Les contradictions du projet de budget 2024 révèlent la nécessité d’imprimer aux politiques économiques une logique radicalement opposée à celle qu’inspire, année après année, la volonté de mettre l’action publique au service du capital.
Cela fait plusieurs années que les gouvernements successifs nous ont habitué, lors de la présentation du budget de l’État, à un discours qui se veut à la fois responsable et rassurant mais qui mis à part la période covid, avait pour seule véritable boussole la réduction de la dépense publique et la baisse des prélèvements obligatoires. Précision non superfétatoire : le « quoi qu’il en coûte », a essentiellement été destiné à soutenir les profits, c’est-à-dire à assurer en période de crise de production, la rentabilité du capital. Et aujourd’hui c’est le peuple qui paye la note. Il doit en effet supporter le poids croissant du remboursement de la charge de la dette et la pression inflationniste en même temps qu’il est appelé à se serrer la ceinture particulièrement en matière de prestations qu’il est en droit d’attendre des services publics et de la protection sociale.
Une logique d’enfermement dans l’austérité.
Présenté en Conseil des ministres, le projet de budget 2024 laboure, en l’approfondissant, ce même sillon. Pris dans les affres d’une politique d’austérité aggravée, dessinée par le contenu du projet de budget pour 2024, le pays se verra glisser dans une crise de plus en plus grave où s’accélèrera la destruction en cours des outils de solidarité publique et sociale et où s’accroîtra son incapacité à relever collectivement les défis de notre temps, qu’ils soient climatiques, sociaux, écologiques ou démocratiques.
Coincé entre les exigences du capital et les besoins sociaux qui s’accroissent fortement sous l’effet de la crise, le projet de budget 2024 revêt des allures de radeau de la Méduse. Relayant dans ses principales orientations les objectifs de retour au Pacte de stabilité préconisées par les institutions européennes et transcrites dans le texte du projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP) qui définit la trajectoire des finances publiques pour les années de 2023 à 2027, il n’ouvre sur aucune perspective de redressement réel des finances publiques à court et moyen terme.
Cela n’empêche pas, Bruno Le Maire de se vanter d’engager le désendettement de la France mais à quel prix ? Le salut, il le voit dans un engagement de 16 milliards d’euros économies sur la dépense publique. Une restriction de la dépense qui aura inévitablement des répercussions sur le budget des ménages et sur celui des collectivités locales avec notamment, une nouvelle dégradation de l’offre de services publics.
Une telle proposition interroge d’autant plus que le cap choisi par Bercy est fondé sur des hypothèses largement discutables, particulièrement s’agissant des objectifs de croissance annoncée à 1,4 % en 2024 – la Banque de France prévoit 0,7 % en 2023 et 1 % en 2024 – alors que rien n’est fait pour développer vraiment les capacités humaines : emplois, salaires, formation. Pire même, les choix préconisés sont essentiellement tournés vers l’accumulation des profits, faisant grandir le risque d’une croissance définitivement minée par une production et une consommation en berne, avec pour conséquence, la montée du déficit et l’accentuation de l’endettement donc une dévitalisation toujours plus conséquente des budgets publics et sociaux. Des secteurs qui sont pourtant essentiels à la relance de la production industrielle et à la construction d’une nouvelle industrialisation qu’appelle par ailleurs de ses vœux le gouvernement afin de relever le défi climatique.
Mais qu’à cela ne tienne ! Car comme pour mieux nous convaincre de la logique néolibérale qui accompagne ses choix, le gouvernement ne propose comme moyen de financement de son projet de reconquête industrielle pour aller vers la transition écologique, que le recours à une « fiscalité verte » (taxe sur le gaz et sur les infrastructures de transports). Et qui dit « fiscalité verte » dit de nouvelles taxes qui seront immédiatement mises à la charge des ménages. Soit, la source de nouvelles injustices venant s’ajouter au projet de rehaussement des franchises médicales, en même temps qu’un financement très insuffisant de la transition écologique.
A s’évertuer à ne financer cette nécessaire transition qu’à coup de deniers publics, qui plus est très majoritairement orientés en direction des entreprises, le gouvernement se tire une balle dans le pied. Un tel besoin de financement, de par son montant et le besoin de mise rapide à disposition, en réalité plusieurs centaines de milliards d’euros sur les 4 ou 5 ans à venir, ainsi que du fait de son impact sur les modes de production, de consommation et de vie, ne peut relever des seuls financement d’État sauf à mettre ce dernier en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, au bord de la banqueroute. Pour avoir la chance de produire une vraie efficacité, ce financement ne peut que relever de concours bancaires par le biais de prêts accordés sur la base d’engagement sociaux et environnementaux à des taux d’intérêt très abaissés jusqu’à zéro pour cent, voire inférieurs à zéro. C’est le sens de la proposition communiste de création d’un fonds social et solidaire financé par la BCE pour soutenir le développement des services publics et les investissements nécessaires à une nouvelle industrialisation.
Toujours au registre des économies envisagées figure l’annonce de la fin du « bouclier tarifaire » qui laisse clairement entrevoir de nouvelles et importantes augmentations du tarif du gaz et de l’électricité pour l’ensemble des consommateurs, qu’ils soient des particuliers, des entreprises, des collectivités et des services publics. Ce qui ne laissent à ces trois dernières entités que deux possibilités. Soit répercuter le coût supplémentaire sur leurs clients ou leurs usagers, soit arrêter certaines productions et réduire ou supprimer certains services. Dans tous les cas, de mauvais coups pour la croissance !
Et comme si cela ne suffisait pas, ce projet de budget contient, pourrait-on dire, au titre de mesure d’accompagnement la proposition de contraindre les sans-emplois percevant le RSA à effectuer 15 heures de travail par semaine. Du bon travail gratuit que les patrons s’empresseront d’utiliser. Une disposition qui à moyen terme, vise à faire accepter aux sans-emplois n’importe qu’elle offre de travail et cela n’importe où, sans se soucier de la formation et des qualifications de ces travailleurs et poussant notre industrie vers du low-cost alors qu’il faut comme jamais faire évoluer les process de production pour une meilleure qualité et une plus grande longévité des produits. Cerise sur le gâteau, ces salariés sous-qualifiés et sous-payés viendront gonfler les rangs des travailleurs pauvres, ce dont la société n’a pas vraiment besoin aujourd’hui si on se réfère aux déclarations et aux chiffres annoncés par le Secours populaire comme par les Restaurants du cœur !
Une situation qui tend à devenir tellement dramatique pour un nombre de plus en plus important de nos concitoyens.ennes que le gouvernement se sent obligé de continuer sa politique de chèques-cadeau (chèque essence) et de déclarer urbi et orbi que son but est de soutenir notre modèle social. Une contradiction qui n’est pas mineure et qui montre à quel point, tout en voulant donner le change sur le plan social, ce budget bâti dans les faits au profit du capital et de sa rentabilité, manque cruellement d’ambition et de crédibilité. En se conformant aux dogmes insensés d’un système capitaliste aux abois mais toujours plus avide de rendement financier, le projet de loi de finances pour 2024 confirme l’enjeu central qu’est celui de l’utilisation de l’argent ; au cas d’espèce particulièrement de celui des entreprises et de l’État. Un des défis vitaux pour le capitalisme aujourd’hui est de pomper au maximum l’argent des entreprises, de l’État et de la protection sociale pour régénérer sa chaîne de profit tout en détournant à son seul bénéfice, l’action des services de l’État et des collectivités locales.
De façon concrète le gouvernement qui ne cesse de clamer son attachement au respect du Pacte de stabilité, c’est-à-dire à la règle des 3 % de déficit, ne s’y conformera pourtant pas en 2024. Lui-même prévoit en effet un déficit de 4,4 % car c’est un des moyens dont il dispose pour se donner des marges de manœuvre en faveur du capital en ne consentant que quelques miettes pour le social et l’écologie. En ce sens, le pouvoir n’est pas avare de tours de passe-passe. Concrètement, par exemple la sortie définitive du bouclier tarifaire du gaz et la sortie progressive du bouclier tarifaire de l’électricité représentent un montant de 30 milliards d’euros sur les 46 milliards engagés en 2023 ce qui constituait une dépense conséquente et avait contribué à augmenter le déficit 2023 de 16 milliards d’euros. L’annonce des économies à réaliser en 2024 est de 16 milliards d’euros ce qui va mettre citoyens, services publics et collectivités locales en difficulté car ils devront réduire certains postes de dépense pour payer leurs fluides. Mais qui sait calculer constate rapidement qu’entre 16 milliards et 30 milliards d’euros il y une différence de 14 milliards d’euros. Où va donc passer cette somme ? On peut facilement imaginer qu’elle participera à « aider » les entreprises pour la transition écologique ou se transformera en nouveaux allègements ou autres dégrèvements pour compenser la suspension provisoire de la suppression de l’impôt de production qu’est la CVAE et que le gouvernement compte bien mener à terme lors de l’exercice budgétaire prochain. Une autre hypothèse est que ces 14 milliards participent à aider à s’acquitter de l’augmentation de la charge de la dette de l’État qui, de 50 milliards d’euros en 2023, passerait en 2024 à 52,2 milliards d’euros. Au total en 2024 la somme des intérêts de la charge de la dette de l’État et de l’ensemble des administrations publiques pourrait d’ailleurs s’élever à 57 milliards d’euros et deviendrait ainsi le premier poste budgétaire de l’État. Sur la lancé actuelle ce montant atteindrait les 80 milliards d’euros en 2027. On mesure la pression que cela mettrait sur les dépenses publiques.
Le besoin d’un autre mode de développement
Les exercices budgétaires se succèdent et malheureusement ne donnent aucun signe d’amélioration de la situation des finances publiques. De numéro d’équilibriste en numéro d’équilibriste de Bercy à l’Élysée en passant par Matignon, la recette est la même. Tous ont engagés une sorte de course à l’abîme faisant planer les plus vives inquiétudes pour l’avenir.
Derrière l’objectif gouvernemental de redresser les finances publiques il n’y a qu’une seule idée, être crédible vis-à-vis des partenaires européens de la France et des marchés financiers. Mais il y a de moins en moins de marges de manœuvre notamment du fait d’une croissance économique en panne qui résulte justement d’une restriction de la dépense publique. En fait c’est le serpent qui se mord la queue. Le pays et ses finances sont engagés dans un cercle vicieux dont il faut sortir et pour cela il faut combattre le capital et les dogmes néolibéraux qui lui servent de caution idéologique.
Il est urgent de changer radicalement de cap. Sortir de cette impasse, passe par doper la demande en augmentant les salaires et les retraites en même temps qu’en développant une nouvelle politique de l’offre. Une offre construite sur un développement massif des services publics articulé à une nouvelle industrialisation, à base de créations d’emplois qualifiés permettant de satisfaire les besoins sociaux et de relever le défi posé par le dérèglement climatique. En somme le développement d’une croissance nouvelle car désintoxiquée des gâchis financiers.
Il faut sortir de cette politique dangereuse qui consiste à réduire la dépense publique au prétexte qu’elle creuserait le déficit et augmenterait la dette. La dépense publique, à condition qu’elle serve la création de richesses utiles et efficaces pour le développement des potentiels humain et l’équilibre écologique, est tout sauf créatrice de déficit. Elle est alors le moteur d’une croissance saine qui permettra de réduire le déficit et de maîtriser la dette.
Soutenir la dépense publique, c’est dépenser plus et mieux pour le social et l’écologie. Cela suppose déjà de commencer par mettre un coup d’arrêt aux politiques d’allégements fiscaux et sociaux, formes d’aides accordées à l’aveugle aux entreprises. En même temps, il est impératif d’engager une réforme structurelle de la fiscalité et de la politique du crédit.
Le temps d’une réforme en profondeur de la fiscalité est venu, à commencer par la fiscalité des entreprises pour aller vers :
- un nouvel impôt sur les sociétés à la fois progressif et modulé afin d’inciter à des investissements porteurs de créations d’emplois, de formation, de modes de productions écologiques.
- un impôt local sur le capital des entreprises en remplacement de la feu Taxe Professionnelle et bientôt de la feu CVAE qui lui avait succédé. C’est urgent vu l’état des finances des collectivités locales aujourd’hui au bord de l’étranglement.
- le rétablissement de l’ISF en y intégrant les biens professionnels.
Nous voulons intégrer à cette transformation des prélèvements fiscaux une réforme de l’impôt sur le revenu pour en faire un vrai impôt universel sur le revenu, le rendre plus progressif et améliorer sensiblement son rendement. Nous voulons aussi réduire la part des prélèvements indirects dont la TVA en baissant son taux sur les produits de première nécessité. Enfin nous souhaitons aller vers la disparition de la CSG au fur et à mesure de la montée en charge d’une réforme significative du financement de la protection sociale. Notre objectif général est de pénaliser la rente et les revenus du capital et à contrario, de soutenir les revenus du travail. Enfin nous proposons l’établissement d’une contribution citoyenne au développement local en lieu et place de la taxe d’habitation.
L’efficacité d’une telle réforme fiscale repose sur la possibilité de l’articuler à une autre sélectivité du crédit finançant la création de richesses nouvelles et utiles. Cela contribuerait à élargir l’assiette des prélèvements fiscaux et donc à augmenter les recettes fiscales en même temps qu’à assurer une bonne utilisation de l’argent du crédit. Des politiques, fiscale et du crédit, dont le contrôle serait assuré par les salariés et les citoyens dotés de nouveaux pouvoirs d’intervention dans les gestions.