
Jean-Pierre Basset
Aucun service public n’échappe aux ravages des politiques d’austérité. Même la collecte du sang et son utilisation au service de la santé des êtres humains sont livrés à l’obsession de la rentabilité capitaliste.
Désormais, à peu près tout le monde a compris que notre système électrique, issu du programme du Conseil National de la Résistance, avait été volontairement détruit, (voir la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale « visant à établir les causes de la perte de la souveraineté et de l’indépendance énergétique de la France »).
Dans plusieurs domaines, des experts ont été à l’œuvre, en particulier dans la santé avec le délabrement du système hospitalier révélé par la crise COVID. Autre secteur clef de santé, moins connu du public, le système transfusionnel, l’EFS (Établissement Français du Sang, service public de l’État), est au bord de l’effondrement.
Depuis 2009, sans relâche des coups sont portés contre le système qui a traité 1 030 900 (un million…) de patients en 2021, dont plusieurs dizaines de milliers qui n’auraient pas survécu sans.
- 2009 par Nicolas Sarkozy, contre le LFB, l’établissement public qui produit les « médicaments dérivés du sang » (MDS) ;
- 2011, tentative de brader le domaine du « plasma thérapeutique » (330 000 transfusions par an) à la multinationale Octapharma (allemande domiciliée en Suisse pour la fiscalité) ;
- 2014, tentative par la ministre Marisol Touraine, avec d’une part l’article 42 de sa « loi de Santé », de rendre commerciaux les produits sanguins et, d’autre part, l’article 51 du PLFSS 2015 qui visait à fournir à Octapharma le « plasma thérapeutique » transformé en « marché », opération qui avait échoué en 2011, au détriment de l’EFS bien sûr.
Toutes ces opérations ont été mises en échec, par la mobilisation des associations de donneurs de sang.
Le système transfusionnel français, « hors commerce », fonctionne en étant financé par un « tarif de cession » aux hôpitaux (pas un prix) fixé par arrêté ministériel. Il est censé couvrir l’ensemble des coûts, ce qui a fonctionné pendant très longtemps.
Puis, en 2016, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) est venue mettre son nez et a décidé que la TVA devait s’appliquer, à partir de 2020, à l’activité de l’EFS qui en avait été exonéré à sa création, son activité étant hors commerce. Coût : 70 millions par an. Le gouvernement a décidé de compenser ce coût de façon « dégressive », 30 millions en 2021, 20 millions en 2022, 10 millions en 2023, donc « trou » de 40 millions en 2021, 50 millions en 2022, 60 millions en 2023.
En 2020, une importante avancée médicale a été possible, l’inactivation virale des plaquettes. Coût : 29 millions d’euros par an.
A ce stade, il faut préciser qu’aucune revalorisation du « tarif de cession » qui finance l’EFS n’a eu lieu de 2016 à 2021, face à l’augmentation des coûts et des charges. Et pas davantage de revalorisation du point d’indice des 9 800 salariés qui n’ont bénéficié que partiellement du « Ségur de la santé », d’où grève lancée le 2 septembre 2022 jusqu’au 20 octobre, et dont personne n’a entendu parler, le personnel étant automatiquement « assigné » (réquisitionné).
Pendant la période du confinement COVID, en s’adaptant très rapidement par des « rendez-vous » supprimant les files d’attente dans les collectes, le système a bien tenu, grâce aux associations de donneurs. Les craquements sont apparu à la sortie du confinement avec beaucoup d’arrêts de travail et des démissions.
Fin mai 2022, au congrès national de la Fédération Française pour le Don de Sang Bénévole (FFDSB), à Albi, 200 empois d’infirmier(e)s et de médecins de collecte étaient vacants, 300 au 1er octobre, entrainant la suppression de 1 069 collectes du 1er janvier au 1er septembre. Au 31 décembre on en est à 2 174 collectes supprimées et 120 000 poches non collectées.
A ce congrès, une motion a été adoptée à l’unanimité des 840 participants, adressée avec trois points précis à tous les députés, leur demandant d’intervenir à partir de ces trois points dans le débat du PLFSS 2023, afin de redresser la barre, de donner un avenir à l’EFS et de développer la capacité de production de médicaments dérivés du sang. Ce sera possible avec l’ouverture de l’usine LFB d’Arras en 2025-2026, dont la capacité de fractionnement est de 2 300 000 litres de plasma, trois fois la capacité actuelle de l’usine de Lille. Cette résolution est transmise à toutes les autorités. Les députés, les sénateurs interviennent, dans beaucoup d’UD on les rencontre. Et dès avant l’ouverture de la session parlementaire il nous revient que les amendements sont tous « retoqués » en commission. Le gouvernement prévenu par la motion de Albi a pris la précaution de ne pas mettre les mots « EFS » ou « transfusion » dans le texte du PLFSS. Donc tous les amendements sont rejetés, « hors sujet », au titre des articles 40 ou 45 de la constitution !
Au début octobre la HAS (Haute Autorité de Santé) a édicté de nouvelles directives afin que les médecins hospitaliers limitent les transfusions, alors que déjà elles avaient diminué après le report, continu, des interventions chirurgicales programmées, depuis presque 3 ans. Cette baisse des transfusions porte un coup au financement de l’EFS, c’est en effet la ressource essentielle.
Le 1er octobre (2022) au séminaire des présidents d’UD et de comités régionaux :
1) Une nouvelle motion est adoptée, adressée dès le lundi au ministre de la santé, au DGS, aux Présidents de tous les groupes de l’Assemblée Nationale et du Sénat, ainsi qu’à tous les députés de la Commission des Affaires Sociales de l’Assemblée Nationale ;
2) Par une indiscrétion, l’auteur de cet article a connaissance de l’ordre du jour du conseil d’administration de l’EFS du 7 octobre : « Vote de l’autorisation de découvert de 20 millions d’euros pour régler les affaires courantes jusqu’à fin 2022 », d’un service public de l’État !
Le 7 octobre, le CA de l’EFS adopte cette proposition !
Un député qui a lu notre résolution du 1er octobre, et avec qui je dialogue, pense qu’il faut une réunion extraordinaire de la Commission de Affaires Sociales de l’Assemblée pour auditionner le Président de l’EFS, et en fait la demande. L’audition de Mr François Toujas a lieu le 21 novembre. Il fait une présentation puis répond aux questions, à 1 heure 57 minutes de l’audition, il dit : « la construction budgétaire 2023 demanderait :
- 30 millions pour l’inflation (dont au moins 23 millions pour l’explosion du prix de l’électricité) ;
- 30 millions pour la revalorisation salariale de 3,5 % consécutive à l’accord de fin de grève ;
- 30 millions à compenser pour la baisse d’activité hospitalière entrainant moins de transfusions donc besoin de revaloriser le « tarif de cession ».
Le Sénat, après avoir constaté que tous les amendements sur le sujet « EFS » sont retoqués, convoque sa Commission des Affaires Sociales le 14 décembre. Un sénateur, qui a sans doute reçu l’information, pose la question : y a-il une dette des hôpitaux ? La question étant posée, M. Toujas répond à la représentation nationale : oui il y une dette de 13 millions. Ainsi l’EFS sert de banque à l’état défaillant !
Le CA de l’EFS se réunit à nouveau le vendredi 16 décembre pour adopter le budget 2023. Le Président de l’Établissement public ne peut pas présenter un budget sans le financement. Il donne donc oralement les grandes lignes, dont les 103 millions manquants, énumérés ci-dessus. On ne parle même plus du trou dû à la TVA, c’est vieux de trois ans !
Mais on apprend qu’en 2023 une nouvelle avancée médicale s’impose, le dépistage du VHE (virus de l’hépatite E), coût 3 millions.
Pour faire face à la sécurité sanitaire, avec le manque de personnel et les suppressions de collectes, il faut privilégier le prélèvement de « sang total » pour disposer des concentrés de globules rouges et des plaquettes. Aussi, l’EFS, selon les régions, supprime ou réduit le prélèvement de plasma. Donc, le contrat de livraison de plasma au LFB ne pourra pas être respecté. Prévision de pénalité de retard : 2 millions.
30 + 30 + 30 + 13 + 3 + 2 = 108 millions !
La trésorerie de l’EFS, établissement public de l’État, sera asséchée à la fin du 1er trimestre 2023 !
L’EFS c’est la transfusion, la gestion de la banque des sangs rares (CNRGS), la fourniture du plasma au LFB, mais c’est aussi cinq plates formes de recherche sur les MTI (Médicaments de thérapies innovantes) : thérapies géniques, thérapies cellulaires. La plate-forme EFS de Besançon qui travaille sur un « CAR-T Cells » avec un essai clinique sur la leucémie aigüe myéloblastique qui devait commencer début 2023 devra-t-elle le stopper ? Donc l’établissement public attend que les tutelles (ministères de la Santé et ministère des Finances) aient connaissance du rapport d’une mission de l’IGAS programmée pour… avril sur le « modèle économique de l’EFS » pour envisager un budget rectificatif.
En attendant, on a appris par l’Agence de Presse Médicale, le 6 janvier 2023, que le CA de l’EFS avait adopté un « budget sous très forte contrainte » dont il ressort que la perte d’exploitation devrait s’élever à 61,1 millions, avec des charges qui devraient augmenter de 77,1 millions . Aucun investissement ne pourra être financé.
Mais qu’on se rassure, il reste de d’argent, ailleurs. Et au ministère des Finances, on connait les vraies priorités. Ainsi on a appris que les transporteurs maritimes qui ont fait 18 milliards de bénéfices disposent d’une « niche fiscale » de 3,8 milliards d’euros, soit plus de trois ans du budget annuel de l’EFS(1).
Les associations de donneurs de sang ne laisseront pas détruire notre système solidaire !
- Voir Les Echos du 6 octobre 2022.