ACTUALITÉ FRANCE
Paysans : les tromperies du quinquennat Macron

Gérard Le Puill

L’élection du président de la République au mois d’avril sera suivie de celle des députés en juin. Pour les paysans et les PME de l’agroalimentaire, le moment est donc venu de faire le bilan du quinquennat d’Emmanuel Macron, de son gouvernement et du groupe parlementaire majoritaire LaREM. Il s’agit, pour l’essentiel, de promesses non tenues.

A Rungis, le 11 octobre 2017, le président Macron s’adressait aux agriculteurs en ces termes : « La priorité – et c’est l’objectif de cette première étape des états généraux de l’agriculture (EGALIM) – c’est de s’assurer, comme je le disais, qu’à la fois pour maintenir notre tissu industriel, agricole, pour être à la hauteur de notre souveraineté alimentaire, que nos exploitants agricoles puissent vivre du prix payé et puissent transformer le secteur qui est le leur (…). Nous modifierons la loi pour inverser cette construction du prix qui doit pouvoir partir des coûts de production».

Il proposait de modifier la « Loi de Modernisation Économique » (LME) votée par la droite en 2008 sur proposition du gouvernement Fillon. Michel-Edouard Leclerc avait demandé cette loi au président Sarkozy afin, disait-il, de  « rendre du pouvoir d’achat aux Français » via la baisse des prix alimentaires. Fut alors mise en place la « commission Attali » composée de patrons et d’économistes libéraux dès la fin de l’été 2007. Suite à quelques réunions, la rédaction du rapport final fut confiée au rapporteur adjoint Emmanuel Macron, nommé par Jaques Attali.

« La revente à perte n’est qu’un prix de connivence » écrivait Macron

En pages 152 et 153 de ce rapport, Macron avait bien intégré les attentes de Michel-Edouard Leclerc. En témoigne cet extrait : « la «revente à perte» n’est en général qu’un prix de connivence entre certains producteurs et certaines grandes surfaces. Les activités de commerce et de distribution doivent être traitées selon le droit commun de la concurrence (…) La puissance de marché des opérateurs sera alors mise au service de prix plus bas aux consommateurs », précisait-il.

En octobre 2017 à Rungis, il n’avait pas vraiment tourné le dos à cette manière de voir les choses. Il demandait aux paysans d’imposer leurs prix aux distributeurs en ces termes : « mais cette nouvelle approche ne saurait suffire parce qu’elle ne sera efficace que si les agriculteurs se regroupent en organisations de producteurs pour peser plus dans les négociations en tirant profit du droit de la concurrence… ».

La Loi EGALIM a été voté en 2018 et elle n’a pas permis d’intégrer la hausse des coûts de production dans les prix payés aux paysans. Ce ne fut jamais le cas dans le cadre des négociations annuelles qui se déroulent de novembre à février inclus pour fixer les prix et les volumes de produits alimentaires que les industriels de la transformation font référencer dans les linéaires pour les douze mois qui vont de mars à février de l’année suivante. Devant ce constat d’échec, les députés et les sénateurs ont voté en octobre 2021 une loi « EGALIM 2 ». Elle obligerait les transformateurs à tenir compte de la hausse des coûts de production des matières premières agricoles. Mais nul ne sait encore si les enseignes de la grande distribution accepteront de payer les prix que demanderont leurs fournisseurs confrontés, eux aussi, à des hausses de prix, dont l’énergie et des emballages en plus des denrées agricoles.

Un prix du lait en forte baisse depuis huit ans

Pour les paysans, les coûts de production ont sensiblement augmenté ces derniers mois. Fin septembre 2021, ils étaient en hausse de 11 % sur douze mois en moyenne selon l’INSEE, ceux des engrais ayant augmenté de 40 % et ceux de l’énergie de 30 % environ. Entre 2017 et la fin du printemps 2021, les prix des principaux produits agricoles ont été anormalement bas. En 2013, le prix moyen des 1.000 litres de lait au départ de la ferme était de 370€ en France. En mars 2021, ce prix moyen n’était plus que de 351€. Mais il n’était que 333,6€ en Normandie, de 325,2€ en Bretagne et de 322,7€ dans les Hauts de France, les trois principales régions de production laitière. Seule la région Bourgogne-Franche-Comté faisait exception avec un prix moyen de 450,4€. Mais on le doit à la filière du comté qui dispose d’un cahier des charges rigoureux afin de produire un fromage de qualité. Selon les calculs de l’Interprofession laitière, le prix de revient des 1.000 litres de lait conventionnel produit en zone de plaine est actuellement de 404€. On est donc loin de la promesse d’Emmanuel Macron à Rungis.  

Tant que l’offre mondiale de céréales dépassait la demande solvable, les prix de marché étaient anormalement bas en France comme dans les autres pays exportateurs. En 2017 et en 2018, le prix de la tonne de blé français rendu au port de Rouen pour l’exportation a toujours évolué sous la barre des 170€. Mais, comme les stocks de report baissent dans les pays exportateurs, on spécule désormais à la hausse dans les salles de marché. La tonne de blé tendre cotait 303€ au port de Rouen le 23 novembre 2021, contre 210€ à la même date en 2020 et 170€ en novembre 2019. La tonne de maïs cotait 248€ le 23 novembre 2021 contre 155€ en novembre 2019. Le prix du colza dont les graines sont utilisées comme tourteaux après extraction de l’huile est passé de 390€ la tonne à 698€ entre novembre 2020 et novembre 2021.

Quand la Russie taxe ses exportations !

Cette spéculation sera relancée si des aléas climatiques venaient réduire la perspective d’une bonne récolte mondiale en 2022. Actuellement, la Russie est le premier exportateur mondial de blé tendre, suivie par les Etats-Unis et le Canada. La France occupe la quatrième place et sa récolte de blé tendre a été de 35, 4 millions de tonnes en 2021. Notre pays prévoit d’exporter 7,8 millions de tonnes dans les pays membres de l’Union européenne et 9,4 millions de tonnes vers les pays tiers.

Au cas où la récolte de 2022 serait inférieure à celle de 2021, la Russie n’exclut pas de réduire ses exportations dans les prochains mois afin d’approvisionner son marché intérieur en priorité. Elle les a déjà taxées à hauteur de 78,30 dollars la tonne en novembre 2021, selon le cabinet d’experts Agritel. En France, la hausse durable du prix blé tendre conduira à une augmentation des prix de produits comme le pain et les gâteaux tandis que celle du prix du blé dur renchérira le prix des pâtes et de la semoule de couscous. Dans les pays pauvres importateurs de céréales, des émeutes de la faim sont à redouter.

L’alimentation des volailles de chair, des poules pondeuses et des porcs est totalement granivore en France. Les aliments composés de maïs, d’orge, de blé fourrager, de tourteaux  de colza, de tournesol et de soja sont en forte hausse. Elle est accentuée par la production d’agro-carburants subventionnés sous prétexte qu’ils émettent moins de CO2 que les produits pétroliers. Les réservoirs des véhicules entrent ainsi en concurrence avec l’alimentation des humains.

Les producteurs de viandes dans la seringue

Selon les professionnels de la filière porcine, la tonne d’aliment pour porc coutait 284€ en septembre 2021 contre 240€ en début d’année. Mais le prix du kilo de porc charcutier ne cotait que 1,23€ en octobre et novembre contre une moyenne de 1,55€ au printemps. Il a suffit que la Chine réduise ses importations en provenance des pays de l’Union européenne pour assister à cette chute durable des cours. Dans la volaille de chair les aliments servis aux poulets standards étaient en hausse de 32 % en octobre 2021 par rapport à octobre 2020. Parallèlement les importations françaises de viandes de volaille ont augmenté de 15,2 % sur les neufs premiers mois de 2021 par rapport à la même période en 2020. Les importations de volailles polonaises à prix bas ne cessent d’augmenter. En cet automne 2021, 45 % des volailles consommées en France sont importées contre 41 % un an plus tôt. Il s’agit surtout des volailles consommées en restauration collective.

Alors que s’achève le quinquennat du président Macron, les pertes de revenus imposées aux paysans français et aux PME de l’agroalimentaire par la mondialisation capitaliste peuvent se traduire par un recul sensible de notre souveraineté alimentaire et par un bilan carbone en hausse du contenu de nos assiettes. Car la concurrence mondialisée fait aussi voyager les denrées alimentaires sur des milliers de kilomètres entre les lieux de production et les lieux de consommation. Il faudrait, pour sortir de cette impasse réduire la distance entre la fourche et la fourchette, promouvoir l’agro-écologie via les associations de graminées et de légumineuses dans les prairies comme dans les plaines céréalières, mettre en place au niveau européen un vaste plan d’agroforesterie afin de capter plus capter carbone dans les champs cultivés et les prairies pâturées, gérer l’eau de pluie de manière intelligente (1) .

Mais ce n’est pas l’orientation que promeut la réforme de la Politique agricole commune qui sera mise en place entre 2023 et 2027. Elle préconise la jachère sur une partie des terres agricoles, tandis que la Commission européenne reste mandatée par les pays membres de l’Union pour négocier à des accords de libre-échange avec l’Australie et la Nouvelle Zélande, lesquels s’ajouteraient à ceux qu’elle a signé avec le Canada et les pays du Mercosur. Ces accords font croître les importations agricoles en provenance des ces pays, ce qui fait aussi chuter les cours sur le marché intérieur des pays membres de l’Union européenne.

En France, finalement, la seule mesure favorable au monde paysan durant ce quinquennat aura été la revalorisation de 100€ par mois environ de la retraite 270.000 chefs d’exploitations agricoles obtenue par un vote au Parlement suite à un combat de cinq ans mené par André Chassaigne, député communiste du Puy-de-Dôme. 

  • Ces idées sont développées dans plusieurs chapitres du dernier livre de Gérard Le Puill « Choses apprises en 2020 pour agir contre la faim » éditions du Croquant, 220 pages, 12€