Alerte sur les budgets régionaux

Muriel Ternant
Conseillère régionale de Bourgogne - Franche-Comté, présidente du groupe des élu.e.s communistes et républicain.e.s

Échelon particulièrement stratégique de l’action publique, les régions prennent de plein fouet la conjonction des crises économique, sociale, sanitaire, écologique, politique. Ces réalités nous confrontent à l’urgence à développer la liaison entre luttes pour les services publics et audace dans les propositions des élus.

Moins prégnantes que les départements ou les communes dans la dépense publique, moins nombreuses et plus éloignées des citoyennes et citoyens que ces deux autres échelons, les régions n’en assurent pas moins des services publics essentiels. Elles sont propriétaires des lycées publics et assurent leur fonctionnement. Elles interviennent aussi
dans les plans régionaux en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Elles organisent et financent le TER, les cars interurbains, et le transport scolaire. Elles sont devenues responsables du service public de l’orientation professionnelle et assurent une offre de formation professionnelle.

Aussi la nouvelle conjoncture économique résultant de l’inflation des prix, de la hausse des taux d’intérêt des banques, et de la fin du « quoi qu’il en coûte », fait peser un risque sérieux sur les conditions d’enseignement et d’études dans les lycées, sur le développement du transport ferroviaire, sur l’accès aux mobilités et à la formation professionnelle.

Une situation de fragilité financière

La Présidente de la région Bourgogne-Franche-Comté Marie-Guite Dufay estime ainsi que l’effet cumulé de l’inflation, de la baisse des recettes, et de la hausse des taux d’intérêt, représente aujourd’hui plus de 50 millions d’euros de dépenses supplémentaires sur le budget régional de 1,7 milliards d’euros. C’est plus que la dotation de fonctionnement allouée à l’ensemble des lycées publics et établissements d’enseignement agricole.

Les régions abordent en effet la nouvelle conjoncture dans une situation de fragilité liée à la crise sanitaire qui les a particulièrement exposées. 

Leurs recettes sont en effet principalement indexées sur la TVA, elle-même corrélée à l’activité économique. La perte de recettes liée à la crise sanitaire est évaluée à environ 1,3 milliards d’euros en 2020. 2021 ne permet pas le rattrapage puisque les recettes sont encore en recul de 602 millions d’euros par rapport à 2019 (données : Chiffres clés des régions).

Cheffes de file du développement économique et de la transition énergétique, les régions ont engagé des plans de relance pour soutenir les acteurs économiques locaux face aux conséquences du ralentissement économique lié aux périodes de confinement et engager des transitions écologiques, numériques, énergétiques. Le parc immobilier vieillissant des lycées publics dont elles ont la charge, comme l’exploitation des lignes de desserte fine du territoire, ont par ailleurs généré des besoins d’investissement importants.

Ces plans d’investissement et de relance, étalés sur plusieurs années, ont donc été appuyés par un recours accru à l’emprunt, alors facilité par des taux d’intérêts très bas. La dette des régions s’élève ainsi à 30,5 milliards d’euros en 2021, contre 28 milliards d’euros en 2020 et 27,7 milliards d’euros en 2019, portant les frais financiers à 570 millions d’euros.

A l’échelle de la région Bourgogne-Franche-Comté, l’encours de la dette s’élève au 31 décembre 2021 à près de 1,1 milliard d’euros, occasionnant un coût annuel de 8,8 millions d’euros, ce qui correspond à un taux d’intérêt moyen de 0,90 %.

Ainsi, avec la moitié de la dette en taux variable et la dette à renouveler au moins pour le quart chaque année, une augmentation des taux d’intérêt de 1 % occasionnerait une dépense supplémentaire d’au moins 7,5 millions d’euros. À plus 2 %, ce sont 15 millions d’euros supplémentaires prélevés sur le budget régional, soit peu ou prou l’équivalent de toute la politique de soutien aux acteurs culturels.

A cette pression financière, s’ajoutent les effets de la forte inflation occasionnant des dépenses supplémentaires de fonctionnement des lycées (énergie, restauration scolaire et hébergement) et des transports en commun, se chiffrant en dizaine de millions d’euros.

Ces dépenses supplémentaires ne sont pas compensées par une augmentation des recettes, principalement assises sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et la taxe Intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), et des dotations de compensation de l’État qui tendent à baisser chaque année. L’autonomie fiscale des régions ne repose que sur une fraction de la TICPE dite Grenelle, et sur l’immatriculation des véhicules, représentant en Bourgogne-Franche-Comté 140 millions d’euros déjà plafonnés par l’application du taux maximal.

Ainsi, si la fiscalité régionale est dynamique en période de croissance, elle constitue un puissant levier de freinage de la dépense publique face à la récession.

Le carcan de l’orthodoxie financière

Mais surtout, le recours accru aux marchés financiers pour les besoins de trésorerie et de financement à long terme introduit le pilotage du budget régional par des critères de gestion très stricts sensés garantir la solvabilité de la collectivité telle qu’elle est évaluée par l’agence Moody’s. Ainsi, la trajectoire financière doit respecter la maîtrise des dépenses de fonctionnement (rémunérations, fournitures, consommations courantes, petit entretien, charges des organismes extérieurs, frais financiers), un niveau minimum d’épargne brute, c’est-à-dire des dépenses de fonctionnement inférieures aux recettes de fonctionnement, et une limitation de la dette mesurée en années de désendettement.

A cela s’ajoute la règle imposée aux collectivités locales d’équilibrer leur budget en fonctionnement, si bien que l’emprunt ne peut que financer l’investissement (constructions ou aménagements de bâtiments, travaux d’infrastructure, grosses réparations, remboursement des emprunts en capital).

Avec de tels critères, les surcoûts liés à l’inflation et au relèvement des taux d’intérêt devront être compensés par une augmentation des tarifs des services publics (TER, cars interurbains, restauration scolaire et hébergement comme cela vient d’être fait en Normandie et en Bourgogne-Franche-Comté) et/ou une diminution des services rendus, ou encore la fin de politiques volontaristes comme en Auvergne-Rhône-Alpes où Laurent Wauquiez a amputé le budget culturel de 4 millions d’euros, voire même des plans de réduction de l’emploi public à la faveur des nombreux départs en retraite attendus, notamment dans les lycées.

Tous les exécutifs régionaux, de droite comme de gauche, vont donc être amenés dans les semaines qui viennent à faire des choix de gestion immédiats, qui se confronteront aux capacités de mobilisations pour la défense et le développement du service public, et pour des politiques tarifaires avantageuses. C’est ainsi qu’en Bourgogne-Franche-Comté, l’hypothèse de fermeture d’un petit lycée professionnel en Saône-et-Loire a dû être écartée face à la résistance immédiate des élus locaux, alors que l’augmentation de 5 % des tarifs de restauration et d’hébergement scolaires ne semble pas à cette heure provoquer de réaction de la part des communautés éducatives. Il faut dire que la décision a été prise, en dépit de l’opposition des élus communistes, au début des vacances d’été le vendredi 8 juillet lors d’une commission permanente non ouverte au public.

Pourtant, l’association Régions de France n’alerte pas sur la situation, comme a su le faire l’association des Maires de France au sujet des communes. Après une rencontre des Présidents de Région avec la Première Ministre et une partie de son gouvernement le 20 juillet, elle s’exprimait prudemment en ces termes : « Agir ensemble, nous le voulons, mais il faut que nous puissions le faire budgétairement et juridiquement ».

Il devient donc urgent de construire des propositions politiques de financement des services publics dont les régions ont la charge ainsi que les batailles politiques pour les porter. Avec 62 conseillers régionaux présents dans 10 régions métropolitaines et 5 majorités de gauche, le parti communiste est en capacité de faire entendre une voix originale.

Cela pourrait commencer par une attention portée à la structure de la dette des régions et l’exigence de limiter le recours aux emprunts obligataires en privilégiant les banques publiques, en particulier la banque des territoires, sur laquelle il s’agit d’exercer une pression particulière pour qu’elle s’engage sur les projets d’investissement les plus lourds et de long terme, et la banque européenne d’investissement.

En Bourgogne-Franche-Comté, le recours aux marchés financiers ne date que de 2020 et représente fin 2021 245 millions d’euros de titres de dette à moyen terme, soit 23 % de l’encours total de la dette alors que la Caisse des Dépôts et Consignations n’en détient que 13 %. Le premier prêteur est la Banque européenne d’Investissement avec 34 % de la dette régionale.

De manière plus structurelle, il y a à sortir de l’actuelle différenciation entre dépenses de fonctionnement et dépenses d’investissement, conçue comme un instrument de limitation de l’emploi public et des dépenses humaines, dont les limites se révèlent aujourd’hui au grand jour avec la raréfaction des services publics en milieu rural et toutes les conséquences politiques de la fracturation de la société qu’elle induit, ou les pénuries de main d’œuvre qualifiée pour répondre aux besoins d’emploi actuels.

Cela pourrait commencer par faire rentrer les dépenses de formation professionnelle et initiale dans les dépenses d’investissement, ouvrant droit à de l’emprunt de long terme. Cela est d’autant plus d’actualité que France compétences, l’instance nationale de la formation professionnelle et de l’apprentissage née de la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » en 2018 pour mutualiser et affecter les fonds de formation issus de la cotisation formation et apprentissage des entreprises à un secteur totalement libéralisé, accusait fin 2021 un déficit de 3,2 milliards d’euros.

La définition de investissements prioritaires de formation pourrait être la mission de conférences régionales permanentes pour l’emploi, la formation et la transformation productive et écologique. Sous l’impulsion des élus communistes, une telle conférence, appelée conférence sociale régionale, a vu le jour en Bourgogne-Franche-Comté. Elle réunit les organisations patronales, les organisations syndicales de salariés, le CESER (comité économique, social, environnemental régional), et le CREFOP (comité régional de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle), la région et l’État, et s’est déjà réunie à deux reprises, avec comme première tâche de construire des conditions sociales et écologiques aux aides régionales directes accordées aux entreprises. Lieu d’échange et de confrontation, investie par l’ensemble des acteurs, elle doit encore bénéficier de moyens dédiés pour devenir véritablement opérationnelle. Les arbitrages politiques par la région y sont décisifs.

Les projets de formation élaborés par ces conférences qui ne donneraient pas lieu à un financement par les banques institutionnelles (banque des territoires, banque européenne d’investissement BEI) pourraient être financés par un nouveau fonds, national et, dans son principe, européen, qui ne serait pas soumis à la même orthodoxie financière que la BEI et qui pourrait se refinancer à des conditions privilégiées auprès de la Banque centrale européenne, jusqu’à pouvoir prêter à taux très bas, voire négatifs.

La très grave crise qui menace les économies européennes va placer les gouvernements et les institutions au cœur de leurs contradictions, et ouvrir des brèches pour une intervention offensive des communistes et de leurs élus. Avec leurs compétences en économie, en formation professionnelle et en orientation, en transition énergétique, en transports, en aménagement du territoire, les régions sont des collectivités plongées au cœur des grands enjeux de la période. Le moment est donc particulièrement adapté pour initier un travail d’élaboration de propositions et d’actions des élus communistes régionaux.