Regarder devant !

Jean-Marc DURAND
membre du conseil national - PCF

Entré en terrain négatif au troisième trimestre, le taux de croissance de l’économie de la France indique un repliement de l’activité. Globalement c’est toute la zone euro qui est sous la menace d’une récession après que l’Allemagne y est entrée. Dans le même temps, les conflits dans le monde s’aiguisent avec en point d’orgue l’horreur vécue par les Palestiniens dans la bande de Gaza mais aussi en Cisjordanie. Apparemment relevant de deux domaines différents, ces évènements ont une source commune.

Ils sont tous deux une sorte d’indicateurs d’une aggravation de la crise du système capitaliste et particulièrement de ses effets sur les conditions de vie des populations. Une crise qui revêt toutes les caractéristiques d’une véritable crise de civilisation. Un monde ou plus exactement une conception et une organisation du monde et des rapports sociaux qui, du local au mondial, de l’entreprise à la cité, sont en train de perdre de leur superbe et de voir leur hégémonie contestée. L’emprise, la domination du capitalisme et de son pendant l’ultralibéralisme ainsi que des puissances qui les incarnent, en premier lieu les États-Unis, sont en recul. Monte en effet vis-à-vis des puissances occidentales une contestation de plus en plus forte qui se transforme souvent en oppositions quand ce n’est pas en un rejet pur et simple. Mais cela se produit au travers d’énormes convulsions qui peuvent déboucher sur de graves conséquences au titre desquelles on peut distinguer un appauvrissement massif des populations et la multiplication des guerres. C’est pourquoi il serait prétentieux d’en déduire que la traduction concrète de ce mouvement de fond, particulièrement en termes de libération des peuples, va être immédiate. Rien n’est jamais écrit d’avance, d’autant qu’il faut se garder de tout aveuglement quant aux objectifs qui animent certaines forces d’oppositions montantes et aux contenus de leur projet.

Quoi qu’il en soit, c’est dans l’immédiat une situation et une évolution derrière lesquelles ne sont pas prêts à se ranger ceux qu’on peut qualifier de dominants du camp occidental, qu’ils exercent leurs talents à la City, qu’ils soient propriétaires de multinationales ou experts en multiplication des paradis fiscaux. Ils ont en effet beaucoup à perdre, ils le savent, ils le redoutent et sont prêts à tout pour l’empêcher. C’est pourquoi ils livrent une bataille farouche qui est d’ailleurs la cause de graves troubles à travers le monde, pouvant aller jusqu’à mettre en danger, en tout ou en partie, le devenir même de l’humanité. Voilà pourquoi les Etats-Unis soutiennent mordicus Israël, voilà pourquoi avec l’OTAN, leur bras armé, ils ont multiplié les provocations aux frontières de la Russie jusqu’à ce que Poutine tombe dans le panneau et déclare la guerre à l’Ukraine. Voilà pourquoi l’Argentine bascule dans les plus vives incertitudes. Et voilà pourquoi les banques centrales ont choisi de remonter leurs taux, l’objectif étant de sauver le capital coûte que coûte. Tant pis pour les millions de chômeurs supplémentaires dans le monde, tant pis pour celles et ceux qui basculent dans la pauvreté.

Un État fort pour faire accepter la casse sociale et écologique ?

Une question hante tout ce beau monde. Comment éviter que l’accumulation de sacrifices imposés aux peuples sans qu’ils aient d’autres perspectives que de devoir en supporter de nouveaux, ne débouchent sur des mouvements sociaux qui pourraient avoir la mauvaise idée de chercher une alternative ? Bref comment faire accepter la casse sociale et écologique sans engendrer de perturbations de l’ordre établi et de remise en cause majeure du système ? Aucune certitude ne pouvant exister en la matière il est plus sûr de prendre les devants. C’est pourquoi, quotidiennement en France, à grand renfort médiatique, pas le moindre fait divers, pas le moindre fait de société n’échappe à la manipulation idéologique. Faire passer la pilule amère de la crise vaut bien quelques entorses à la démocratie, et de se livrer au petit jeu de l’instrumentalisation de propos et d’évènements, surtout lorsqu’ils mettent en jeu des personnes issues de l’immigration. Diviser et opposer les populations selon leur origine, leur religion, leur sexe, faire monter la peur, le rejet de l’autre, voilà un exercice devant lequel les idéologues néolibéraux ne rechignent pas. L’objectif est clair : déstabiliser la population, notamment les milieux populaires, en attisant la haine, la peur, la xénophobie. Voilà la recette pour faire progresser dans les têtes le besoin de sécurité, le besoin d’un État fort comme ils disent. C’est-à-dire d’un pouvoir exercé de façon de plus en plus autoritaire jusqu’à valider le projet politique de l’extrême droite.

Entretenir un tel climat, c’est en effet alimenter quotidiennement le fonds de commerce du Rassemblement National qui n’en demande pas tant pour asseoir son influence politique dans le pays. Les forces du capital ont aujourd’hui une quasi obligation d’accompagner par des pratiques politiques adéquates leurs choix économiques, politiques, sociaux et écologiques de plus en plus indigestes. Ils ont besoin de poigne pour maintenir la tête sous l’eau à un peuple en perte de repères, en manque de confiance et en mal de projet. C’est en effet sur ce terrain délétère laissé par une gauche aux abonnés absents alors que s’appauvrit la société tant sur le plan social que sociétal, que progressent les thèses les plus obscurantistes, y compris parées d’intentions modernistes trompeuses venant au final nourrir les idées de replis sur soi et flatter les penchants les plus sombres des individus, de la désignation de boucs émissaires à l’appel à l’« ordre ».

La responsabilité des communistes

Dans un tel contexte, en tant que communistes et parti communiste, nous avons une responsabilité historique. Face à la situation actuelle, on ne peut se contenter de demi-mesures ou de surfer sur les vagues à la mode. Le capitalisme et sa logique envahissent tout, conditionnent tout, y compris le climat. Il faut donc une réponse globale et radicale. Il faut s’en prendre à la racine des problèmes pour leur apporter des solutions alternatives qui permettent de dépasser, pour les changer, les critères de gestion dominants. Ce qui suppose de se reporter sans cesse aux orientations que nous nous sommes données lors de nos deux derniers congrès. Non pas comme à un dogme immuable mais comme à un projet ancré dans la réalité de son époque et capable des évolutions pratiques et théoriques pour toujours mieux répondre aux défis que pose le capitalisme et les effets de sa crise systémique. C’est sur une telle dynamique que nous avons par exemple besoin d’appréhender la construction de notre programme des prochaines élections européennes et d’élaborer la liste des candidats et candidates qui le porteront.

Au cœur de ce projet est la question de l’emploi. Dans ce numéro d’Economie et Politique plusieurs papiers en traitent avec pertinence, apportant des éclairages importants sur la situation de l’emploi et avançant des propositions pour sortir le marché du travail de la régulation capitaliste, soit en quelque sorte, des griffes du Medef. Il s’agit en effet de dépasser un mode de gestion qui n’a d’autres recours pour se réguler que le chômage, la précarité, et la pratique des bas salaires. Nous disposons avec notre projet de sécurité d’emploi ou de formation d’une arme formidable pour engager un vrai changement de paradigme. Avec la SEF nous contestons clairement le pouvoir de décisions du patronat sur tout ce qui constitue non seulement la gestion de l’emploi mais la conception même du travail, de son utilité et de sa finalité. Car il s’agit par l’introduction de la formation, en tant que colonne vertébrale d’un projet professionnel mais aussi de tout ce qui touche au développement de la citoyenneté à l’entreprise comme dans l’ensemble de sa vie personnelle, d’un vrai projet de société. Nous sommes donc là au cœur d’une alternative qui implique la mobilisation de l’argent pour le développement humain et celui de la planète, et qui en appelle à une nouvelle démocratie par l’intervention directe avec des pouvoirs décisionnels, des salariés-citoyens sur les choix de gestion de l’entreprise. C’est-à-dire sur l’utilisation de l’argent, la nature et l’utilité des productions ainsi que sur les conditions de production elles-mêmes. Ce qui signifie par exemple, s’agissant du nécessaire développement de l’emploi public pour qui veut redonner corps, sens et rayonnement aux missions de nos services et administrations publics, de porter conjointement notre proposition de fonds européen pour les services publics et le soutien à une nouvelle industrialisation qui serait adossée à la BCE et permettrait une autre utilisation de l’euro. Une proposition qui constitue un des axes fondateurs de notre projet pour une nouvelle Europe et donc un axe de bataille concret.

C’est avec de telles propositions constituant une des clés d’une autre construction politique, sociale et écologique en France et en Europe, que nous permettrons au plus grand nombre de comprendre clairement ce que nous voulons, comment nous souhaitons y aller, et d’en faire ainsi le moteur d’une opposition constructive, ici et dans toute l’Union Européenne. C’est sur le fond des idées, c’est projet contre projet, que tout se joue, y compris bien sûr le combat contre le Rassemblement National et la poussée d’extrême-droite dans de nombreux pays européens. La dernière élection en date aux Pays-Bas, les évènements intervenus en Irlande, la présence de ce courant politique au gouvernement dans plusieurs pays de l’UE sont la traduction de son emprise ascendante.

Le parti communiste avec l’originalité de son projet représente à condition qu’il se fasse confiance et qu’il s’engage collectivement et sans détours, un des remparts et un des acteurs le plus sûr pour donner corps aujourd’hui au profond besoin de changement qui s’exprime dans la population. Certes il s’agit d’une expression qui se manifeste de façon confuse et diffuse, ce qui montre à quel point le rôle de ce parti est déterminant pour éclairer le chemin.

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  1. Numéro 832-833 (novembre-décembre 2023) - Économie et politique

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