Macron : capital, nous voilà !

Emmanuel Macron a décidé de retarder le plus possible l’annonce de sa candidature à la présidentielle. Cela lui permet de mener, dans l’immédiat, un intense travail de propagande de son bilan élyséen sans avoir à se déclarer en campagne électorale ni à défendre un programme face aux autres candidats.

Esbroufe sur la croissance, l’emploi et la pandémie.

Il est fier de sa conduite des troupes face à la pandémie. Il a monopolisé tous les moyens d’action et d’information, instrumentalisant la parole des scientifiques, imposant comme stratégie sanitaire unique la vaccination, affirmant qu’il n’y a pas d’alternative.

Pourtant, il n’a pas vu venir la 5ème vague et la puissante contagiosité d’Omicron, malgré les invitations de l’OMS à ne pas baisser la garde. Il a laissé entrevoir, durant l’été dernier, un retour en fanfare à la normale. Ce pari a échoué, ce qui a engendré des problèmes sévères d’organisation, de surcharge de travail et de stress, tant à l’hôpital qu’à l’école où les moyens matériels et humains ont continué d’être saccagés sous son mandat.

Il a pu, cependant, capitaliser sur la sidération des gens et leur hyper-délégation au sommet de l’Etat jusqu’à l’infantilisation, moyennant une réduction préoccupante de la délibération citoyenne et du périmètre des libertés. Il a placé la France sous état d’exception permanent.

Il a su parfaire son rôle de monarque présidentiel protecteur, saturant le paysage médiatique et laissant, en pratique, circuler Omicron dont la contamination journalière a pu dépasser les 500 000, tout en vouant aux gémonies ceux qui, pour diverses raisons, pas toujours honorables certes, refusent sa stratégie sanitaire.

Il a pu aussi capitaliser sur l’illusion d’une reprise de croissance qui n’a été qu’un rattrapage suscité par les plans de soutien des États : un rebond de 7 % du PIB en 2021 en France après une chute de… 8 % en 2020. Mais, dès le 3ème trimestre 2019, avant le début de la pandémie, la croissance française se retournait, annonçant une nouvelle récession, phénomène masqué par la survenance de la crise sanitaire rendue alors seule responsable.

Surtout, comme l’a révélé Frédéric Boccara [1], il s’est livré à une belle « esbroufe » sur les chiffres de l’emploi, considérant en emploi les gens en chômage partiel mais dits « en activité partielle ». Or, si on les retire, on observe une chute de l’emploi total de 10,4 % en 2020 suivie d’ une progression de 9,5 % seulement en 2021 !

Fortement tirés par l’intérim, c’est dans le tertiaire marchand surtout que les emplois ont été créés, alors que dans l’industrie il y a eu une destruction nette de près de 38 000 postes par rapport à fin 2019. On peut s’interroger sur l’efficacité de nombre de ces nouveaux emplois. Ainsi, dans la construction, le niveau de l’emploi a augmenté de 4,5 %, mais la valeur ajoutée produite n’a cru que de 1,4 % [2], laissant penser que bien des postes créés sont à bas salaires et basse qualification.

Enfin, l’emploi a certes rebondi mais il demeure fin 2021 sur une tendance inférieure de 1 % à celle d’avant la pandémie (2015-2019) [3].

La propagande gouvernementale en vient presque à faire oublier qu’en France métropolitaine, fin 2021, il y avait toujours officiellement 5 368 200 demandeurs d’emplois tenus d’en rechercher un (catégories A,B,C) et 708 100 libres de le faire (catégories D, E) [4]. Cela, sans tenir compte de l’ampleur des radiations administratives des listes de Pôle emploi : 52 300 au 4ème trimestre 2021, au plus haut depuis le 4ème trimestre 2017.

Tenons compte aussi de l’ essor de l’apprentissage avec la mise en œuvre, en juillet 2020, du plan « 1 jeune, 1 solution »[5] : 698 000 contrats signés dans le secteur privé (+37 % sur 2020). Cela concerne surtout des diplômées du supérieur (62 % sont entre bac+2 et bac+5, voire plus). Mais l’Etat a dû verser une prime aux employeurs de 5 000 euros pour un mineur et de 8 000 euros pour un majeur. De quoi diminuer à la fois les statistiques du chômage et le coût du travail avec un bel effet d’aubaine pour les patrons[6].

Bien sûr, le résultat aurait été autrement plus catastrophique si Macron n’avait pas, comme l’Allemagne en 2008-2009, eu recours au chômage partiel. L’obligation faite par les circonstances de ne pas rééditer l’hémorragie d’emploi et de compétences de la crise financière sous Sarkozy permit une sécurisation fragmentaire de l’emploi et des revenus salariaux avec la mise massive en « activité partielle » [7].

Sans cela, demande et qualifications se seraient effondrées. Des plans pour soutenir les profits ont été mis en œuvre simultanément, avec notamment 134 milliards d’euros de prêts garantis par l’Etat, et de nouvelles exonérations fiscalo-sociales sans contrepartie pour l’emploi exigée.

Un changement de cap ? Non, plutôt une nette accélération dans le soutien direct de l’État aux profits tenant compte, par la force des choses, de l’importance, devenue cruciale avec les nouvelles technologies, de l’emploi, des qualifications et des revenus salariaux.

Une grande obsession structure depuis 2017 la politique économique de Macron : favoriser l’accumulation de capital en France.

Enrichissez-vous !

L’impôt sur les sociétés est passé de 33 % à 25 % entre 2017 et 2022, pour un coût minimum de 11 milliards d’euros. Le CICE, lancé par Hollande, a été transformé en allègements pérennes de cotisations sociales patronales (20 milliards d’euros par an).

L’impôt sur les grandes fortunes (ISF) a été remplacé par un impôt sur la seule fortune immobilière (IFI) : En 2017, l’ISF fut payé par 358 000 foyers fiscaux rapportant 5,1 milliards d’euros. L’IFI, lui, a été payé par 133000 foyers fiscaux pour 1,3 milliards d’euros[8].

Le « prélèvement forfaitaire unique » (PFU) coûte 1,5 milliard d’euros par an et la baisse récente des impôts de production 20 milliards d’euros sur deux ans [9].

Enfin, la suppression progressive de la taxe d’habitation sur les résidences principales (-10 milliards par an depuis 2020) a certes soulagé les couches moyennes, les plus démunis n’étant pas concernés. Mais elle va bénéficier aussi, dès 2023, aux plus riches.

Macron a augmenté en 2018 la taxe carbone, supportée in fine par les consommateurs, ce qui rapporta alors 3,7 milliards d’euros. Mais, il dut l’annuler pour 2019 et 2020, à la suite du mouvement des Gilets jaunes.

Ce sont autant de pertes de recettes qui ont creusé déficit et dette publics, tendance contrebattue de façon obsessionnelle, au nom de la règle des 3 % du Pacte de stabilité, par le rationnement mortifère des services publics.

Avec Macron, la croissance en volume de la dépense publique a été de -0,9 % en 2018 et de 1,8 % en 2019. Elle s’est envolée ensuite avec le « quoi qu’il en coûte » en 2020 (6,3 %) pour refreiner en 2021 (0,4 %) malgré d’ énormes cadeaux aux profits. Ce faisant, le taux de dépense publique a été cadenassé à 54 % du PIB en 2018 et 2019, afin de pouvoir continuer de diminuer la part des prélèvements publics et sociaux dans le PIB (44,8 % en 2018 et 44,1 % en 2019) et y accroître celle des profits. Cet élan a été stoppé avec la pandémie (62,8 % en 2020) mais l’effort de rationnement a repris dès 2021 (58,5 %).

Parmi les grandes victimes on trouve, outre l’école, le système de santé que Macron, comme ses prédécesseurs, a continué de massacrer, le Ségur de la santé n’ayant été qu’une goutte d’eau.

Certes, Macron fut contraint de suspendre la privatisation d’Aéroports de Paris qui, selon Bercy, reste sur la table [10]. Mais il a poursuivi l’attaque contre les entreprises publiques avec, en particulier,2 l’ouverture des chemins de fer à la concurrence (2019 pour les TER et décembre 2020 pour les TGV), la fin du statut des cheminots pour les nouvelles embauches, le passage du statut d’établissement public industriel et commercial (EPIC) de la SNCF à celui de société anonyme (SA) à capitaux publics (pour le moment). De plus, 8 milliards d’euros ont été ponctionnés sur EDF pour aider les concurrents privés face à l’envolée des prix énergétiques, ce qui sera finalement répercuté sur le pouvoir d’achat des usagers. C’est dire l’importance de la proposition de Fabien Roussel de nationaliser EDF.

Enfin, les personnels de la fonction publique sont très rationnés, surtout les territoriaux. Certes, Macron a été contraint d’abandonner son objectif initial de supprimer 120 000 emplois publics sur la durée du quinquennat. Mais il a facilité la mobilité vers le secteur privé et, surtout, favorisé le recours aux agents contractuels, sans parler du maintien forcené du gel du point d’indice.

Il a continué de forcer l’allure sur les baisses de cotisations sociales patronales. Par rapport à la situation de 2018, l’allègement supplémentaire aura été de 10 points au SMIC, de 10 à 6 points entre le SMIC et 1,6 SMIC et de 6 points entre 1,6 et 2,5 SMIC à partir d’octobre 2019. Le coût total des « allègements de charges sur les bas salaires » était de 26,1 milliards d’euros en 2020 après 27,8 milliards en 2019[11]. Il n’y a plus de cotisations patronales à la Sécurité sociale au niveau du SMIC.

Cet entêtement à augmenter la part des profits a accru l’insuffisance française des salaires qui, pourtant, sont la base du financement de la protection sociale. C’est en prétendant réduire les déficits qui en résultent que l’occupant de l’Elysée a tenté une réforme réactionnaire des retraites[12]. Mais il dut remiser son projet face à la protestation populaire, puis du fait de la pandémie.

Emploi et démocratie sociale fracassés

Ça a été d’abord les « ordonnances Macron» : prédominance accordée à l’accord d’entreprise, prévalence de l’accord collectif sur le contrat de travail, passage systématique à l’accord majoritaire pour qu’un accord soit valide, fusion des institutions représentatives du personnel (IRP) au sein du comité social et économique – CSE – et possibilité élargie de référendum à la main des patrons, création de la rupture conventionnelle collective et mise en place d’un barème de plafonnement des dommages et intérêts en cas de licenciement injustifié…

C’est aussi la réforme de l’indemnisation du chômage. En juin 2019, Macron impose des mesures sévères d’économies (entre 1 et 1,3 milliards d’euros sur trois ans). Il fait passer par décret, en juillet 2019, son projet si contesté de réforme de l’indemnisation, En novembre 2019, un premier volet durcit les conditions d’accès à l’assurance chômage[13] et aux droits rechargeables[14]. Il instaure une dégressivité pour les « hauts salaires », tandis que ceux des PDG et leurs bonus se réenflamment dès 2021. Passant outre un avis du Conseil d’État, il édicte un décret le 30 septembre modifiant le mode de calcul du salaire journalier de référence à partir duquel est calculée l’indemnisation des allocataires. Désormais, ce n’est plus parce qu’on est privé d’emploi qu’on aura le droit de percevoir une indemnité chômage et celle-ci ne sera accordée que si l’on se trouve davantage au chômage que d’habitude. Une étude d’impact de l’UNEDIC montre que la réforme imposera 2,3 milliards d’euros de baisse de droits, en année pleine, pour 1,15 million de personnes [15], les poussant au RSA.

D’ailleurs, Macron a certes été obligé de remiser son projet «systémique» d’instituer un Revenu Universel d’Activité. Il viserait à créer une base unique de ressources pour l’attribution des prestations sous conditions de revenus (RSA,  prime d’activité allocations logement..) pour en réduire le coût. Or, un haut fonctionnaire du ministère des Solidarités a remis en janvier au Premier ministre la première version d’un rapport de préfiguration[16]. De quoi indiquer que cela serait au menu du président-candidat. On comprend pourquoi, en mettant en avant le projet systémique de sécurité d’emploi ou de formation pour chacun.e, Fabien Roussel oppose, lui, ce qu’il appelle « le travail universel ».

Ainsi, La France du profit et de la rente ne cesse-t-elle d’étouffer celle du travail et de la création. La stagnation des salaires, due à la pression du chômage et de la précarité et au refus de tout coup de pouce au SMIC, accentue l’angoisse populaire face aux hausses des prix de l’énergie, mais aussi de l’alimentation, des loyers, des assurances. L’hôte de l’Elysée cherche à protéger le patronat de toute bronca salariale à coup d’aides misérables temporaires, espérant ainsi prévenir la formation d’ une « boucle prix-salaires ».

En revanche, c’est la fête aux profits et aux dividendes. Le taux de marge des sociétés non financières est passé de 33,4 % de leur valeur ajoutée en 2019 à 31,7 % en 2020 et 34 % en 2021, record historique.

Les bénéfices réalisés par les sociétés du CAC 40 ont atteint 137 milliards d’euros l’an dernier, selon Bloomberg. Elles ont versé à leurs actionnaires 69,4 milliards d’euros, soit une progression de 15 % par rapport au précédent record de 2007[17]. Tout juste au-dessus des 5 000 points en mai 2017, le CAC 40 était encore à 7128 point le 10 février dernier. Un coût du capital favorisé par l’Elysée qui prétendait que cela ruissellerait…

Désindustrialisation et délocalisations

Macron, comme ses prédécesseurs, est obsédé par la rentabilité financière et l’attractivité des capitaux. Il n’a cessé d’accroître les pouvoirs patronaux pour diminuer le « coût du travail » marqueur unique de la compétitivité.

En 2016, pour l’ensemble « industrie et services marchands » en France, le « handicap de compétitivité »[18] par rapport à l’Allemagne était encore de 1,26 euro, tombant à 0,2 euro au 3ème trimestre 2021. En revanche, pour la seule industrie manufacturière , c’est l’Allemagne qui, en 2016, présente un niveau de coût de l’heure de travail supérieur de 2,85 euros à celui de la France et de 3,80 euros au 3 trimestre 2021[19]. Or, l’excédent commercial allemand a atteint 173,3 milliards d’euros, l’an dernier, contre un déficit record de 84,7 milliards pour la France !

Cette façon de tenter de gagner en compétitivité par la destruction de potentiels humains, au lieu de chercher à les sécuriser, de les développer et de faire reculer les coûts en capital, comme le propose seul ., n’a fait qu’accentuer la désindustrialisation et les délocalisations.

Le résultat est parlant. Selon l’OCDE [20], la valeur ajoutée de l’industrie (énergie comprise) représente 13,24 % de la valeur ajoutée totale produite en France en 2020 (13,83 % en 2017) contre 23,49 % en Allemagne et 19,52 % en Italie. Pour la seule industrie manufacturière, c’est pire.

Les délocalisations ont fait proliférer la désindustrialisation. Les effectifs salariés à l’étranger des multinationales à base française ont atteint 6,1 millions, beaucoup plus que leurs homologues allemandes. Ces délocalisations ont détruit « des communs industriels, c’est-à-dire un écosystème composé de sous-traitants et de compétences partagées dans les territoires » [21]. L’industrie automobile en a beaucoup pâti. Mais Macron n’a pas levé le petit doigt, au lieu de chercher à imposer des alternatives aux délocalisation, comme seul le propose Fabien Roussel.

Aussi, le roi de l’Élysée a dit se trouver nu quand, avec la pandémie, est apparue en pleine lumière l’ ampleur de la dépendance de la France vis-à-vis de l’étranger.

Plus d’État pour les profits

La crise sanitaire a été l’occasion d’une énorme relance de l’interventionnisme d’État et de l’appel redoublé à une Europe fédérale pour soutenir l’accumulation de capital avec, au-delà de « mesures d’urgence », un « plan de relance et de résilience » en faveur de « l’écologie, la compétitivité et la cohésion » soutenu à hauteur de 40 milliards d’euros par le plan NextGenerationEU de l’Union européenne.

Ont été accordés des soutiens sectoriels, sans contrepartie en emplois, à l’innovation industrielle, au numérique et à la transition énergétique, mais avec un paramètre constant : la compétitivité et l’attractivité par la baisse du « cout du travail» et des déficits publics et sociaux.

Macron s’est beaucoup préoccupé des startups et de la promotion de « licornes », avec l’appel massif à des fonds de capital-risque étrangers (américains surtout) et, désormais, des hedge funds. Cela concerne surtout les services et non la production industrielle avec des prises de contrôle par des investisseurs anglo-saxons sur des savoir-faire nationaux.

Le commerce extérieur et la balance de paiements de la France expriment l’ampleur et la nature de la dépendance créée par ce type de politique.

En 2021, le solde commercial FAB/FAB en valeur chute de 20,0 milliards d’euros et s’établit à -84,7 milliards, son plus bas historique. Le précédent creux se chiffrait à -75 milliards d’euros en 2011. Le recul du solde en valeur est tiré par l’énergie (-40,6 milliards d’euros), en écho à la hausse des prix du pétrole et du gaz, mais aussi, par les produits manufacturés [22] dont le solde pour l’année 2021 est de -31,8 milliards d’euros.

Certes, les échanges de services ont permis de compenser en partie ce naufrage, mais leur excédent de 35,7 milliards d’euros en 2021 est surtout du aux transports dont les coûts ont flambé avec la pandémie.

Alors qu’en est-il de l’attractivité des capitaux ?

Entre 2018 et 2020, selon la Banque de France, les investissements directs français à l’étranger ont totalisé 156,9 milliards d’euros, alors que les investissements directs étrangers (IDE) en France étaient de 65 milliards d’euros. Cette sortie nette de capitaux de 91,9 milliards d’euros a été compensée en partie par des entrées nettes de capitaux étrangers en investissements de portefeuille (IP) de 89,3 milliards d’euros. Cette attraction purement financière de la France s’est poursuivi en 2021 : un excédent de 22,3 milliards d’euros des IDE français et un excédent des IP étrangers en France de 16 milliards d’euros.

Autrement dit, les sorties de capitaux français pour s’investir dans l’économie réelle à l’étranger ont été compensées par des entrées de capitaux financiers attirés par les dividendes, les intérêts et les plus-values boursières offerts en France contre ses potentiels réels.

Plus de marché financier et d’Europe fédérale

Macron dit avoir retenu des leçons de la crise sanitaire lors de sa présentation du plan France 2030 le 12 octobre dernier : notre vulnérabilité, notre dépendance vis-à-vis de l’étranger, l’accélération « extraordinaire » de l’innovation, l’importance de la coopération. Il y ajoute « la force du modèle social (français), à la fois éducatif et en réparation des inégalités », tout en notant que si « ces dernières décennies nous avons sous-investi en éducation, formation, enseignement supérieur et recherche », lui, de l’Elysée, aurait commencé à corriger le tir.

Il met cependant un gros bémol : « nous sommes un pays qui travaille moins que les autres » et « le modèle productif capable de financer notre modèle social » n’existe plus.

La réforme des retraites est donc une priorité. Mais, a-t-il précisé sur TF1 en décembre dernier, « je ne pense pas qu’il faille faire exactement la même réforme que celle qui avait été envisagée (…) il faut simplifier nos règles, en allant vers une sortie des régimes spéciaux. Il y a 42 régimes aujourd’hui (..) est-ce qu’il faut un seul, ce qui était mon projet initial ? Je crois que c’est trop anxiogène ». Il s’agirait d’aller « vers un système simplifié » avec « grosso modo trois grands régimes », pour « la fonction publique, pour les salariés et pour les indépendants ».

Il entend serrer encore la vis contre les services publics, car il va falloir « rendre les mêmes services »… mais« avec moins d’argent ».

Le plus important, c’est que la France devienne « un pays qui produise davantage, un pays qui continue à faire les réformes pour produire plus » et, pour cela, « retrouve le fil du couple innover/produire », a-t-il asséné le 12 octobre en forme de critique de tous ses prédécesseurs. Car ce que lui a fait « produit des résultats tangibles et qui vont dans la bonne direction ». Mais « cela n’est pas suffisant(..) et si on reste à ce rythme et à ce niveau d’intensité (…) nous ne rattraperons pas notre retard ».

Il a aussi énoncé ses « convictions pour l’avenir ». D’abord « la France a longtemps pensé qu’elle pouvait se désindustrialiser en continuant à être une grande nation d’innovation et de production. C’est faux ! (…) innovations de rupture, innovation technologique et industrialisation sont beaucoup plus liées qu’on ne l’avait intuité alors ». Quelle découverte !

Pour rompre avec ce passé funeste, il faut« accélérer les investissements publics, créateurs de croissance, d’emplois, d’indépendance industrielle », aller vers « une hyperconcentration du capital et des talents ». Et de prophétiser que « notre pays va se réindustrialiser par des startups technologiques et ce qu’on appelle la Deep Tech » (innovations de rupture), les grands groupes industriels ramassant ensuite la mise. L’objectif annoncé en 2030 « est d’avoir au moins 100 sites par an (…) qui émergeront ainsi dans le cadre de cette Deep Tech ».

Cela veut dire, martèle-t-il, « qu’il faut qu’on mette beaucoup d’argent public et privé parce que le gagnant prend tout ». Et il précise qu’ « il s’agit d’argent que nous lèverons sur les marchés (financiers) et qui sera sanctuarisé ».

Cela rappelle Pompidou, a commenté la presse bien-pensante. Que nenni ! « Il faut s’inspirer de ce qui a été très bien fait avec les programmes d’investissements d’avenir et qui étaient une bonne méthode » assure, « humble », Macron. C’est donc plutôt du Sarkozy new look dont le premier Programme d’Investissements d’Avenir, préparé par un certain rapport Juppé-Rocard, mobilisa 35 milliards d’euros sur 5 secteurs par emprunts sur les marchés financiers en 2010. On sait ce qu’il en advint.

S’agissant du plan France 2030, la manne publique sera répartie ainsi : 8 milliards d’euros pour le secteur de l’énergie, dont le nucléaire ; 4 milliards pour les « transports du futur » dont 2 millions de véhicules électriques et hybrides ; 2 milliards pour l’agro-alimentaire ; 3 milliards pour l’industrie de la santé ; 2 milliards d’euros pour l’espace et les fonds marins et…« placer la France à nouveau en tête de la production des contenus culturels et créatifs » ! S’y ajoutent, pour la promotion de « talents » et « en prévision des besoins de concentration » sur de nouvelles filières, 2,5 milliards d’euros sur des formations d’élites, ainsi que 6 milliards pour « sécuriser » les composants électroniques.

Mais tout cela sans conditions pour l’emploi et sur l’utilisation de ces fonds, d’autant plus que, rentabilité financière oblige, « l’accumulation du capital » est une clé essentielle de réussite. Emmanuel Macron l’affirme, « pour y arriver, il faut continuer la stratégie économique qui est la nôtre, de continuer à investir beaucoup de capital et rendre attractif cet investissement en capital en France ». Il l’assure, même dans l’industrie automobile dont les groupes portent « une énorme responsabilité » des difficultés actuelles, « je fais confiance » aux acteurs ! Comme il a fait confiance à General Electric quand il lui a livré la division « énergie » d’Alstom !

Mais, cette fois-ci, il souhaite que son plan pour 2030 « soit encore davantage construit avec l’Europe (…) Le plan France Relance va s’accompagner d’une stratégie allemande (…) il est important qu’il y ait une synchronisation de nos approches et que ce plan soit au maximum européen (…) car la vraie compétition est entre grandes puissances planétaires».

Macron va donc se servir de sa présidence du Conseil de l’Union européenne pour tenter de faire avancer les dirigeants allemands dans la voie d’une Europe fédérale, y compris en matière industrielle et pas seulement de défense, de sécurité et d’immigration, au service de la domination des marchés financiers et avec l’espoir de construire un condominium franco-allemand sur l’Europe. Ce sera aussi, sans doute, une thématique centrale de sa probable campagne présidentielle dans laquelle il va beaucoup marier indépendance, « maîtrise de notre avenir » et Europe.


[1] Radio Arts-Mada 10 février 2022.

[2] Mathieu Plane de l’OFCE dans Le Monde du 4 février 2022.

[3] Waechter A. : « Emploi record en 2021 en France – La crise effacée »,4/02/2022, ostrum.philippewaechter.com

[4] Pôle emploi, 2021.

[5] Il concerne tous les contrats conclus entre le 1er juillet 2020 et le 30 juin 2022, jusqu’au niveau master.

[6] DARES.

[7] Jusqu’à 8 390 000 personnes en avril 2020 au pic du confinement.

[8] Institut Montaigne : « Quinquennat Macron – le grand décryptage », 10/2021, www.institutmontaigne.org .

[9] Suppression de la part de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) affectée aux Régions, baisse du plafond commun à cette taxe et à la cotisation financière des entreprises (CFE) de 3% à 2%, réduction de moitié des impôts fonciers des établissements industriels.

[10] Institut Montaigne,  op. cité ibid. .

[11] www.fipeco.fr .

[12] Système universel par points, fusion des 42 régimes de retraite en un régime unique, uniformisation progressive des cotisations retraite, disparition de la notion de durée d’assurance et introduction la notion d’un âge d’équilibre

[13] Avoir travaillé 6 mois dans les 24 derniers mois au lieu de 4 mois dans les 28 derniers mois.

[14] Avoir totalisé 6 mois de travail et non plus 150 heures, soit un mois.

[15] Etude d’impact de l’évolution des règles d’assurance chômage au 1er juillet 2021 – www.unedic.org .

[16]

[17] La Lettre Vernimmen, n°194 de janvier 2022, www.vernimmen.net .

[18] En termes de niveau de coût de l’heure de travail en euro.

[19] Rexecode : « Les coûts de la main-d’œuvre dans l’Union européenne au 3e trimestre 2021 », 07/02/2022, http://www.rexecode.fr .

[20] data.oecd.org .

[21] Vicard V. ; : « Il faut demander des comptes aux multinationales françaises », Le Monde, 9 février 2022.

[22] Autres biens industriels, autres biens d’équipement, automobile textile-habillement, autres matériels de transport.