Frédéric BOCCARA
Quelle nouvelle logique économique sous-tend le programme les « Jours heureux » ?
On répond d’abord aux besoins sociaux et écologiques (emploi, salaires, retraites, services publics, pouvoir d’achat, nouvelle production…). Pour cela, nous rompons avec l’austérité et « commençons par l’emploi », la formation et les salaires dans les services publics (hôpital, éducation, justice, culture, recherche…) et dans les entreprises (productions nouvelles, écologiques et sociales).
Ces emplois vont progressivement créer des richesses. Il faut pour cela qu’ils soient appuyés par un effort massif de formation et par des investissements matériels efficaces ― créateurs d’emplois, de valeur ajoutée, économisant carbone et matières. Les travailleurs vont progressivement créer les richesses avancées, dépensées en début de quinquennat ; soit au bout de 5 ans, 650 milliards de PIB supplémentaires et 5 millions d’emplois.
Notre logique est celle d’un double choc : de demande (revenus, dépenses) et d’offre efficace (production s’appuyant sur l’emploi, la formation et l’investissement efficace). Le développement qui s’ensuit va ensuite s’auto-entretenir.
Dans notre logique, l’emploi est créateur de richesses, au lieu d’être un coût ou un simple résultat de l’activité… après coup, donc si les patrons le veulent bien ! Nous inversons les fins et les moyens. C’est révolutionnaire. En commençant par l’emploi, nous donnons sa pleine puissance créatrice au travail humain. Car l’emploi, ce n’est pas seulement « du travail », comme le prétend Emmanuel Macron avec la création de « France travail », qui sonne comme une injonction ― « France, travaille ! … et tais-toi ». L’emploi, c’est un statut, c’est une situation dans un collectif, une possibilité de coopérer pour réaliser un service ou une production. L’emploi, ce sont des protections. L’emploi, c’est un salaire. Bref, tout un ensemble de dispositifs qui permettent de donner au travail sa pleine créativité et efficacité.
L’hôpital crève avant tout du manque de personnels. Pas du manque de travail, il y en a à foison !
Il faut aussi former massivement. Nous proposons des pré-recrutements massifs, notamment dans la santé et l’Éducation nationale, ainsi qu’un revenu étudiant pour toutes et tous. L’industrie aussi crève du manque de formation de qualité. Chez Alstom-Belfort, où on fabrique des locomotives de fret, il faudrait 80 soudeurs au lieu des 17 actuels… Voire plus, si l’on veut vraiment décarboner le
Quelles sont les principaux leviers à actionner pour réussir cette politique de transformation sociale ?
Il faut deux choses : de l’argent, pour créer tout de suite les emplois, augmenter les salaires, les minima sociaux ; et changer la façon de faire des entreprises et des banques, leur gestion et leur utilisation de l’argent.
L’argent de tous les profits du CAC 40 n’y suffirait pas (137 milliards) ! Notre programme prévoit 143 milliards de dépenses publiques supplémentaires dès la première année et 237 par les entreprises. Il faut donc faire des avances, par le crédit bancaire. Les milliards de la BCE à 0 %, et ceux des banques, doivent être utilisés pour cela, pas pour le capital ! Ce mouvement sera appuyé par une réforme de la fiscalité, une réorientation des aides publiques et une consolidation des cotisations sociales (et non la CSG).
Il faut dans le même temps des réformes de structure pour changer la façon de faire des entreprises et des banques, sinon il en sera comme avant et l’argent ira au capital. Nous en proposons cinq principales : nouveau service public de l’emploi et de la formation ; nationalisations avec des pouvoirs aux travailleurs ; pôle financier public pour un autre crédit ; conférences permanentes, nouvelles institutions démocratiques de planification, de financement et de suivi des engagements des entreprises et des banques, instaurées par la loi associées à des droits d’intervention des travailleurs dans toutes les entreprises ; fonds de développement économique, social et écologique. Dans le même temps, nous tendons la main à tous les pays pour de nouveaux traités internationaux de coopération et de développement des biens communs.
Baisser le coût du capital et changer l’utilisation de l’argent par des réformes de structures à l’appui des luttes, aucun autre programme ne le propose. Ni la droite (baisser le « coût du travail »), ni l’extrême-droite (dénoncer le coût du « voisin », immigré ou allocataire), ni de gauche (baisse « sympa » du coût du travail payée par l’État, pour EELV et le PS ou, pour Jean-Luc Mélenchon, un « pari » soumis à la bonne volonté du patronat et des entreprises, l’État payant « en dernier ressort »).
L’objectif affiché est de vivre des « jours heureux ». En quoi peut-on parler d’un projet de société et même d’une véritable révolution anthropologique ?
La démocratie y est au cœur pour donner un sens au travail mais aussi à la vie en société, qui exige une réduction massive du temps de travail.
Le projet de sécurité d’emploi ou de formation, d’éradication du chômage, ne nie pas le travail, mais pour une émancipation bien au-delà du travail, sans s’y enfermer, avec l’immense enjeu des services publics. En mettant la formation et la sécurité en son cœur, la société se donnerait aussi comme but le développement de chacun.e.
Les jours heureux, c’est un sacré défi face à la domination du capital, pour des idées qui vont nourrir autant les élections que les luttes à venir et les constructions qui s’ensuivront.