Financements publics locaux des collectivités locales, l’enjeu d’une profonde refondation

Les collectivités locales assument une part déterminante de la solidarité nationale via les services publics qu’elles mettent en œuvre sur leurs territoires. Elles sont, tout particulièrement les communes, un service public global à multiples facettes. De fait, les collectivités locales constituent un rempart contre les effets de la crise sociale et le recul de la démocratie engendrés par les politiques d’austérité et la résignation publique à la domination des marchés financiers. Elles sont un facteur décisif pour l’emploi et la croissance économique, et pour la réponse aux besoins sociaux des populations. C’est pourquoi, face aux logiques d’abandon de pans entiers de la fiscalité locale, face à un recours au crédit bancaire rendu de plus en plus difficile d’accès, il leur faut retrouver une véritable marge de manœuvre budgétaire.

Dans un contexte de grande confusion entretenue par un empilage de réformes touchant autant à l’organisation administrative territoriale qu’aux modes de financement de ses diverses strates, il convient de préciser d’où proviennent les recettes des collectivités locales. Dans les faits,
elles ont quatre sources :
– Les dotations d’état, essentiellement la dotation globale de fonctionnement (DGF) mais aussi le fonds de compensation de TVA (FCTVA) ainsi que les subventions de l’état et d’autres organismes publics (Europe, région…).
– Les impôts locaux, qu’ils soient directs comme la taxe d’habitation (TH) et la taxe foncière (TF) ou indirects comme les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), mais aussi la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) et la contribution territoriale des entreprises (CTE) composée de la contribution foncière des entreprises (CFE) et de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).
– Le produit des domaines (ventes, locations de propriétés publiques locales).
– Le produit des emprunts auprès des banques de dépôt mais aussi auprès de la SFIL et de la BPI, voire de la Caisse des dépôts et consignation (CDC).

Ce papier se bornera à traiter les trois premières sources de financement, la quatrième est analysée par Denis Durand dans une contribution à ce numéro d’Économie & Politique.

Dotations de l’état et fiscalité locale : une nette tendance à la baisse aux lourdes conséquences pour les collectivités locales

Dotations ou concours de l’État, où en est-on ?

Il s’agit à l’approche des élections municipales de mars 2020 de dresser un état de la situation qui inclut de préciser la nature des dotations attribuées par l’état aux collectivités locales et d’analyser les évolutions à l’œuvre en ce domaine, au cours de ces dernières années.

Des dotations de compensation

Il s’agit par celles-ci de :
– Compenser des charges générales. C’est la DGF (dotation globale de fonctionnement) qui remplit cette fonction.
– Compenser des transferts de compétences. C’est le versement par l’état aux collectivités locales du montant des recettes qui était affecté aux dépenses occasionnées par les missions transférées.
– Compenser la perte d’un impôt local. Par exemple suite à la suppression de la taxe professionnelle (TP) et maintenant dans le cadre du processus de suppression de la taxe d’habitation (TH). Il s’agit aussi de compenser des allégements conjoncturels (suppression d’un impôt suite à des événements particuliers : un état de catastrophe naturelle, etc).
– Compenser la charge de la TVA supportée par les communes, particulièrement sur leurs investissements, et qu’elles n’ont pas le droit de récupérer.

Dotations de péréquation

Elles sont destinées à réduire les inégalités entre collectivités. Versées normalement aux collectivités les plus défavorisées ces dotations sont pour la plupart intégrées à la DGF. Pour les communes urbaines il s’agit de la dotation de solidarité urbaine (DSU) et pour les communes rurales de la dotation de solidarité rurale (DSR).

Dotations et subventions d’investissement

L’état attribue des subventions aux collectivités qui portent des projets d’investissement (dotation d’équipement, soutien à l’investissement…).

à l’observation de l’évolution de l’attribution de ces diverses dotations sur une période longue, et plus particulièrement depuis 2011 s’agissant de la DGF, on remarquera une pression financière de plus en plus vigoureuse et précise sur les collectivités locales. S’agissant des compensations des transferts de compétences deux phénomènes se conjuguent. D’une part la compensation budgétaire intervient au temps T du transfert. Aucun ajustement de ce montant n’est par la suite effectué, ne serait-ce que pour tenir compte de l’augmentation normale des coûts de gestion du simple fait de l’augmentation du coût de la vie. Aucune autre compensation n’est également effectuée lorsque pour exercer une mission transférée, la collectivité doit engager des dépenses de formation de son personnel, voire acquérir des matériels nouveaux ou créer des emplois. De l’autre, la compensation de la suppression d’impôts suit exactement la même logique à laquelle s’ajoute un calcul plutôt surprenant parfois du montant compensé. Jugezen ! La suppression de la taxe professionnelle a représenté une perte de recettes fiscales pour les collectivités locales de 8 Mds€. Et bien, au budget de l’état de 2019, le montant programmé de cette compensation n’est plus que de 2,9 Mds€.

S’agissant des subventions d’équipement et d’investissements, il est peu de dire que pour les communes, la constitution des dossiers
à fournir pour obtenir ces dernières relève souvent d’un parcours du combattant tant la procédure est compliquée. Obligées d’avoir recours à du personnel de plus en plus compétent pour gérer ces demandes, ce qui suppose des salaires à la hauteur, il leur est malgré tout de plus en plus difficile d’obtenir des subventions à la hauteur de leurs besoins de financement.

Quant à la DGF, l’évolution de son montant donne la pleine mesure des conceptions politiques nationale et européenne de la dépense publique et au cas d’espèce de la dépense des collectivités locales. C’est au cours du quinquennat Hollande qu’on a assisté, après leur gel quelques années auparavant, aux coupes les plus massives dans les concours de l’état. Ainsi, la DGF est passée entre 2011 et 2019 de 41 Mds€ à 26,94 Mds€. Sous la présidence Macron, la même logique perdure mais en appliquant une méthode plus insidieuse bien que tout aussi ravageuse puisqu’il est prévu entre 2017 et 2022 de faire baisser cette dotation de 13 Md € supplémentaires. Sous le doux nom de contractualisation, Macron a installé un levier incitatif relevant de la plus pure méthode néolibérale à partir du postulat suivant : d’une année sur l’autre, l’augmentation des dépenses de fonctionnement des collectivités locales ne peut être supérieure à 1,2 %. Le montant de tout dépassement constaté sera amputé sur celui des dotations d’état de l’année suivante. S’il était encore besoin de montrer à quel point était nocive la réforme de la LOLF initiée par L. Jospin, nous en avons ici une éclatante démonstration. N’est-ce pas la LOLF qui dispose en effet selon une règle au nom barbare de « fongibilité asymétrique des crédits » que les dépenses d’investissements peuvent être financées par celles de fonctionnement, le contraire étant par contre strictement interdit ? Et c’est d’ailleurs pour une part de la sorte que la chute des dépenses d’investissements constatée en 2017 a été enrayée au cours des années 2018 et 2019 ; le besoin d’investissements irrépressibles ayant d’autre part fait son œuvre.

Cependant personne ne s’est interrogé sur les coupes drastiques que les communes, en particulier, ont dû réaliser dans leurs dépenses de fonctionnement pour relancer leur investissement, mettant ainsi en danger de mort des pans entiers de service public communal, obligeant les familles à supporter des augmentations de tarifs des prestations proposées (restauration scolaire, fonctionnement des écoles mais aussi accès au sport et à la culture) et plombant de nombreuses associations. Quand on sait par ailleurs que sous le seul effet du glissement vieillesse technicité (GVT) la masse salariale augmente chaque année de 2 %, on imagine le nombre de suppressions d’emplois publics communaux qui ont dû être programmées. Aujourd’hui la DGF ne représente plus que 15,25 % des recettes de fonctionnement. Sur ce montant 7,7 Mds€ sont consacrés à la solidarité c’est-à-dire à l’aide en faveur des communes les plus défavorisées (DSU et DSR notamment), ce qu’on appelle la péréquation. Et il faut savoir que l’augmentation programmée de 180 millions d’euros de la solidarité se fera à solde nul pour le montant global de la DGF. C’est pour cette raison que, malgré un montant stable de DGF entre 2017 et 2019, 50 % des communes ont vu baisser leur dotation en 2019.

Une fiscalité locale soigneusement démembrée

Sans avoir la prétention d’être exhaustifs, nous observerons les principales évolutions intervenues dans le domaine de la fiscalité locale. Leur mise en perspective avec la gestion des dotations d’état permet aisément d’observer la volonté farouche de restructurer en profondeur par l’outil budgétaire et financier l’organisation administrative de l’état et sa déclinaison que représentent les collectivités locales. C’est un travail méthodique de casse mais toujours au prétexte de rendre de meilleurs services aux usagers, qui consiste en présentant comme une obligation absolue le respect des règles budgétaires européennes (3 % puis 1 %) des traités de Maastricht et de Lisbonne, à mettre les collectivités locales face à une équation insoluble. Prises en tenaille entre des moyens budgétaires de plus en plus faibles et une demande sociale et écologique croissante, les collectivités locales n’ont plus que deux choix. Soit, fusionner dans des structures de plus en plus concentrées et éloignées des citoyens et de leurs besoins, soit supprimer des emplois publics et abandonner des missions dont les plus juteuses seront reprises par le privé. En fait les deux facettes d’une même pièce dont l’objectif est de mettre le plus d’argent public possible à la disposition des grands groupes et des marchés financiers, et de proposer sur les territoires une organisation des services publics essentiellement tournée vers le soutien aux multinationales et au capital financier. Le tableau ne serait pas complet si on omettait de souligner que la volonté de pousser les collectivités locales à dégager de l’autofinancement, c’est-à-dire à dégager un solde positif en matière de dépenses de fonctionnement, participe du choix des décideurs nationaux d’amener ces dernières à se financer pour leurs dépenses d’investissements, directement sur les marchés financiers, et donc à recourir de moins en moins aux dotations d’état et à la fiscalité locale. Ainsi la boucle serait totalement bouclée.

C’est ce qui se travaille depuis de nombreuses années au travers des réformes successives et régressives de la fiscalité locale. Et cela a naturellement commencé par la fiscalité locale des entreprises. Ainsi c’est au cours des années Jospin que le premier coup sera porté. Il s’était alors agi de faire disparaître la base salaires du calcul de la taxe professionnelle. Ensuite, différentes modifications sont intervenues visant toutes à réduire la base imposable à la taxe professionnelle. Puis N. Sarkozy devait porter l’estocade à cet impôt s’y reprenant en deux fois. Tout d’abord en faisant disparaître la base équipements et biens mobiliers (EBM) puis en décidant d’en finir complètement avec cet impôt local, remplaçant ainsi la TP par la contribution territoriale des entreprises, soit au final un manque à gagner de 8 Mds€ pour les collectivités locales. Depuis 2017, E. Macron a décidé d’en finir avec la taxe d’habitation. Programmée sur plusieurs années jusqu’en 2023 la suppression de cet impôt local représente une amputation de recettes fiscales de 22 Mds€ pour les collectivités locales dont 15 Mds pour les communes et 7 Mds pour les EPCI. Pour compenser le manque à gagner pour les communes, le gouvernement propose de leur transférer les 14 Mds€ que perçoivent les départements au titre de la taxe foncière, soit -1 Md€. Les départements devraient recevoir en compensation une part de la TVA, un peu comme les régions, ce qui aura pour conséquence de mettre sous perfusion d’état l’essentiel des ressources budgétaires des départements. Une situation dont on peut s’inquiéter tant il est de notoriété publique que l’existence des départements est menacée. Au-delà de la suppression d’un impôt local il y a un enjeu d’organisation des territoires qu’assume pleinement E. Macron, tout comme ne s’en cachaient d’ailleurs pas ses récents prédécesseurs.

Au moment où la TH est en cours de disparition, de nombreuses voix, particulièrement au sein du Medef, s’élèvent pour mettre en cause la contribution foncière des entreprises (CFE). Il est clair que l’existence de cette contribution est d’autant plus fragilisée qu’elle est calculée exactement sur la même base que la taxe foncière. De là à invoquer un doublon… ! à préciser qu’au budget 2020, des mesures, symboliques certes pour l’instant, sont inscrites donnant la possibilité aux collectivités locales d’exonérer de CFE et de CVAE (contribution sur la valeur ajoutée) certains petits commerces ou certaines petites activités. Le gouvernement prépare par ailleurs une révision des bases locatives des immeubles d’habitation. Si ,comme cela est à craindre, cette révision se fait selon les mêmes critères que celle qui a été réalisée pour les locaux commerciaux, le pire est à envisager.

Une indispensable refonte des principes et des moyens de financement public des collectivités locales

Il y a fort à parier que le processus engagé de baisse des dotations d’état aux collectivités locales ne s’arrêtera pas au 31/12/2019. Même si le mouvement va ralentir jusqu’en mars 2020, élections municipales obligent, on peut s’interroger sur le contenu de l’acte de décentralisation version Macron. Déjà quelques indications donnent le ton. M. Macron veut en effet « changer le mode d’organisation de notre République » avec des « principes simples », notamment sur les « problématiques de la vie quotidienne : transition écologique, logement, transport » pour « garantir des décisions au plus près du terrain ». Au-delà, une réforme de la fiscalité locale est dans les cartons. Elle devait sortir mais là encore, élections municipales de 2020 et un climat social tendu semblent tempérer les ardeurs du locataire de l’élysée. à titre indicatif, il faut rappeler que depuis octobre 2018, le gouvernement a acté la création d’une « collectivité européenne d’Alsace » qui remplacera en 2021 les départements du HautRhin et du Bas-Rhin. « Il pourra y avoir une autonomie de décision à l’échelle des préfectures », explique-t-on du côté du ministère des Collectivités territoriales.

Par ailleurs, la création dans « chaque canton » de France Services, un « endroit où l’on puisse trouver une solution aux problèmes », interroge d’autant plus que « le chef de l’état a promis de supprimer les doublons. Il s’agira d’un lieu unique où se trouveront les services de l’état et ceux des collectivités, quels que soient les émetteurs ». En clair, il faut lire que ce sont des personnels des collectivités locales qui assureront les missions de fonctionnaires d’état, sans aucune formation et donc sans aucun moyen réel de répondre à l’attente des citoyens. Tous ces projets confirment la volonté présidentielle d’en finir avec notre organisation territoriale, avec à la clé le double objectif de casser la démocratie locale et de laminer les finances locales.

Raison de plus pour construire une alternative radicale et crédible qui s’appuie sur l’exigence fondamentale d’augmenter la dépense publique pour répondre aux besoins des populations, relever le défi écologique et en même temps désintoxiquer l’économie des gâchis et de la prédation des marchés financiers. C’est en ce sens que les propositions suivantes sont avancées. Elles s’attachent à établir une véritable solidarité nationale d’une part, par une révision du rôle, de l’attribution et du calcul des dotations de l’état, de l’autre par une réforme de la fiscalité locale, les deux ayant pour objectif d’assurer un financement courant permettant aux collecti- vités locales de se projeter sur des projets sociaux et environnementaux ambitieux.

Revoir l’application et le calcul des dotations aux collectivités locales

Par les propositions qui suivent, il s’agit d’une réforme des modes de calcul et d’attribution des dotations afin de maintenir une cohérence de financement et donc d’aménagement et de développement sur l’ensemble du territoire national, avec notamment l’objectif de combattre le projet fédéraliste européen. Il s’agit naturellement d’assurer un financement à la hauteur des besoins des populations dans les localités que la seule fiscalité locale, même réformée en profondeur, ne peut permettre d’atteindre, sauf à faire littéralement crouler les citoyens sous le poids des impôts locaux. Pour autant cela ne signifie pas qu’une réforme globale de la fiscalité locale soit un enjeu négligeable. Les propositions que nous avançons en ce domaine montrent combien l’existence d’une fiscalité locale est indissociable de la mise en application réelle du principe de libres décisions des collectivités locales et donc d’une décentralisation effective. Le pouvoir de lever l’impôt procure en effet une part d’autonomie fiscale inséparable d’une gestion démocratique et décentralisée en lien étroit avec les populations.

S’agissant de la réforme des dotations, il est proposé :
– D’exiger un moratoire suspensif immédiat du principe gouvernemental de contractualisation (état/collectivités locales) dont l’objectif est avant toute chose de faire encore baisser le montant de DGF versé par l’état aux collectivités locales. Il faut sortir de cette logique mortifère qui vise par tous les bouts à étrangler budgétairement les collectivités locales.
– Remettre à plat le calcul de la DGF et de la péréquation en prenant en compte la situation économique, sociale et financière réelle de chaque commune. Pour cela il s’agit de retenir le nombre d’habitants, le potentiel fiscal de chacun d’eux et tout ce qui caractérise la situation économique et sociale de la commune (chômage, précarité, nature des emplois, services proposés à la population), rôle et place de la commune sur chaque territoire (centralité, environnement, ruralité…).
– Suspendre tout nouveau transfert de compétences et cela à chaque niveau, depuis l’état mais aussi vers les agglomérations et métropoles. Pratiquer une analyse/ bilan complète des transferts de compétences existants tant officiels qu’officieux (par exemple sécurité et police). Il s’agit d’en apprécier l’efficacité et l’opportunité tant du point de vue des citoyens que des agents de service public local. Une fois cette évaluation pratiquée, il s’agira alors d’examiner et de définir le niveau administratif d’exercice de chacune d’elles avec le souci d’une mise en commun, certes pour réaliser des économies d’échelle lorsque cela est possible, mais aussi pour créer entre les territoires et entre collectivités des solidarités, des partages mutuellement avantageux, luttant contre la désertification, promouvant des espaces à dimension humaine et assurant une mixité d’activités (industrie, services, services publics, commerce, artisanat). C’est à partir de ce travail minutieux que devra ensuite être traitée la double question du montant des dotations et des outils de péréquation avec une réévaluation annuelle.
– Pour l’heure, afin de desserrer l’étau budgétaire qui enserre les collectivités locales, il convient de procéder à un doublement du taux que représente la DGF par rapport aux dépenses de fonctionnement des collectivités locales. Aujourd’hui de 15, 25 % il passerait à 30 % ce qui représenterait en montant une somme de 52 Mds€. à titre de comparaison, le montant de la DGF aux collectivités locales était de 41 Mds€ en 2010. L’état a pour mission d’assurer une égalité de développement de tous les territoires, y compris des plus déshérités, par la mise en œuvre d’une planification stratégique cohérente d’aménagement territorial. Et pour cela il y a besoin de son financement.

L’urgente nécessité d’une réforme de la fiscalité locale

Les collectivités locales assument une part déterminante de la solidarité nationale via les services publics qu’elles mettent en œuvre sur tout le territoire. Elles sont un facteur décisif de croissance économique et d’emploi, assurant plus de 71 % de l’investissement public en France. Elles constituent en cela des remparts contre la crise sociale et le recul de la démocratie engendrés par les politiques d’austérité et la résignation à la domination des marchés financiers. Les communes, structure de base des collectivités locales, garantissent par leur action quotidienne au plus près des populations une part importante de cette solidarité, ainsi qu’elles pourvoient largement au développement économique, même si aujourd’hui cette compétence leur échappe.

Face aux logiques d’abandon de pans entiers de la fiscalité locale (taxe professionnelle et maintenant taxe d’habitation), face à un recours au crédit rendu de plus en plus difficile par les taux proposés et les conditions d’endettement imposées, les collectivités locales, dont les communes, ont absolument besoin de nouvelles allocations de ressources pour répondre aux exigences populaires. C’est également la condition pour qu’elles retrouvent une vraie marge de manœuvre budgétaire. Et cela passe en partie par ce que nous appellerons le retour d’une réelle autonomie fiscale caractérisée par leur pouvoir de voter des dépenses mais aussi des recettes correspondantes, c’est-à-dire notamment, la capacité à voter les taux de fiscalité locale. Mais pour cela encore faut-il qu’il reste une fiscalité locale ! Une fiscalité locale qui puisse contribuer à faire de nos communes un lieu de résistance à l’offensive néolibérale et de construction d’un aménagement du territoire tourné vers la satisfaction des besoins sociaux et écologiques. Voilà pourquoi il s’agit de reconstruire une fiscalité locale au sein de laquelle la participation des entreprises retrouve une place autre que symbolique. Trois remarques préalables :
– Cette réforme nécessaire doit être partie prenante d’une refonte de l’ensemble des prélèvements fiscaux, avec pour enjeu un impôt qui serve non seulement à prendre en compte dans son calcul et son mode de prélèvement la répartition de la richesse et l’évaluation des capacités contributives de chacun, mais qui permette de produire de vrais effets sur l’économie comme sur l’ensemble de la société par son action sur l’utilisation de l’argent, particulièrement de celui des entreprises. C’est-à-dire en prenant comme critères d’efficacité des cycles de production, le développement humain et le respect de l’environnement.
– Les énormes gâchis capitalistes, matériels et financiers, auxquels nous assistons aujourd’hui sur les
territoires, la distanciation de plus en plus grande entre les entreprises, les localités et leur population doivent conduire à accorder une attention toute particulière à une revitalisation de la fiscalité locale des entreprises.
– Enfin une réforme de la fiscalité locale, afin de retrouver une vraie dimension locale, devrait reposer sur quatre principes fondamentaux :
• Le maintien de son caractère indiciaire : c’est-à-dire, un impôt établi d’après des indices extérieurs de richesse – valeur ou évaluation patrimoniale. Cela va à l’encontre de l’idée selon laquelle il faudrait intégrer dans le calcul de la base des impôts locaux une part du revenu des ménages. Cette proposition, qui se veut de bon sens, cherche, en réalité, à frayer un chemin à la mise en place d’un impôt local sur le revenu, sorte d’impôt par capitation. à terme, ce principe deviendrait le principal, voire l’unique, élément servant au calcul de l’impôt local des personnes. Il préparerait une mise en compétition exacerbée entre territoires à partir d’une autonomie renforcée des collectivités locales travaillant à la fois la disparition de la cohésion nationale entre territoires et finalement une évolution vers « l’Europe des grandes régions ».
• L’autonomiefiscaledescollectivités locales : il s’agit d’affirmer leur capacité à voter de vrais budgets en disposant d’une réelle latitude pour agir sur le montant de leurs recettes, notamment en décidant des taux d’imposition.
• Le refus de la spécialisation de l’impôt : ce principe implique que chaque niveau de collectivités soit alimenté par un impôt unique alors qu’il faut affirmer, pour chaque collectivité, une diversité de ressources fiscales au risque de mettre en danger leur existence (voir ce qui pourrait se passer avec la suppression de la TH).
• La mise en cause du principe des « taux liés » : il lie l’évolution du taux des taxes locales entre elles. C’est ainsi par exemple qu’a été petit à petit réduit le rendement de la TP. Les collectivités locales n’avaient en effet plus la possibilité de proposer une augmentation du taux de cet impôt sans proposer également d’augmenter celui de la TH ou de la TF.

De façon précise et concrète, une refonte de la fiscalité locale reposerait sur les propositions suivantes :

Créer un nouvel impôt local sur le capital des entreprises

La base de cette nouvelle taxe professionnelle qui serait en fait un impôt local sur le capital des entreprises, serait composée de trois éléments : les bâtiments, les équipements et machines, les actifs financiers (actions, obligations).

Les bâtiments et équipements et machines (EBM) de tous types d’entreprises – de production comme commerciales – verraient leur base calculée à partir d’une seule méthode qu’on peut continuer à appeler méthode comptable. Cette méthode comptable consiste à partir du coût d’acquisition du bien (actualisé pour les bâtiments et terrains) et du montant inscrit en comptabilité pour les EBM à appliquer un taux (par exemple de 9 %). Ce calcul permet de déterminer une somme qui devient la base d’imposition supportant les taux décidés par les collectivités.

Les actifs financiers des entreprises supporteraient un taux fixé nationalement compris entre 0,3 % et 0,5 % selon l’effort des entreprises :
– En matière d’investissements permettant de développer l’emploi, la formation, les salaires.
– En termes d’économies sur le matériel, les matières premières, le capital.
– Quant aux émissions de gaz à effets de serre et à leurs déchets.
Cette ressource nouvelle alimenterait un Fonds national de péréquation affecté intégralement au financement des communes, en fonction du nombre d’habitants et de critères sociaux (potentiel fiscal par habitant).

Refonder la fiscalité locale des personnes

Cela exige une vraie révision foncière, c’est-à-dire une remise à plat totale des bases d’imposition (valeur locative) des immeubles soumis à la taxe foncière et à la taxe d’habitation. Jamais pratiqué depuis 1970, ce travail est aujourd’hui essentiel. Et il n’a rien à voir avec la révision des locaux commerciaux effectuée en 20172018 et avec celle que Macron propose d’engager sur le même mode, dans l’année qui vient, s’agissant des bases d’imposition des locaux d’habitation. La loi de finances 2020 devrait porter cette annonce. Il faut noter que la révision des locaux commerciaux comme celle à venir des locaux d’habitation a été effectuée depuis le bureau uniquement, sans consultation ni repérage, ni intervention des personnels des services fiscaux sur le terrain.

Une réforme authentique des bases d’imposition (Valeur locative) impliquerait une augmentation importante des bases. Il incomberait alors aux collectivités locales d’engager une révision de leurs taux d’imposition. Cela pourrait être conduit dans le cadre de l’élaboration d’un vrai budget participatif qui pourrait prendre appui sur une instance de démocratie participative, tel un CESEL (comité économique, social et environnemental local), qui travaillerait à la construction du budget à partir de projets mis en débat avec la population.

Les nouvelles valeurs locatives foncières serviraient au calcul de la taxe foncière sur les propriétés bâties et sur les propriétés non bâties. Quant à la taxe d’habitation, elle serait conservée. Son montant serait modulé en fonction de la situation économique et sociale des foyers concernés. En tout état de cause il ne pourrait dépasser 90 % de celui de la taxe foncière.

TEOM ou redevance ?

À propos de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) ou de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères (REOM), deux remarques :
– La TEOM a pour base de calcul la valeur locative foncière alors que la REOM est calculée sur le principe du consommateur-payeur ce qui à l’évidence n’est pas un prélèvement favorable aux populations les plus défavorisées.
– On peut observer une augmentation significative du produit de ces taxes : (5,556 Mds€ en 2008 et 6,492 Mds€ en 2011, 6,79 Mds€ en 2017). Elle résulte certes de l’accroissement du nombre de ménages cotisants mais elle découle également de l’augmentation des coûts de traitement, notamment du fait de la prise d’importantes parts de marchés par des grands groupes privés (VEOLIA, etc.). La question d’une gestion publique de cette mission se pose. Son cadre pourrait être celui d’un service public national décentralisé permettant de mutualiser des coûts de gestion et d’offrir ainsi le même service à des tarifs identiques pour chaque citoyen, qu’il réside dans une grande ou une petite agglomération, dans une grande ville ou un petit village.

Droits de mutation à titre onéreux (DMTO)

Impôts de type progressif, ils participent à financer les collectivités territoriales, particulièrement les départements. Les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) ont progressé de 4,4 % en 2018, après une année 2017 exceptionnelle (+16%). Ils atteignent un nouveau record en dépassant les 12 Mds€ et constituent la deuxième recette de fonctionnement des départements.

Il s’agirait d’intégrer au calcul des DMTO trois données nouvelles :
– La prise en compte de la situation économique de celui qui reçoit le bien.
– Une modulation à la hausse de la progressivité des taux de cet impôt à partir de la transmission de biens d’une valeur supérieure ou égale à 700 000 euros.
–Toutes les transactions se rapportant à la transmission et/ou à des cessions d’entreprises, ainsi que les plus-values attachées, relèveraient de l’impôt sur les sociétés.

Voilà sans doute de quoi alimenter, sur le plan du financement des collectivités locales, un débat qui sera au cœur des choix de gestion des communes après mars 2020 et dont, au risque de manquer un rendez-vous essentiel avec les populations, il semble difficile de faire l’économie dès les discussions sur la construction des programmes municipaux.