit a besoin à la fois de disposer gratuitement du plus d’argent public possible et de celui issu de la création de richesses, en même temps que de « marchandiser » tous les domaines de la vie. En somme les deux facettes d’une même pièce qui conduisent à la destruction des services publics et à faire de l’homme une ressource comme une autre.

Des changements urgents et radicaux s’imposent

L’heure est à une autre utilisation de l’argent des entreprises, de l’état et des banques pour soutenir une nouvelle croissance à partir d’un effort conséquent de dépenses pour le développement humain et le respect de la biodiversité. Une nouvelle politique du crédit et une réforme de la fiscalité des entreprises et du capital, élaborées à partir de critères précis d’efficacité sociale (emploi, formation, services publics) et environnementale (lutte contre les gaspillages et le réchauffement climatique, respect de l’environnement) sont des réponses d’une actualité brûlante pour promouvoir d’urgence une alternative de système vers une nouvelle civilisation de toutes et de tous. Le dépassement de la crise de système dans laquelle nous sommes englués depuis le début des années 1970 en dépend et avec lui la paix et un nouvel essor de toute l’humanité.

1. Inclus par convention les prélèvements au profit des collectivités territoriales (40,9 Mds€ en 2020) et de l’Union européenne (21,3 Mds€ en 2020).

2. Depuis 2018 une part de TVA est affectée aux régions et en 2019 une part de TVA a été affectée à la Sécurité sociale pour compenser la transformation du CICE en suppression de cotisations sociales… 

Références

Références
1 Sur ces 40 Mds € il y a 20 Mds € au titre de la sup- pression de la taxe d’habitation (2,5 de recettes resteraient sur les résidences secondaires).
2 Suppression de l’ISF (Impôt de solidarité sur la fortune) et transformation en IFI (Impôt sur le Fortune Immobilière) = -3,3 Mds€.
3 Coût du taux forfaitaire de 30 % sur les revenus du capital (PFU, Prélèvement Forfaitaire Unique, sorte de flat tax) = 1,7 Md€.
4 CIR : Crédit Impôt Recherche.