Yves DIMICOLI
L’odieuse agression de l’Ukraine décidée par un Poutine pétri d’ambitions néo-impériales à la tête d’une Russie devenue capitaliste, et la façon dont les États-Unis, suivis par l’Union européenne, prétendent, par des sanctions indiscriminées, obliger le maitre du Kremlin à la cesser pour négocier, font à nouveau entrer l’Europe, de l’Atlantique à l’Oural, dans une période noire. Tous les peuples du continent sont désormais exposés à des risques de conflit armé et des perspectives sombres, tandis que, loin de ce brasier sur lequel Washington et l’OTAN n’ont jamais cessé de souffler depuis la dissolution du Pacte de Varsovie, les dirigeants américains entendent pleinement reconquérir, par une guerre financière avec le dollar, une hégémonie mondiale désormais en crise.
Rien ne saurait justifier l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe. C’est une négation violente du droit à l’auto-détermination du peuple ukrainien. La souveraineté d’un État indépendant, reconnu comme tel par l’ONU, est foulée aux pieds. Tous les principes du droit international sont bafoués.
L’Ukraine État indépendant reconnu par l’ONU
L’Ukraine, alors connue sous le nom de « République Socialiste Soviétique d’Ukraine », comptait parmi les membres fondateurs de l’ONU le 24 octobre 1945, au côté de l’URSS. Elle a d’ailleurs fait partie des pays membres élus pour siéger temporairement au Conseil de sécurité de l’ONU [1]. Un ministre ukrainien des Affaires étrangères [2] a même siégé en tant que président de l’Assemblée générale de l’ONU en 1997 et en 1998.
Les Ukrainiens ont voté massivement en faveur de l’indépendance de leur pays vis-à-vis de l’Union soviétique, alors en voie d’effondrement, lors d’un référendum tenu le 1er décembre 1991.
L ‘intégrité de l’Ukraine et ses frontières ont été reconnues par différents traités internationaux[3], tandis que, lors de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, le secrétariat général de l’ONU a réaffirmé la souveraineté de l’État ukrainien.
Le 8 décembre 1991, les dirigeants de la Russie, de l’Ukraine et de la Biélorussie ont signé l’accord fondateur de la Communauté des États indépendants (CEI) en se présentant comme États souverains.
C’est donc bien un État indépendant, reconnu par l’ONU, que la Russie de Poutine a décidé d’envahir, au contraire des « fake news » qu’essayent de répandre le Kremlin et ses hackers sur les réseaux sociaux.
Russie : immersion en capitalisme monopoliste d’État
Déjà, avec les difficultés avérées de la Perestroïka, des « réformateurs autoritaires »[4] comme Igor Kliamkine et Andranik Migranion plaidaient pour imposer à l’URSS le « passage au marché » (capitaliste) avec une « main de fer »[5].
L’implosion de l’URSS en 1991, après l’indépendance prise par les trois pays baltes en 1990, donna lieu, dès 1992, dans une Russie mise à genoux par la « thérapie de choc » de Boris Eltsine, à un « laissez faire » meurtrier, avec, particulièrement, la fuite en avant tous azimuts dans les privatisations, la liberté totale des prix, la course échevelée aux « centres de profits » et l’accumulation d’immenses fortunes par des « oligarques » prédateurs rendus tout-puissants.
Le chaos de cette période engendra en Russie un terrible sentiment d’humiliation et de déclin se traduisant, semble-t-il, jusque dans une chute de la démographie[6] dont Poutine, devenu Président, déclara qu’elle « menace la survie de la nation ». Surveillée par le FMI, la « transition », comme on disait alors, a conduit à une division par près de deux du PIB russe, tandis que, officiellement de 0,1 % de la population active au début des années 1990, le taux de chômage bondit à 7,5 % en 1994.
Dès son élection, après la démission surprise de B. Eltsine, le nouveau maître du Kremlin s’est dit déterminé à restaurer « la verticale du pouvoir »[7].
L’une de ses premières préoccupations fut de mettre au pas les « oligarques », par la prison, l’exil ou la mort en cas de résistance. Nombre d’entre eux, cependant, dont beaucoup d’anciens nomenclaturistes « convertis au marché », ont décidé de jouer le jeu et d’entrer dans une sorte de mécanisme unique renforcé entre un État hypercentralisé et autoritaire et des monopoles privatisés ou publics, devenant des rouages essentiels de l’appareil institutionnel russe et de sa corruption.
En même temps, pour tenter de sortir la Russie du chaos par ce qui s’affirmera être une voie capitaliste, Poutine cherche, un temps, à calmer le jeu avec les États-Unis et l’OTAN [8].
Si des secteurs stratégiques de l’économie, comme les hydrocarbures, sont alors passés aux mains de l’État, les dépenses sociales sont réduites. Une grande réforme fiscale avantage les entreprises et les titulaires de hauts revenus avec, notamment, un taux unique de 13 % pour l’impôt sur le revenu. Poutine fait aussi adopter un nouveau code du travail très favorable au patronat, tandis qu’au système de retraites existant sont ajoutés un pilier par capitalisation obligatoire et un pilier « épargne volontaire » permettant, à des fonds de pension privés notamment, de mettre la main de façon pérenne sur 6 % des cotisations retraites.
À la suite d’un fort mouvement populaire, en 2006, Poutine concède quelques réformes sociales. Mais, après la grande crise financière de 2008 qui frappa durement la Russie, puis en écho aux sanctions imposées par les occidentaux pour l’annexion de la Crimée en 2014, c’est la relance de l’austérité salariale et sociale : hausses de la TVA et de l’impôt sur le revenu, introduction d’une taxe sociale unifiée, réduction du taux des impôts sur les sociétés de 35 % à 24 %, réduction de l’imposition du capital. Surtout, dans la plus pure tradition du capitalisme monopoliste d’État (CME), le Kremlin multiplie les aides publiques et les dépenses fiscales sans contrepartie pour les grandes entreprises [9].
Au cours de cette dernière période, bénéficiant d’une amélioration sensible des termes de l’échange du pays grâce à la hausse des prix des matières premières, la Russie présentait en 2021 un excédent structurel de sa balance courante de 95 milliards de dollars. La banque centrale russe a pu ainsi accumuler d’importants actifs extérieurs (réserves en devises), les excédents commerciaux ne servant pas principalement à soutenir la demande intérieure et consolider la production de façon socialement efficace. L’objectif était de permettre à l’État russe de résister à une crise faisant chuter ses exportations. C’est ainsi que les réserves de change de la Russie ont fini par atteindre 630 milliards de dollars (or compris) avant l’invasion de l’Ukraine, composées à hauteur de 57 % d’euros, de livres sterling et de dollars. Poutine a veillé à ce que la part de celui-ci tende à diminuer le plus possible, notamment en se tournant vers le yuan [10].
On peut relever trois faits significatifs durant cette période :
- l’indice MOEX de la Bourse de Moscou [11] est monté quasi continuellement (hors la crise de 2008, après avoir atteint un sommet historique en 2007, et les années de sanction 2014 et 2015). À 100 en 2002, il atteignait 1 493 au 4 mars 2013, puis 4 284,91 le 20 octobre 2021, pour reculer ensuite et dévisser avec les sanctions occidentales.
- en 2021, selon le classement Forbes des plus grandes fortunes mondiales [12], la Russie comptait 117 milliardaires, contre 99 un an plus tôt, pour une fortune totale nette de 583,9 milliards de dollars (385,1 en 2020). Ils n’étaient que 13 à faire partie du classement en 2010.
- les inégalités de revenu sont colossales : les 10 % les plus riches accaparent près de 47 % du revenu national contre 17 % pour les 50 % les plus modestes. C’est encore pire en matière de patrimoine : les 10 % les plus nantis disposent de 74 % de la richesse nationale contre 3,1 % pour les 50 % les moins aisés (58,5 % et 4,4 % respectivement dans l’UE)[13].
- l’arrivée de Poutine au Kremlin a été synonyme, cependant, d’un fort recul durable du taux de chômage officiel : de 13,26 % en 1998, il est tombé à 6 % en 2007 et jusqu’à 4,5 % en 2019 pour remonter à 5,5 % en 2020[14]. Un résultat important qui peut expliquer, malgré des problèmes sociaux et de liberté grandissants, le relatif consensus dont dispose, jusqu’ici, la politique de Poutine en Russie.
- malgré ce faible taux de chômage officiel, le montant mensuel du salaire mensuel médian n’est que de 32 422 roubles (environ 360 euros). Le salaire moyen est de 51 352 roubles (570 euros). L’écart entre salaire médian et salaire moyen est important, « c’est un des marqueurs des inégalités en Russie : peu de russes ont des salaires élevés, mais ils sont très élevés » [15]. Le salaire minimum était en 2021 de 12 792 roubles (142 euros environ).
- le taux de pauvreté atteignait 13,1 % début 2021, en hausse quasi constante depuis 2012, bien que mesuré avec un seuil de pauvreté très bas (11 700 roubles, environ 130 euros). Selon l’agence officielle Rosstat, 62 % des Russes disposeraient de revenus juste suffisants pour payer nourriture et habits [16].
Après le chaos des années Eltsine, la Russie est devenue avec Poutine un pays capitaliste d’État disposant d’une rente énergétique et connecté à la finance mondiale. Aussi, les exigences de rentabilité financière qui y prédominent sont-elles confrontées comme ailleurs, corruption en plus, à une formidable crise systémique, à la dictature du dollar, à une rivalité mondiale dans l’attraction des capitaux, la course aux technologies informationnelles et aux armements.
Un impérialisme secondaire humilié et menacé
Frédéric Munier, dans une contribution importante [17], relève que la fin de la guerre froide s’est accompagnée d’un élargissement de l’Union européenne permettant, entre 2004 et 2007, d’y arrimer les PECO. Ces mouvements ont été d’autant plus puissants et populaires que s’associer et adhérer à l’UE apparaissaient comme le meilleur moyen de s’arracher aux dominations russes vécues comme la principale menace. Comme le note significativement Frédéric Munier, « ces élargissements ont souvent été accompagnés, sinon précédés, par ceux de l’OTAN », bras armé des États-Unis, dont la France réintègre le commandement intégré en 2009.
Cet élargissement, au service de la domination des marchés financiers, accompagné d’une vassalisation de l’Europe occidentale par les États-Unis, s’est développé dans une mondialisation où la dictature de la rentabilité financière et du dollar permettent à ces derniers d’attirer des masses considérables de capitaux et des cerveaux. Ainsi, grâce au privilège « exorbitant » dont dispose le dollar d’être, à la fois, monnaie nationale américaine et monnaie commune mondiale de fait, les États-Unis peuvent faire financer par l’extérieur dollarisé, grâce un crédit perpétuel, leur domination informationnelle et de gigantesques dépenses d’armement.
Cet élargissement n’a cessé d’être vécu comme une menace par la Russie amputée des anciennes dépendances dont elle bénéficiait avant l’implosion de l’URSS.
La dissolution en 1991 de l’alliance militaire issue du pacte de Varsovie, érigée face à l’OTAN, a permis à cette dernière de progresser jusqu’aux portes de la Russie.
Loin d’avoir été saisie comme une opportunité pour construire un nouvel ordre du monde sur la base de coopérations de co-développement et de partages pacifiques favorisant le désarmement, la « levée de l’hypothèque soviétique » a été rapidement vue comme l’occasion d’une extension formidable des dominations économiques et militaires occidentales et des antagonismes, le tout finissant par contribuer à relancer une folle course au surarmement.
La tentative d’endiguement de la Russie par l’Occident, l’OTAN et l’Union européenne se relayant, a fini par cibler directement l’Ukraine. En 2009, année où la Russie se relève lentement de la « grande crise financière » qui l’a rudement impactée, Kiev signe avec l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie la Géorgie et la Moldavie un « partenariat oriental » avec l’UE.
Selon J. Borrell, Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, le partenariat oriental est « au cœur de la politique étrangère de l’Union européenne »[18]. C’est l’un des principaux piliers de sa «politique de voisinage». Il est censé permettre aux États intéressés de se rapprocher de l’UE et de ses membres en renforçant leurs liens politiques, économiques et culturels [19].
Ce protocole est rejeté par les dirigeants de l’État ukrainien, provoquant d’importantes manifestations regroupées sous le nom de « Euromaïdan »
Il est avéré que, dans ce grand mouvement populaire, le parti d’extrême droite Svoboda, puis, encore plus radical, le parti ultra-nationaliste « Secteur droit »[20] ont joué un rôle important dans la suite des événements.
Le président pro-russe Ianoukovytch est destitué, tandis que débute la guerre meurtrière du Donbass dans laquelle, manifestement, se sont engagés, face aux « séparatistes pro-russe » locaux encadrés par des instructeurs russes, quelques milliers de combattants néo-nazis tels ceux du « bataillon Azov »[21].
Pour le Kremlin, l’éventuelle absorption de l’Ukraine par l’Union européenne porte à l’incandescence son sentiment d’insécurité, et sa frustration aussi car, pour Poutine, dans une tradition « grand-russe » qu’il semble assumer désormais, ce pays doit être russe.
En 2005, déjà, il déclarait que « la désintégration de l’URSS a été la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle ».
En avril 2016, il accusait Lénine d’avoir fait « exploser la Russie » en ayant institué le fédéralisme. Il donnait ainsi raison à Staline partisan d’une absorption des républiques fédérées (Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Géorgie, Ukraine) par la République de Russie contre Lénine qui, dénonçant le « chauvinisme grand russien » de Staline, proposait, lui, une fédération unissant des républiques égales et non des croupions de la Russie.
Le 22 février 2022, en reconnaissant les « Républiques populaires » séparatistes de Donetsk et de Lougansk, Poutine ajoutait que « l’Ukraine a été entièrement construite et créée par Lénine » et agonisait de reproches les Bolcheviks.
Ancien officier supérieur du KGB sous Brejnev, Poutine serait pétri du type de « soviétisme » qui y régnait alors. Il aurait participé à la réintroduction d’un penseur fascisant oublié, Ivan Ilyine, très anti-communiste, admirateur de Franco et Salazar. Il serait proche de Nicolaï Danilevski qui inspira Samuel Huntington sur la « guerre des civilisations ». Il appuierait Lev Goumiliev « qui représente la théorie eurasiste durant la période soviétique ». Par ailleurs, dans les sphères influentes de l’État russe, on serait attiré par les thèses d’Alexandre Douguine qui écrivait, dès 2009 : « Nous ne pouvons exclure d’avoir à mener une bataille pour la Crimée et pour l’Ukraine orientale »[22].
Le maitre du Kremlin semble, désormais, avoir renoué avec le modèle du « despote oriental » frayant avec une intelligentsia qui conjugue l’idée d’un affrontement inévitable entre la culture slave et la culture européenne et celle de la supériorité de la religion orthodoxe. On sait combien Cyrille, le patriarche « de Moscou et de toutes les Russies », chef de l’Église orthodoxe russe, soutient la guerre de Poutine avec, parfois, des accents de croisade. Cela d’autant plus que, depuis 2019, l’Église orthodoxe russe et l’Église orthodoxe ukrainienne se livrent une guerre d’influence aux enjeux très politiques : Kiev étant le berceau du christianisme orthodoxe, Moscou ne peut se permettre de perdre pied dans ce pays.
Mais il faut ajouter à cela un sentiment d’insécurité croissante engendré par les menées plus ou moins conjointes des États-Unis et de l’UE. Et l’on sait que Washington se livre à un vaste effort de reconquête d’un leadership mondial de plus en plus discuté, particulièrement par la Chine, utilisant pour cela toutes les armes de domination massive dont il dispose : militaires avec l’OTAN, économiques avec leurs multinationales géantes, monétaire et financière avec le dollar et le FMI, juridique avec la dite « extraterritorialité du droit américain », informationnels et culturels avec les GAFAM, SWIFT… sans parler de la CIA.
Des sanctions occidentales sans précédent
« Nous allons livrer une guerre économique et financière totale à la Russie », a déclaré Bruno Le Maire le 1er mars sur France-Info, promettant que les puissances occidentales allaient « provoquer l’effondrement de l’économie russe » pour punir l’invasion de l’Ukraine. Un aveu qu’il corrigea dans la journée car cela faisait un peu désordre avec l’affirmation répétée, la main sur le cœur, par Emmanuel Macron que « nous ne sommes pas en guerre contre la Russie ».
Le fait est que la riposte apportée par les États-Unis, et leurs alliés européens alignés, à l’entreprise guerrière du Kremlin est massive et pourrait faire très mal au peuple russe, bien sûr, mais aussi à tous les peuples d’Europe, des pays africains et du pourtour méditerranéen très dépendants des exportations russes d’hydrocarbures et de céréales.
La liste est longue et appelée à s’allonger : fermeture de l’espace aérien des pays membres de l’UE aux appareil russes ; interdiction dans l’UE des médias russes, Russia Today (RT) et Spoutnik ; gel des avoirs en Europe de Poutine et de son ministre des Affaires étrangères, S. Lavrov ; interdiction des exportations de produits de luxe vers la Russie ; embargo par les États-Unis et le Royaume-Uni sur les importations de pétrole et de gaz russe…
Mais, deux autres sanctions, ont été décidées d’être utilisées comme « arme nucléaire » (Bruno Le Maire) : le gel des réserves extérieures de la Banque centrale de Russie et la coupure de grandes banques russes du système SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication).
La plus violente est la décision du gel des réserves de la banque centrale de Russie détenues à l’étranger auprès d’autres banques centrales, notamment celles de la zone euro. En interdisant à l’Institut d’émission russe de puiser dans ses avoirs extérieurs, Américains et Européens veulent ainsi l’empêcher de défendre le rouble et tenter de ruiner le pays.
Certes, cet acte de guerre a déjà été commis, toujours à l’initiative des Anglo-saxons : en 1997 en Iran et en 2003 en Irak, à l’initiative de Washington et, plus récemment, contre l’Afghanistan par les États-Unis et contre l’Irak par le Royaume-Uni. Mais, les dispositions prises à l’encontre de la Russie sont d’une ampleur sans précédent.
Le journal Le Monde (10 mars 2022)souligne à juste titre : cette décision « signifie que la sécurité des réserves d’un pays détenue à l’étranger n’est pas garantie. Elles peuvent être prises en otage dans le cadre de sanctions ». Et le véritable donneur d’ordre, en l’espèce, ne peut être que Washington, car ces réserves sont très largement encore détenues en dollars (59,2 % du total des réserves de change de la planète) selon le FMI, contre 20,5 % pour l’euro et 2,7 % pour le Renminbi (Yuan). De quoi souligner, une fois de plus, le caractère exorbitant des pouvoirs de frappe dont disposent, contre le monde entier, les États-Unis avec le dollar.
La deuxième sanction « nucléaire » a consisté à couper plusieurs grandes banques russes de SWIFT. Cette coopérative mondiale créée en 1973 et basée en Belgique est un très important prestataire de services facilitant et sécurisant les grandes transactions financières internationales. SWIFT, qui centralise les ordres de virement entre les clients des différentes banques, aurait transmis environ 10,6 milliards d’ordres de paiement à travers le monde, soit près de 500 par seconde au sein d’un réseau interconnectant plus de 11000 établissements financiers dans 200 pays.
Il est évident que cette sanction peut donner un fort coup de frein sur l’activité du pays et les transferts financiers des banques russes avec leurs partenaires occidentaux. Selon une projection réalisée en 2021 par le Carnegie Moscow Center, le retrait complet de toutes les banques russes de SWIFT entrainerait une baisse de 5 % du PIB de la Russie[23]. Comme on va le voir, nous n’en sommes pas encore là.
Il faut accorder une place particulière, enfin, à la décision des États-Unis d’interdire l’importation de pétrole et de productions énergétiques russes, ciblant ainsi, selon Joe Biden lui-même, « la principale artère de l’économie russe »[24]. Le décret bannit tout nouvel investissement américain dans le secteur énergétique russe est empêche les Américains de financer des entreprises étrangères qui investissent dans le secteur[25].
Cette décision a été prise sans aucune concertation avec les « alliés » européens, sous la pression, principalement, du Parti républicain et du très puissant lobby pétrolier US prenant ainsi sa revanche sur les décisions de freinage de la production d’hydrocarbures de Joe Biden en début de mandat[26].
Celui-ci aurait résisté, dans un premier temps, afin d’éviter que le prix du pétrole augmente trop fortement outre-Atlantique – on sait l’importance pour les ménages américains du prix de l’essence, qui pèse 3,7 % de l’indice des prix à la consommation – alors même que l’inflation dépasse désormais les 7 % outre-Atlantique.
Les États-Unis qui dépendent peu de la Russie, dont proviennent moins de 8 % de leurs importations totales, espèrent pouvoir compter sur un redémarrage sensible de l’exploitation d’hydrocarbures de schiste et un vif essor de leurs livraisons de gaz naturel liquéfié (GNL)…vers l’Europe occidentale.
Londres s’est immédiatement placée dans la foulée de Washington car, le Royaume-Uni est beaucoup moins dépendant du pétrole russe qu’une grande partie de l’Europe occidentale.
L’Europe, cornaquée par Washington, bute sur le gaz russe
Alexandre Novak, vice-Premier ministre de Russie, a averti que si l’ensemble des pays occidentaux suivaient une telle décision, le prix du pétrole brut WTI pourrait grimper jusqu’à 300 dollars le baril, contre un peu plus de 100 dollars actuellement. Ce serait un gigantesque « choc pétrolier ».
De plus, la Russie a annoncé qu’en riposte aux sanctions occidentales déjà décidées elle se tenait prête à couper l’approvisionnement en gaz de l’Allemagne. Ce serait très douloureux pour ce pays car, sur les 93 milliards de m3 qu’il a consommés en 2021, 61 milliards ont été acheminés via le gazoduc Nord Stream1.
Au demeurant, la Russie est le principal fournisseur de pétrole (27 % des importations en 2019), de charbon (47 %) et de gaz (41 %) des pays de l’UE. Et si la substitution d’autres sources pour le pétrole et le charbon peut s’envisager, il en va différemment pour le gaz qui nécessite d’importantes dépenses d’infrastructures spéciales pour pouvoir être livré sur le marché. En clair, si la Russie cessait ses exportations, l’UE perdrait 40 % de ses approvisionnements en gaz naturel.
Certes, les importations de gaz russe ne représentent que 8 % de la demande totale d’énergie primaire de l’UE, mais le mécanisme qui a été choisi pour tarifer l’électricité de l’UE, afin d’en dérèglementer le marché, est fondé sur le coût du gaz, ce qui va démultiplier le choc. Cela permet aussi aux fournisseurs d’électricité d’engranger de formidables rentes, à l’exception d’EDF en France, où le pouvoir macroniste a décidé d’en capter le fruit au profit des producteurs privés.
En outre, l’UE doit reconstituer ses réserves qui sont très insuffisantes. Comme le relève Jean Pisani-Ferry, « même si elle réduit la consommation globale de gaz d’un cinquième et limite la reconstitution des réserves à 500 TWh, elle devra importer (de Russie) quelque 3400 TWh en 2022. Si le gaz cesse de s’écouler de Russie (…) les importations en provenance d’autres sources devront augmenter de 70 % »[27]… Or, la substitution d’autres sources au gaz russe va demander beaucoup de temps et d’argent, d’autant plus que certains projets pour accroître l’accès au gaz algérien, via l’Espagne, ou au gaz grec et chypriote, ont été abandonnés ou font l’objet de désaccords entre parties prenantes.
Selon J. Pisani-Ferry, « (…) le coût à court terme de la réduction de la dépendance énergétique (de l’UE) vis-à-vis de la Russie pourrait s’élever à 100 milliards d’euros »[28]. Mais se poserait, alors, la question brûlante du partage de la facture entre les différents pays, ce qui ne finirait pas d’alimenter une discorde que, pour l’heure, les Européens veulent à tout prix refouler.
L’UE se trouve donc dans une situation très paradoxale. D’abord, si elle ne cesse pas d’importer du gaz russe, elle se trouve en position de s’exposer à un éventuel chantage de Moscou. Par ailleurs, il y a contradiction entre le fait de sanctionner la Russie pour son acte de guerre et continuer, en quelque sorte, à contribuer à le financer par l’achat de quantités importantes de gaz.
Tout cela place l’UE en porte à faux dans le bras de fer entre l’Occident, son généralissime américain et le Kremlin.
Quoi qu’il en soit, et malgré le forcing des anglo-saxons et des bellicistes européens comme la Pologne, grande amie de Washington, si les 27, au sommet de Versailles des 11 et 12 mars derniers, ont réitéré leur soutien à l’Ukraine, « membre de la famille européenne », ils ont été contraints d’acter le fait que l’UE ne pouvait pas se passer dans l’immédiat du gaz russe. Et, alors que Berlin annonçait l’abandon de Nord Stream 2 attendu par Washington, le principe a été retenu que la Commission de Bruxelles proposerait dans les semaines qui viennent un plan pour mettre fin à cette dépendance en 2027.
Alors, les dirigeants européens multiplient les hypothèses pour les trente années à venir, au moins, oubliant la devise de Keynes selon laquelle, « à long terme, tout le monde est mort ».
Le plus certain, tout atlantisme mis à part, c’est qu’il faudra faire beaucoup plus appel au GNL américain, mais que cela va exiger d’accroître les infrastructures portuaires et terrestres le permettant. On envisage aussi de très importants investissements de diversification des sources, un renforcement de l’interconnexion et la définition de plans d’urgence pour répondre aux ruptures d’approvisionnement…
Dans l’immédiat, les roulements de tambours permettent de reléguer au second plan les divisions et le débat sur le partage de l’ardoise. L’idée que la Russie s’attaque aux « valeurs européennes » abreuve quotidiennement les peuples en proie au formidable choc émotionnel suscité par le spectacle insupportable des souffrances endurées par les Ukrainiens et, à juste titre, inquiets d’une extension du conflit. De quoi inscrire dans les consciences qu’il faut taper très dur et de façon indiscriminée sur la Russie, que cela, par la force des choses, fera mal aux habitants d’Europe occidentale aussi et que l’ardoise lourde associée au règlement de ces problèmes concourrait, en même temps, à mettre fin à la guerre et à mener la « transition écologique »…Elle devra donc être supportée par les contribuables et s’accompagner d’un bond en avant dans la « sobriété » pour la majorité des consommateurs et dans l’austérité pour les salariés et leurs familles.
Après le tunnel de la pandémie, dont on n’est pas sorti et qui a tant sidéré les Européens, permettant un tournant des politiques économiques au profit du capital, c’est désormais le tunnel de la guerre favorisant traditionnellement l’union sacrée derrière les capitaux et l’impérialisme dominant. Mais l’histoire n’est pas dite…
Bras de fer militaro-économique et blocs d’alliances
1 – Russie :
Face à ces sanctions, la Russie a conçu des ripostes :
- contrôle des mouvements de capitaux : interdiction du transfert des devises à l’étranger et de la vente de titres russes par des investisseurs étrangers ; obligation pour les entreprises russes de vendre en roubles 80 % de leurs revenus engrangés en devises et de continuer de maintenir un ratio de liquidités en roubles de 80 % à l’avenir ;
- hausse spectaculaire des taux d’intérêt de 9,5 % à 20 % ;
- fermeture des Bourses.
De plus, des marges de manœuvre continuent d’exister côté russe, même si elles sont étroites et peuvent le devenir encore plus :
- les exportations de matières premières restent une source potentielle de devises qui n’a pas pu être tarie par les sanctions actuelles.
- il existe aussi la possibilité pour la Banque de Russie de mobiliser ses réserves auprès de pays non hostiles, la Chine en tête, où elle en détient 15 %.
- elle peut aussi vendre des réserves en or et mobiliser des réserves non déclarées détenues sous forme de swaps ou dans des paradis fiscaux, sans parler de l’éventualité d’un recours aux cryptomonnaies pour contourner les sanctions.
Surtout, la Russie cherche à se rapprocher de la Chine, beaucoup plus puissante et elle-même engagée dans une guerre économique, technologique et financière radicale avec les États-Unis. Ces derniers, dont le leadership mondial est mis en cause, veulent anéantir les potentiels de leadership alternatif dont les Chinois disposent désormais.
Depuis 2014 (annexion de la Crimée), le rapprochement entre Moscou et Pékin semble évoluer vers une véritable alliance stratégique.
Depuis cette date, deux contrats de livraison d’hydrocarbures ont été signés par Pékin avec la Russie portant sur un total de 517 milliards de dollars. Si la Russie ne peut plus vendre ses hydrocarbures à l’Occident, la Chine sera toujours cliente, permettant de renflouer en partie les caisses de Moscou.
D’où, le 23 février 2022, cette déclaration de la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Hua Chunying : « La position du gouvernement chinois est claire, nous pensons que les sanctions n’ont jamais été un moyen efficace de résoudre les problèmes. La Chine s’oppose toujours à toute sanction unilatérale illégale. »[29].
Mais Pékin ne veut pas d’une économie russe sous perfusion permanente chinoise et, par ailleurs, tous les motifs de contentieux entre les deux pays n’ont pas disparu comme par enchantement. De plus, la Chine a aussi des contrats avec l’Ukraine.
Cependant, juste avant le début de la guerre en Ukraine, la Chine avait soutenu l’idée d’un « partenariat sans limites », suggérant aux observateurs américains qu’un « front anti-occidental » est en train de se former autour de ces deux puissances.
Surtout, quelques heures avant la soirée d’ouverture des Jeux olympiques à Pékin, Poutine et Xi Jinping ont publié une déclaration conjointe sans précédent, promettant que leur coopération serait « supérieure » à celle forgée entre les deux pays pendant la Guerre froide, y compris sur le plan de l’armement et de la politique de défense. Dans cette déclaration « sur l’entrée des relations internationales dans une nouvelle ère », les deux pays dénoncent le rôle déstabilisateur des États-Unis pour « la stabilité et une paix équitable » dans le monde. En particulier, ils se disent « opposés à tout élargissement futur de l’Otan », faisant écho à l’exigence première de Moscou pour parvenir à une désescalade des tensions russo-occidentales en Ukraine. Les deux capitales se disent aussi « préoccupées » par la création en 2021 de l’alliance militaire des États-Unis avec le Royaume-Uni et l’Australie (Aukus) estimant que cette union, notamment autour de la fabrication de sous-marins nucléaires, « touche à des questions de stabilité stratégique »[30].
Cela a immédiatement amené Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, à déclarer : « Nous faisons savoir directement et en privé à Pékin qu’il y aurait des conséquences pour n’importe quel pays qui fournirait un soutien à la Russie pour l’aider à surmonter les sanctions imposées par la communauté internationale »[31].
Par ailleurs, pour le moment, les pays asiatiques, Inde comprise mais Japon et Singapour mis à part, s’abstiennent de prendre parti, les relations avec la Chine, mais aussi avec la Russie s’agissant de l’Inde, étant trop importantes à leurs yeux, tandis que depuis la « crise asiatique » de 1997, les pouvoirs du dollar font s’interroger beaucoup là-bas.
Et il y a tous les pays producteurs de pétrole et de matières premières qui restent aussi sur une réserve prudente, sans parler des pays non exportateurs d’Afrique et du pourtour méditerranéen qui risquent de connaître la famine avec l’envolée des prix de l’alimentation que font redoubler les sanctions occidentales.
Le peuple russe va subir un choc sérieux avec une rude mise à l’épreuve de son économie. Il est difficile, pour l’heure, d’en prendre vraiment la mesure.
L’effondrement du rouble de 37 % entre le 24 février et le 14 mars laisse anticiper un bond de l’inflation en Russie via les prix des produits importés, alors même que, de janvier 2021 à janvier 2022, elle a été déjà de 8,7 %, un record depuis 2016 et le double de l’objectif affiché par la Banque centrale.
Cela risque de rendre beaucoup plus coûteuses les denrées agricoles et agro-alimentaires, la Russie en consommant 20 % de plus qu’elle n’en produit. Selon le quotidien Les Echos du 14 mars, les hausses de prix auraient gagné dix points sur la seule première semaine de guerre. Le journal rapporte que, selon « diverses sources », la guerre et la coupure des liens financiers avec l’Occident auraient déjà impacté négativement les emplois et les revenus et que le PIB russe pourrait chuter de 12 % à 15 % cette année.
Mais rien n’est certain, car il faut faire la part de ce qui relève d’une tentative de prévision sincère et de ce qui relève d’une propagande voulue ou non de guerre économique.
Par exemple, tous les grands médias français annoncent que la Russie serait sur le point de faire défaut sur sa dette. En effet la Russie doit rembourser prochainement un emprunt émis sur le marché de Londres de deux milliards de dollars. Marc Touatisouligne que « l’État russe a dernièrement fait savoir qu’il comptait rembourser cette dette en roubles. Mais comme le rouble s’est effondré (…) le taux d’intérêt à un an des obligations de l’État russe est ainsi passé de 8 % début janvier 2021 à 24,5 % depuis le 4 mars. »[32].
Pour autant, le défaut de paiement russe est-il imminent ? Certes, les agences de notation, américaines pour l’essentiel et décrédibilisées depuis le scandale des « subprimes » aux États-Unis, se sont précipitées de classer la dette publique russe en catégorie C (dernière étape avant le défaut).
Pourtant, la Russie a une dette publique de 18 % de son PIB seulement, l’une des plus faibles au monde. Elle est très inférieure aux 170 % de la dette souveraine de la Grèce lorsque, en 2011, ce pays risquait officiellement le défaut de paiement. De plus, la Russie a une balance courante structurellement très excédentaire et ses réserves d’or représentent l’équivalent de quelque 135 milliards d’euros. Enfin, le Fonds de stabilisation de la fédération de Russie, fonds souverain russe qui gère les excédents budgétaires commerciaux liés aux exportations de ressources naturelles, disposait d’un actif estimé à 174,90 milliards de dollars au 1er février 2022 contre 197,75 milliards de dollars en novembre 2021[33]. Certes, depuis le déclenchement de la guerre, ces actifs ont accentué leur perte de valeur du fait du retrait d’institutions occidentales comme le fonds souverain norvégien mais Marc Touati remarque cependant que, « (..) le défaut organisé de la Russie risque de coûter bien plus cher à ses créanciers internationaux, qui ne détiennent d’ailleurs que 23 % de la dette russe »[34].
Donc rien n’est encore définitivement joué, car, dans ce bras de fer, les occidentaux ont aussi à perdre, comme l’indiquent les pertes de quelque 17 milliards de dollars liés à des investissements en Russie annoncées par le plus grand gestionnaire d’actifs américain, BlackRock. Jusqu’où les uns et les autres vont-ils pouvoir aller, telle est la question ?
2 – États-Unis
Ils sont les moins exposés et ils poussent les Européens à se surexposer dans la guerre économique et la riposte militaire éventuelle contre Moscou : ils sont loin du théâtre des affrontements qui peut s’élargir, ils peuvent bénéficier d’une réorientation des flux commerciaux, comme avec le GNL, et ils polarisent encore plus, pour le moment, les flux de capitaux vers les États-Unis, grâce au dollar, plus que jamais valeur refuge. Cependant, ils ne sont pas isolés de tous les risques.
Certes, la reprise à l’œuvre demeure vigoureuse, mais une tendance au freinage semble se faire jour : lors de l’enquête de conjoncture du 11 février, les prévisionnistes s’attendaient à une augmentation du PIB réel en taux annuel de 1,8 % au 1er trimestre 2022, en baisse de 2,1 points de pourcentage par rapport aux 3,9 % escomptés lors de la précédente enquête. Et, si le taux de chômage américain a légèrement baissé à 3,8 % en février 2022, contre 4 % le mois précédent, c’est inférieur aux attentes (3,9 %). Le nombre de chômeurs a baissé légèrement pour s’établir à 6,27 millions. En février 2020, avant la pandémie de la COVID-19, le taux de chômage était de 3,5 %, le nombre de chômeurs était de 5,7 millions[35] et à l’époque, le taux d’activité était plus important.
Surtout, les tensions inflationnistes sont sensiblement plus fortes et durables. C’est vrai sur les prix à la consommation, ce qui entraine, avec l’arrêt brutal en février de la hausse des salaires, une érosion de la rémunération des travailleurs américains à un moment politiquement difficile pour Joe Biden. C’est encore plus vrai sur les actifs financiers qui, de plus en plus surévalués, sont exposés au risque de krach si la croissance venait à chuter à cause, par exemple, d’une remontée insuffisamment maitrisée des taux d’intérêt.
De ce fait, avant que ne débute la guerre en Ukraine, les opérateurs de marché prévoyaient que la FED augmenterait son taux directeur dès le mois de mars, ouvrant un cycle de 7 hausses de 25 points de base d’ici à la fin de l’année. En écho à ces anticipations, les taux à court terme se sont relevés beaucoup plus que ne l’ont fait ceux à long terme, freinés par l’attraction toujours forte des obligations du Trésor américain et leurs achats toujours importants par la FED[36]. Le resserrement de l’écart a pu faire craindre une inversion de la courbe, avec des taux courts devenant supérieurs aux taux longs, configuration qui, toujours par le passé, a annoncé une récession.
Mais la FED, qui voulait stopper ses achats d’obligations d’État sur le marchés et engager une très progressive remontée des taux, est placée par les évènements devant un dilemme avec le risque de précipiter une chute de la croissance qui pourrait entrainer un krach de la Bourse, lequel se propagerait alors à toutes les places occidentales et précipiterait une dépression.
3 – Zone euro et Union européenne ;
Mais ce dilemme est encore beaucoup plus intense pour la BCE. Le taux d’inflation en zone euro s’est en effet inscrit à 5,8 % en février dernier, après 5,1 % en janvier. Cela signifie que, pour revenir au taux d’inflation de 3,5 % attendu par la Commission européenne, il faudrait un sacré coup de frein, alors même que la croissance demeure très inégale et précaire et que le poids des dettes publiques et privées n’a cessé de croître.
La zone euro subissait, dès avant l’agression contre l’Ukraine, une sensible détérioration de ses termes de l’échange, alors même que sa reprise économique demeurait très incomplète. Le choc des prix pétroliers, la flambée des prix de toutes les matières premières, l‘inflation des prix de certains composants et l’impact de la guerre sur la croissance économique risque de rendre plus défavorable pour la zone que pour les États-Unis la différence entre le taux de croissance réel et les taux d’intérêt réels, lui faisant perdre de son attractivité financière.
Certes, pour l’heure, les hausses de salaires sont très contenues, donnant aux dirigeants l’espoir, avec une 6ème vague COVID-19 qui accentuerait la sidération des travailleurs, que ne se formera pas une « boucle prix-salaires » comme cela a été le cas outre-Atlantique jusqu’en janvier dernier. Mais si la hausse des prix à la consommation perdure, la BCE aurait à choisir : doit-elle, pour prétendre endiguer l’inflation, mettre précocement fin à son « quantitative easing » et engager plus vite et plus fort que prévu un relèvement de ses taux d’intérêt, comme le veut l’orthodoxie capitaliste, ou, doit-elle ajourner encore de telles décisions par crainte d’étouffer la reprise si inaboutie, inégale et précaire, alors que le chômage est autrement plus important qu’aux États-Unis.
L’industrie automobile allemande est particulièrement vulnérable. Mais la France est aussi concernée car elle représente le premier employeur et le deuxième investisseur étranger en Russie où 35 sociétés du CAC 40 sont installées (TotalEnergies, Renault, Auchan, Alstom, Safran…).
Par ailleurs, les banques européennes se trouvent beaucoup plus exposées que les banques américaines au risque sur les crédits accordés aux entreprises russes ou opérant en Russie. Cela concerne les Françaises Société générale, BNP-Paribas et Crédit Agricole, l’Autrichienne Raiffeisen Bank, la Néerlandaise ING, les Italiennes Unicredit et Intesa Sanpaolo. Seule l’américaine Citi est vulnérable. Le scénario le plus noir serait que la Russie, arguant de la dureté des sanctions occidentales, se déclare en défaut et finisse par imposer un moratoire sur les dettes extérieures.
Bref, l’espoir de « normalisation » progressive caressé par les dirigeants de l’UE depuis l’été dernier a fait long feu. La question se pose désormais, pour eux, de prolonger le soutien massif aux profits, même de façon un peu plus ciblée, engendrant des coûts budgétaires supplémentaires, alors que les niveaux de dette publique sont très élevés, surtout en Europe du Sud. Un resserrement monétaire pourrait entrainer le retour de fortes tensions sur les marchés de dettes publiques, avec le creusement des primes de risque, au détriment notamment de l’Italie, et une fragilisation de l’euro qui n’arrête pas de se déprécier face au dollar.
Dollar militarisé, guerre et illusion fédéraliste européenne
Le constat de ces vulnérabilités, partagé sans doute par Pékin et Moscou, peut donner à penser que la guerre menée par le Kremlin en Ukraine ne relèverait pas seulement d’un conflit géopolitique, mais aussi d’une guerre économique dont l’une des armes essentielles serait, avec les matières premières et le contrôle des chaines d’approvisionnement, l’intensification durable de l’inflation en Occident et, particulièrement, aux États-Unis.
1 – Le dollar arme de guerre totale
Cela en effet pourrait conduire les principales places financières occidentales, Wall-Street en tête, au bord d’un krach. Chine et Russie œuvrent de concert, tout en se dédollarisant, pour faire reculer la place du dollar dans les échanges de matières premières. Et la Chine dispose toujours de l’arme nucléaire de liquidation possible de ses énormes avoirs en bons du Trésor des États-Unis.
Dans quelle mesure leurs dirigeants n’escomptent-ils pas que la protestation mondiale contre la dictature du dollar, de plus en plus militarisé, et de l’extra-territorialité scandaleuse du droit américain prenne une telle proportion que, conjuguée à la menace de dépression économique et à l’explosion de mouvements sociaux nationaux, Washington soit contraint de s’asseoir à une table de négociations concernant l’OTAN, le FMI, la Banque mondiale, l’OMC, l’ONU…
Or, les États-Unis, grâce aux privilèges du dollar, affichent désormais une dette publique nationale de 30 190 milliards de dollars contre 27 902 un an plus tôt[37]. Les grands programmes de réforme, très coûteux, envisagés par Joe Biden pour faire se ressaisir une Amérique en proie à de violentes convulsions internes et à un recul de son « soft power » sur les « alliés », conjugués à d’énormes dépenses de surarmement se heurtent à des difficultés politiques et nécessitent de sécuriser l’attraction du dollar.
Pour l’heure, celui-ci ne cesse de grimper par rapport à l’euro : au 15 mars 2022, ce dernier ne valait que 1,098 dollar, contre 1,127 dollar le 25 février 2022 et 1,226 dollar le 25 mai 2021. Cela tient aux entrées nettes de capitaux à long terme dont les dernières statistiques disponibles indiquent qu’elles se maintiennent à haut niveau (114,5 milliards de dollars en décembre 2021, après 137,9 milliards en novembre). Cependant, les actions en Bourse de Wall-Street semblent sortir de la phase d’euphorie exubérante qu’elles ont connue sur les deux derniers trimestres de 2021. Le S&P 500 culminait à 4799 points au 31 décembre 2021. Depuis, il est tombé à 4173 points au 15 mars dernier.
La hausse persistante du dollar pourrait conduire, comme le craignent des observateurs avisés tels qu’Adam Tooze, à une éventuelle pénurie de cette devise, accentuée par le possible assèchement d’une source non négligeable de liquidité pour les marchés financiers que pourrait provoquer les sanctions occidentales contre la Russie.
Cela étant, le gel des réserves extérieures de la banque centrale russe, sous l’impulsion des États-Unis mais appuyés par l’UE alignée, constitue un tel acte de piratage au plan international que tout pays risquant la disgrâce de Washington, essentiellement pays émergents et en développement, peut risquer d’être pris pour cible.
Souvent endettés en dollars, ces pays vont souffrir de la flambée de ses cours, surtout si la FED accélère la remontée de son taux directeur, à fortiori s’ils ne sont pas exportateurs nets de pétrole et de matières premières.
Les famines qui risquent de secouer ces derniers dans les mois qui viennent pourraient les rendre plus contestataires de l’ordre mondial du dollar.
Tous ces pays pourraient devenir plus attentifs aux efforts menés depuis plusieurs années par la Chine, la Russie et d’autres pour se dédollariser et se poser la question de la promotion d’un nouvel instrument monétaire de réserve internationale alternatif au dollar.
Pour l’heure, aucune monnaie nationale ou zonale ne peut jouer ce rôle. La Chine qui, depuis 2005, internationalise lentement sa monnaie veut garder la maitrise de ce mouvement, car, toujours à la recherche, elle, d’une voie non capitaliste, elle ne peut pas faire dépendre l’avenir de 1,4 milliards d’êtres humains des marchés de change et financiers.
Une telle situation montre combien il y aurait besoin de commencer à faire jouer le rôle de monnaie commune mondiale au DTS du FMI, pour un co-développement de toute l’humanité, avec une réforme radicale de cette institution-clef de l’empire du dollar et de la Banque mondiale. Cette bataille annoncée depuis des années par le PCF, grâce aux travaux de Paul Boccara, va devenir indissociable d’une nouvelle bataille pour la paix, le désarmement et le développement.
2 – L’Europe alignée avec des illusions rivales
Reconnaissons que la guerre contre l’Ukraine suscite, pour l’heure, un ferme ressaisissement du camp occidental derrière les États-Unis. En l’espace de quelques jours, les dirigeants allemands ont décidé un réarmement de l’Allemagne (100 milliards d’euros) rompant officiellement avec la tradition suivie depuis la Deuxième guerre mondiale. Et les autres membres de l’UE dont la dépense militaire n’a pas encore atteint les 2 % du PIB exigés par les États-Unis et requis par l’OTAN, lors du sommet de 2014 au pays de Galles à l’horizon 2024, sont contraints de presser le pas.
En l’espace de quelques jours le consensus s’est fait au sein de l’UE pour que celle-ci, en tant que telle, soutienne directement par financement d’achats l’effort de riposte militaire de l’Ukraine face à la Russie.
En l’espace de quelques jours, l’OTAN décrétée naguère en état de « mort cérébrale » par un Emmanuel Macron[38] bravache redevient le haut protecteur militaire de l’UE dont il faut accepter, sans regimber, d’accroître les moyens en hommes, en armes et en argent. Au-delà de l’UE mais en Europe, même la Suisse, la Norvège et la Finlande se sont jointes au concert tandis que la Turquie d’Erdogan est revenue dans les rangs.
Dans cette précipitation, les États-Unis font passer dans les mains de l’UE, sous égide de l’OTAN, la patate devenue brûlante de la maitrise du flanc est de l’Europe, imposant ainsi un partage du fardeau militaire de la domination occidentale du monde pour consacrer toutes leur force à ce qui constitue pour eux la principale menace : la Chine.
Pour Macron, la situation paraît encore plus favorable à ses projets de bond en avant dans une Europe fédérale que lors de la mutualisation des dépenses face à la pandémie COVID-19. On se souvient qu’elle fut obtenue des Allemands et des pays d’Europe du Nord avec le plan NextGenerationEU et son financement, « à titre exceptionnel » insistait alors Berlin, par emprunt de la Commission européenne sur les marchés financiers.
L’actuel président du Conseil européen peut espérer ainsi la levée de barrières à une fédéralisation très accrue de la construction européenne. Il peut entrevoir une avancée possible vers l’Europe de défense. Il peut aussi prévoir, au nom de l’impératif de «résilience» de l’Europe face aux chocs de la guerre, le renouvellement possible de la pratique d’emprunt européen sur le marché financier via un « Fonds de résilience », sans toucher du tout à la BCE dont la monnaie créée sert à soutenir la finance.
S’ajoute à cela la perspective de dépenses considérables à engager pour soutenir les profits et redonner de l’élan à l’accumulation de capital au nom des enjeux informationnels, écologiques et d’infrastructures, ce qui peut soutenir l’appel de Macron à un fédéralisme fiscal et budgétaire. De quoi entretenir l’illusion de sortir des difficultés en prétendant rivaliser avec les États-Unis dans l’attraction des capitaux mondiaux, ériger l’euro en monnaie de partage d’assujettissement financier du monde.
Le vieux projet français d’un bond en avant dans une Europe fédérale dont la France et l’Allemagne seraient les têtes de cette hydre, l’une avec le « feu nucléaire », l’autre avec le « feu économique », serait-il en voie de progresser ?
Certes, l’Allemagne a plus que jamais besoin de l’Europe pour consolider ses bases de domination régionale du fait de l’ampleur du choc qu’elle va encaisser avec le conflit russo-ukrainien. Est-elle prête à un partage de domination avec la France ?
Il est vrai que le Royaume-Uni étant sorti de l’UE pour se rapprocher des États-Unis, la France est la seule à disposer de l’arme atomique au sein de cet ensemble. Cependant, si l’Allemagne a décidé, d’un seul coup, d’accroître de 100 milliards d’euros les dépenses pour se réarmer, c’est qu’elle ne compte pas se contenter de jouer les seconds rôles en matière militaire dans la partie à venir.
Quoi qu’il en soit, dans cette fuite en avant vers une Europe fédérale et remilitarisée, c’est la finance et le surarmement qui vont mener la danse avec, en contrepoint, une perpétuation des politiques d’austérité et de soutien aux marchés financiers, vers la tentative illusoire d’obtenir ainsi, de la part des États-Unis, un partage de leur domination mondiale. De quoi anticiper de nouvelles difficultés très graves sur le continent pour les salariés et les populations et, en réalité, l’accentuation des dissymétries et rivalités intra-européennes et de la suraccumulation mondiale de capital. Au contraire, avec l’appel à un cessez le feu, le retrait des troupes russes d’Ukraine, la réclamation d’une paix juste et durable faisant de cette nation un pays neutre et non aligné et à l’entame de négociations, ces événements ne montrent-ils pas combien, en même temps, il faudrait créer les conditions d’une sécurisation-promotion de l’emploi, de la formation, des revenus du travail et de remplacements en changeant radicalement les critères de refinancement des crédits bancaires aux entreprises par la BCE ? En même temps, ne voit-on pas que l’alternative au prétendu « Fonds de résilience » européen empruntant sur les marchés financiers tient, précisément, dans notre proposition d’un Fonds solidaire et écologique pour un développement social, pacifique, non aligné de toute l’Europe utilisant, de façon démocratique, la monnaie créée par la BCE pour un immense essor partagé de tous les services publics. Et cela appelle une sortie de la France de l’OTAN susceptible, alors, sous la pression sociale, d’entraîner d’
[1] En 1948–1949, 1984– 1985, 2000–2001et 2016–2017 ( Conseil de sécurité des Nations unies, pays membres. www.un.org ).
[2] Hennadiy Udovenko.
3 Comme le souligne IMAZPRESS ( www.ipreunion.com ) dans un article publié le 2 mars 2022 :« En 1991 [lors de la signature du traité de Minsk], le président russe Boris Eltsine a reconnu l’indépendance de l’Ukraine (..) Et en 1997, au sein du Traité d’amitié signé entre la Russie et l’Ukraine, ces frontières ont été de nouveau reconnues par la Russie. ». Il est rappelé que « Ce traité a été signé par Boris Eltsine et le président ukrainien Léonid Koutchma le 31 mai 1997 ». L’article 2 de ce traité dispose que les « parties contractantes respecteront l’intégrité territoriale de chacune et reconnaîtront l’inviolabilité des frontières existant entre elles ».
[4] Chauvier Jean-Marie : URSS : une société en mouvement, éditions de l’Aube, 1988.
[5] Dans un article retentissant de la revue Litteratournaïa Gazeta de 1989 intitulé « A-t-on besoin d’une main de fer ? », cf. Kolesnikov A. : « A la recherche d’un Pinochet soviétique : 1989 -Russie », Courrier international, 20/09/2019 (www. courrierinternational.com ).
[6] La population de la Russie serait passée de 147,8 millions en 1989 à 145 millions en 2001 (« La démographie russe : les chiffres du déclin », Synthèse, n 40, 15/04/2002 (www.robert.schuman.eu).
[7] fr.wikipedia.org .
[8] Andreï Makine : « Pour arrêter cette guerre, il faut comprendre les antécédents qui l’ont rendue possible », entretien réalisé par A. Devecchio, Le Figaro, 10 mars 2022
[9] Wikipédia : Vladimir Poutine ( fr.wikipedia.org) , notice qui , à partir d’une enquête du Monde diplomatique de Katherine Clément « Le visage antisocial de Vladimir Poutine » du 1er novembre 2018, évalue à l’équivalent de 145 milliards d’euros le manque à gagner pour le budget de l’État résultant de ces cadeaux.
[10] Artus Patrick, « Le gouvernement russe a appauvri la population pour accumuler des réserves », Natixis Flash Economie, 3 mars 2022 – 173 ( www.research;natixis.com).
[11] L’indice MOEX Russie, anciennement indice MICEX, est le principal indice de référence du marché boursier russe libellé en roubles.
[12] World’s Billionaires, List ( www.forbes.com ).
[13] Données publiées par le laboratoire WIL, reprises par Le Monde du 8/03/2022.
[14] donnees.banquemondiale.org .
[15] Daniel AC Mathieu : « Russie : le salaire médian à 360 euros », Le Club de Mediapart, 12/06/2021.
[16] Le Monde, 13 octobre 2021.
[17] Munier F. : « Ukraine : Première guerre européenne du XXIème siècle, prémisse d’un nouvel ordre mondial ? », 7 mars 2022 ( publika.skema.edu) .
[18] Eeas.europa.eu
[19] Council of the European Union : “Council conclusions on Eastern Partnership policy beyond 2020”, Brussels, 11 May 2020 ( www.consilium.europea ).
[20] Fondé en tant que confédération paramilitaire en novembre 2013, durant les événements relatifs à Euromaïdan, pendant lesquels il joue un rôle notable, puis se structure en parti politique en mars 2014.
[21]. Andreï Makine, op. cité .
[22] « La doctrine Poutine – Entretien avec Michel Eltchaninoff » par Florent Guénard, 3 mars 2015, laviedesidées.fr
[23] How disastrous would disconnection from Swift be for Russia, 25/05/2021 ( carnegiemoscow.org ).
[24] Le Monde 10/03/2022.
[25] Les majors US, comme Exxon, s’étaient spontanément retirés de Russie dès l’ouverture du conflit. Le statut de TotalEnergies, qui a décidé de rester pour ses achever la réalisation de contrats de long terme existants mais en annulant toute participation dans des projets d’avenir, demeure encore incertain.
[26] Interruption du projet de pipeline Keystone XL Canada-Golfe du Mexique) et moratoire sur les nouveaux permis de forage sur les possession de l’État fédéral..
[27] Pisani-Ferry J. : « Les conséquences de la guerre en matière de politique économique », Bruegel Blog, 8 mars 2022.
[28] Ibid.
[29] Le Belzic S.« La Chine peut-elle sauver l’économie russe ? », www.europe1.fr .
[30] www.france24.com , 4/02/2022.
[31] Ibid.
[32] Touati Marc. : « La Russie est en défaut de paiement, qui va payer ? », Capital, 12/03/2022 ( www.capital.fr).
[33] minfin.gov.ru/en/key/nationalwealthfund/.
[34] Ibid.
[35] Source : Bureau of Labor Statistics des États-Unis
[36] Gallès C. : « Craintes sur les perspectives d’activité aux États-Unis », Allnews, 23/02/2022.
[38] The Economist, November 8, 2019.
» Le vieux projet français d’un bon en avant dans une Europe fédérale dont la France et l’Allemagne seraient les têtes de cette hydre , l’une avec le feu nucléaire , l’autre le feu économique serait il en voie progresser ? » Cela me fait penser aux deux têtes qui dirigent l’ A S St Etienne , ça ne marchera pas longtemps .