Éradiquer la pauvreté dans la jeunesse

Assan Lakehoul

La crise de la COVID 19 a révélé un phénomène caché jusqu’ici sous le tapis : la pauvreté de la jeunesse.

Nous nous souvenons des files d’attente d’étudiants devant les associations d’aide alimentaire, fortement médiatisées pendant la pandémie, toujours d’actualité aujourd’hui. Cette rentrée 2023-2024 a, elle, mis en avant les difficultés de logement pour les étudiants, certains allant même jusqu’à loger dans des campings. Au-delà des étudiants, le phénomène des jeunes travailleurs pauvres est, lui aussi, important. Les chiffres de l’INSEE de 2019 sont très clairs : 1,2 million de personnes travaillent et vivent sous le seuil de pauvreté. Confrontés aux bas salaires et aux contrats précaires, les jeunes en sont les premières victimes.

Derrière ces chiffres, c’est toute une génération qui est marquée, une jeunesse qui saute des repas (1 étudiant sur 2), qui refuse des soins faute de moyen (5,3 % des 18-39 ans), une jeunesse qui ne part pas en vacances (10 % des enfants). Derrière ces chiffres et ces statistiques périodiquement mis en avant dans les médias, il y a des histoires de vies, des situations réelles, symptômes des maux de la société capitaliste.

Car la pauvreté est intrinsèque au capitalisme. Les séquences médiatiques vont et viennent, la pauvreté, elle, reste. Il ne s’agit pas pour autant d’une fatalité. Des choix politiques peuvent l’atténuer, d’autres la renforcer. Les offensives de la droite et du gouvernement sont diverses sur le sujet. Certains dispositifs touchant particulièrement les jeunes les maintiennent volontairement dans la pauvreté. De nouvelles mesures du gouvernement risquent d’ailleurs de créer de nouvelles vagues de jeunes pauvres.

Des contrats précaires qui enferment dans la pauvreté

La lutte contre les contrats précaires fait partie de l’ADN du Mouvement Jeunes Communistes de France. Travaux d’Utilité Collective (TUC), Contrat Première Embauche, Services civiques, nombreux sont les dispositifs que nous avons combattus. Des dispositifs de droit commun touchent particulièrement les jeunes, d’autres leur sont spécifiquement réservés.

Le CDD, contrat à travailleurs pauvres et précaires

Ces contrats précaires touchent 30 % des jeunes en 2023, soit deux fois plus qu’il y a 40 ans. Ce chiffre tombe à 22 % pour les jeunes diplômés. Quoi qu’il en soit, c’est un phénomène massif. 2 CDD sur 3 sont occupés par des moins de 30 ans, 1 jeune sur 3 occupe toujours un CDD trois ans après avoir intégré le marché du travail. En 1975, l’âge moyen du premier emploi stable était 20 ans, aujourd’hui c’est 7 ans de plus, et l’allongement de la durée d’étude ne suffit pas à expliquer un tel écart.

Cette normalisation du CDD dans la jeunesse empêche toute une génération de se projeter dans un avenir stable, dans la sphère privée comme professionnelle. La durée moyenne d’un CDD est de 46 jours. Entre ces différents contrats, les jeunes vivent, quand ils y ont droit, avec de faibles allocations chômage, au pire sans aucune ressource autre que le RSA s’ils ont plus de 26 ans.

Au-delà, quand on sait que l’on va quitter son travail au bout d’un mois et demi, comment se projeter au travail ? S’émanciper au travail, c’est s’y sentir à l’aise, apprendre des méthodes de travail, se les approprier, avoir un avis et agir sur celles-ci. En 46 jours, il est impossible de s’approprier son travail. Par ailleurs, toute une partie de notre génération s’est habituée aux CDD. Ne pas s’épanouir, ne pas s’émanciper, galérer au travail est devenu une évidence pour les gens de mon âge. Il s’agit d’une victoire idéologique pour le patronat.

Le gouvernement se vante de lutter contre le chômage et prétend faire de la jeunesse sa priorité. Il ment. Le plan « 1 jeune 1 solution » octroie une aide financière pour les entreprises qui embauchent des jeunes, sans regarder le type de contrat proposé. L’État verse aujourd’hui 1000 euros à une entreprise qui fait signer un CDD de 3 mois à une jeune. Un effet d’aubaine pour les entreprises, incitées aux contrats courts.

Cette multiplication des CDD, couplée aux récentes réformes de l’assurance chômage, crée de la pauvreté chez les jeunes. Au passage, ces réformes reposent sur cette idée absurde que réduire les droits des chômeurs permettra de lutter contre le chômage. Le gouvernement pourra réduire l’indemnisation des chômeurs si la « conjoncture économique est favorable ». Les chômeurs seront également contraints d’accepter n’importe quelle offre d’emploi jugée décente, au détriment de leurs aspirations. Cette réforme est donc une machine à pauvreté, une machine à aliénation. Les jeunes seront les premiers touchés.

Des dispositifs spécifiques aux jeunes, créant de la pauvreté

Refusant de voir le potentiel et l’opportunité que représente la jeunesse, le patronat préfère la voir comme la variable d’ajustement d’un capitalisme en crise. C’est dans ce cadre que les libéraux ont créé tout un tas de dispositifs pour, soi-disant, permettre aux jeunes d’accéder au marché du travail. En réalité, il s’agit de détournement du droit du travail pour faire de la jeunesse une armée de travailleurs low cost au service du patronat.

Arrêtons-nous d’abord sur le plus récent, le service civique. Le principe est de proposer aux jeunes de 16 à 25 ans de réaliser une mission de 6 mois à 1 an dans une association ou un service public. Concrètement, il s’agit de travailler entre 24 et 35 h par semaine pour une indemnisation d’à peine 610 euros, largement en dessous du seuil de pauvreté, évidemment sans cotiser. Fiches de mission qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à des fiches de poste, CV et lettre de motivation requis, horaires fixes… Il s’agit clairement de travail déguisé. Comble de la situation, le plus grand pourvoyeur de service civique est l’Éducation nationale, qui propose des missions correspondant à de réels besoins, comme l’aide au devoir, la surveillance d’élèves, ou l’animation d’ateliers sportifs et culturels. Chaque année, ce sont donc plus de 100 000 jeunes, souvent sans emplois ou qui n’ont rien obtenu sur Parcoursup qui s’inscrivent dans ce dispositif de précarité et de pauvreté.

Faute d’emplois à la sortie de leurs études, de nombreux jeunes multiplient aussi les stages. En dessous de 2 mois de stage, ceux-ci ne reçoivent aucune rémunération. Au-delà, le stagiaire peut espérer avoir une rémunération minimale de 4,05 euros par heure de stage, correspondant à 15 % du plafond horaire de la sécurité sociale, soit un peu plus de 500 euros par mois. Il est clair ici que les entreprises préfèrent offrir à de jeunes diplômés, donc formés et prêts à exercer un emploi un stage sous-payé plutôt qu’un contrat de travail, afin de maintenir leur taux de profit.

Tout comme les services civiques, les propositions de stages que nous pouvons trouver sur des sites d’entreprises correspondent en tout point à des offres d’emploi. En cherchant au hasard un stage sur internet, on tombe très vite sur le site de TotalEnergies. Je cite. Description du stage : Poste d’expertise rattaché au sein d’une équipe d’analyse de marché chargée d’estimer le mix énergétique mondial et de donner une vision intégrée et cohérente servant à la transition énergétique de TotalEnergies. Profil souhaité : jeune diplômé. Compétences requises : Savoir gérer et organiser de la volumétrie de données chiffrées, connaissance du langage VBA, connaître les différentes énergies. Une première expérience dans le secteur de l’automobile serait appréciée. Nous sommes clairement face à une proposition d’emploi déguisée en stage.

Enfin, regardons la question de l’apprentissage, dispositif également spécifique aux jeunes. En dessous de 25 ans, la rémunération varie entre 27 et 53 % du SMIC, notamment selon l’âge du jeune. Passé 25 ans, les apprentis peuvent prétendre toucher le SMIC. En apprentissage, nous apprenons un métier certes, mais nous travaillons dans le même temps. L’apprenti bénéficie d’ailleurs des mêmes droits que les autres salariés de l’entreprise. Pourquoi ce dispositif maintient-il alors dans la pauvreté avec de si faibles rémunérations  ? Au passage, un contrat d’apprentissage sur quatre est rompu avant son terme et seulement 25 % des apprentis signent un CDI à la fin du contrat. Ne jurer que par l’apprentissage comme le fait Emmanuel Macron mérite peut être une discussion ! Notons enfin que c’est bien souvent l’État qui finance ces faibles rémunérations puisqu’il verse 6000 euros aux patrons par apprenti, soit l’intégralité du salaire d’un apprenti mineur. Nous sommes ici face à un excellent exemple de la soumission de la puissance publique aux intérêts du capital.

Ainsi, les stages, les CDD ou les services civiques enferment les jeunes dans un sas de pauvreté alors que l’insertion professionnelle devrait les conduire à une indépendance financière après des années d’études souvent marquées par la précarité.

Les études facteurs de pauvretés chez les jeunes. Pauvreté des jeunes, pauvreté des parents

La pauvreté de la jeunesse se manifeste aussi dans les établissements scolaires, notamment au collège et au lycée. Ici, elle dépend des revenus des parents. Le vieux rêve d’école gratuite du XIXe siècle n’est pas encore réalisé. Le collège coûte en moyenne, par an, 890 euros, le lycée général 1160 euros, le lycée professionnel 1290. Trois postes de dépenses sont particulièrement coûteux. D’abord les frais de cantine et d’internat, ensuite le prix du matériel, et pour finir, le coût des transports. Nombreux sont alors les élèves ne pouvant pas étudier dans de bonnes conditions.

Dans ce contexte, la réforme du lycée professionnel risque d’avoir un effet pervers et cynique. En promettant une gratification dans les stages de quelques euros, le gouvernement pourrait inciter certaines familles les plus pauvres à envoyer leurs enfants dans ces filières uniquement afin d’augmenter les revenus de la famille.

Pauvreté étudiante, la honte nationale

La dernière rentrée universitaire a été marquée par une hausse du coût de la vie étudiante. L’étude annuelle de l’UNEF en révèle une hausse de 6,5 %. Les plus fortes hausses sont concentrées sur l’énergie et l’alimentation. Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, le prix de la vie étudiante a augmenté de 25,5 %. Pour subvenir à ses besoins, un étudiant sur deux est contraint de se salarier. Nous savons que c’est la première cause d’échec dans l’enseignement supérieur. En vivant avec des revenus issus des bourses ou de boulots à temps partiel, être sous le seuil de pauvreté est devenu la norme pour une bonne partie des étudiants. Seule la solidarité familiale permet de sortir la tête de l’eau, et à ce jeu-là, les jeunes issus de familles populaires sont perdants à tous les coups.

Pour sortir la jeunesse de la pauvreté, une grande ambition pour le pays

Un revenu étudiant et la gratuité de la scolarité

Sur la question étudiante, une des revendications des Jeunes Communistes et de notre branche étudiante l’Union des Étudiants Communistes est la mise en place d’un revenu étudiant. Ayons la même ambition qu’en 1945 avec la création de la Sécurité sociale. À la Libération, le projet des communistes, particulièrement celui du régime des retraites, a permis de sortir de la grande pauvreté les « vieux » qui ne pouvaient plus travailler, et dont la survie dépendait de la solidarité familiale. Il s’agissait de la catégorie d’âge la plus pauvre du pays. La mise en place du système de retraite a transformé la solidarité familiale en solidarité nationale. Faisons la même chose pour les étudiants. Pour relever les nombreux défis que nous avons devant nous, nous avons besoin d’avoir la jeunesse la mieux formée possible. Ce revenu étudiant permettrait de lier une forme de contrat social entre la nation et la jeunesse. Parmi l’ensemble des richesses produites, une petite partie doit financer un droit à la formation, comme une partie finance aujourd’hui un droit au repos avec le système de retraite. Le revenu étudiant permettrait alors de sortir toute une frange de la jeunesse du salariat et de la pauvreté, notre génération pourrait alors pleinement se concentrer sur ses études.

Dans la même veine, la scolarité devrait enfin être totalement gratuite. Sur le matériel, adoptons un principe : si un matériel scolaire est indispensable à la réussite des élèves, alors il doit être gratuit. Pour le moment, de telles mesures reposent sur la volonté politique, bien inégalitaire, des collectivités locales. Comme nous n’avons pas tous la chance de grandir dans une collectivité communiste, revendiquons une gratuité nationale du matériel scolaire !

La restauration scolaire, l’internat et les transports devraient aussi être gratuits, car essentiels pour que les élèves puissent étudier. Certaines collectivités le font, faisons-le partout.

Dignité au travail

Dernier levier non négligeable pour sortir la jeunesse de la pauvreté : conquérir la dignité au travail. Par travail digne, nous entendons évidemment un travail que nous avons choisi, nous entendons également un travail qui permette de vivre correctement. Les salaires sont extrêmement bas, particulièrement ceux des jeunes, pourtant c’est nous qui créons la richesse. Le capital doit arrêter d’accaparer les fruits de ce que nous produisons. Réapproprions-nous notre travail, nous éradiquerons la pauvreté.

Dans le même temps, la stabilité de l’emploi doit devenir la norme. Nous entendons beaucoup que notre génération ne serait plus intéressée par le CDI. En réalité, par soif de découverte, par curiosité, par volonté de voir différents horizons, notre génération ne veut pas passer toute sa vie dans un même emploi, une même routine. Ce n’est pas la même chose ! Ce que nous voulons, c’est pouvoir passer plus facilement d’une expérience professionnelle à une autre, en passant s’il le faut par la case formation. Nous voulons apprendre et vivre de nouvelles expériences tout au long de notre vie. En d’autres termes, nous avons besoin d’une sécurité de l’emploi et de la formation.

La situation des jeunes travailleurs privés d’emploi doit aussi nous préoccuper. En 2022 le taux de chômage chez les jeunes était de 17,3 %. Quel gâchis ! Nous avons des besoins énormes pour relever le défi du vieillissement de la population, pour réindustrialiser la France, pour construire des services publics efficaces, pour réussir la transition énergétique… Avoir de l’ambition est nécessaire. Chiffrons les besoins, planifions les créations d’emploi, prérecrutons des jeunes, éradiquons le chômage.

Fin des contrats précaires, augmentations des salaires, créations d’emploi, revenu étudiant… Ces revendications sont applicables immédiatement, à une seule condition : s’attaquer au capital, créer le rapport de force dans le pays qui fera plier le patronat. Impulser cette dynamique est nécessaire, nous pouvons mobiliser notre génération qui ne se reconnaît pas dans le projet de société qui nous est offert, qui a conscience que le capitalisme n’a pas d’avenir. Pour éradiquer la pauvreté dans la jeunesse, proposons des solutions fortes qui seront des points d’appui pour construire demain la société que nous appelons de nos vœux.

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