Macron et l’Union européenne : profil bas face à l’offensive Biden

Les yeux fixés sur ce que fait Joe Biden, les dirigeants européens excluent toute remise en cause de ce qui fait la nocivité de la construction européenne actuelle.

Les mesures prises par Biden sont la toile de fond du débat de conjoncture et de politique économique ; elles orientent considérablement le débat et les esprits (voir dans notre dossier l’article de Frédéric Boccara « Huit commentaires sur Joe Biden »). Elles émettent le message suivant : ne pas « débrancher » les dépenses et aides avec la sortie du confinement, au contraire les amplifier, non seulement pour répondre à la pandémie, mais aussi pour sortir de la crise en s’engageant sur un nouveau chemin.

C’est, en matière de dépense publique, le contraire de ce qui est préconisé en Europe, et tout particulièrement en France où (a) notre gouvernement annonce qu’il est en train de travailler à la sortie du « quoiqu’il en coûte » et de débrancher les aides – même si c’est progressivement – et où (b) la doctrine affirmée est de limiter très fortement les nouvelles dépenses publiques pour les années à venir. Ainsi, le Conseil des ministres a annoncé une trajectoire d’à peine +0,7 % de croissance annuelle des dépenses publiques (hors inflation) pour les 5 années à venir « pour assurer la soutenabilité de la dette publique dans la durée ».

Cette vision est une sorte d’adaptation « réaliste » au pari de Biden : le plan Biden va tendre énormément les choses du point de vue de la rivalité mondiale sur les capitaux et de l’hégémonie technologique – si les gouvernements européens ne changent pas leur façon de faire. Donc, comme elle ne veut pas changer sur le fond, l’UE vise plutôt à faire profil bas et simplement suivre, dans la mesure du possible, la locomotive US sans engager une impulsion de grande ampleur, et même en développant une austérité matinée de sélectivité anti-sociale et pro-capital.

La construction européenne interpellée

Il existe une conception de l’UE comme une collection d’États, sans coordination-coopération sauf sur le financement (BCE + marchés financiers) et sur le commerce (traités de type TAFTA et achats des vaccins). Elle va de pair avec une conception fédéraliste où la technocratie européenne est en surplomb, avec une doctrine qui n’a pas bougé : garante des intérêts du capital et de la neutralité de marché, si cette expression a un sens.

Une autre logique serait une logique de coopération de partages, avec un projet social de type « sécurisation de tous les moments de la vie », développement de chaque nation et territoires, ainsi qu’une autre vision des relations avec le Sud.

Dans la conjoncture montent des annonces de nouvelles coopérations mais ce sont, semble-t-il, des faux-semblants. D’une part, c’est le renforcement du mouvement précédent de financements par les marchés financiers avec le plan européen de relance Next Generation EU de 750 milliards d’euros et son emprunt obligataire commun sur les marchés financiers. Ce sont, d’autre part, certaines annonces de politique industrielle, par exemple sur les semi-conducteurs, dans le cadre d’une « revue stratégique industrielle européenne » présentée le 5 mai[1], voire sur la santé, mais sans moyens réels, et avec l’idée d’une sorte de champion supranational européen et de spécialisation des pays, au lieu de véritables partages-développement, impliquant une montée en compétence de tous les pays.

De ce point de vue, il nous faut aussi contester le « fonds européen » Next Generation EU progressivement mis en place par l’accord de l’été dernier : le contester et nous en saisir. Les dirigeants créent un fonds européen, mais dans les mains des marchés, et qui ne finance pas selon des critères sociaux et écologiques. Il finance des cibles sectorielles présumées avoir des effets écologiques (vaguement sociaux) et ses seules conditionnalités sont supranationales, portant sur le « respect de l’État de droit ». En outre, il fonctionne de façon technocratique et l’argent est accordé, semble-t-il, une fois pour toutes sans évaluer le respect de cibles socio-écologiques.

Ces plans cherchent à combler le grave défaut d’articulation court terme/long terme, tout en restant prisonniers des dogmes de l’austérité et de la baisse du coût du travail. Ils sont essentiellement orientés par secteur : on va choisir par exemple l’aéronautique, uniquement parce que c’est un secteur stratégique, mais sans aucun critère. L’aspect écologique est implicite, et on l’accompagne de l’acceptation de plus de 10 000 suppressions d’emplois dans le secteur, des emplois probablement très qualifiés pour nombre d’entre eux.

La conjoncture elle-même montre donc qu’il faut partout imposer des critères précis et leur suivi

Cela exige en outre de ne pas être dans la main des marchés financiers. La conjoncture l’exige d’autant plus que, sinon, les pressions inflationnistes et, surtout, les rivalités sur les financements vont se renforcer et mettre en cause la reprise économique, ce qui affecterait le financement possible des dépenses publiques, que ce soit celles de soutien aux ménages et à leur revenu, celle de soutien aux services publics de santé, ou à la filière industrielle médicale (y compris R&D), donc la lutte contre l’épidémie. Sans parler du Sud.

Pour faire simple la question est :

  • des fonds pour des plans sectoriels, pour l’investissement sans mettre en leur centre le levier d’emploi, et financés par les marchés, en laissant la liberté de suivi et d’utilisation au patronat, donc pour le capital ;

ou bien

  • des fonds à partir de plans élaborés démocratiquement, ciblés pour les services publics et dans les entreprises : appuyant les dépenses d’investissement si elles développent l’emploi et les économies de rejet de CO2, donc avec des critères précis, et en les appuyant d’autant plus que ces critères sont respectés, critères que l’on peut suivre, et plans financés par création monétaire.

[1] Interview de Thierry Breton le 28 avril aux Echos.