Débats économiques d’actualité : pénuries de main-d’œuvre

D’après l’INSEE, 44 % des chefs d’entreprises disent rencontrer une difficulté de recrutement contre 30 % en moyenne, habituellement. C’est élevé (voir graphique) : c’est le deuxième pic le plus élevé depuis 1990, après le record de 2001 avec 60 %.

En outre, cela ne tient pas compte des services publics (ou privés) comme l’hôpital, les labo médicaux, l’enseignement, la recherche ou les aides à domicile, où les besoins sont énormes.

Il y a différentes causes à ces pénuries, en partie selon les configurations sectorielles : salaires insuffisants, conditions de travail (par exemple restauration), formation très insuffisante, ou encore perte du sens du travail. Mais sur le fond, la cause commune, c’est qu’on dépense pour le capital contre les femmes et les hommes.

C’est significatif que notre société marche à l’envers : l’emploi est censé venir « après » et « naturellement », après les dépenses en capital, après les investissements, après les profits, après les fusions, après les licenciements (!), etc. Et comme on ne se préoccupe pas de développer l’emploi et les compétences, on se retrouve dans des impasses. Il faut changer cela !

Le plan Castex prévoyait à peine 1 % de ses dépenses pour la formation professionnelle ! (1 milliard d’euros, cela ce n’est pas grand-chose comparé aux 100 milliards du plan). C’est vraiment l’ancien monde, le capital !

Alors parce que la vie, le véritable « nouveau monde », pousse, le gouvernement vient de décider en catastrophe de mettre en route un « plan d’investissement dans les compétences » (PIC) de 15 milliards mais, outre qu’il n’est pas encore adopté ni budgétisé, il est surtout conçu « ancien monde », comme une « voiture-balai » pour les personnes les plus éloignées de l’emploi : formation comportementale, lecture et écriture, et quelques formations courtes adaptées à des besoins très étroits, qui ne répondront pas durablement aux besoins.

Et, dans le même temps, on fragilise, voire on détruit massivement la formation initiale, scolaire et universitaire :

  • 91 000 jeunes sont restés sur le carreau à l’issue de Parcoursup (sa phase « normale ») et près de la moitié (50 %) des jeunes n’ont pas eu leur premier choix ;
  • pas d’embauches significatives à l’hôpital et dans l’éducation nationale : c’est que précisément, elles nécessitent des formations plus ou moins longues (de 2 à 5 ans) ! Que le gouvernement ne met pas en place. Nous proposons de développer massivement des « pré-recrutements » : infirmières, enseignants, cheminots ;
  • l’apprentissage et l’alternance sont essentiellement utilisés pour employer des travailleurs au rabais, au lieu de former et de dégager du temps d’appui dans les entreprises.

Les dépenses en capital continuent à dominer tout. Pour la formation professionnelle, il faut savoir qu’un soudeur industriel, cela demande 7 à 10 ans de formation, dont 3 ans en emploi. Or on a un déficit considérable (de soudeurs, de chaudronniers…). Les échecs de la construction de l’EPR à Flamanville en sont témoin !

Or le « Comité stratégique de filière » nucléaire a royalement décidé le 15 avril 2021 de financer la formation de 50 soudeurs, chaudronniers, électrotechniciens industriels, tuyauteurs, tourneurs ! 50 seulement pour toute la France et toute la filière nucléaire ! Avec une toute petite indemnité de formation (600 euros), 14 4000 euros en deux ans, contre 32 millions immédiatement, soit 2 000 fois plus (!) en capital pour 20 premiers projets… Qui ainsi vont être largement gâchés !

L’emploi et les compétences, c’est la clé de la nouvelle efficacité exigée par la véritable révolution informationnelle que nous vivons. Cela monte, mais « à l’envers », « à reculons ». Le « nouveau monde » pousse, mais le vieux monde du capital et de la finance l’étouffe, comme un cancer.

Ainsi, le chômage partiel été mis en place au nom de la « préservation des compétences ». Mais on a surtout mis les gens de côté, le principe des licenciements a été maintenu. Les PSE se sont multipliés. Et dès la présidentielle passée, les grands groupes se préparent à tailler encore plus dans leurs effectifs. Il aurait fallu, avec les femmes et les hommes, les salariés, préparer les nouvelles productions, former massivement, décupler les recherches, ouvrir l’avenir avec des projets d’emploi.

Mais pour cela, il faut donner la priorité aux dépenses humaines, à l’emploi, à la formation et aux salaires, au lieu de prioriser les dépenses en capital ou les rachats financiers et de « compenser » un petit peu, et en bout de course, les excès de cette logique par un PIC mal conçu.

Ce défaut de compétences peut entraîner trois choses pour notre pays : pertes d’efficacité et gâchis sur les coûts, délocalisations industrielles et de services de haut niveau (R&D, etc.), réduction des services publics.

Nous proposons d’inverser les conceptions de notre société en allant vers un système de sécurité d’emploi, de formation et de revenu. Notre société est mûre. Une sécurité d’emploi ou de formation et de revenu, c’est un nouveau droit émancipateur, de nouveaux pouvoirs, un projet de société pour le 21ème siècle. C’est un droit pour chacun.e, soit à un emploi, soit à une formation débouchant sur bon emploi sécurisé et un bon salaire, en lien avec sa formation, payé par l’entreprise, une possibilité de revenir en formation avec un revenu maintenu, financé par les cotisations sociales des entreprises (qui est une utilisation des profits des entreprises autre que pour l’accumulation matérielle), et on lancerait le système et les créations d’emploi par les avances en crédit du système bancaire, comme hier après 1945 pour la Sécu et la construction du pays.

Pour cela, les gestions des entreprises doivent changer, le système d’incitation de l’État et des banques doit être révolutionné. Il faut sortir de l’austérité. Il faut créer un pôle public bancaire, en nationalisant les grandes banques, nationaliser les grands groupes industriels et de services, une réappropriation publique et sociale des services publics de réseau (Télécoms, EdF, Engie, SNCF, eau, déchets, …). Il faut créer de nouvelles institutions de planification territoriale et nationale, des « conférences permanentes emploi-salaires-formation, transformation productive écologique », rassemblant tous les acteurs (travailleurs.ses, citoyens, élus, associations, patrons, services publics) où les entreprises et les banques prendraient des engagements sur la base des besoins de production, de services publics, de formation et de financement. Le respect de ces engagements serait suivi par la société civile et les travailleur.ses, qui seraient munis de nouveaux droits démocratiques d’intervention et de contrôle sur les entreprises.