6,3 % : L’indice des prix à la consommation

Alain Gély
statisticien, économiste

6,3 % : telle est l’évolution sur 12 mois de l’indice des prix à la consommation (IPC) pour le mois de février 2023 publié par l’INSEE le 15 mars.

Ce chiffre est utile. On peut le rappeler à certains membres du gouvernement. Ceux-ci se félicitent de soi-disant augmentations du point d’indice de la fonction publique ou de la hausse de certains revenus sociaux de 3 ou 4 %. Ils ont même le culot d’ajouter qu’il n’y a pas eu de telles augmentations depuis longtemps. Ils « oublient » que 3 % face à des prix qui augmenteraient de 6 %, cela représente une baisse significative de pouvoir d’achat. Grâce à l’IPC, on peut chiffrer approximativement cette baisse à 3 %.

Ce chiffre est donc utile. Mais est-il suffisant ? Non. Pour au moins quatre raisons.

D’une part, « indice unique, indice inique »

Un indice unique ne saurait résumer parfaitement une situation complexe où certains prix augmentent, parfois beaucoup, et où d’autres (plus rares) diminuent. Pour ceci, l’INSEE diffuse de très nombreux autres indices qu’on trouve par exemple ici : www.insee.fr/fr/statistiques/6801734.

Les données détaillées et leur emploi permettent de mieux appréhender l’impact réel de la hausse des prix sur certaines catégories de population. Ainsi, « l’indice des prix de grande consommation dans la grande distribution » (qui est un autre indice officiel) est à + 13,5 % sur un an. Et les prix de l’énergie à + 14 %, en moyenne. L’impact de l’inflation sur les classes populaires et moyennes est donc très fort, puisque ces postes de dépenses pèsent particulièrement lourd dans leur budget. Pour elles, des augmentations de salaires et d’autres revenus, même de 6 %, ne suffisent souvent pas pour faire face.

Il existe même un indice des prix à la consommation harmonisé européen. Selon cet IPCH, la hausse des prix en France aurait été voisine de 7,2 % et non de 6,2 % sur les douze derniers mois.

D‘autre part, tout indique que ces indices des prix à la consommation sous-estiment le coût de la vie. 

L’INSEE reconnaît d’ailleurs officiellement que « l’indice des prix n’est pas un indice du coût de la vie » mais se refuse à en calculer un. Des syndicalistes et autres citoyens sont donc obligés de tenter de combler cette lacune. Une partie de leurs objections peut être quantifiée assez facilement, une autre partie de ces critiques est plus difficile à chiffrer.

Considérons d’abord la partie du « coût de la vie » qui peut être quantifiée, au-delà de l’IPC. Pour ceci, divers compléments chiffrés à l’IPC peuvent être mobilisés.

En premier lieu, l’évolution de la taille des ménages joue assez fortement, car il est par exemple plus coûteux pour deux personnes de vivre séparément que de cohabiter ; or, les divorces et les veuvages, notamment, se traduisent par une tendance générale à la « décohabitation ». Il faudrait, à ce titre, ajouter environ 0,5 point par an à l’IPC.

De même, l’IPC est censé tenir compte de l’évolution de la qualité des produits, considérant qu’un prix stable pour une qualité jugée meilleure doit être enregistré comme une baisse de prix. En outre, l’IPC ne s’intéresse qu’aux dépenses qui sont considérées comme de la consommation. Il ne tient pas compte des prix de l’immobilier. Or, ces prix croissent en général plus vite que les loyers.

Enfin, l’indice des prix utilisé pour l’indexation du SMIC (qui influence de nombreux salaires) est un indice « hors tabac ». Cet indice a été confectionné pour autoriser des augmentations de taxes sur le tabac sans que cela soit répercuté dans cet indice spécifique. Il sous-estime donc, par construction, l’inflation et pèse sur le pouvoir d’achat, surtout pour les classes populaires. A la longue, cette dérive d’un dixième de point par an n’est pas négligeable.

Au total, il faudrait certainement ajouter à l’IPC au moins un point par an pour s’approcher d’un indice du coût de la vie.

Et il y a tout ce que l’on ne sait pas ou ne veut pas chiffrer,

en s’abritant derrière la complexité parfois bien réelle de tels calculs.

Exemple de ce qu’on peut percevoir sans, semble-t-il, d’estimations chiffrées globales de ces phénomènes : ce qu’on appelle la « norme de consommation », ce qu’il faudrait acheter pour se conformer au modèle de consommation en vigueur. Ces exigences impliquent souvent des dépenses nouvelles : un téléphone portable, voire un ordinateur personnel, sont jugés presque indispensables par notre société, alors qu’ils n’existaient pas il y a une quarantaine d’années. C’est particulièrement net dans le cas d’un chômeur qui, s’il n’en dispose pas, voit ses chances de trouver un emploi encore réduites.

L’obsolescence, programmée ou non, des produits incite aussi à des dépenses plus fréquentes. Cette incitation devient même une obligation quand le service après-vente ne répond pas ou affirme ne pas trouver de pièces de rechange. C’est là, sous prétexte d’innovations parfois douteuses et à grand renfort de publicité, une ponction sur le budget des ménages .

La dégradation ou l’éloignement des services publics joue aussi un rôle crucial dans le coût de la vie, et au-delà pour la qualité de la vie ! Les habitants des zones rurales et de certaines banlieues en souffrent particulièrement. Ici aussi, pas de chiffres synthétiques mais une réalité tangible. Tant il est vrai que les chiffres, même savamment élaborés, ne sauraient suffire pour résumer les réalités sociales.

On s’est un peu éloigné ici de l’IPC mais on reste en plein dans la réalité du « coût de la vie ». Et on est conduit à se poser une question.

Combien faut-il, au minimum, « pour vivre convenablement » en France aujourd’hui ?

Jusqu’à présent on a traité ici des indices qui ne savent pas répondre directement à une telle question.

Une autre approche, complémentaire, consiste à s’intéresser aussi au niveau des ressources nécessaires pour obtenir un « revenu décent ». Cela correspond à ce qu’on a appelé le minimum vital à la Libération ou à certains « budgets-types » calculés par des syndicats dans les décennies suivantes. Si on est en-dessous de ce niveau, une augmentation de ses ressources qui serait parfaitement indexée sur un indice général du coût de la vie ne suffirait pas, en effet, pour s’en sortir !

On peut ici s’appuyer sur des travaux du service statistique du ministère de la santé, ceux de l’Union nationale des associations familiales, ceux encore de l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires). Ces enquêtes et études permettent d’estimer aujourd’hui à près de 2 000 euros pour une personne seule le revenu nécessaire. C’est, selon l’expression de l’Ires, indispensable pour une « participation effective à la vie sociale ». On est très au-dessus du seuil de pauvreté monétaire, sans parler du RSA !

Notons que l’IPC peut ici aussi être utile, surtout s’il est complété comme on vient de le voir. En effet, si on dispose d’une estimation du revenu décent à partir de travaux un peu anciens, on peut procéder à une actualisation en utilisant ces indices. Ceci afin de tenir compte de l’évolution des prix ou du coût de la vie depuis cette date.

Au total, l’IPC n’échappe évidemment pas à l’exigence d’examen critique des chiffres.

L’historien et sociologue de la statistique Alain Desrosières a résumé cette démarche par la formule : quantifier = convenir + mesurer. En d’autres termes : si on vous propose un chiffre, il est recommandé de se demander à quelle définition il correspond et sur quelle méthode de mesure il se fonde.

Convenir, tout d’abord. En effet, un chiffre repose sur des définitions, des conventions acceptées de la communauté scientifique et/ou du corps social qui font nécessairement l’objet de débats. C’est bien le cas : la définition de « l’indice » a beaucoup évolué depuis un siècle, en partie du fait de critiques par les syndicats de salariés, notamment.

Mais, face à un chiffre dont on est censé connaître les conventions, il aussi judicieux de se demander comment il a été construit. C’est le second terme de « l’équation » quantifier = convenir + mesurer. Quel plan de sondage, pour sélectionner les produits dont on observe le prix ? Quelles instructions ont-elles été données aux enquêteurs sur le terrain, par exemple pour tenter d’apprécier la qualité des produits et l’évolution de cette qualité ? Comment traite-t-on le remplacement de produits disparus des rayons par des produits qui sont censés être équivalents ? Quelles formules mathématiques utilise-t-on pour obtenir un indice synthétique à partir de millions d’informations élémentaires, qui elles-mêmes prétendent décrire des milliards d’achats et de ventes ?

Ici, l’indépendance professionnelle de la statistique publique est fondamentale. Celle-ci a pu être préservée pour l’essentiel après, parfois, de sérieuses controverses. Mais le fait que l’INSEE fasse désormais appel aux données de caisse de la grande distribution dans des conditions assez opaques suscite à cet égard les inquiétudes légitimes des syndicats et de certains cadres de l’institut. La vigilance citoyenne reste indispensable face à ces indices qui contribuent à déterminer les ressources d’une grande partie de la population.

Évolution des indices d’inflation sous-jacente et de l’IPCH (base 100 : année 2015 )
Regroupements conjoncturelsPondérationsIndicesVariations (en %) au cours
2023février 2023du dernier mois (1)des 12 derniers mois (2)
Ensemble « sous-jacent »6057112,750,96,1
Produits alimentaires hors viandes, produits laitiers et exotiques766118,711,312,8
Produits manufacturés1899108,170,85,7
Services y compris loyers et eau3392114,340,84,6
Ensemble IPCH10000118,551,17,3