ACTUALITÉ FRANCE
Emploi, chômage :
ce qu’on fait dire aux chiffres, et ce qu’ils disent vraiment

À la veille de la reprise de la pandémie, une rafale de statistiques a été mise en avant pour accréditer l’idée d’une vigoureuse reprise de l’emploi et d’un recul du chômage. En regardant les chiffres de près, on constate que la situation n’est pas si brillante.

Examinons un peu les chiffres de Pôle Emploi

A en croire les médias, la dernière publication de la DARES (Direction de l’Animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du Travail) sur les chiffres du chômage de Pôle Emploi indique un véritable retour à une situation d’avant Covid. Ce serait même meilleur. En même temps, certains de ces médias indiquent que ce retour à de meilleurs chiffres ne s’accompagne pas d’une reprise des postes d’emplois. Étrange ?

Sur trois mois, le chômage catégorie A aurait diminué de 203,1 milliers de personnes avec des transferts vers les autres catégories B et C, cette dernière augmentant de 93,1 milliers. Globalement, le chômage catégories A,B,C * aurait diminué de 110,9 milliers.

  • Catégories ayant obligations de chercher un emploi et confrontés au fait que que 85 % des emplois proposés sont des CDD dont la moitié sont des contrats courts de moins d’un mois.

Mais regardons les tableaux d’entrée et sorties de Pôle emploi

Sorties de Pôle Emploi
Données cvs-cjo France métropolitaine
Nombre moyen d’entrées au 3ème trimestre 2021 (en milliers)Répartition par motif (%)
Reprise d’emploi déclaré126,122,8
Entrée en stage ou en formation71,012,8
Arrêt de recherche (maladie, maternité, retraite)47,68,6
Cessation d’activité pour défaut d’actualisation223,640,4
Radiation administrative43,97,9
Autres cas42,07,6
Ensemble des sorties de catégorie A, B ou C554,1100,0

Sur 554 100 sorties de Pôle Emploi, seuls 126 100 ont retrouvé un emploi !

Soit moins de 50 % de ceux qui sortent pour défaut d’actualisation ou radiation, et moins de 70 % si on tient compte des réinscriptions rapides (voir ci-dessous entrées de Pôle Emploi).

À cela s’ajoutent ceux qui sortent provisoirement de Pôle Emploi pour cause de maladie ou de maternité (prise en charge par la Sécurité sociale), ceux qui partent en stage (changement de catégorie) mais ont peu de chance de trouver un CDI.

S’ajoutent aussi ceux qui partent à la retraite tirés d’affaire mais largement compensés en entrées par les inscriptions de première entrée

Entrées de Pôle Emploi
Données CVS-CJO
France métropolitaine
Nombre moyen d’entrées
au 3éme trimestre 2021
(en milliers)
Répartition par motif
(en %)
Fin de contrat93,618,6
Fin de mission d’intérim25,45,1
démissions20,94,2
Ruptures conventionnelles36,77,3
Licenciement économique9,81,9
Autres licenciements33,46,6
Première entrée sur le marché31,86,3
Retour d’inactivité85,417,0
Réinscription rapide85,817,1
Autres motifs34,76,9
Motifs indéterminés45,19
Ensemble des entrées catégories A,B,C502,7100
  • première entrée : personne qui s’inscrit pour la première fois (après les études, ou bien elle était inactive) ;
  • retour d’inactivité : après une maladie, une maternité, une formation…
  • réinscription rapide : après radiation, défaut d’actualisation (voir ci-dessus les sorties) ;
  • autres motifs : fin d’activité non salariée, retour en France, changement d’activité…

Source Pôle Emploi Dares STMT 25400 (fin de mission d’intérim)+93,100

A noter que les cessations d’activité pour défaut d’actualisation ont augmenté de 9 % sur le trimestre et les radiations administratives de 28,4 % . Elles atteignent ensemble le chiffre de 181.800 si on tient compte des « réinscriptions rapides » !

Si on fait le compte de ceux qui ont perdu leur emploi de façon identifiée :

93 600 (fin de contrat) + 25 400 (fin de mission intérim) + 20 900 (démissions) + 36 700 (ruptures conventionnelles) + 9.800 (licenciements économique) + 33.400 (Autres licenciements) = 219.100 à comparer aux 126.100 qui ont retrouvé un emploi !

S’ajoutent les premières entrée sur le marché du travail (31.800 + les retours d’inactivité (85.400) + les autres motifs (34.700) et les motifs indéterminés (54.100)!

En bonne logique le chômage diminue quand la différence entre ceux qui ont trouvé un emploi (ou qui sont partis en retraite) et ceux qui l’ont perdu, est positive.

La comparaison des chiffres d’entrées et sorties de pôle emploi montre que le chômage continue de s’accroître. Ce qui diminue, c’est le nombre d’inscrits à pôle emploi !

Chômeurs selon les critères du Bit ou demandeurs d’emploi ?

En France, au 2e trimestre 2021, on comptait 2,4 millions de chômeurs (BIT) et 3,5 millions de demandeurs d’emploi en catégorie A. Bien évidemment, le gouvernement communique beaucoup plus volontiers sur les premiers chiffres alors que les seconds sont issus de ses propres services de Pôle Emploi. Quelles sont les différences entre ces deux concepts ?

En France, il existe deux sources statistiques relatives au chômage : les chômeurs au sens du Bureau international du travail (BIT) mesurés par l’INSEE et les demandeurs d’emploi comptabilisés par la DARES et Pôle Emploi. 

Un chômeur au sens du BIT est une personne en âge de travailler (15 ans ou plus) qui est sans emploi (il ne faut pas avoir travaillé, ne serait-ce qu’une heure au cours de la semaine de référence), disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours, et qui a activement cherché un emploi dans le mois précédent (ce qui n’est souvent pas le cas des chômeurs longue durée lassés de leurs échecs) ou en a trouvé un qui commence dans moins de trois mois.

Le nombre de chômeurs est estimé à partir d’une enquête menée par l’Insee auprès d’environ 92 000 ménages, et fournit un indicateur de référence du chômage permettant une comparaison internationale.

La DARES et Pôle Emploi comptabilisent les personnes inscrites comme demandeurs d’emploi à Pôle Emploi. Parmi les cinq catégories d’inscrits (A, B, C, D, E), la catégorie A regroupe les personnes tenues d’effectuer des actes positifs de recherche d’emploi et sans aucun emploi au cours du mois.

Même si le nombre de demandeurs d’emploi en catégorie A présente l’avantage d’être disponible au niveau territorial fin, il est affecté par les comportements d’inscription des demandeurs d’emploi (par exemple, de nombreux chômeurs non indemnisés abandonnent leur inscription à Pôle Emploi) ainsi que par les changements de modalités de gestion, et il ne permet pas de comparaison internationale.

Une statistique effectuée à partir de 92 000 ménages présente une fiabilité certaine mais cela reste un sondage alors que les inscriptions à Pôle Emploi, au-delà des faits critiquables (radiations administratives, défaut d’actualisation), nous semblent plus proches de la réalité.

D’ailleurs, paradoxalement, en 2020, l’Insee constatait que : « le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) a nettement reculé pendant le premier confinement. Cette baisse, en trompe-l’œil, est principalement imputable aux difficultés à rechercher un emploi lorsque l’activité est à l’arrêt ». Ne pouvant plus chercher de travail, ces gens étaient toujours probablement inscrits à Pôle Emploi mais n’étaient plus chômeurs au sens du BIT !

Ils ne disparaissent pas pour autant des radars de l’Insee : « En contrepartie de cette baisse, le halo autour du chômage augmente en 2020. Au total, la part de personnes sans emploi souhaitant travailler, qu’elles soient au chômage ou dans son halo, augmente nettement en 2020 » (voir sur ce sujet la rubrique « Un chiffre expliqué : 1,7 million de personnes dans le halo autour du chômage », Économie&Politique n° 802-803, mai-juin 2021).

L’autre face du chômage : la très grande précarité de l’emploi !

Au 2e trimestre 2021, le secteur privé employait 19,753 millions de salariés.

Ce chiffre se réfère aux critères du Bureau international du travail (BIT), c’est-à-dire que sont comptabilisées dans l’emploi les personnes ayant travaillé au moins une heure rémunérée pendant une période donnée, mais également les personnes en emploi n’ayant pas travaillé pour certaines raisons (en particulier celles en situation de chômage partiel et celles en arrêt-maladie).

On voit là encore une différence entre les critères du BIT et Pôle Emploi : Une personne ayant travaillé au moins 1 h est considérée en emploi du point de vue du BIT mais classé en catégorie B de Pôle Emploi (personnes ayant exercé une activité réduite de moins de 78 heures dans le mois et tenues d’accomplir des actes positifs de recherche d’emploi.)

Au 2e trimestre 2021, 5,1198 millions de contrats de travail ont été signés. Cela représente 26 % des salariés du secteur privé.

Sur ces 5,1198 millions de salariés, 2,2864 millions ont été embauchés dans des entreprises de plus de 50 salariés. Plus de la moitié des embauches de salariés sont donc le fait de petites et micros entreprises (2,8334 millions, 55,34 %).   

La part des CDD dans les embauches des entreprises de plus de 50 salariés est de 88,6 % (2,027M).

Au cours de ce même semestre 4,9439 millions M de contrats ont pris fin, dont 2,291 millions dans les entreprises de plus de 50 salariés.

La fin de contrat résulte essentiellement de la fin des CDD : 4,032 millions contre 911 100 CDI (démissions, fins de période d’essai et ruptures conventionnelles).
Pour les entreprises de plus de 50 salariés, les fin de CDD s’élèvent à 1,982 million dont plus de 85 % (1,694 million )sont des CDD de moins d’un mois. (DARES, Mouvements de main-d’œuvre trimestriels T2) ;

Et parmi les embauches en CDD de moins d’un mois, 84 % sont des réembauches chez un ancien employeur. Un moyen d’ajuster strictement la présence d’un salarié aux aléas des besoins de l’entreprise, sans, de plus, s’embarrasser des droits inhérents à l’emploi.

Du point de vue de Pôle Emploi, nous avons vu comment les chiffres sont manipulés.

Du point de vue du BIT, le gouvernement, sous couvert des chiffres de l’INSEE, annonce : « Au troisième trimestre 2021, l’emploi salarié progresse de 0,4 % » !

Mais ce que ne dit pas cette annonce gouvernementale, c’est de quels emplois il s’agit : CDD ? CDI ?

Dans les entreprises de plus de 50 salariés, pour 75,75 % des embauches, il s’agit de CDD de moins d’un mois !

Déjà en 2018 les Échos titraient : « Un tiers des CDD ne dure quune journée ! » Si on extrapole, et cela ne s’est sans doute pas amélioré depuis 2018, plus de 25 % des embauches des entreprises de plus de 50 salariés sont des embauches d’une journée.

Donc des embauches qui permettent selon les définitions du BIT de passer du statut de chômeur au statut de « en emploi ».

Quelle signification ont, dans ces conditions , les annonces gouvernementales de baisse du chômage basées sur les chiffres d’emploi selon le définition du BIT ?