
Depuis plusieurs mois, les prix de l’électricité ont crû de manière quasi incontrôlable, au point que même Bruno Le Maire s’en est ému en mettant cette flambée sur le compte du marché unique européen, jugé « aberrant » et « obsolète ». Car l’augmentation des prix de l’électricité ne date pas de 2021, et, plus qu’au seul marché européen de l’électricité, elle est due à la déstructuration du secteur, à sa privatisation et à un certain nombre de dispositifs bien franco-français instaurés par la loi NOME sur la nouvelle organisation du marché de l’électricité. Une loi adoptée en 2010, proposée par le gouvernement Fillon dont faisait partie un certain… Bruno Le Maire.
Depuis plusieurs mois, les prix de l’électricité ont crû de manière quasi incontrôlable. Mais si le phénomène a été brutal au cours du dernier semestre, il est tout sauf nouveau. Les prix de l’électricité n’ont cessé de croître depuis maintenant plus de dix ans, c’est-à-dire depuis la libéralisation du secteur électrique en France. L’évolution de la facture moyenne d’un petit consommateur résidentiel en témoigne (figure 1).
Figure 1

Mais de quels prix parle-t-on ? En fait, il existe trois systèmes de prix.
Les prix de gros qui concernent les fournisseurs d’électricité ou certains très gros consommateurs et sont établis par l’offre et la demande sur le marché de gros (Cf. infra). Les prix de gros ont littéralement explosé au cours du dernier semestre. Alors que depuis 2010, ils oscillaient autour de 50 €/MWh, avec des points bas à moins de 30 euros de 2016 à 2018, ils atteignent aujourd’hui régulièrement les 500 euros.

Figure 2 Evolution des prix de gros de l’électricité depuis 2008

Figure 3 : Evolution des prix de gros depuis un an
Les prix de détail qui concernent le consommateur final, industriel, tertiaire ou résidentiel et qui sont de deux natures :
- les prix librement fixés et proposés par les fournisseurs d’électricité en fonction de la nature de l’électricité qu’ils vendent, de leurs coûts et de leur stratégie concurrentielle (électricité « verte », coopératives, à prix fixes, à prix variables etc.). Ce sont les offres dites « de marché » ;
- les tarifs règlementés de vente d’électricité (TRVE) proposés seulement par EDF (et quelques anciennes régies), qui, à l’origine, étaient censés refléter les coûts de production d’EDF, donc essentiellement nucléaire, et faire ainsi bénéficier le consommateur français des prix particulièrement bas du mix français. Avec la première loi libéralisant le secteur électrique, adoptée en février 2000 et transposant la directive de 1996, les producteurs et les plus gros consommateurs (les clients « éligibles ») ont obtenu le droit de négocier en direct les prix de l’électricité qu’ils s’échangeaient. Pour les autres consommateurs, les tarifs proposés par EDF ont été maintenus (tarifs « bleus, jaunes et verts », tarifs dit règlementés puisqu’ils étaient élaborés par EDF mais arrêtés par le ministre en charge de l’énergie. Au cours des années qui suivirent, au fur et à mesure de « l’ouverture » du marché, de plus en plus de clients (petite industrie, tertiaire, et même résidentiels) se virent ouvrir le droit à accéder à des offres « de marché » et de moins en moins pouvaient bénéficier des tarifs règlementés. L’objectif étant naturellement de supprimer à termes ces tarifs règlementés. En 2021, environ 22,5 millions de sites résidentiels et 1,55 million de sites « petits professionnels » (environ 70 % des ménages et des « petits professionnels), bénéficiaient de tarifs règlementés.
Les prix de l’électricité au tarif règlementé, qui croissaient lentement jusqu’à 2018 se sont ensuite emballés pour exploser en 2022, ont quasiment cessé d’augmenter depuis. (figure 2) Pourquoi ? Parce que leur mode de calcul a changé. Mais un petit retour en arrière est nécessaire.

Figure 4 : Evolution des TRVE depuis 2010 (en €/ MWh). Source CRE
Un peu d’histoire
Naguère, à peu près partout dans le monde, le système électrique était exploité par un monopole, monstruosité absolue pour tout économiste libéral. Qui plus est, ce monopole était intégré, c’est-à-dire en charge de la production d’électricité, de son transport à grande distance et de sa distribution aux clients finals. Pas supplémentaire dans l’horreur économique, ce monopole était le plus souvent public, comme en France avec EDF.
Il n’en reste pas moins que pour des multinationales en recherche permanente de nouvelles sources de profit, cette appropriation publique d’un secteur porteur constituait un gâchis terrible. Dès les années 80, sous l’impulsion politique de Reagan et Thatcher, une brochette d’économistes (1) s’est attelée à théoriser l’inefficacité du monopole public, les bienfaits du marché et – déjà – du ruissellement des profits pour le bien être des consommateurs.
S’en est suivie une vague de privatisation et de mercantilisation de l’industrie électrique qui, très rapidement – les mêmes causes produisant les même effets – a renvoyé le secteur électrique à ses démons d’avant-guerre : prix élevés, sous-investissements, fiabilité déficiente.
Pour libéraliser le secteur on a d’abord dissocié les trois principales fonctions : production, acheminement par les réseaux et commercialisation.
On a abrogé le monopole de production en permettant à tout un chacun de produire de l’électricité. On a séparé les réseaux d’acheminement des autres fonctions de production et de commercialisation, Parallèlement, on a permis aux gros clients et aux commercialisateurs d’acheter ou de vendre directement de l’électricité en utilisant les réseaux moyennant redevance. C’est l’accès des tiers au réseau ou ATR.
Ainsi, là où il y avait un seul opérateur, on a multiplié les producteurs (en France EDF, Engie, Total et plusieurs dizaines de petits producteurs d’électricité renouvelable mais aussi des producteurs produisant dans des pays voisins et exportant en France). On a créé des gestionnaires de réseau (RTE pour le transport en haute tension et Enedis pour la distribution en basse tension. Ces réseaux constituant des monopoles naturels, ils doivent, dans la doxa libérale, être régulés, c’est-à-dire que leurs prix doivent être contrôlés, voire fixés, par une entité pour éviter tout abus de position dominante. Dans la plupart des pays, cette mission a été confiée à un régulateur extérieur « indépendant », en France, la CRE (Commission de Régulation de l’Energie.)
Enfin, des « commercialisateurs ou fournisseurs » (grossistes ou épiciers) qui vendent au consommateur final de l’électricité qu’ils produisent ou qu’ils achètent en gros à d’autres. Tous ces braves gens ne travaillant pas pour rien, cette pandémie a considérablement alourdi les coûts de l’électricité pour le consommateur final.
Comment se déroulent les échanges d’électricité en France dans ce schéma désormais ?
Depuis 2007, le consommateur final d’électricité est « libre » de choisir à qui acheter son électricité : c’est son « fournisseur ». Ce fournisseur peut être un producteur qui vend ainsi son électricité directement à son client (de gré à gré). En France, aujourd’hui la grande majorité des échanges ont lieu ainsi. Mais il peut aussi choisir d’acheter son électricité à un revendeur qui ne produit pas son électricité, mais qui l’achète en gros sur le marché et la revend au détail. C’est ainsi qu’on a vu se multiplier les fournisseurs dits « alternatifs » et se développer des offres exotiques telles que celles de Leclerc qui ristourne 20 % du tarif EDF en… bons d’achats !
Pour permettre ce développement du mercantilisme électrique, on a instauré deux dispositifs : le marché de gros et l’ARENH.
Qu’est-ce que ce marché de gros de l’électricité ?
En fait, de même qu’il existe plusieurs places de marché pour les actions, il existe plusieurs marchés de gros de l’électricité. On devrait donc parler non pas « du » mais « d’un » marché de gros de l’électricité. La plus grande plateforme de marché en Europe est EPEX Spot, de droit allemand, à laquelle ont accès les acteurs de 12 pays différents dont la France. Mais d’autres Bourses sont actives sur le territoire français, par exemple NordPool, marché de gros initialement centré sur les pays scandinaves
Un marché de gros est une plateforme informatique (analogue à la Bourse des valeurs où sont négociées les actions) sur laquelle les participants déposent, chaque jour pour le jour suivant, des ordres d’achat ou de vente d’électricité. D’où son nom de marché Day ahead, encore appelé « marché spot ».
D’un côté, des demandeurs (le plus souvent des fournisseurs ou revendeurs qui en ont besoin pour alimenter leurs clients) expriment des besoins d’électricité en grande quantité soit heure par heure, soit sous forme de « blocs », c’est -à-dire une certaine puissance pendant un certain nombre d’heures, à un instant donné de la journée. Ces demandes sont faites à un prix d’achat reflétant principalement l’heure de la journée à laquelle ils s’appliquent.
De l’autre, des offreurs qui proposent eux aussi des blocs à des prix qui, in fine, reflètent la nature du combustible de production de l’électricité proposée : charbon, gaz, hydraulique…
Les ordres sont enregistrés par les acteurs du marché avant la clôture du carnet d’ordres à 12h00. Sur la base des ordres d’achat, l’opérateur de Bourse lance un algorithme d’appairage qui établit une courbe de demande, basée sur les ordres de vente, et une courbe d’offre pour chaque heure du jour suivant. Le prix de compensation du marché (MCP), qui équilibre l’offre et la demande, se trouve à l’intersection des deux courbes et reflète le coût marginal de production. (Voir encadré).
Accessoirement, la place de marché assure également le règlement financier des échanges. Mais les échanges physiques du lendemain, eux, sont assurés par RTE qui veille ce qu’à chaque instant la consommation d’électricité soit bien assurée par une production suffisante (voir encadré « Fétichisme »).
Mais le marché de gros est très insuffisant pour fournir l’électricité nécessaire aux fournisseurs alternatifs pour se sourcer et satisfaire leurs clients. Les acteurs du marché de l’électricité préfèrent des échanges de gré à gré, plus sûrs et à des prix mieux maitrisés. C’est pour cette raison qu’en France, seul un tiers des échanges d’électricité se font sur le marché de gros. En outre, les quantités d’électricité qui s’y échangent viennent surtout des productions les plus chères : charbon et hydrocarbures et ne permettent donc pas aux commercialisateurs des marges suffisamment rémunératrices. C’est pourquoi on a considéré que cette limitation constituait un obstacle au développement de la concurrence et qu’il était nécessaire que les fournisseurs alternatifs aient dans leur portefeuille une offre d’électricité en base. C’est ce qui a conduit le gouvernement Fillon en 2010 à mettre en place le dispositif d’Accès Régulé à l’Energie Nucléaire Historique (ARENH).
Ce dispositif permet aux fournisseurs alternatifs, depuis le 1er juillet 2011 et jusqu’au 31 décembre 2025, d’acheter à un prix particulièrement intéressant l’électricité produite par les centrales nucléaires historiques d’EDF situées sur le territoire national, en obligeant EDF à céder cette électricité à un prix fixé par décret. Depuis le 1er janvier 2012 et jusqu’à fin 2021, le volume total de ce cadeau a représenté 100TWh annuels, soit plus du quart de la production nucléaire, cédés à un prix de 42 € / MWh qui n’a pas évolué depuis 2012, malgré l’augmentation continue des coûts de production du nucléaire sur la période (+ 46 % entre 2011 et 2021,
L’enfer étant pavé de bonnes intentions, les fournisseurs alternatifs étaient supposés répercuter ces faibles coûts d’approvisionnement sur leur propre clientèle. Pour cette raison, la loi prévoyait que les fournisseurs éligibles à l’ARENH devaient faire la demande d’une quantité fonction de l’importance de leur portefeuille de clients. Si le total des demandes excédait le plafond (aujourd’hui 120 TWh) alors, les demandes étaient écrêtées pour redescendre à ce plafond. (figure 5). Ex post, la CRE est en charge de vérifier que la demande de chaque fournisseur est bien conforme à la quantité que lui permet l’importance de sa clientèle. Or, lors de son dernier rapport de contrôle, la CRE a constaté que plus de 60 % des demandes d’ARENH étaient excessives.

Figure 5
L’impact le plus important de l’ARENH est évidemment celui sur la santé financière d’EDF. Pour l’entreprise, l’ARENH, contrairement aux intentions affichées, ne couvre même pas ses coûts de production nucléaire. Pour sa part, la CRE estime que les coûts de production sont correctement couverts mais la Cours des comptes est moins affirmative, même si elle estime que les coûts de production d’EDF sont couverts par l’ARENH, au moins selon une appréciation strictement comptable, c’est-à-dire sans prendre en compte les coûts de développement
Consciente de la difficulté du problème, la Cour reste toutefois prudente : «la rémunération de cette filière est toutefois dépendante de paramètres difficilement pilotables, y compris les effets de l’écrêtement, ce qui ne permet pas au dispositif de l’ARENH de garantir la couverture des coûts ».
En revanche, la Cour des comptes a estimé clairement « qu’en l’absence d’ARENH, les revenus du nucléaire, sur l’ensemble de la période 2011-2021, auraient excédé les coûts comptables d’environ 7 milliards d’euros sur la période. L’ARENH a ainsi limité les revenus du producteur nucléaire ». On imagine assez bien l’impact négatif que cette disposition a pu avoir sur la capacité d’investissement d’EDF et donc sur le renouvellement du parc nucléaire.
La situation s’est compliquée fin 2021 avec la hausse brutale des prix de gros qui ont entraîné un approvisionnement plus coûteux pour les fournisseurs alternatifs. Le gouvernement s’est donc empressé de voler à leur secours au détriment d’EDF en relevant à partir de 2022 à 120 TWh la quantité d’électricité cédée dans le cadre de l’ARENH, avec, il est vrai, une petite compensation en relevant le prix de vente obligé à 46 € /MWh (depuis, l’Assemblée nationale a porté ce prix à 49,5 euros contre l’avis du gouvernement). Cette augmentation a eu un effet encore plus pervers que les années précédentes, puisqu’elle coïncide avec une baisse historique de la production nucléaire française (fin juillet, 30 sur les 56 réacteurs français étaient à l’arrêt, 18 pour maintenance programmée et 12 pour des problèmes de corrosion). EDF a donc dû avoir un recours accru au marché de gros. Dans ses comptes semestriels publiés en juillet, EDF évalue à 10 milliards d’euros les conséquences financières de ces nouvelles mesures.
Les tarifs de vente aux particuliers.
Ces quelques rappels avaient pour but d’identifier les éléments principaux qui pèsent sur le prix final aux consommateurs : prix de gros, ARENH, capacité. Mais il en est deux autres tout aussi important : l’acheminement et les taxes ou contributions. Toute facture d’électricité, qu’elle soit en offre de marché ou au tarif régulé, se décompose en trois postes : fourniture d’énergie, acheminement de cette énergie et taxes diverses. Ainsi, à fin 2021, la facture d’électricité au tarif règlementé pouvait se décomposer en trois postes à peu près égaux (figure 6)

Figure 6
Chacune de ces composantes contribue donc à l’évolution des tarifs règlementés.
Commençons par l’acheminement. Un commercialisateur qui achète de l’électricité à un producteur pour la revendre à un client final doit non seulement payer l’énergie qu’il achète au producteur et encaisser le prix de cette énergie auprès de son client, mais aussi payer un service de transport pour acheminer l’électricité depuis la centrale qui produit, et un service de distribution pour délivrer l’énergie jusqu’au client final et la compter. Dans le cas d’installations de production raccordées au réseau de distribution, comme les éoliennes, seul le service d’utilisation du réseau de distribution est à payer.
Le prix à payer pour l’utilisation des réseaux est appelé TURPE (Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics d’Electricité).
Comment est établi le TURPE ? Sans trop entrer dans le détail, le tarif est le même sur l’ensemble du territoire (péréquation) ; il est indépendant de la distance entre le point d’injection et le point de soutirage (tarif « timbre-poste »). Il dépend essentiellement du niveau de tension des réseaux empruntés et de la tranche horaire.
Il est établi par la CRE pour couvrir les charges d’exploitation et de capital du réseau, les coûts de gestion des contrats, les coûts de comptage et les coûts liés à la compensation des pertes.
Or le TURPE a notablement contribué, lui aussi, à la hausse des tarifs règlementés puisqu’il a augmenté de plus de 30 % depuis 2008 (figure 7), notamment en raison d’investissements très important pour interconnecter les pays européens et développer l’intégration du marché

Figure 7 : Augmentation annuelle du TURPE en % annuel depuis 2008
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La composante « fourniture » est celle qui a le plus augmenté au cours des dernières années et notamment au cours des derniers mois. Mais cette augmentation ne doit rien à la règlementation européenne. C’est la loi NOME, adoptée, en 2010 qui a modifié l’esprit des tarifs règlementés et de leur construction.
Désormais, il ne s’agit plus d’assurer un prix reflétant les coûts de production d’EDF, mais, comme le mentionnent les attendus de la loi : un prix qui « vise à garantir la « contestabilité » des TRVE, qui se définit comme « la faculté pour un opérateur concurrent d’EDF présent ou entrant sur le marché de la fourniture d’électricité de proposer, sur ce marché, des offres à prix égaux ou inférieurs aux tarifs réglementés ». Autrement dit, les tarifs règlementés sont calés à un niveau suffisamment élevé pour que n’importe quel fournisseur alternatif soit en mesure de proposer une offre de marché à un prix plus concurrentiel que celui d’EDF et donc, in fine, pour inciter les consommateurs à quitter le tarif règlementé.
Pour ce faire, la CRE a élaboré une formule reflétant les coûts d’approvisionnement non pas d’EDF, mais d’un fournisseur alternatif moyen. Elle a donc introduit dans la composante « fourniture » une part reflétant les prix du marché de gros. C’est cette part qui a explosé au cours des derniers mois en raison de la crise des prix du gaz (et de l’indisponibilité du nucléaire en France) conduisant les tarifs règlementés à augmenter de près de 45 % !
Enfin, près d’un tiers de la facture des consommateurs au tarif règlementé est constitué de taxes, et contributions, parmi lesquelles la plus importante, outre l’inévitable TVA, est la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Entre 2003 et 2016 le taux de CSPE est passé de 3,3 euros à 22,5 euros le MWh. Mais, direz-vous, s’il s’agit de financer le service public, pourquoi pas ?
Las ! Le législateur qui a instauré la CSPE a une conception toute personnelle du service public. Initialement destinée, en effet, à financer la continuité du service public, notamment l’unicité des tarifs dans les zones non interconnectées (DOM TOM en particulier), son objet a été profondément modifié dès 2003 pour y inclure les charges supportées par EDF pour l’obligation acheter l’électricité produite par les énergies renouvelables : éolien, solaire, biomasse etc. Autrement dit, est considéré comme un élément de service public le soutien aux profits des producteurs d’électricité renouvelables.
Désormais, les « charges de service public » regroupent les surcoûts résultant des mécanismes de soutien aux énergies renouvelables et à la cogénération, les surcoûts liés à la péréquation tarifaire dans les zones non interconnectées (ZNI), les surcoûts liés à certains dispositifs sociaux bénéficiant aux ménages en situation de précarité et d’autres moins significatifs.
En 2020, les charges de services public représentaient un montant de 8,7 milliards d’euros et dans ce total le soutien aux énergies renouvelables représentait environ les deux tiers.
De 2003 à 2015, les charges de service public étaient entièrement compensées par la CSPE, donc payées par le consommateur d’électricité. En raison du développement important des énergies renouvelables favorisées par ce dispositif particulièrement avantageux, la CSPE a littéralement explosé. À ce rythme, la CRE envisageait même une multiplication par dix de son taux d’ici à 2025.

Figure 8 : Evolution des charges et de la contribution unitaire entre 2003 et 2025 prévues par la CRE en 2014
Au point que le gouvernement a dû prendre, en 2015, des mesures de bidouillage fiscal pour en limiter la hausse, ou plutôt pour la rendre moins visible. La contribution au service public de l’électricité (CSPE), la contribution au tarif spécial de solidarité (CTSS) et la contribution biométhane ont été supprimées pour les consommations postérieures au 31 décembre 2015. Ces suppressions ont été compensées à partir de 2016 par une redéfinition de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) rebaptisée CSPE et une augmentation de la taxe intérieure sur la consommation de gaz naturel (TICGN).
Le financement des charges de service public de l’énergie a également été étendu à une part de la taxe intérieure sur les produits énergétiques (TICPE) qui porte sur les produits pétroliers, et de la taxe intérieure sur la consommation de charbon (TICC),
Ces mesures ont permis de limiter la CSPE, fixée en 2016 à 22,5 €/MWh (inchangée jusqu’au 31 décembre 2021) et d’étaler le financement des charges de service public sur l’ensemble des consommateurs d’énergie (hydrocarbures compris) et plus seulement sur les seuls consommateurs d’électricité.
Le bouclier fiscal décidé par le gouvernement au début de 2021 et limitant l’augmentation des prix à 4 %, est financé par la réduction de la CSPE à son taux minimal légal d’1 €/MWh au lieu des 22,5 €/MWh
En conclusion, la flambée des prix de l’électricité observée depuis quelques mois n’est pas seulement le résultat du fonctionnement d’un marché de gros européen « obsolète » trop lié aux prix du gaz et dont il suffirait de modifier les règles pour revenir à la normale. Elle est la conjonction des mesures destructrices qui ont été prises depuis vingt ans pour introduire artificiellement la concurrence dans un secteur où le monopole public avait fait la preuve de son efficacité, et du retard pris à moderniser et développer un parc nucléaire efficient. En fait, seule une part très minoritaire des échanges d’électricité se font sur le marché de gros en France, mais les mécanismes de marché qui ont été inventés et généralisés dans le fonctionnement du système électrique se réfèrent aux prix de gros et contribuent ainsi à diffuser l’instabilité inhérente aux prix de marché dans tous les compartiments du secteur électrique.
Encadré 1
Fétichisme.
S’il est un secteur où le fétichisme de la marchandise démystifié par Marx prend tout son sens, c’est bien le secteur électrique tel qu’il est devenu après sa libéralisation. Désormais, sur le « marché » de l’électricité, tout est marchandise.
Nous l’avons vu, une partie des échanges d’électricité se fait sur un marché « spot » dit Day Ahead où l’on équilibre les offres et les demandes pour la journée du lendemain. Mais ce marché spot n’est pas le seul
D’abord parce que demain est un autre jour et que ce jour venu, certains producteurs peuvent faire défaut ou certains consommateurs être plus gourmands que prévu. Il faut donc qu’ils aient l’opportunité de s’approvisionner auprès d’autres fournisseurs qui disposent encore de ressources inemployées.
On a donc créé un marché pour cela. C’est le marché intraday sur lequel les acteurs peuvent échanger pour le jour même, jusqu’à 10 minutes de l’heure de livraison.
Mais même lorsque l’offre et la demande commerciales sont à peu près équilibrées et qu’un prix d’équilibre est trouvé, l’offre et la demande physiques, c’est-à-dire la production et la consommation, elles, ne sont pas équilibrées pour autant, car les contractants peuvent pour des raisons diverses, ne pas respecter leurs engagements contractuels. Commercialement, cela se traduit souvent par une simple pénalité, mais techniquement, cela pourrait conduire à un véritable désastre.
L’électricité n’étant pratiquement pas stockable, la production doit en permanence être égale à la consommation. C’est l’opérateur de système, en France l’exploitant du réseau de transport RTE, qui est responsable de cet équilibre. Lorsque le secteur électrique était exploité par un monopole public, l’opérateur de système était intégré à ce monopole (c’était le service des « mouvements d’énergie » d’EDF) et avait donc une vue d’ensemble de la consommation et des moyens de production nécessaires pour y faire face. Il avait également la main sur la mise en route ou l’arrêt des groupes de production (y compris les importations) nécessaires pour assurer l’équilibre.
Avec la « libéralisation » du secteur et la dislocation des opérateurs intégrés, coupables du crime de monopole, toute cette cohérence a été perdue. Il a donc fallu lui substituer des mécanismes plus ou moins bien maîtrisés pour assurer l’interface entre les différents acteurs en charge de cet équilibre.
Pour assurer l’équilibre entre l’offre et la demande, l’opérateur de système, RTE, surveille un paramètre clé : la fréquence. Si celle -ci tombe significativement en deçà de 50Hz, c’est que la production est insuffisante. Il faut donc que l’opérateur dispose de réserves de production. Malheureusement, la doxa libérale veut que RTE ne puisse être producteur pour cause de séparation des fonctions. Il doit donc faire appel à d’autres producteurs.
On a donc créé un marché pour cela.
En fait, face à une chute de la fréquence, les premières réactions sont automatiques, grâce à des dispositifs intégrés dans les groupes de production. Tous les producteurs injectant sur le réseau ont obligation de disposer de ces réserves automatiques. Leur utilisation est rémunérée par RTE au prix du marché spot.
Au-delà, RTE doit disposer de réserves supplémentaires pour reconstituer les réserves déjà utilisées pour faire face à un nouvel incident. On a donc créé le « mécanisme d’ajustement » qui n’est rien d’autre qu’un marché où les producteurs déposent des offres de mise à disposition de RTE d’une puissance rapidement mobilisable soit à la hausse, en cas d’insuffisance de production, soit à la baisse, en cas d’excès de production. Tous les producteurs débitant sur le réseau ont obligation de participer à ce marché. Ces offres sont rémunérées au prix proposé dans leur offre.
Les coûts liés à la constitution ou la reconstitution des réserves sont supportés par le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), et donc répercutés sur la facture du consommateur.
D’autres phénomènes viennent perturber le bel équilibre théorique du marché : ce sont les réseaux. Pour qu’un fournisseur livre à son client, il doit utiliser les réseaux. Mais dès lors que de l’électricité transite sur un réseau, cela génère des pertes qu’il faut compenser par une production complémentaire. Mais comme RTE ou Enedis n’ont pas le droit de produire ils doivent faire appel à des producteurs. On a donc créé un marché pour cela.
Et, dans le pire des cas, les réseaux peuvent ne pas être disponibles pour diverses raisons (incident, entretien etc.) C’est assez souvent le cas dans les échanges transfrontaliers du fait des interconnexions. On est alors face à des congestions que RTE doit résoudre en répartissant la pénurie. Eh bien ! on a créé un marché pour cela.
Enfin, pour assurer la sécurité d’approvisionnement à long terme, après les crises californiennes, espagnoles et texanes, même les plus libéraux reconnaissent désormais que le marché spot ne fonctionne pas. Alors, pour corriger les défauts de ce marché, on a créé un « mécanisme de capacité ». Mais rassurez-vous, en fait de « mécanisme », il s’agit… d’un marché !
Encadré 2
Marginal
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Comment le marché spot établit-il les prix ? Pour l’expliquer, un petit rappel est nécessaire sur le fonctionnement d’un parc électrique.
Un parc électrique se compose de nombreuses centrales de différents types et de coûts de productions variés. Les centrales dites de base sont celles qui coûtent cher à l’investissement, mais offrent un coût de combustible faible (coût variable faible). Ce sont les centrales fonctionnant aux énergies renouvelables (hydraulique au fil de l’eau, éolien, solaire) ou les centrales nucléaires dont les coûts de combustible sont très faibles ou nuls. Ce sont elles qui sont démarrées les premières lorsque la demande est faible. Lorsque la demande croît, il est alors nécessaire de démarrer des centrales dont les coûts de combustible sont plus élevés : d’abord charbon, puis centrales à gaz. Enfin, lorsque la demande est très importante, aux heures de pointe, il est nécessaire de lancer des unités de production supplémentaires qui, en général, consomment énormément de combustible, mais ne constituent pas un investissement important comme les turbines à combustion. Elles sont appelées centrales de pointe, parce qu’elles ne sont utilisées que quelques heures dans l’année. Ce classement des centrales selon leurs coûts fixes (investissement) et leurs coûts variable (combustible) est appelé l’ordre de préséance économique ou « merit order ». La dernière centrale mise en route est appelée centrale marginale et son coût de production, coût marginal. C’est la responsabilité du gestionnaire de système que de le mettre en œuvre physiquement pour minimiser le coût de production du système.

Le marché spot établit le prix de gros selon le même principe. Les offreurs proposent des quantités d’électricité à des prix qui reflètent leur coût variable de production et les heures de la journée du lendemain auxquelles ils fourniront ces quantités. Les acheteurs sollicitent des quantités d’électricité en proposant un prix qui correspond à l’idée qu’ils se font du prix qu’atteindra l’électricité à l’heure où ils en auront l’usage lors de la journée du lendemain.
Pour chaque heure du lendemain, un algorithme compare offres et demandes et établit un prix qui est le prix de la dernière offre (la plus chère) permettant de satisfaire la totalité de la demande à cette heure de la journée. C’est donc un prix marginal. Toutes les autres offres sont payées à ce prix marginal (et non pas au prix qu’elles avaient proposé) parce qu’elles concourent toutes à satisfaire la demande. Ces autres offreurs qui avaient proposé un prix inférieur au prix marginal finalement retenu reçoivent donc un prix supérieur à l’offre qu’ils avaient faite. C’est la rente « inframarginale ».
Le principe succinctement décrit ci-dessus est l’alpha et l’oméga de tout économiste libéral et c’est l’algorithme utilisé par à peu près toutes les places de marché. En réalité, il présente des défauts majeurs.
En particulier, il n’est fondé que sur les coûts variables (les coûts de combustibles) et il n’assure donc pas que les prix de marché obtenus soient suffisants pour couvrir aussi les coûts d’investissement. C’est selon la théorie, le rôle de la rente infra-marginale que de couvrir ces coûts fixes. Mais, dans le cas des moyens d’extrême pointe, il n’y a jamais de rente infra-marginale. Le marché ne fournit donc pas de revenus pour couvrir les coûts fixes, mêmes faibles, des moyens d’extrême pointe. Les inconditionnels du marché estiment que les prix étant très élevés en extrême pointe, c’est une incitation suffisante à investir dans des nouvelles unités. La réalité, comme les crises californienne ou espagnoles l’ont montré, c’est que les investisseurs considèrent les investissements d’extrême pointe comme trop risqués. Cela a conduit pratiquement tous les États, dont la France, à mettre en place un marché parallèle qualifié de « mécanisme de capacité » (voir encadré).
Encadré 3
Le mécanisme de capacité.
Il existe aujourd’hui un consensus sur la nécessité d’un dispositif dans lequel la sécurité d’approvisionnement ne repose pas uniquement sur le fonctionnement du marché spot de l’électricité (voir encadré « Marginal »).
La plupart des pays ont donc opté pour un mécanisme de capacité qui vise à assurer un parc de production suffisant en période de pointe à moyen et long terme. La France a mis en place en 2017 un « mécanisme de capacité » dont le principe est le suivant :
- sur la base de ses prévisions de consommation sur les quatre ans à venir, RTE détermine « l’obligation nationale de capacité » nécessaire pour assurer une production suffisante en période de pointe. Cette « obligation nationale » est ensuite répartie entre les fournisseurs en fonction du profil de consommation de leur portefeuille de clients ;
- chaque fournisseur d’électricité a l’obligation d’acquérir des garanties de capacité afin de pouvoir répondre en période de pointe à la demande de ses clients. Les producteurs d’électricité, eux, ont pour obligation de mettre à disposition et faire certifier leurs moyens de production auprès de RTE (Réseau de Transport d’Electricité). Un moyen de production certifié donne droit à des garanties de capacité au producteur qui pourra les vendre aux fournisseurs. Un client qui a la capacité de moduler sa consommation peut également faire certifier cette capacité d’effacement par RTE. Ceci donne également droit à des garanties de capacité au client ;
- ensuite, les exploitants de capacité – producteurs d’électricité ou clients en effacement – et les fournisseurs s’échangent ces garanties de capacité, notamment sur le marché organisé par EPEX Spot, au cours de sessions d’enchères qui ont lieu plusieurs fois par an, ce qui permet de valoriser les garanties de capacité.
Ces garanties de capacité constituent donc un revenu supplémentaire pour les producteurs et une charge supplémentaire pour les fournisseurs qui sont donc conduits à la répercuter sur la facture de leurs clients.
Selon la Cour des Comptes, le coût répercuté aux consommateurs a été estimé entre 500 millions d’euros et 1 200 millions d’euros par an selon les années. La Cour juge excessifs ces transferts en soulignant que certaines filières n’ont pas besoin de rémunération capacitaire pour rester en fonctionnement. C’est notamment le cas des énergies renouvelables subventionnées (éolien et photovoltaïque), des principales concessions hydro-électriques et du parc nucléaire historique dans son ensemble. (1)