Un chiffre expliqué : 1,7 million de personnes dans le « halo autour du chômage »

Que s’est-il donc passé au deuxième trimestre 2020 ? En plein effondrement de l’activité économique du fait du confinement, le chômage au sens du Bureau international du Travail (BIT), mesuré par l’enquête emploi de l’INSEE, a baissé ! L’explication de ce paradoxe fait appel pour une grande part à un indicateur statistique mis en avant depuis quelques années par l’INSEE, le « halo du chômage ».

Cet épisode confirme qu’il est de plus en plus difficile de mesurer les réalités actuelles de l’emploi et du non-emploi par le prisme d’un « marché » du travail. Un autre signe l’avait déjà manifesté depuis plusieurs années, à savoir la divergence croissante entre le nombre de chômeurs au sens du BIT et le nombre de chômeurs inscrits à Pôle Emploi [1].


Classification des personnes inscrites à Pôle Emploi :
Catégorie A : Personnes sans emploi, tenues d’accomplir des actes positifs de recherche d’emploi, à la recherche d’un emploi quel que soit le type de contrat ;
Catégorie B : Personnes ayant exercé une activité réduite de 78 heures maximum par mois, tenues d’accomplir des actes positifs de recherche d’emploi ;
Catégorie C : Personnes ayant exercé une activité réduite de plus de 78 heures par mois, tenue d’accomplir des actes positifs de recherche d’emploi ;
Catégorie D : Personnes sans emploi, pas immédiatement disponibles et non tenues d’accomplir des actes positifs de recherche d’emploi (formation, maladie, etc.) ;
Catégorie E : Personnes pourvues d’un emploi et non tenues d’accomplir des actes positifs de recherche d’emploi

La définition du BIT est en effet assez restrictive ; elle est faite pour pouvoir s’appliquer dans le monde entier, y compris les pays très pauvres : « un chômeur au sens du Bureau International du Travail (BIT) est une personne âgée de 15 ans ou plus :

  • sans emploi c’est-à-dire n’ayant pas travaillé ne serait-ce qu’une heure durant la semaine dite « de référence » ;
  • disponible pour travailler dans les deux semaines ;
  • qui a effectué, au cours des quatre dernières semaines, une démarche active de recherche d’emploi ou a trouvé un emploi qui commence dans les trois mois.

Les démarches actives incluent étudier des annonces d’offres d’emploi, demander à ses amis, sa famille ou son entourage, contacter Pôle emploi, etc. Renouveler son inscription à Pôle emploi n’est plus en soi une démarche de recherche active[1] ».

Beaucoup de personnes peuvent être dans une situation assimilable au chômage sans nécessairement répondre à cette définition.  Pour prendre en compte cette réalité, l’INSEE a élaboré un indicateur baptisé le « halo autour du chômage », notion proposée dès 1986 dans une étude de Michel Cézard [2]. La définition en est la suivante : « Personne sans emploi qui soit a recherché un emploi, mais n’est pas disponible pour travailler, soit n’a pas recherché d’emploi, mais souhaite travailler et est disponible pour travailler, soit souhaite travailler, mais n’a pas recherché un emploi et n’est pas disponible pour travailler ».

Ce « halo du chômage » a eu tendance à s’étendre depuis 2009, démontrant que le marché du travail est le siège d’évolutions qui échappent pour une part à l’instrument de mesure traditionnel. Cela a particulièrement été le cas lors du choc sans précédent de la pandémie et du confinement : le recul paradoxal du taux de chômage au deuxième trimestre 2020 s’explique principalement par une hausse du halo autour du chômage.

« Le pic du halo au deuxième trimestre était lié au premier confinement et constituait la principale contrepartie de la baisse du chômage à la même période. Il était surtout constitué de personnes souhaitant travailler et disponibles pour le faire, mais n’ayant pas effectué de démarches actives de recherche d’emploi. Avec la fin du premier confinement, les personnes sans emploi ont à nouveau repris leurs recherches d’emploi, faisant mécaniquement diminuer le halo autour du chômage au troisième trimestre. Lors du deuxième confinement, nombre de recherches d’emploi ont à nouveau cessé, mais dans une moindre mesure que lors du premier confinement [3]».

En outre, au-delà du « halo autour du chômage » ainsi défini, beaucoup de personnes découragées en période de hausse du chômage ne se déclarent même pas disposées à prendre un emploi. Elles se manifestent à nouveau quand l’emploi augmente.

Au demeurant, la résorption du halo autour du chômage en 2020 n’a pas dénoté, on le sait, un retour à la normale. Un autre facteur, tout à fait différent, a permis de contenir l’augmentation du chômage et d’éviter qu’il explose : le régime dit du « chômage partiel », que l’INSEE saisit, en statistique, par l’observation du « sous-emploi » (voir encadré Définitions).  

Au total, l’INSEE évalue le nombre des habitants du pays soumis à une « contrainte sur l’offre de travail » en additionnant les chômeurs au sens du BIT, les personnes situées dans le « halo autour du chômage » et celles qui sont affectées par le temps partiel contraint. Au 4ème trimestre 2020, cette population atteignait 21 % de la population participant au marché du travail (emploi, chômage, halo autour du chômage, sous-emploi). Cette proportion avait atteint 31,7 % au premier trimestre 2020.

France hors Mayotte, milliers2019 T42020 T12020 T22020 T32020 T4
Nombre de chômeurs selon la définition du BIT2 4062 3152 0382 6932 353
Taux de chômage8,1 %7,8 %7,1 %9,1 % 8,0 %
Nombre de personnes dans le « halo autour du chômage »1 6981 7412 5081 7041 753
Nombre de personnes en situation de sous-emploi1 4712 1425 3351 9402 427

Source : INSEE, enquête emploi

Trois leçons peuvent être tirées de ces observations.

  1. Devant la complexité de ces phénomènes, il ne convient donc pas de s’en tenir à un seul indicateur mais de bien prendre en compte les différents chiffres du chômage dans leur diversité. C’est ce que recommande à juste titre le Conseil national de l’Information statistique (CNIS), mais il faudrait avancer aussi dans le sens d’un « système » d’indicateurs et d’une mise en cohérence, voire en relation des indicateurs entre eux. En outre, au-delà de la mesure du chômage elle-même, il faut s’intéresser à l’ensemble des dimensions qui déterminent la situation de l’emploi : les différentes mesures du chômage mais aussi celles qui portent le caractère plus ou moins précaire des emplois, leur qualification, leur qualité (de nombreuses personnes occupent des emplois dont elles ne sont pas satisfaites). D’autre part, même en période de chômage élevé, une forte proportion d’entreprises signale l’indisponibilité d’une main d’œuvre compétente, révélant l’inefficacité économique de la régulation opérée par le marché du travail capitaliste aujourd’.
  2.  La statistique publique est capable de faire faire des progrès à ses méthodes et à ses indicateurs. La mesure du « halo autour du chômage » en est un exemple. Il importe de rappeler que le lancement des travaux qui ont permis l’élaboration et la publication de cet indicateur doit beaucoup au travail de chercheurs, souvent immergés dans les débats sociaux et publics qui non seulement traversent la société mais aussi leur lieu de travail (ici, l’INSEE avec l’activité des communistes de cette administration et le débat syndical sur le lieu de travail). Il doit beaucoup à l’expression de différentes forces sociales, telles qu’elles s’expriment en France dans des instances comme le Conseil national de l’Information statistique. Les instruments de connaissance de la réalité économique et sociale sont en effet un enjeu politique (voir par exemple l’article de Claude Didry dans ce numéro).
  3. Sous certains aspects, la crise des instruments de mesure de l’emploi et du chômage exprime la crise et le besoin de dépassement révolutionnaire de la notion de « marché du travail », au cœur du capitalisme. C’est à cette crise que répond la construction d’un système de sécurité d’emploi et de formation qui est au cœur du projet communiste. Le but est de faire disparaître la notion même de chômage, c’est-à-dire d’aller à une société fondée sur le développement des individus dans toutes les dimension de leur personnalité, et où, en particulier, la force de travail n’est plus considérée comme une marchandise que les « employeurs » peuvent acheter ou refuser d’acheter (les personnes concernées étant alors mises au chômage).

Définitions

Emploi au sens du BIT : Une personne en emploi au sens du Bureau International du Travail (BIT) est une personne de 15 ans ou plus ayant effectué au moins une heure de travail rémunéré au cours d’une semaine donnée ou absente de son emploi sous certaines conditions de motif (congés annuels, maladie, maternité, etc.) et de durée.

Toutes les formes d’emploi sont couvertes (salariés, à son compte, aide familiale), que l’emploi soit déclaré ou non.

Population active au sens du BIT : la population active comprend les personnes en emploi au sens du BIT et les chômeurs au sens du BIT.

Taux de chômage : Rapport entre le nombre de chômeurs au sens du Bureau international du travail (BIT) et le nombre d’actifs au sens du BIT.

Sous-emploi : situation des « personnes actives occupées au sens du BIT qui remplissent l’une des conditions suivantes :

•        elles travaillent à temps partiel, souhaitent travailler davantage et sont disponibles pour le faire, qu’elles recherchent activement un emploi ou non ;

•        elles travaillent à temps partiel (et sont dans une situation autre que celle décrite ci-dessus) ou à temps complet, mais ont travaillé moins que d’habitude pendant une semaine de référence en raison de chômage partiel (chômage technique) ou mauvais temps ».

Emploi précaire : Sous le terme formes particulières d’emploi, (ou parfois emplois précaires) sont regroupés les statuts d’emploi qui ne sont pas des contrats à durée indéterminée. Ce sont l’intérim, les contrats à durée déterminée, l’apprentissage et les contrats aidés.


[1] Cette interprétation de la définition du BIT est celle d’Eurostat, elle est appliquée par l’Insee depuis 2007. Auparavant, renouveler son inscription comme demandeur d’emploi était considéré comme une démarche active de recherche d’emploi.


[1] Voir Frédéric Boccara, « Pôle Emploi n’a jamais compté autant de gens inscrits au chômage : 6.714.000 personnes », février 2018, Pôle emploi n’a jamais compté autant de gens inscrits au chômage : 6.714.000 personnes | PCF.fr (economie-politique.org) et, pour une analyse détaillée, Yohan Coder, Christophe Dixte, Alexis Hameau, Sophie Hamman, Sylvain Larrieu, Anis Marrakchi et Alexis Montaut, « Les chômeurs au sens du BIT et les demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi : une divergence de mesure du chômage aux causes multiples » INSEE Références, édition 2019.

[2] Michel Cézard, « Le chômage et son halo », Économie et statistique, Année 1986, n° 193-194, pp. 77-82.

[3] INSEE, « Au quatrième trimestre 2020, le taux de chômage se replie à nouveau, à 8,0 % », Informations rapides, 16 février 2021.