La crise sanitaire sœur siamoise d’une crise financière, économique et sociale aux conséquences inédites depuis celle de 1929, a remis dans le paysage la nécessité de l’intervention publique. A l’image de la gestion de la crise 2008/2009, Emmanuel Macron et le gouvernement ont semble-t-il décidé de ne pas lésiner sur les moyens. Au terme de trois PLFR (projets de loi de finances rectificative), les chiffres ont gonflé. L’État est prêt à mettre 300 milliards d’euros sous forme de garanties d’emprunt des entreprises auprès des banques. Par ailleurs il est aussi disposé à mobiliser 110 milliards d’euros dont entre 40 et 50 milliards pour couvrir d’éventuels impayés de cotisations sociales et d’impôts des entreprises. Les 70 milliards restants sont répartis entre la prise en charge du chômage partiel, le soutien à des entreprises stratégiques, le soutien aux agriculteurs, le financement des ETI et des PME, l’hôpital. Les dispositions du troisième PLFR prises en compte, c’est-à-dire la décision de rembourser des crédits d’impôt en accéléré à laquelle s’ajoutent diverses exonérations et aides, portent le montant total des sommes mobilisables à 470 milliards d’euros. Un montant dont, il faut le répéter, 300 milliards sont des garanties d’emprunts, donc de l’argent non nécessairement déboursé et ne sont pas à considérer pour l’heure comme de la dépense.
Cela fait beaucoup d’argent public dépensé qui va venir gonfler le poids de la dette. Une dette qui pourrait ainsi augmenter de plus de 400 milliards d’euros pour atteindre 2 800 milliards contre 2 380 milliards d’euros en 2019, ce qui représentait alors 98,1 % du PIB établi à 2 418 milliards d’euros. Dans le meilleur des cas, le déficit public atteindrait 11,4 % du PIB ainsi que le précise le ministre O. Dussopt. La dette, quant à elle, passerait à 121 % du PIB. Mesurer la difficulté de la situation actuelle passe par appréhender sans faux fuyants la profondeur de la crise en cours. Elle ébranle très largement tous les pans de la société mettant comme jamais en lumière sa dimension systémique.
Dès lors, la question qui est sur toutes les lèvres et particulièrement sur celles des chantres du capitalisme néolibéral, est : qui va payer ? Répondre à cette question interroge prioritairement les modes et les critères de financement c’est-à-dire l’utilisation de l’argent et, au cas d’espèce, particulièrement l’argent des banques et celui des entreprises. Les banques reçoivent à la pelle les milliards d’euros déversés par la BCE. Cette dernière s’est en effet lancée dans la création de plus de 4 000 milliards d’euros, dont 3 000 milliards pour refinancer les crédits des banques et 1 350 milliards sous forme d’achats de titres sur les marchés financiers. Et tout cela pour quelle relance effective de l’activité, pour quel soutien réel à l’emploi ? Dans les faits, on assiste à une déferlante de licenciements au sein des grands groupes pendant que l’État est en train de se réorganiser sur la base d’une mise en concurrence effrénée entre les régions, ce qui va occasionner inévitablement des coupes dans les emplois publics territoriaux. Quant à l’argent des entreprises, un double constat s’impose. D’une part la dette des sociétés non financières de l’Hexagone n’a jamais été aussi élevée. Elle représentait 73,5 % du PIB du pays à la fin 2019, contre 55 % en 2008. C’est plus que les entreprises italiennes, espagnoles, allemandes et près de 13 points de PIB de plus que la moyenne de la zone euro.
Comment expliquer ce phénomène ? Il existe un vrai paradoxe car d’autre part, dans le même temps, les entreprises françaises ont d’importantes réserves de cash. Mieux, en pleine crise du coronavirus, et selon une note d’Euler Hermes, l’épargne nette des entreprises non-financières est estimée à 75 milliards d’euros au premier semestre 2020 contre 28 milliards d’euros au deuxième semestre 2019.
Dans les faits, « les entreprises se sont endettées pour accumuler des liquidités et titres de court-terme », explique la Banque de France dans une récente étude. Les entreprises se sont constituées une sorte de matelas de sécurité qui se révèle n’être d’aucune efficacité tant du point de vue de leurs investissements réels que des créations d’emplois puisqu’elles continuent à licencier sans vergogne. Ce cash, c’est une sorte d’argent de poche qu’elles utilisent pour tenter des coups sur les marchés et s’engouffrer dans les affres de la spéculation et des OPA.
Ne pas prendre en compte la dimension fondamentale de l’utilisation de l’argent renverrait à une réponse rabougrie autour de l’idée d’une augmentation de la fiscalité, dont certains se font les chantres. Si, comme ce sera le cas, le montant des sommes en jeu s’élève à plusieurs centaines de milliards d’euros, on mesure le niveau de l’augmentation des impôts qu’il faudrait appliquer pour commencer à rembourser cette dette. D’autant qu’au cas particulier, il faudrait une augmentation de la fiscalité qui n’obère pas les possibilités de redémarrage de la croissance, c’est-à-dire une sorte de prélèvement fiscal forfaitaire sur la richesse privée qui ne pourrait s’inscrire dans la durée car cette richesse privée n’est pas inépuisable et a besoin pour se pérenniser et se régénérer d’être alimentée par la création réelle de richesses notamment par les entreprises, création qui justement peine à se relancer.
La préparation du budget 2021 dans un contexte inédit.
Le décor et les éléments de contexte général ainsi plantés donnent un aperçu des difficultés de la préparation de l’exercice budgétaire 2021, surtout sur fond d’une doxa ultralibérale qui demeure en fait l’unique boussole gouvernementale. A ce premier tour d’horizon s’ajoutent désormais de nouveaux éléments d’appréciation à partir de données et de chiffres plus détaillés annoncés lors des interventions d’Olivier Dussopt et Bruno Le Maire en commission des Finances de l’Assemblée Nationale. Ces données permettent d’appréhender d’une façon plus précise les grandes orientations du PLF 2021.
Le cadrage politique est clair. Pour le ministre des Finances, l’impératif est de se battre contre le déclassement économique de la France. Pour cela, il faut selon lui réduire au plus vite le décalage qui s’est constitué entre la situation d’avant crise et celle d’après crise. En tablant sur 11 % d’évolution de la dépense publique, donc du déficit public, il prône un modèle économique plus efficace, avec notamment une très large place accordée à la « décarbonation », pierre angulaire du nouveau modèle de développement vert qu’il propose. Son objectif central est d’en revenir en 2022 à la situation d’avant la crise du covid 19 en termes de niveau de la richesse nationale. Il met très fortement l’accent sur le fait que « beaucoup de moyens ont été mis en argent et en décision » faisant ainsi référence au plan de relance de 100 milliards d’euros dans des investissements en vue d’une amélioration des compétences. La priorité affichée du plan dont François Bayrou devrait être le responsable, c’est l’emploi et particulièrement l’emploi des jeunes avec toujours comme objectif de fond la décarbonisation.
Les locataires de Bercy ont réaffirmé que les dépenses du plan de relance doivent servir à la relance immédiate et ce, à partir d’un nouveau modèle dont le « vert » doit être la marque de fabrique. Il semblerait que pour l’heure Emmanuel Macron ait décidé de reporter l’entrée en action de ce plan. Ils ont également précisé qu’une mission budgétaire « spécifique relance » devra être installée, dont le but sera de gérer les dépenses mises à part comme celles de la dette de crise. Plus prosaïquement, sans trop s’appesantir sur le sujet, les ministres Dussopt et Le Maire ont assuré que l’emploi public de l’État sera stabilisé. Il n’y aura donc pas de créations globales, ce qui signifie qu’un ministère comme celui des Finances va encore devoir verser au pot commun pour permettre des créations d’emplois dans d’autres ministères. Autre élément de précision qui a une vraie signification : la dépense augmentera en 2021 de 7 milliards d’euros. Par rapport aux 338 milliards d’euros de dépense publique en 2019, cela ne représente qu’une augmentation de 0,02 %, ce qui a d’ailleurs permis à Olivier Dussopt de se féliciter des politiques publiques mises en œuvre depuis 2017.
Au titre de la réduction des prélèvements obligatoires (PO), la suppression de la taxe d’habitation est confirmée, tout comme le CICE en tant qu’allègement pérenne des cotisations sociales des entreprises. La baisse des prélèvements fiscaux sur les entreprises et le capital se poursuit avec notamment une réduction de 10 milliards sur 20 prévus au total en deux ans, en matière de fiscalité des entreprises ou plus exactement du capital puisqu’au cas d’espèce il s’agit de raboter la CVAE, un des prélèvements ayant remplacé la taxe professionnelle lors de sa suppression. Ce rabotage devrait représenter quelques 10 milliards d’euros sur 19 milliards que rapporte actuellement cette contribution des entreprises sur la valeur ajoutée. Quant à la Sécurité sociale, le gouvernement met l’accent sur une double réalité : avant la crise, les comptes de la Sécu étaient en quasi équilibre. Avec la crise sanitaire de 2020, ce sont 8 milliards de dépenses de santé supplémentaires qui ont été enregistrées. Pour autant, l’objectif est le maintien des comptes de la sécurité sociale à l’équilibre. Au titre des dépenses sociales imprévues figurent 31 milliards d’euros pour le chômage partiel et 8 milliards d’euros pour le fonds de solidarité.
Les principales données du budget 2021, selon Bercy :
Dépenses | 470 milliards d’euros de dépenses supplémentaires |
Déficit | -11,4 % du PIB |
Dette | 121 % du PIB |
Évolution de la dépense hors crise | 2,4 % |
Rebond mécanique du PIB en 2021 (hors mesures de relance) | 8 % |
Baisse des PO sur les entreprises et le capital | CVAE : 10 milliards |
Ministères servis :
Armée | + 1,7 milliard d’euros |
Justice | + 6 % |
Education Nationale | + 1, 3 milliard |
Enseignement Supérieur et Recherche | 300 millions |
Transition écologique | 26 milliards d’euros |
Culture | 150 millions |
Egalité F/H | Quelques subsides |
Peut-on prendre le gouvernement au sérieux avec un tel projet ?
Sur le fond, il faut avoir à l’esprit que Macron et sa nouvelle équipe restent idéologiquement inflexibles. Leur recette c’est le néolibéralisme même si la crise sanitaire leur pose problème, contrarie leur marche en avant au profit du capital et s’ils craignent qu’un retour de cette crise vienne à nouveau contrarier leurs plans. Entre rebond de l’épidémie et plan de relance, les contradictions commencent en effet à s’exacerber à un point tel que c’est l’ensemble du pouvoir qui pourrait s’en trouver fortement ébranlé, jusqu’à des issues qui pour l’heure peuvent encore paraître comme relevant d’élucubrations mais qui demain pourraient éclater en pleine figure. Le peuple pris entre une insécurité sociale grandissante et une insécurité sanitaire paralysante, pourrait en effet choisir des voies qu’il s’est jusqu’alors interdit. A l’opposé de ce que dit la chanson (1), alors que rien n’est permis, tout peut devenir possible ! Un chemin parsemé de grosses embûches pour les peuples qui, confrontés à une issue de transformation révolutionnaire ne parvenant pas à prendre corps, pourrait conduire à des régressions bien pires encore que celles auxquelles nous assistons depuis plus d’un quart de siècle.
Un risque d’autant plus présent que le gouvernement persiste dans ses choix ultralibéraux comme en attestent tous les grands axes du projet de budget 2021. Le « rien ne sera plus comme avant » doit en effet se lire de cette façon : « tout sera pire qu’avant ». Ainsi, comme si la crise n’était pas passée par là, comme si cette crise ne trouvait son origine que dans la pandémie, l’objectif c’est de sauver le capital pour reconstituer à tout prix le taux de profit. Alors qu’on a constaté le besoin immense de service public et pas seulement de celui de la santé dans la dernière période, rien n’est prévu pour l’emploi public, aucune réflexion n’est ouverte sur les missions de service public pourtant si indispensables à développer. Les créations d’emploi à l’hôpital seront le résultat du dépeçage d’autres secteurs. Rien également pour le fonctionnement courant hors emplois. L’augmentation de 0,02 % de la dépense publique est une misère, c’est même une véritable provocation. Par contre, le Medef a une nouvelle fois de quoi se réjouir avec un cadeau de 10 nouveaux milliards d’euros au titre d’une réduction de la CVAE acquittée par les entreprises. On rappellera pour mémoire que le produit de la CVAE est affecté de la façon suivante : 26,5 % pour les communes et les intercommunalités ; 23,5 % pour les départements ; 50 % pour les régions. Le pire est que la compensation des 10 milliards d’euros de CVAE se fera par un versement de TVA, c’est-à-dire un impôt indirect qui pèse de façon dramatique sur la consommation des ménages, particulièrement des plus faibles. Le budget 2021, c’est pour le Medef, comme le dit le journal Les Échos, « fromage et dessert ». En effet, en 2021 le taux de l’IS sera ramené à 26,5 % pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 250 millions d’euros. A contrario, dans le même temps, les collectivités locales risquent d’éprouver de nouvelles difficultés à boucler leur futur budget. Sans doute le projet gouvernemental sur les collectivités, visant à hiérarchiser les territoires en faisant exploser le principe d’égalité républicaine, est-il censé faire disparaître par un nouveau tour de passe-passe ce qui pourrait bien se traduire par une nouvelle réduction de la dépense publique des collectivités locales mises de plus en plus sous la coupe de la redistribution d’impôts nationaux. Il sera en effet très difficile une fois le projet gouvernemental passé d’y reconnaître ses petits. Est prévue une réforme en deux volets. D’abord une loi organique sur la « différenciation », permettant aux collectivités qui en ont les moyens financiers et humains d’expérimenter de nouvelles compétences et de les pérenniser par simple délibération. Ensuite, au début de l’année 2021, une réforme dite « systémique » des 3D (Décentralisation, Déconcentration, Différenciation) est prévue pour l’ensemble des collectivités locales. Le but est de parachever l’autonomisation des collectivités et le démantèlement des services d’État. Il en résultera une mise en concurrence entre territoires conduisant à une fragmentation de l’espace national, aggravant la césure entre zones riches et zones pauvres et poussant à l’autonomisation des régions, sur fond d’affaiblissement des capacités d’intervention et de régulation de l’État face aux besoins élémentaires des populations, particulièrement en termes de services publics, le tout avec l’œil rivé vers l’Europe des régions et l’objectif fédéraliste qu’elle nourrit. Par ailleurs, les augmentations de la dépense consenties pour certains ministères sont vraiment le minimum vital avec un fait de plus en plus grave : la quasi mise à sac du ministère des Finances. Il est vrai qu’après avoir réduit à portion congrue la gestion des dossiers des entreprises et des contribuables fortunés, qu’après avoir fait disparaître les missions cadastrales et domaniales, qu’après avoir mis à sac le contrôle fiscal des entreprises, qu’après avoir fait disparaître les impôts sur les bénéfices des entreprises, sur la richesse et le capital au profit d’une fiscalité verte et indirecte sur la consommation, le tout ajouté au fédéralisme fiscal montant au niveau européen, on a de moins en moins besoin de services fiscaux et financiers au service des populations nationales… Mais attention, au final cela a un prix colossal pour tous les pays et pour leurs citoyens, particulièrement les plus déshéritées d’entre eux, faisant monter comme jamais les antagonismes de classe avec le risque qu’ils ressortent malheureusement sous les formes les plus négatives comme l’hypernationalisme avec le repli sur soi et le rejet de l’autre.
Par ailleurs, on relèvera une dose d’incohérence, voire de bluff, de la part du gouvernement. Déclarer vouloir revenir au niveau de richesse nationale de 2019 en 2022 semble en effet peu réaliste, surtout lorsqu’on se remémore qu’une chute de 3 points de PIB en 2008 a mis trois ans pour être comblée. Aujourd’hui, il s’agit au minimum de rattraper un recul de 11 % de PIB.
S’ajoute à cette situation l’éventualité d’une reprise de l’épidémie et un montant de dette privée qui ne cesse de croître pour atteindre 133 % du PIB, faisant peser sur l’économie nationale de sombres perspectives. De même, le déséquilibre de notre balance commerciale se poursuit. Avec la reprise, nos importations ont atteint 85 % de leur niveau d’« avant covid » alors que nos exportations peinent à effleurer les 75 %. Quant au budget de la protection sociale, combien de temps va durer le renflouement des comptes engendré par l’empilement d’exonérations et de reports ? A ce rythme le budget de la sécurité sociale risque bien de n’être plus qu’’un trou béant !
Comment, d’autre part, passer quasiment sous silence le poids que fait peser sur toute la société l’actuel taux de chômage massif qui va encore s’élever dès les premiers jours de septembre ? Le chômage est un véritable cancer qui ronge toute la société et le gouvernement est bien loin de prendre la mesure des transformations à opérer pour l’endiguer et le faire reculer. Au mieux sont proposées des mesures d’accompagnement social mais aucune perspective de transformation de la gestion du marché du travail n’est envisagée alors que c’est le seul moyen de changer véritablement la donne. Par ailleurs on ne peut négliger l’impact de phénomènes exogènes comme la situation aux États-Unis, tant du point de vue de la pandémie que de la situation économique qui en résulte dans ce pays, mais aussi l’impact climatique ? A un autre niveau, l’accord européen ne sera pas sans effets sur notre pays. Certes, le plan de l’UE mutualise les dettes mais pas leur remboursement et d’une certaine manière ce plan pourrait concourir à fragiliser la situation de la France par les ajustements structurels accompagnant l’attribution des 40 milliards d’euros, d’autant que la réduction du budget de l’UE qui découle de l’accord Macron-Merkel va se traduire par une baisse de la PAC et un rationnement des dépenses de santé, un comble en pareille période ! Une précision : 40 milliards d’euros c’est entre autres la somme que la France consécre chaque année au titre du remboursement des intérêts d’emprunt auprès des marchés financiers. N’y aurait-il pas quelque chose à faire ? Et on comprend mieux pourquoi les marchés pratiquent des taux aussi faibles depuis quelque temps !
Dans les faits, Macron et son équipe continuent leur politique de l’offre avec la ferme intention de retrouver la richesse de 2019en 2022 surtout afin de pouvoir permettre aux entreprises du CAC 40 de bénéficier des liquidités de l’État (60 milliards de liquidités versés au CAC40) en 2019.
Face à la crise, un budget de rupture.
Tout d’abord il est nécessaire de rappeler un élément de contexte qui prend ici toute son importance. La crise sanitaire qui sévit n’est pas la cause de la crise économique, financière et sociale qui se développe actuellement. Elle en a été à la fois la conséquence et l’accélérateur. Mais les premiers signes de crise profonde sont apparus dès la fin du premier semestre 2019 venant ainsi concrétiser les prévisions de nombreux économistes, dont les économistes communistes, tant la gestion de l’après subprimes avait relancé comme jamais la course à la financiarisation.
Il s’agit donc sans attendre de proposer une politique budgétaire qui soit un point d’appui pour combattre cette crise et qui commence à en dessiner une alternative à la fois radicale et réaliste, sans quoi elle n’a pas fini de produire des effets dévastateurs pour les salariés, les territoires et l’environnement. Dès maintenant, il y a besoin d’engager un processus de transformations profondes. Pour cela, le budget 2021 doit rompre avec la logique actuelle. Deux objectifs doivent être fixés : sécuriser la vie des citoyens et combattre le changement climatique. L’urgence est de protéger l’humanité et la planète, ce qui suppose de mettre à la disposition de cet objectif les moyens financiers avec des pouvoirs nouveaux aux salariés et aux citoyens pour en décider l’utilisation. Il s’agit prioritairement de soutenir la demande pour une nouvelle offre à base de développement des services publics, d’emplois et de leur sécurisation, ainsi que d’une nouvelle industrie incluant les enjeux énergétiques. Pour cela, il faut s’attaquer au capital, à son coût et à sa domination sur tous les aspects de la vie et de la société.
Quatre priorité doivent être définies. Plutôt que de mettre en œuvre des mesures d’accompagnement du chômage par des aides diverses, y compris le chômage partiel, il faut changer les règles du marché du travail. Cela commence par faire de la formation un élément clé d’une nouvelle organisation du travail et d’une nouvelle conception du rôle du salarié. La formation doit permettre de gérer la transition entre deux emplois, une nouvelle mobilité dans l’emploi ainsi qu’une autre organisation du temps de travail, avec l’objectif de monter le niveau des qualifications pour de nouvelles productions, une meilleure productivité et une élévation des rémunérations. L’objectif global est d’aller vers l’éradication du chômage et de sortir le marché du travail des critères de gestion capitalistes (voir sur ce sujet le numéro 790-791 d’Économie et Politique consacré au projet communiste de sécurité d’emploi ou de formation). D’un point de vue budgétaire, il n’aura échappé à personne que des salariés en emploi et bien rémunérés constituent un des plus sûrs moyens pour alimenter les caisses fiscales et sociales. Il n’y aura pas d’issue effective et pérenne à la crise sans transformer radicalement le rapport au travail et le rôle du salarié à l’entreprise. Ce n’est pas le chemin que semblent vouloir prendre E Macron et le gouvernement et c’est d’ailleurs pourquoi le budget qu’ils proposent pour 2021 ne peut permettre d’envisager une quelconque amélioration de la situation sociale dans notre pays. D’autant que pour l’heure ce projet de budget ne règle pas trois autres questions centrales.
En premier lieu, le sort de la dette qu’on appellera faussement dette Covid. Pour l’heure le gouvernement joue profil bas en disant qu’il ne saurait être question de considérer de la même manière la dette issue de la crise sanitaire -conséquence des mois de confinement-, et la dette publique globale. Pourtant aucune assurance particulière n’est donnée quant au sort définitif de la dette Covid. Rien n’indique formellement, bien qu’il soit précisé que cette somme est mise à part, qu’elle ne réapparaîtra pas dans les comptes publics en tant que montant à compenser, notamment sous la pression des marchés si ceux-ci venaient à en éprouver le besoin. Le sort de la dette contractée au cours des six premiers mois de 2020, soit environ 470 milliards d’euros, doit être réglé définitivement. Le gouvernement doit créer une sorte de structure de défaisance dans laquelle inscrire ce montant qui s’éteindra au fur et à mesure qu’une croissance à base de création de richesses réelles, repartira. Cet engagement devrait figurer dans la loi de finances définitive de l’année 2021.
Une remarque qui devrait retenir notre attention. Le montant de 470 milliards d’euros correspond comme à s’y méprendre au montant de la dette cumulée depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir. Attention donc au tour budgétaire qui pourrait être joué en mettant sur le dos de la crise sanitaire un endettement précédemment accumulé, et qui pourrait ainsi dédouaner la gestion du pouvoir actuel. Enfin, nous ne répéterons jamais assez que d’une part il y a de la bonne dette et de la mauvaise dette. La bonne, c’est celle qui consiste à alimenter la création de richesses utiles à la satisfaction des besoins sociaux et à la préservation de l’environnement, son montant étant en quelque sorte compensé par la richesse nouvelle réellement créée. La mauvaise, c’est celle qui est accumulée dans le seul objectif de maintenir la rentabilité du profit capitaliste et de satisfaire les marchés financiers comme cela risque d’ailleurs d’être le sort des milliards annoncés par la BCE. Une précision, annuler la dette ne signifie pas qu’il n’y a plus de dette car par essence les États sont obligés de recourir à l’emprunt pour leur financement courant, ne serait-ce que parce que, d’une part, il y a un décalage entre la rentrée des recettes fiscales et la quotidienneté des dépenses de fonctionnement de l’Etat, et que, de l’autre, il existe des besoins nouveaux à satisfaire, d’où l’exigence d’apport d’argent nouveau.
Ensuite, quid de l’utilisation de l’argent des banques ? La BCE qui certes a dû faire quelques entorses aux règles budgétaires et financières qu’elle s’était elle-même donnée par le truchement de la commission européenne, n’a pas pour autant changer de stratégie. Elle est toujours au service d’un « euro fort » et d’une logique financière de l’économie. Or la crise sanitaire a fait apparaître au grand jour les béances du système. Manque énorme de services publics et désastre de la désindustrialisation sont apparus au grand jour. Certes, elle a injecté des milliards mais c’est surtout pour maintenir à flot les marchés financiers, pas pour une relance par l’emploi et les services publics. Il est pourtant grand temps que la BCE change de politique et décide de mettre l’euro au service du développement humain et de la protection de la planète. Plus que jamais, notre proposition de création d’un fonds social solidaire et écologique adossé à la BCE et abondé notamment par les rachats de titres de dette publique des États, pour financer partout en Europe le développement des services publics, représente une issue essentielle pour sortir du marasme actuel et prévenir de futures catastrophes. Certes, nous parlons du budget de la France mais dès le PLF 2021 des dispositions peuvent être prises permettant d’aller en ce sens comme la création d’un grand pôle public bancaire avec un fonds national et des fonds régionaux pour l’emploi et la formation alimentés par une partie de l’argent public affecté aux exonérations de cotisations sociales et fiscales, par exemple les 20 milliards du CICE. Et cela peut figurer au PLF 2021, ce qui serait d’autant plus d’actualité que nous allons rapidement entrer dans la campagne des élections régionales, les régions ayant aujourd’hui un rôle de plus en plus prépondérant en matière de développement économique. Ces fonds seraient, entre autres, un levier important pour mobiliser l’argent des banques de dépôt qui provient soit du financement de la BCE avec de l’argent gratuit même d’une certaine manière subventionné puisque le taux proposé par la BCE est inférieur à 0 % (-1 %), soit du dépôt des citoyens, ce qui est encore de l’argent gratuit. N’y aurait-il pas mieux à faire avec cet argent que de le replacer sur les marchés, voire auprès de la BCE elle-même, pour en tirer des intérêts, en ignorant tout soutien à l’industrie et au secteur productif en général ?
Enfin, il y a l’urgence d’une révolution fiscale. Nul besoin d’entrer ici dans les détails de propositions déjà plusieurs fois exposées et qui le seront prochainement dans un document dédié. S’il faut faire évoluer la fiscalité des personnes vers plus de progressivité sur les hauts revenus quelle qu’en soit la nature, s’il faut stopper le transfert de la fiscalité directe vers les taxes indirectes sur la consommation y compris au motif vert, la question centrale est la fiscalité des entreprises et du capital. Depuis bientôt trente ans, les gouvernements successifs se sont évertués à transformer régressivement cette fiscalité et son application. De la taxe professionnelle à l’impôt sur les sociétés, en passant par le bouleversement des méthodes de gestion et de contrôle des dossiers des entreprises, tout a été fait pour vider de son sens et de son contenu ce que nous identifierons, dans une appellation générique, sous le vocable de fiscalité des entreprises. Au début des années 2000, la grande mode de la politique du contrôle fiscal était le patrimonial. La fraude se trouvait là, il fallait aller chercher l’argent dans ces coins-là chez les vilains contribuables qui faisaient tout pour faire échapper leur richesse à l’impôt. Cela pouvait s’entendre mais une question n’a jamais été posée. Pourquoi ces contribuables se retrouvaient-ils d’un coup à la tête de fortunes personnelles colossales ? Auraient-ils par on ne sait quel heureux coup du sort tous gagné au loto ou au tiercé ? Depuis, la richesse de ces mêmes contribuables n’a fait que croître et embellir, et on ne parle même plus de contrôle patrimonial. Dans les faits, le pouvoir et le Medef ne veulent d’ailleurs plus de contrôle fiscal, les VG, ou vérifications générales des entreprises, et les ESFP, examens de la situation fiscale personnelle des contribuables fortunés, étant aujourd’hui quasiment passées aux oubliettes !
Pour en revenir à notre démonstration initiale, si des fortunes ont pu se constituer, c’est parce qu’au départ elles se sont construites sur l’accaparement des fruits de la richesse produite dans les entreprises, lieu par essence de l’exploitation capitaliste. D’où la volonté des capitalistes, et des gouvernements à leur botte, de tout faire pour qu’un maximum des fruits de la richesse créée dans les entreprises se retrouve dans la mains des propriétaires et autres actionnaires impliquant pour cela que les « charges » fiscales et sociales sur les entreprises soient réduites à portion congrue afin de laisser un maximum d’argent disponible pour nourrir les dividendes et leurs détenteurs. Alors, vouloir ensuite venir reprendre par le contrôle patrimonial l’argent qu’on a fait échapper à tout impôt et à tout contrôle dans les entreprises relève de la fumisterie ! Vouloir « faire payer les riches » relève aujourd’hui d’une imagerie populaire que la réalité de la vie et l’évolution des modes de production et d’échanges rend totalement biaisée et inopérante. En 1789, cela pouvait avoir un sens mais depuis la société a changé. Le capitalisme est né, le capital et son accumulation se sont transformés en même temps que ses modes d’exploitation et de domination. C’est à cela qu’il faut désormais s’attaquer et s’y attaquer c’est tarir la source de la fraude dès le départ, c’est-à-dire à l’entreprise, là où la richesse est produite, pour utiliser cet argent autrement. D’où notre proposition centrale, en lien avec l’intervention de la représentation salariée des entreprises, de la mise en place d’un nouvel impôt sur les sociétés à la fois progressif en fonction du chiffre d’affaires et des résultats et incitatif par une modulation à la hausse selon que les bénéfices des entreprises sont utilisés pour des investissements favorisant l’emploi et la formation ou vont à des opérations financières sur les marchés, soit pour se lancer dans des OPA, soit pour se retrouver dans des placements purement financiers.
A cette imposition sur les bénéfices doit être ajouté un impôt sur le capital dont la fonction serait d’alimenter les budgets locaux, tant le lien entre territoires et entreprises est devenu aujourd’hui structurant. Sorte de nouvelle taxe professionnelle, cet impôt serait calculé sur la valeur des actifs immobiliers et matériels des entreprises. S’y jouterait une contribution (0,5 %) sur les placements financiers de ces dernières (1100 milliards pour les entreprises non financières). Enfin, puisqu’il est à juste titre question de rétablir un ISF, celui-ci devrait intégrer l’ensemble des biens dits professionnels avec une modulation de leur imposition en fonction de leur utilisation pour favoriser le développement de l’emploi et des salaires ou pour supprimer des emplois.
Dans l’état actuel de crise profonde de système, l’heure est à une révolution des modes de gestion et d’intervention dans la production. C’est pourquoi jamais il n’a été aussi indispensable d’engager une véritable révolution fiscale qui pour l’essentiel passe par un changement de bases. La base prioritaire doit devenir la richesse créée pour inciter à une autre utilisation de cette dernière, contre les gâchis et pour soutenir une nouvelle politique d’investissements et permettre l’entretien des services publics. C’est-à-dire jouer un rôle d’incitation exactement contraire à celui actuellement à l’œuvre, tout tourné vers la rentabilité du capital.
Enfin, vu le rôle majeur que jouent les banques dans le détournement de l’utilisation de l’argent , il faut en effet savoir que les fortunes se constituent certes à partir de la captation des fruits de la richesse créée, mais ensuite grâce à des opérations financières et spéculatives qu’organisent et proposent les banques en utilisant l’argent gratuit de la BCE et des dépôts des citoyens. Est-il encore longtemps pensable que la fiscalité puisse rester neutre vis-à-vis de ces institutions et ne pas s’intéresser à leur gestion ? Ne pourrait-on pas envisager un système de taxation incitative de l’utilisation de l’argent qu’elles ont en dépôt ? Serait particulièrement concerné l’argent que leur distribue la BCE avec normalement un engagement à l’utiliser pour développer l’activité réelle et celui des citoyens (salaires, pensions, etc…). Ces montants sont connus. En lien avec les organisations salariés des banques, les montants annuels attribués par la BCE et apportés par les citoyens seraient soumis à taxation selon leur utilisation. Un plafond et un plancher de réinvestissement dans la production réelle seraient fixés accompagnés selon le niveau de ce réinvestissement d’une taxation entre 0 % et 5 %. Il n’est plus possible que le système bancaire se moque à un point tel du sort des populations qui entretiennent leur train de vie et celui de leurs propriétaire.