Budget 2023 :
une nouvelle cure d’austérité !

Les grandes manœuvres préparatoires du projet de Loi de Finances 2023 ont commencé. Même si on peut en deviner la logique interne – en 2022 un plan quinquennal avait été élaboré qui dessinait les grandes lignes de l’évolution de la politique budgétaire sur la période 2022/2027 – l’évolution du contexte économique et politique enregistrée ces derniers mois change la donne dans d’importantes proportions.

Cet été 2022 se présente en effet sur le plan socio-économique sous des auspices assez différents de ceux de l’été 2021, et cela pour deux raisons : la fin du « quoiqu’il en coûte » lié au Covid et une inflation galopante. Les travaux d’élaboration du projet de budget 2023 ne peuvent donc ignorer ces deux données structurantes. Une conjoncture qui irrigue d’ailleurs le budget rectificatif pour 2022 en cours de discussion à l’Assemblée nationale au moment où ces lignes sont écrites, et qui constituera de fait une sorte de prébende du budget 2023.

C’est dans cette nouvelle épure que le ministère de l’Économie s’apprête également à transmettre, mi-août, son « programme de stabilité » à la Commission européenne. Ce document décrit la stratégie pour les comptes publics à horizon 2027. Son fil directeur est de contenir la hausse de l’ensemble des dépenses publiques à 0,6 % par an. De manière claire, nette et précise, Bercy promet donc de réduire les dépenses de l’État et des collectivités locales sur le quinquennat. Ce repère est là pour nous rappeler un retour à l’orthodoxie budgétaire telle que la décrivaient les traités de Maastricht et de Lisbonne. Nul doute que cette orientation ait déjà imprégné profondément les choix du gouvernement dans le bouclage de son projet de budget rectificatif 2022, plus connu sous le nom de « loi pouvoir d’achat ».

Une « loi pouvoir d’achat » qui ne change pas la donne.

Sans entrer particulièrement dans les détails de ce texte de loi, il convient d’en relever les idées force. Même si des augmentations fermes sont au menu comme celle du point d’indice fonction publique et des retraites, leur niveau reste très insuffisant vu la mise au régime sec de ces éléments de rémunération qui dure depuis de nombreuses années, et au regard du niveau de l’inflation qui atteint à ce jour 6,1 % sur un an alors que les hausses proposées sont respectivement de 3,5 % et de 4 %. Le plus problématique est que ces augmentations de rémunération ne sont accompagnées d’aucune relance réelle de l’activité dans notre pays, que ce soit dans le secteur industriel ou les services publics. Aucune création d’emplois, aucune annonce de formation massive et de bon niveau ne sont envisagées, voire ne serait-ce que programmées, alors même que certaines entreprises souhaitant embaucher ne trouvent pas preneurs, se heurtant pour une part à un déficit criant de formation des personnes à la recherche d’emplois.

Et pire même, les services publics vont continuer à être rationné. Un choix qui ne préfigure aucune embauche et aucun investissement digne de ce nom pour développer au niveau où il le faudrait de nombreuses missions de service public restées en jachère, voire disparues ou tout simplement à créer, alors qu’il y a besoin de tant de réponses sociales et collectives aux aspirations des populations (énergie, eau, écologie, santé, éducation…).

Deux facteurs qui vont sans aucun doute contribuer à peser sur les comptes publics alors que dans le même temps le gouvernement ne compte pas revenir sur les divers allègements, exonérations, suppressions d’impôts et de cotisation des entreprises et du capital. Bref, tous les ferments d’un accroissement du déficit dont ne manqueront pas de s’emparer les plus libéraux : de la droite extrême à Renaissance en passant par le MEDEF toujours à l’affût en ce domaine ; et cela au moment même où Bercy annonce un tour de vis budgétaire. Une sorte de quadrature du cercle sur laquelle jusqu’à ce jour beaucoup se sont cassé les dents… Car dans les faits, comment pérenniser des augmentations de salaires sans créations d’emplois permettant d’élever le niveau de la croissance ?

Enfin, ce qui domine dans cette loi pouvoir d’achat, c’est la poursuite de la pratique du chèque-cadeau. Plutôt que de réduire le taux de TVA sur les énergies (carburants, électricité, gaz) et certains produits de première nécessité, le gouvernement persiste dans sa pratique de distribution de chèques aux plus déshérités et de remises commerciales. Une démarche inspirée des plus purs théoriciens néolibéraux prônant la reproduction de la forme crédit d’impôt (l’impôt négatif), ce qui a, de leur point de vue, le double avantage de ne pas devoir s’inscrire dans la durée et de ne pas recourir à des hausses de prélèvements sur les revenus du capital (actionnaires et autres spéculateurs – fonds de pension, fonds d’investissements) et aussi sur les entreprises. Voilà ainsi dressé le cadre dans lequel va se construire le budget 2023.            

Un budget 2023 corseté sur fond de grandes incertitudes.

L’alpha et l’oméga des règles budgétaires pour 2023 sont :

  • contenir dans des limites drastiques la hausse de la dépense publique : +0,6 % hors inflation, par an sur les cinq prochaines années pour les dépenses de l’État et celles des collectivités locales. Soit le « niveau le plus faible jamais connu depuis vingt ans », martèle Bercy. Dans les faits, les dépenses de l’État devraient être limitées à +0,4 %, celles des collectivités locales à +0,5 %. Seules les dépenses sociales devraient connaître un petit plus. On se rappellera les prévisions envoyées à Bruxelles en 2021, qui affichaient alors une hausse des dépenses publiques limitées à +0,7 % par an. Comme quoi il est toujours possible de faire mieux ! Au final, l’objectif de Bercy est de ramener le déficit budgétaire sous la barre de 3 % du PIB en 2027 « quoi qu’il arrive ». Et l’endettement commencerait à refluer à compter de 2025, par ailleurs année d’un pic à 113,3 %. La dette devrait s’élever à 112,5 % du PIB à la fin du quinquennat en 2027, contre 111,9 % en 2022 ;
  • continuer à faire croire qu’on s’occupe du pouvoir d’achat en supprimant des contributions fiscales absolument nécessaires à la vie et à l’autonomie de certains missions et services publics comme par exemple avec la suppression de la taxe audiovisuelle finançant l’audiovisuel public ;
  • poursuivre la politique de cadeaux aux entreprises. Pour le coup, le « quoiqu’il en coûte » continue ! Ainsi c’est 15 milliards de cadeaux qui seront faits aux entreprises en supprimant la CVAE (contribution sur la valeur ajoutée des entreprises), c’est-à-dire d’une des deux contributions qui avaient remplacé la taxe professionnelle. La CVAE, c’est un produit de 15,2 milliards en 2019, de 15 milliards en 2020 et de 9,7 milliards en 2021 alors même que le gouvernement avait déjà baissé son produit de 8 milliards.

Dette publique au sens de Maastricht

En pourcentage du PIB

Source : gouvernement

Dans la gêne il n’y a pas de plaisir, c’est bien connu, et il n’y a surtout pas de honte. N’est-ce pas au prétexte de ne pas trop peser sur la dépense que le gouvernement a fait revoter en douce contre la décision des députés d’affecter une enveloppe de 500 millions d’euros à l’indexation des retraites sur le niveau de l’inflation ?

Cet ensemble de mesures est envisagé au motif de montrer patte blanche à l’Europe dans les prochains jours et d’apparaître ainsi comme le bon élève au regard des marchés financiers. C’est oublier bien vite le contexte politique général qui au plan national se trouve très instable, avec des luttes qui se développent, et qui s’échauffe au niveau international avec un ralentissement de l’activité aux Etats-Unis, un marché chinois qui se replie, des risques sur l’approvisionnement en gaz russe et en céréales, et surtout avec une récession qui se profile dans le monde, en France et en Europe. Bref un contexte macroéconomique pas des plus favorables ! En France, le taux de croissance du second trimestre est de 0,5 % alors qu’il était de -0,2 % au premier trimestre. De quoi rendre plus que prudents les prévisionnistes qui nous annoncent pourtant une croissance positive cette année ?

En effet, visiblement tout cela n’a pas de quoi entamer l’optimisme des locataires de Bercy qui, en l’occurrence, ne semblent pas loin de se transformer en des prédicateurs du plus mauvais augure.

Ainsi, tout en prenant soin d’annoncer un ralentissement de la croissance, Bercy prévoit une croissance de 2,5 % en 2022, de 1,4 % en 2023 et envisage une remontée à 1,8 % en 2027. Que se sera-t-il passé entre 2023 et 2027, on ne le saura pas. Nos fins limiers de la statistique n’ont pas poussé leurs calculs jusque-là. En fait, ce sont des temps très durs qui s’annoncent derrière ce rideau de chiffres, avec de nouvelles souffrances infligées au peuple. Une situation qui exige, pour en sortir et la dépasser de manière réussie, de toutes autres réponses que celles qu’on nous distille depuis des décennies.  

Toujours est-il pour l’instant, que pour Bruno Le Maire, ce retour à 1,8 % de croissance sera rendu possible grâce à l’excellence         de la politique gouvernementale. C’est :« grâce aux réformes économiques portées par notre majorité », et de citer la réforme des retraites, la baisse des impôts de production, les réformes de l’éducation et de la formation professionnelle ou encore la poursuite de la transformation de l’assurance-chômage et le déploiement du plan d’investissements 2030. Bref, que du bonheur en perspective ! Et tout cela sur fond d’un retour au plein emploi. Le ministre de l’Économie nous annonce en effetque les mesures de son gouvernement en faveur de « la valorisation du travail » devraient permettre d’atteindre le plein-emploi en 2027. Un taux de chômage de 5 % en fin de quinquennat est inscrit noir sur blanc dans le document pour Bruxelles. « Cela n’a jamais été fait en plus d’un demi-siècle », rappelle le ministre.

L’heure est à une politique budgétaire totalement renouvelée.

Faire face au défi d’une rupture radicale, à la racine, avec un enfoncement toujours plus profond dans une crise globale dont chaque jour plus de femmes et d’hommes font les frais, suppose une transformation profonde de nos institutions, comme le soulignait le précédent numéro de la revue Economie&Politique. Et parmi ces institutions il y a toutes celles qui touchent à la politique budgétaire du pays.

Pour cela trois leviers doivent être activés :

  • donner des pouvoirs d’intervention et de décision aux salariés des administrations financières et des organismes bancaires et financiers. Des pouvoirs nouveaux qui doivent se combiner avec des droits d’initiative, de contrôle et d’action des populations ; qu’elles soient salariées des entreprises ou citoyens.ennes des collectivités publiques, de la commune à l’État.
  • engager une révolution fiscale qui favorise les revenus du travail et pénalise et dissuade les revenus de la rente, – du capital et de la fortune -. Cela concerne en premier lieu la fiscalité des entreprises, du capital et de la fortune sans omettre une réforme de l’impôt sur le revenu et une restructuration de l’ensemble des prélèvements fiscaux (fiscalité directe ou indirecte, prélèvements locaux et nationaux).
  • Engager une nouvelle politique du crédit qui, de la BCE aux banques de dépôts, favorise les investissements et les financements développant les capacités humaines, et l’écologie pour de nouvelles productions et des services publics au service de l’émancipation de toute la population.