La pandémie a révélé les vulnérabilités des pays émergents et en développement et précipité les manifestations des difficultés structurelles que rencontre leur développement.
Si l’épidémie de covid-19 qui a frappé le monde en 2020 et 2021 a provoqué des dégâts importants dans les économies et les sociétés des pays « développés », elle a également frappé de plein fouet un certain nombre de pays « en développement ». Or, ces pays, s’ils ne constituent pas un tout homogène, n’en sont pas moins confrontés à un ensemble de difficultés communes qui aggravent leurs difficultés à réagir aux chocs en général, ce qui s’est vérifié – avec des nuances à souligner néanmoins – à l’occasion de cette pandémie.
Des structures communes aux pays de la périphérie capitaliste
Les pays de la périphérie capitaliste disposent en général de marges de manœuvre moins larges que les pays centraux pour réagir aux chocs extérieurs. Cette réalité a pour origine la situation de dépendance, qui renvoie à l’insertion dominée de ces pays au sein du marché international. Les pays de la périphérie capitaliste sont généralement spécialisés dans l’exportation de produits dans lesquels ils possèdent des « avantages comparatifs » : produits primaires et biens industriels intensifs en main-d’oeuvre. Le tourisme et le transfert de devises des émigrés constituent également des sources de revenus additionnels non négligeables.
Lorsque l’économie est spécialisée dans l’exportation d’un petit nombre de produits primaires et que l’industrie est peu compétitive – comme c’est le cas dans la plupart des pays d’Amérique latine et d’Afrique par exemple – la croissance est rendue instable par l’évolution erratique des prix des matières premières – qui dépend de phénomènes complexes liés à l’offre et à la demande de ces dernières, mais aussi à la spéculation financière. En général, ce groupe de pays ne dispose pas de moteurs de croissance permettant de compenser la diminution des exportations des matières premières lorsque le prix et/ou la demande de ces dernières chute.
D’autres pays de la périphérie dotés d’une main-d’oeuvre abondante sont pour leur part spécialisés dans l’exportation de biens industriels intensifs en main-d’oeuvre, « à faible valeur ajoutée », ce qui signifie, en langage comptable, qu’une heure de travail dans l’industrie de ces pays s’échange contre moins d’heures de travail dans les pays maîtrisant des technologies plus avancées.
Les pays périphériques sont dépendants de l’extérieur pour leur développement : ils ne disposent pas d’autonomie technologique et industrielle. Une conséquence de cela est la dépendance aux financements externes et à la monnaie étrangère, qui peuvent être obtenus à travers les exportations ou l’endettement. L’endettement en monnaie étrangère fait peser un risque important de crise de la dette (publique ou privée) lorsque la monnaie des pays périphériques se dévalue relativement à celle du pays envers lequel ils sont endettés. Cette situation se traduit par une souveraineté économique incomplète et des marges de manœuvre restreintes en matière de politique monétaire et budgétaire, qui constituent des instruments fondamentaux permettant d’atténuer les chocs économiques. Ainsi, l’augmentation de la dépense publique accroît l’incertitude sur le remboursement futur de la dette, ce qui favorise l’augmentation des taux d’intérêt souverains et peut être à l’origine d’un effet boule de neige de la dette si les taux d’intérêt s’accroissent plus vite que le PIB. De la même manière, le recours à une politique monétaire accommodante expose le pays à une dépréciation de son taux de change, donc à un gonflement de ses dettes libellées en monnaie étrangère et à un accroissement du montant de l’endettement externe et des charges qui lui sont associées.
Facteurs de vulnérabilité
Divers facteurs de vulnérabilité à la crise du covid-19 méritent d’être évoqués. Tout d’abord – et ce n’est pas spécifique à la crise du covid-19 – il convient de souligner que l’hyper-spécialisation et le manque de diversification économique ont constitué une vulnérabilité majeure de grand nombre d’économies périphériques. Les pays spécialisés dans l’exportation d’un nombre réduit de matières premières ont été les premiers à faire les frais du ralentissement du commerce mondial. La diminution de la demande de produits de base (hors agriculture) s’est accompagnée de baisses de prix importantes – notamment en ce qui concerne le pétrole. Il faut ajouter à cela l’effet néfaste de la fermeture des frontières sur les pays dépendants du tourisme, ainsi que la diminution des transferts de fonds des migrants liée au confinement mis en place dans les économies centrales. Les effets de la crise ont été amplifiés lorsque la situation économique avant la crise était déjà sous tension et que la capacité de réaction des autorités était limitée par des contraintes telles qu’un niveau d’endettement élevé, des fragilités économiques internes et la capacité à accéder à des financements externes. Le sous-dimensionnement des services de santé a également joué un rôle néfaste dans les pays confrontés à des vagues pandémiques d’ampleur, même si la jeunesse de la population a également contrebalancé ces graves déficiences dans de nombreux cas.
Impact social
L’impact social de la crise du covid a été particulièrement fort dans les pays périphériques, notamment en Asie du Sud, en Afrique et en Amérique latine. D’après le FMI, il y aurait eu environ 95 millions de nouveaux pauvres en 2020. La mise en place de mesures destinées à faire face à l’épidémie (notamment les confinements) s’est combinée à une diminution de la demande globale et des revenus de la population. Les pertes d’emploi ont été massives et l’insécurité alimentaire a augmenté. Dans de nombreux pays d’Amérique latine, la surmortalité a été particulièrement importante, en raison de la faiblesse des systèmes de santé et de l’insuffisance de la protection sociale. Les pays caractérisés par une capacité redistributive insuffisante et par une importante informalité ont subi la crise de plein fouet et on peiné à adopter des mesures permettant d’en atténuer les effets délétères. Ajoutons que la crise du covid a également nui au bon déroulement de la scolarité des enfants, ce qui constitue un facteur de déstabilisation supplémentaire, susceptible d’exercer des effets néfastes à moyen ou long terme.
Des trajectoires fortement différenciées
Les économies périphériques ont réagi de façon différenciée au choc de la pandémie.
Dans l’ensemble, l’Asie est la zone géographique qui résiste le mieux à la crise. En 2020, ses exportations progressent de 0,3 % tandis que ses importations diminuent de « seulement » 1,3 %. D’après le FMI, les pays « émergents et en développement » d’Asie ont connu une diminution de leur PIB de 1 %, mais les contrastes entre pays sont saisissants : alors que la Chine croît de 2,3 %, le PIB indien connait une chute de 8 %. 60 % des nouveaux pauvres générés par la crise se situent ainsi en Asie du Sud.
L’Afrique et l’Amérique latine ont pour leur part connu des difficultés importantes. En 2020, l’Amérique du Sud a vu ses exportations diminuer de 4,5 %, et ses importations de 9,3 %, tandis que son PIB diminuait de 7 % d’après le FMI. L’Afrique a vécu une récession inédite, malgré la faiblesse des contaminations.
Bien que l’on doive encore une fois faire des distinctions parmi les pays qui les composent, l’Afrique et l’Amérique latine font les frais de leur forte spécialisation dans l’exportation de matières premières, de leur dépendance au tourisme et aux transferts de fonds des migrants. Les exportateurs de produits primaires africains et latino-américains ont payé un tribut élevé – notamment sanitaire, en ce qui concerne l’Amérique latine – tandis que les pays asiatiques dont l’économie est tirée par la croissance chinoise semblent avoir davantage réussi à juguler à la fois le risque sanitaire et économique.
Défis et incertitudes
Les pays périphériques restent confrontés à d’importantes incertitudes.
Tout d’abord, la crise du covid-19 risque d’engendrer des effets néfastes dont certains pourraient se révéler durable. Les pays dépendants du financement extérieur restent vulnérables face à la volatilité des flux de capitaux et aux décisions des pays centraux – à commencer par les États-Unis – en matière de politique monétaire. Ceux dont l’endettement externe s’est accru pendant la pandémie pourraient faire les frais d’une crise de la dette, susceptible de plomber leur développement durant plusieurs années. Les économies périphériques sont exposées en outre à de possibles pertes de productivité à moyen terme, liées à des restructurations productives mais aussi aux dégâts causés par les défaillances de la scolarisation pendant la crise.
Ensuite, la reprise reste suspendue à un certain nombre de conditions sur lesquelles ils disposent de peu, voire d’aucun contrôle. Encore aujourd’hui, les contraintes sanitaires sont loin d’être levées. La reprise semble tributaire du ralentissement de la circulation du virus et de la réouverture des frontières (notamment pour les pays touristiques). On observe une forte reprise du commerce mondial, notamment en Asie. Mais la lenteur de la vaccination, qui progresse plus lentement dans les périphéries que dans la plupart des pays centraux, risque de saper le dynamisme de la reprise.
Face aux contraintes relatives à l’utilisation de la politique budgétaire, il faut rappeler que la reprise économique de nombreux pays périphériques dépend de la croissance des exportations, elle-même suspendue à la dynamique des économies centrales et de la Chine. Les plans de relance mis en place en Europe ou aux États-Unis pourraient avoir un impact positif sur la demande dirigée vers les économies périphériques en améliorant à la fois les volumes exportés et les termes de l’échange. Mais il est encore trop tôt pour pronostiquer les effets réels qu’auront ces plans de relance, étant données les difficultés majeures auxquelles reste confrontée l’accumulation capitaliste dans ces mêmes pays.