Salaires et (ou) pouvoir d’achat

Roland Perrier

Le salaire reste l’objet d’un affrontement idéologique de classe entre le capital et les travailleurs détenteurs de leur force de travail.

Il n’y a pas de hasard si, juste après les élections présidentielle et législatives, une loi dite « pouvoir d’achat » est discutée au parlement. Le candidat du parti communiste Fabien Roussel a forcé le débat en mettant en avant dès le début de sa campagne les salaires et le pouvoir d’achat, notamment pour tous ceux et celles qui n’en peuvent plus des difficultés de fin de mois avec pour première cause les faibles revenus de salaire et de pension pour nombre de salariés et retraités.

La montée importante de l’inflation en 2022 et le décrochage prix-salaires venait s’ajouter aux quarante dernières années dites de « modération salariale », et que le mot austérité salariale caractérise bien plus clairement.

Face à cette réalité, avec l’expression grandissante de mécontentement et de colère des salariés, des jeunes, des étudiants et des retraités, le président candidat était amené à promettre, avant l’élection, différentes mesures faisant aujourd’hui l’objet d’une « loi pouvoir d’achat » ainsi que des augmentations, notamment dans la fonction publique et pour les retraités.

Le capital fait tout pour contourner la question des salaires

On remarquera que tout sera fait pour contourner le concept de salaire et le débat sur celui-ci.

Les forces de droite et d’extrême droite, en accord avec le gouvernement et aux ordres du capital, utilisent toutes les occasions pour annihiler la notion de salaire brut englobant la Sécurité sociale, pour provoquer des discussions en net et en pouvoir d’achat, et pour dévier le débat sur des primes, des aides diverses plaçant les citoyens en position d’assistés. Les salariés sont pourtant détenteurs de plus en plus de qualification initiale et acquise en cours de carrière, rapportée aux générations précédentes.

On parle de plus en plus de déclassement, de baisse d’attractivité des métiers, certes à cause de la pénibilité, mais aussi beaucoup en raison de la non-reconnaissance de la force de travail dans la classification et la rémunération, dès les premiers niveaux de qualification et jusqu’aux niveaux les plus élevés.

N’ayant eu de cesse de peser sur la non-reconnaissance des qualifications dans les salaires, les employeurs du public et du privé ont créé de toutes pièces « une crise des qualifications et des compétences », bien plus large et profonde que dans les seuls métiers dits en tension. Les recours du patronat à l’apprentissage pour capter dans un même mouvement, les subventions et les exonérations de cotisations sociales, du CAP aux formations supérieures, non coordonnées, et ceci avec un désengagement progressif de l’Education nationale et de la puissance publique, dans des objectifs de court terme, ne résolvent pour le moment rien sur le fond.

Avec l’aide des médias dominants et des forces réformistes, tout est orchestré pour que le travailleur soit remplacé par le « collaborateur » de l’employeur, faisant disparaître de facto les notions de juste rémunération de la force de travail et de reconstitution de celle-ci.

La CGT, dans une note économique de mars 2022, expliquait « que depuis 2015, la part des salaires dans la valeur ajoutée brute des sociétés non financières est en moyenne de 65,43 %. Entre 1970 et 1979, elle était en moyenne de 70,94 %, soit 5,5 % de plus.

Et si, depuis 2015, la part des salaires avait été la même que dans les années 1970, la rémunération du travail aurait été supérieure de 62 milliards d’euros par an en moyenne. Cela représente 3 100 euros par salarié du privé (cotisations salariales et « patronales » incluses) soit plus de 250 euros par mois. »

En matière de niveau de salaire, le seul référent législatif imposable à tous les employeurs est le SMIC. Celui-ci est réactualisé depuis des années avec la stricte application de la formule de calcul sans aucun « coup de pouce », c’est-à-dire sans augmentation décidée politiquement au-delà de la formule de calcul. Les conventions collectives ne réactualisent pas automatiquement les minima de branche. 120 conventions sur 170 ont des minima de branche inférieurs au SMIC. Il en découle un système d’indemnisation pour compenser le différentiel avec le SMIC jusqu’au niveau de la loi, et particulièrement une distorsion et un écrasement des grilles de classification.

La fonction publique, à chaque augmentation du SMIC, réactualise les tout premiers niveaux de classification sans empêcher l’écrasement de ses grilles entre les premiers niveaux et les indices sommitaux des différents corps et cadres d’emploi.

Des premiers plans de rigueur à l’enfermement dans l’austérité

Le pouvoir entend nous placer dans une situation d’économie de guerre pour laquelle il veut prendre au maximum le monopole des moyens et des pouvoirs. Il est d’autant plus nécessaire de savoir apporter nos arguments et nos propositions dans un contexte où tout laisse présager une nouvelle phase de récession.

En effet, le capital entend bien choisir la récession à la place du développement et, dans le même temps, ligoter le monde du travail dans la fatalité avec une austérité continuée dans une prétendue « maîtrise salaires-prix » pour laquelle les salariés sont les variables d’ajustement.

Car en 1982 et 1983, dates du premier et deuxième plans de rigueur, la désindexation des salaires sur les prix devient la règle pour les salariés du privé et l’ensemble des agents de la fonction publique.

Les luttes locales sur les salaires dans les entreprises se multiplient et sont parfois très fortes et menées avec conviction par les travailleurs. Il en est de même dans la fonction publique par catégories, corps ou cadres d’emploi pour des reclassifications ou des primes. Mais les luttes d’ampleur de toute la fonction publique ou bien de grands secteurs du privé ont buté face à un patronat arc-bouté sur la mise en place des gestions souples, de la flexibilité, de l’individualisation, de l’agilité, sur la réduction drastique du « coût du travail ». La bataille idéologique sur la pression du chômage et le « risque d’inflation par augmentation des salaires », des arguments bien orchestrés par le capital avec l’aide des médias dominants, de la droite et d’une partie des forces réformistes, ont aussi contribué à limiter le niveau des luttes.

Ce dernier argument est démonté en partie par l’inflation montante de 2022, puisque des salaires en berne dans le public et le privé n’ont pas empêché l’inflation, les causes étant bien plus à rechercher dans le capital, son utilisation et son accumulation.

Toujours est-il que, depuis les années 1980, et à la suite des grands plans de casse de l’emploi – sidérurgie, textile, navale, machine-outil – le salariat se mobilisait pour l’emploi en priorité.

Le patronat se lançait, quant à lui, dans sa stratégie de détricotage du code du travail. Le salaire passait ainsi au second plan des préoccupations phares.

Une page est tournée. Les salariés et leurs organisations syndicales reprennent la main sur ce sujet fondamental, remettent le salaire en priorité, dans un même mouvement d’ensemble, et fait marquant, pour toutes les catégories jusqu’aux techniciens, ingénieurs et cadres.

Ainsi, en raison des difficultés à boucler les fins de mois, mais aussi en raison de la non-reconnaissance des qualifications initiales et continues dans les grilles, des questions enfouies dans le salariat resurgissent comme l’« échelle mobile des salaires » et l’indexation de ceux-ci sur les prix.

Dans ce contexte, il semble justifié de dire que la campagne des présidentielles de Fabien Roussel a déplacé positivement le curseur des discours sur le salaire, sachant qu’à un moment, seules les luttes, les débats associés et la confrontation aux propositions permettront des avancées réelles et durables.

Les propositions du PCF et les moyens de les réaliser

Dans ce débat, les propositions du PCF, les seules à la fois cohérentes transformatrices et durables, prennent une place incontournable. La sécurité d’emploi et de formation est le cœur de ce dispositif avec de nouveaux pouvoirs des travailleurs sur les choix stratégiques des entreprises et sur l’utilisation de l’argent.

La fonction publique ne sert pas de modèle en matière de salaire. Le nouveau gouvernement, comme les précédents, prétend gérer avec pour seule boussole le budget de l’État, avec la dette comme épouvantail, brandissant à chaque occasion les chiffres en milliards devant alimenter les salaires. Mais il oublie de dire, qu’il s’agit, si l’on prend les trois versants de la fonction publique, du quart du salariat français.

A chaque occasion, les forces de droite représentant les employeurs des deux autres versants de la fonction publique, de la territoriale et de la santé, via les organismes consultatifs ou par l’intermédiaire de parlementaires, pèsent pour limiter les salaires, qu’il s’agisse du SMIC ou des autres niveaux de la grille.

C’est le sempiternel argument patronal, opposant la masse salariale globale pour refuser les augmentations générales à tous les salariés. A cela, il faut ajouter, dès les années 1970, en matière de politique salariale associée au management et à l’intégration des salariés, dans le privé et dans le public, la rémunération par primes et indemnités qui contribue à la désorganisation et au tassement de l’amplitude des grilles de salaires.

Le gouvernement ne rate pas une occasion pour souligner que « 1 % d’augmentation de la valeur du point d’indice représente 2 milliards supplémentaires de rémunération » des agents publics oubliant ici de préciser qu’il s’agit de rémunérer 5,2 millions de salariés. Il omet aussi de mentionner le retour des recettes fiscales et des cotisations sociales versées directement à l’Etat, ceci ramenant la somme à 1,4 milliards, ainsi que l’effet de dynamique sur la consommation.

C’est ainsi que la CGT de la fonction publique, dans une déclaration en juin dernier en direction du ministre, rapportait cette somme aux « 140 milliards annuels d’aides publiques aux entreprises, aides pour leur grande masse non conditionnées et qui en 2021 avaient largement financé les 80 milliards versés aux actionnaires, principalement dans les grands groupes ».

A l’heure où ces lignes sont écrites, les mesures annoncées relevant strictement des salaires et pensions sont :

  • SMIC : + 2,01 %, effet au 1er août 2022, soit 1 678,95 euros bruts (mesure automatique) équivalent à 1 329 euros net. Le PCF avançait une proposition immédiate de 1 923 euros bruts pour le SMIC ;
  • Augmentation générale des pensions : + 4 %, effet au 1er juillet 2022 ;
  • Valeur du point d’indice des fonctionnaires : + 3,5 %, effet au 1er juillet 2022. Cette mesure viendra à la suite de 5 années blanches de 2018 à 2021 et de 4 années blanches entre 2011 et 2014. Deux records, deux marqueurs d’austérité historiques depuis la création du statut des fonctionnaires en 1946.

Ces deux dernières propositions qui tentent d’apaiser les colères des travailleurs et retraités ne sont pas au niveau des rattrapages nécessaires, ni au niveau des besoins. En effet, + 10 % immédiats serait le palier minimum à mettre en œuvre.

Grandes lignes et mesures d’urgence nécessaires pour le pouvoir d’achat des salariés et retraités [1] : (1)

  • dans l’immédiat, augmentation du SMIC au-delà du mécanisme automatique, augmentation des pensions et des minima sociaux ;
  • négociations obligatoires dans toutes les entreprises pour augmenter les salaires, (avec accès des TPE-PME à des crédits bonifiés pour faire baisser, en contrepartie, leur coût du capital) et ouverture de négociations dans la fonction publique. Ces négociations seraient précédées d’une conférence nationale sur les salaires ;
  • baisse de la TVA sur les produits de première nécessité et des taxes sur les carburants ;
  • combattre la spéculation sur les matières premières et les produits alimentaires en mobilisant les stocks et en interdisant aux banques de financer les spéculations sur les matières premières.

Pour casser les mécanismes qui produisent l’inflation :

  • créer un pôle public financier agissant notamment pour l’octroi de crédits bonifiés selon des critères définis et contrôlés ;
  • obtenir des grands groupes industriels et des services de la distribution qu’ils ne répercutent pas l’augmentation des salaires sur leur prix de vente ;
  • agir sur la formation des prix et la fixation des marges là où elles se décident dans les entreprises. Cela exige l’intervention des travailleurs avec de nouveaux pouvoirs d’intervention et de décision et le renforcement des moyens de service de Bercy.

Enfin, il faut s’attaquer aux causes profondes de l’inflation, notamment la création insuffisante de richesses (nécessité d’intervention en direction de la production, des services publics de la formation et de la recherche), au regard des énormes quantités de monnaie déversée selon de mauvais critères par la banque centrale et les banques sur l’économie ;

  • remédier à la situation de 6 millions de personnes qui sont en chômage total ou partiel, et favoriser la formation. C’est en effet autant de personnes qui n’ont pas la possibilité de contribuer, avec toutes leurs capacités, à la création de richesses, et donc une inefficacité radicale de l’économie capitaliste qui se traduit, selon les périodes, par la récession, par l’inflation, ou par les deux à la fois, comme cela menace d’être le cas aujourd’hui ;
  • définir des objectifs précis d’emploi, de formation, de services publics, une orientation sélective du crédit en faveur de création efficace de valeur ajoutée en créant des Conférences pour l’emploi, la formation et la transformation productive et écologique réunissant toutes les forces économiques et sociales dans chaque région et au niveau national. 
  • créer un « Fonds de développement économique, social, écologique, solidaire au niveau européen » permettant d’alimenter par la création monétaire de la BCE le développement des services publics et de la fonction publique.

[1] « La logique de financement de notre programme », Frédéric Boccara, Denis Durand, Economie&Politique, janvier-février n° 810-811.