Débat entre Évelyne Ternant, membre du comité exécutif national du PCF et Tibor Sarcey, auteur avec Rémi Castay de l’ouvrage Tout leur reprendre ! publié aux éditions Delga en 2023.
Économie&Politique : La première partie de l’ouvrage caractérise les politiques économiques actuelles comme l’effet d’une « radicalisation de la bourgeoisie ». Ne pourrait-on pas pousser le diagnostic jusqu’à y reconnaître des efforts du capital pour tenter de surmonter une crise de sa rentabilisation ?
Tibor Sarcey
Ce livre a été écrit au moment où on était en train de connaître un échec cuisant sur la mobilisation contre la réforme des retraites – c’est ainsi que Rémy Castaÿ et moi -même l’avons vécu. Le mouvement contre la réforme des retraites a été très important en termes de manifestations, de débat politique, et on a eu l’impression alors qu’on faisait face à un gouvernement qui recourait à une violence politique assez inouïe. Je suis né en 1985, je ne dis pas qu’on n’a jamais connu en France des périodes politiques plus dures que celles-ci mais du point de vue de ma génération, on a été un peu stupéfait de la capacité à contourner notre culture démocratique, que ce soit dans le débat parlementaire ou la prise en compte de la colère sociale.
Les efforts du capital pour surmonter ses contradictions, c’est ce qu’on a synthétisé dans le terme de radicalisation de la bourgeoisie : nous l’avons trouvé plus parlant pour un public qui n’a pas accès à notre culture théorique.
On a essayé de mettre en avant cette logique économique. Il est de plus en plus dur pour le capitalisme d’obtenir un rendement, et il doit – cela a été vérifié empiriquement – accroître les dynamiques d’exploitation pour toujours réussir à extraire davantage de plus-value : exploitation dans les entreprises, austérité dans les services publics. Et donc ça se traduit, je pense, par cette violence institutionnelle et politique qu’on a observée particulièrement à cette époque-là. Donc en en gros oui, radicalisation de la bourgeoisie, ou du capital, pour tenter de surmonter ses contradictions.
Évelyne Ternant
L’ouvrage est en effet très pédagogique et accessible. Pour répondre à la question, je pense que nous sommes dans une nouvelle phase de la crise systémique du capitalisme. Il y a échec des réponses capitalistes à la crise qui ont été successivement tentées depuis cinquante ans pour relever le taux de rentabilité des capitaux. C’est ce contexte qui explique le durcissement des relations sociales dans les entreprises et de la politique du gouvernement. On observe un basculement vers un régime autoritaire qui est d’ailleurs constaté un peu dans tous les pays capitalistes, ce qui montre bien l’ampleur des contradictions.
J’utilise de préférence le terme de capital tout en comprenant que le terme de bourgeoisie soit plus concret, plus évocateur. Mais il présente aussi l’inconvénient de réduire le caractère systémique de la logique du capital. Même si le livre décrit bien la bourgeoisie dans ses acteurs principaux, que sont les directions des grandes entreprises, les fonds d’investissement, la technocratie des institutions néolibérales. Il faudrait d’ailleurs y ajouter les banques qui, dans leur fonctionnement actuel, sont partie prenante de la logique du capital, alimentent la financiarisation, soutiennent les restructurations et les délocalisations destructrices d’emplois. Même si je reconnais qu’il y a un effort de vulgarisation à faire sur la notion de capital, elle montre bien qu’il y a diffusion des critères capitalistes par capillarité dans l’ensemble du tissu économique et social et même sociétal. Le livre évoque très bien le fait que les PME sous-traitantes sont sous contrôle des critères capitalistes des donneurs d’ordre. On peut citer aussi les services publics qui intègrent les méthodes managériales et les évaluations du système capitaliste privé, etc. Il y a une véritable hégémonie des critères du capital, et c’est cette hégémonie qu’il faut résolument combattre.
Il y a un élément dans le diagnostic sur la crise systémique qui me paraît important. C’est le rôle de la révolution informationnelle dans l’aiguisement des contradictions actuelles. Elle a en effet des effets puissants, mais elle pourrait aussi ouvrir la voie à un dépassement du capitalisme. L’immatériel, les informations prennent une valeur de plus en plus importante dans les process de production et sont aussi des cibles de concurrence de plus en plus importantes. La révolution informationnelle a des impacts importants sur les stratégies des multinationales car elle leur permet de partager des coûts et d’élargir à une échelle transnationale les collectifs de travail. Mais dans le même temps elles la dévoient par la logique d’élimination du travail vivant et la pression sur les qualifications, qui heurte de plein fouet toutes ses potentialités. Il me semble qu’une partie de la crise de productivité que le patronat et le gouvernement déplorent est liée à cette confrontation entre le développement des forces productives et les rapports de production actuels.
Tibor Sarcey
Effectivement, on ne mentionne pas ce point dans le livre, même si je suis assez convaincu de ce que tu dis. Notre point de vue, c’est qu’on arrive dans une phase où tendanciellement, c’est de plus en plus dur d’obtenir gain de cause et d’obtenir des choses par la simple négociation historique qu’on pouvait mener dans les entreprises. Et donc c’est vrai qu’on a utilisé la crise systémique du capitalisme et la situation dans laquelle on est aujourd’hui pour essayer de mettre en avant que d’après nous ça expliquait le fait qu’il n’y avait plus beaucoup de marge de manœuvre et pourquoi il y avait une crispation, un durcissement de ton, en restant court sur l’analyse économique pour pouvoir développer les deux autres parties.
Pour enchaîner sur la suite de l’ouvrage, quel projet propose-t-il ? Dans tout un impensé collectif, une politique de gauche, ce sont des nationalisations. Lorsqu’on a beaucoup de nationalisations, c’est le socialisme, et quand tout sera nationalisé, on sera dans le communisme. Comment réagissez-vous à cette vision naïve ?
Tibor Sarcey
Je n’ai pas de religion totalement arrêtée en la matière. Une chose est sûre, c’est que je ne pense pas que la solution se niche dans la nationalisation de toutes les entreprises de France, et on ne peut pas uniquement non plus dire « nationalisons et ça réglera les problèmes ». Le statut public d’une entreprise n’évite pas le sinistre, n’évite pas l’exploitation, n’évite pas les plans de licenciement, n’évite pas les mauvais choix et n’évite même pas la recherche de rentabilité. Tout dépend de l’horizon temporel où on se situe. Je pense qu’il y a des messages politiques à envoyer sur certaines entreprises qui sont fondamentales pour le bien commun et pour la réponse aux besoins. Il suffit effectivement de dire qu’un groupe comme Total, c’est une aberration qu’il soit confié à des intérêts privés, et qu’il ne peut pas, à mon sens, être dans l’autogestion. À un moment donné, ça répond à un enjeu national, européen, voire international, donc il faut bien que ça retourne à la nation. Dans quelles modalités de gestion ? Il faut évidemment que ces nationalisations s’accompagnent d’une modification des critères de gestion, il faut évidemment que ça s’accompagne d’une capacité de contrôle des salariés via leurs représentants, et des usagers et des élus locaux. À mon sens, il serait aberrant de dire qu’il faut que le gouvernement gère tout. Nationaliser, c’est rendre à la nation. Donc il faut envisager des capacités d’intervention démocratique. En fait, c’est là le fond de ce que nous avons essayé de dire, même si nous n’apportons pas de recette précise : il faut aller vers la démocratie, jusqu’à la démocratie économique. C’est l’appel, à la fin du livre, que nous faisons au socialisme.
Pour nous, le socialisme, c’est la démocratie réelle, jusqu’à l’organisation de la production. Et donc évidemment il faut envisager sur certaines entreprises du capital 100 % public, même si on ne peut pas s’arrêter là. L’intérêt d’avoir du capital public, c’est qu’on peut décider autrement que selon les critères imposés par les banques, les marchés financiers, les actionnaires. Maintenant, comment fait-on ? Il faut des nouveaux critères de gestion et il faut des pouvoirs et des contre-pouvoirs dans les entreprises, dans les territoires.
Pour les plus petites entreprises et les moyennes, je pense qu’il faut un principe de pôles publics. Mais à partir du moment où on a neutralisé celui du dessus et qu’on impose de nouveaux critères de gestion et un nouveau suivi démocratique, on peut imaginer que le reste suivra. D’autant plus si on continue de se battre pour que ces nouveaux critères de gestion et ce contrôle démocratique puissent aller jusqu’à ces petites entreprises. C’est à dire que même dans les petites entreprises, il y a des CSE, des syndicats, des salariés qui peuvent s’organiser et avoir un droit de regard. Ces entreprises sont insérées dans des territoires. Il y a des conseils départementaux, régionaux, des communautés de communes. Il y a des élus locaux et donc on peut organiser les choses de ce point de vue-là. Mais oui, je pense qu’en tout cas il y a des grandes entreprises qui nécessiteront politiquement, dans le message envoyé, des nationalisations, mais de nouvelles nationalisations.
Évelyne Ternant
J’ai vécu, avec ma génération, les « nationalisations » du premier quinquennat de Mitterrand. Ces étatisations ont été pilotées avec les critères d’avant, les critères capitalistes de rentabilité et de retour sur investissement. Elles étaient dirigées par une technocratie acquise aux préceptes libéraux. La question des critères d’intervention des salariés et, au-delà des salariés, des élus, des citoyens, est tout à fait essentielle. C’est la question, au fond, de la sortie du capitalisme pour autre chose, avec une viséedu communisme, en passant par une phase de transition. Les travaux de de Paul Boccara sont fondamentaux sur la question de la transition parce qu’il ne les aborde pas seulement sous l’angle économique. Il y a une approche très large de toutes les dimensions de la société. C’est ce qu’il appelle l’anthroponomie, c’est à dire la culture, les représentations mentales, le psychisme, le système politique. Et il montre que le dépassement du libéralisme, qui est pour lui l’homologue anthroponomique du capitalisme, passe par le dépassement de toutes les délégations de pouvoir, dans tous les domaines, c’est-à-dire évidemment l’entreprise, mais aussi dans le système politique, la famille, etc..
L’État représente toujours une coupure entre un organe centralisé et les travailleurs, c’est à dire qu’il incarne toujours une dépossession des travailleurs. Il y a toujours, même dans un État qui serait piloté avec les meilleures intentions, les dérives bureaucratiques, technocratiques. Ce processus de transition devrait en même temps ouvrir la voie à un dépérissement de l’État. toutes les expériences historiques d’étatisme ont été des échecs, que ce soient les expériences social-démocrates, où l’État est considéré comme l’instrument pour réguler quelques défauts majeurs du capitalisme tout en laissant la main au capital, ou les expériences socialistes de l’Union soviétique et des pays de l’Est, où la centralisation et la bureaucratie n’ont pas permis de répondre aux besoins. La « négation nihiliste du marché et sa diabolisation », pour reprendre l’expression de Paul Boccara, n’a pas permis de développer une efficacité économique. L’étatisme domine encore largement dans les projets de gauche aujourd’hui, avec une représentation qui fait de la conquête du pouvoir d’Etat la clé de l’émancipation des rapports capitalistes. L’innovation politique majeure est de penser autrement la transformation, et d’agir pour un « dépassement » des rapports capitalistes partout où ils s’exercent, pour des « dé-délégations » de pouvoirs dans tous les domaines, y compris les domaines sociétaux : sortir du patriarcat ou de relations parentales étouffantes. C’est pourquoi il faut envisager la nécessité d’institutions nouvelles, décentralisées et démocratiques qui, justement, permettent de dépasser la coupure entre le politique et l’économique ; des institutions qui sortent l’entreprise de la chasse gardée du patronat pour en faire un enjeu de débat public où les salariés, citoyens, les élus peuvent intervenir, avec la capacité de réaliser des projets de développement conformes aux besoins sociaux et écologiques des territoires. À ce sujet, dans nos textes de congrès, comme dans le programme qu’a défendu Fabien Roussel à la présidentielle, ces nouvelles institutions trouvent leur traduction dans les conférences permanentes pour l’emploi, la formation et la transformation écologique des productions.
Tibor Sarcey
J’en étais resté aux conférences régionales ?
Évelyne Ternant
Elles peuvent être locales. C’est la proposition d’un processus autogestionnaire qui part d’organisations autonomes, qui se coordonnent en partant de la base, donc du local au régional et au national.
Tibor Sarcey
Ce sujet des conférences régionales m’intéresse beaucoup parce que je pense que c’est un levier, ça serait un instrument déterminant pour réussir à aller dans la direction qu’on se fixe.
Il va falloir de la planification plus que jamais, à l’heure de la crise écologique. Mais évidemment en ayant en tête toutes les dérives bureaucratiques que ça peut avoir, il faut que cette planification puisse s’organiser au niveau le plus local possible avec la possibilité de remonter pour avoir une cohérence générale.
La question du dépérissement de l’État est une vieille question. Mais quoi qu’on en pense, ça ne se fera pas demain matin. Et donc – encore une fois, j’y reviens parce que j’ai été très affecté par ce qui s’est passé sur le premier semestre 2023, par la tournure politique qu’ont prise les choses – il va falloir qu’il se passe quelque chose assez rapidement. Les organisations de gauche, qu’elle soit syndicale ou politique, n’ont pas le vent en poupe. Aux dernières législatives, il me semble que la gauche n’a jamais été globalement aussi faible. La CGT – c’est mon syndicat, donc j’en parle librement – perd des adhérents même s’il y a eu un effet post-mobilisation des retraites. Quand un outil se voulant être au service des travailleurs est désinvesti progressivement par les travailleurs, ce n’est pas la faute des travailleurs, c’est qu’il y a quelque chose dans le fonctionnement du syndicat ou dans la réflexion dans son organisation qui, à un moment donné, n’a pas fonctionné ou ne s’est pas adapté à des changements. Entre ça et l’objectif, la volonté ou la tendance historique d’aller dans la direction du dépérissement de l’État, quelle réponse les organisations syndicales et politiques doivent-elles être en capacité d’apporter dès maintenant aux travailleurs pour regagner en crédibilité et en utilité surtout ? Il n’y a pas besoin d’être membre de la commission économique du PCF pour comprendre l’importance des critères de gestion, pour comprendre que c’est trop facile de dire « on nationalise ». On nationalise mais quel contenu, quels critères et quel contrôle du processus et de l’entreprise derrière ? Ça ne peut pas juste être l’État effectivement, comme tu disais on a déjà connu ça dans le passé.
Mais comment on s’organise politiquement et syndicalement pour recréer des dynamiques de lutte sociale ? On a, je pense, surinvesti la question de la représentation parlementaire et de la délégation syndicale dans les négociations de branche. Il faut peser au Parlement, il faut peser dans les branches, évidemment. On n’est pas des gauchistes. Mais si ces institutions ne sont pas utilisées pour armer les luttes sociales, on sombre dans le crétinisme parlementaire dont parlait Marx, et donc dans le réformisme et la bureaucratie. Le même raisonnement s’applique à la question des unions politiques ou syndicales. Dans le cadre du mouvement contre la réforme des retraites, j’étais favorable à une intersyndicale parce que je pense qu’au départ, l’intersyndicale ou des alliances politiques, ça peut être un outil de rassemblement des travailleurs. Mais la question est de savoir quel contenu et quelle orientation on donne à cette intersyndicale, pour la faire aller dans une direction qui va au-delà des simples manifestations, même si elles sont importantes et il en faut, et de la simple demande aux parlementaires de bien vouloir voter dans le bon sens. Comment on s’organise pour recréer des dynamiques de lutte sociale ? Tout cela évidemment ne se décrète pas. C’est une question d’organisation. Et peut-être même de volonté.
Évelyne Ternant
Je partage complètement l’importance des luttes. Il n’y a pas de transformation révolutionnaire sans luttes sociales. Mais quelles luttes pour avancer dans ce sens ?
Il y a besoin de politiser les luttes, ne pas s’en tenir aux revendications syndicales, Mais de donner la perspective, quand il y a des mobilisations sociales, d’objectifs politiques, c’est à dire passer du défensif à l’offensive. Et la bataille des retraites est un bon exemple. Effectivement, ce mouvement n’a pas mis à genoux le pouvoir. Est-ce que c’est dû seulement aux formes de lutte ? Je pense que c’est surtout dû à une alliance de l’ensemble des organisations sur le plus petit dénominateur commun. J’ai un regret, c’est que, dans la bataille qu’ont menée les communistes, nous n’ayons pas suffisamment porté notre projet, qui pourtant était élaboré, pour se nous fondre dans le mouvement général. L’argument qui était donné – car il y a eu débat dans le Parti – c’est que pour élargir il fallait en quelque sorte être dans le défensif, pour gagner, il fallait rester dans le « non » à la réforme. Or moi je pense exactement le contraire, je pense qu’on élargit quand on porte une perspective qui envisage le progrès social. Le parti communiste a un projet de réforme des retraites qui a été évalué à 100 milliards pendant la campagne des présidentielles. La France insoumise a évalué le sien à 20 milliards, ce n’est donc pas le même projet. Je pense que si nous avions porté le nôtre – ce qui n’empêchait pas évidemment l’union –nous aurions montré que pour financer on ne trouvait pas l’argent comme ça, mais qu’il fallait instaurer une logique de développement passant par l’emploi. Et que passer par l’emploi, ça impliquait des politiques incitatives au développement de l’emploi, donc une modulation des cotisations sociales, mais qu’il fallait aussi des avances monétaires pour financer des projets de développement, etc.
Il faut parvenir à surmonter la coupure qui existe entre le mouvement social, ses luttes et les élections. Le rassemblement, ce ne sont pas simplement des alliances électorales pour telle ou telle élection, c’est la construction d’un mouvement populaire qui associe les syndicats, le mouvement social, le mouvement associatif autour d’objectifs politiques. des majorités politiques peuvent ensuite se greffer sur un mouvement qui a pris une autonomie, qui a des exigences, par exemple sur les nationalisations bancaires, sur un nouveau crédit bancaire, sur la sécurité d’emploi ou de formation. Il peut se construire un mouvement social majoritaire pour exiger cette sécurisation fondamentale des vies ! Pour moi la, la perspective, est celle-là. Mais pour convaincre, il faut aussi pouvoir s’appuyer sur des expérimentations concrètes.
Tibor Sarcey
Pour unir les travailleurs on est obligé d’en passer par une discussion avec les autres, mais sur un fond et sur des propositions politiques qui sont celles que tu expliquais, celles que le Parti communiste porte notamment. C’est la double besogne du syndicat et de la CGT historiquement.
C’est à la fois la revendication immédiate dans l’entreprise pour améliorer le sort des travailleurs de cette entreprise, et à la fois porter des projets de société de rupture. Parce que pour porter un projet de société, le syndicat ne peut pas se suffire à lui-même, il a besoin aussi de pouvoir s’appuyer sur un parti politique qui porte un certain projet. C’était le cas historique du Parti communiste, et on l’a vu par exemple sur la question de la nationalisation de Total.
Quand je discute avec des salariés ou avec des syndicalistes dans le pétrole et notamment chez Total, ce n’est plus la même chose que de revendiquer ça tout seul dans son coin sans vraiment oser l’affirmer. Quand il y a un parti politique qui commence à dire que l’entreprise devrait être sous le contrôle de la nation, ça libère d’un certain nombre de complexes.
Compte tenu de la violence sociale qu’elle subit, la population a un besoin d’entendre des discours tranchants. On a l’impression qu’il n’y a plus cette culture politique globale, qui historiquement, a été véhiculée par le Parti communiste et par la CGT. Et je pense qu’on gagnerait, même électoralement, à avoir des propos plus tranchants en matière de transformation économique.
Évelyne Ternant
Je pense que le PCF porte un projet cohérent et radical, du moins dans ses textes. Cela étant, il y a toujours le problème de la mise en œuvre, de l’appropriation. La sécurité d’emploi ou de formation, c’est le dépassement du marché du travail. Le nouveau crédit bancaire, c’est la sortie de la dictature des marchés financiers, c’est le dépassement des marchés financiers. Une autre mondialisation, c’est le dépassement de l’ordre international, de l’hégémonie du dollar, du libre-échange, etc. Et les nouveaux critères, les nationalisations, la démocratisation dans l’entreprise, c’est le dépassement du marché des biens, avec toujours cette recherche de la cohérence entre les objectifs, les conquêtes de pouvoirs et les moyens financiers.
Tibor Sarcey
Effectivement dans les textes du PCF sur les objectifs économiques, il n’y a pas grand-chose à redire. Je pense qu’on partage tous globalement, mais même plus généralement au-delà même du PCF, chez les militants de gauche, le même objectif de société, à quelques nuances près. Ce qui va nous différencier, c’est la méthode pour transformer le monde. Aujourd’hui, c’est là qu’on ne sera pas forcément tous d’accord, ou en tout cas pas tous très bien au clair sur la méthode à utiliser. Force est de constater que notre audience politique, et l’audience politique d’une manière générale de la gauche, est plutôt sur une pente déclinante, alors qu’on traverse une période qui fait la démonstration presque arithmétique qu’il n’y a qu’une voie de rupture par rapport à ce modèle capitaliste et particulièrement à l’heure, de la crise écologique. Et pour autant, on sent bien qu’on a du mal à construire autour de ça. Donc quelle est la méthode qu’on utilise aujourd’hui pour porter ces revendications et pour les rendre audibles, pour les rendre crédibles ? Et effectivement là on va reboucler sur la question des luttes sociales, comment on s’organise. Pour réussir à ancrer dans les luttes sociales un certain nombre de revendications qu’on porte même sur du plus long terme, pour ensuite pouvoir « capitaliser » dessus et dire « vous voyez, ce qu’on propose c’est un vrai projet de transformation de société et c’est opérationnel dès maintenant. On en a fait l’expérience dans telle entreprise, dans tel territoire, dans telle structure et ça peut fonctionner comme ça ». Et donc je trouve que c’est cette articulation qu’on a du mal à faire.
Je pense que tant qu’on n’aura pas réussi à articuler nos objectifs de long terme avec la façon dont on peut s’en servir pour alimenter des luttes immédiates dans le territoire, ça restera de grands projets, très beaux, et en plus très efficaces et très cohérents, mais ça restera de grandes idées et de grandes réflexions.
Évelyne Ternant
C’est effectivement le travail politique que nous devons faire, articuler les luttes à des propositions concrètes de transformation, inspirées par notre projet et sa cohérence. C’est ce mouvement qui permettra de surmonter les fractures de la gauche, dont il ne faut pas sous-estimer l’ampleur, car il n’y a pas « Une » gauche ». Elle est fracturée parce que la partie de la gauche organisée qui n’envisage pas le dépassement du capitalisme est dans l’impasse, avec des projets qui ne permettent pas la sortie de crise sociale et écologique. Et c’est effectivement par ce travail de politisation des luttes et de débats publics sur les contenus au sein de la gauche et avec les citoyen.ne.s que se construira ce mouvement populaire de transformation.