Le Nouveau Front populaire propose de porter le SMIC net de 1 398,69 euros mensuels à 1 600 euros, soit une augmentation de 200 euros. Cette mesure est indispensable, non seulement pour répondre à la détresse que cause l’appauvrissement d’une part croissante de nos concitoyennes et concitoyens, mais aussi pour faire entrer l’économie dans un cercle vertueux : stimuler à la fois la « demande » (la consommation populaire) et l’« offre » (une création de valeur ajoutée sur le territoire national, rendue efficace par la sécurisation de l’emploi et un développement ambitieux de la formation des salariés). Elle doit intervenir dès l’arrivée de la gauche au gouvernement.
L’augmentation doit bien entendu porter sur le SMIC brut. Il serait en effet inconcevable que la gauche emprunte à la droite et à l’extrême-droite l’escroquerie d’une augmentation des salaires nets « financée » par une baisse des cotisations. C’est à dire un détricotage de la Sécu !
Compte tenu des taux de cotisation en vigueur, il faut donc porter le SMIC brut de 1 766,92 à 2 021 euros. Pour les salariés actuellement rémunérés au SMIC ou en-dessous, qui sont au nombre d’1,4 million, cela entraînera une dépense supplémentaire annuelle, pour les employeurs, de l’ordre de 11 milliards d’euros.
La mesure bénéficiera aussi aux 2,2 millions de salariés dont la rémunération actuelle est comprise entre 1 400 et 1 600 euros, rattrapés par le nouveau SMIC, ce qui représente environ, pour les employeurs, une dépense de 10 milliards d’euros. L’effet direct de la décision administrative d’augmentation du SMIC sera donc pour les employeurs une dépense supplémentaire d’environ 21 milliards, dont 5 milliards au titre des cotisations sociales.
Mais l’augmentation du SMIC doit aussi être répercutée sur les autres échelons de la grille des salaires. En effet, l’objectif de la gauche ne doit pas être de « smicardiser » la grande majorité des salariés mais au contraire d’enclencher une dynamique vertueuse d’augmentation des salaires. Devraient s’y ajouter des augmentations, à tous les niveaux de l’échelle des salaires, pour prendre en compte le rattrapage du pouvoir d’achat perdu du fait de l’inflation, la réalisation effective de l’égalité salariale entre hommes et femmes, la reconnaissance des qualifications, etc. S’y ajoutera, selon les termes du programme du Nouveau Front populaire, une augmentation des cotisations vieillesse de 0,25 point par an. Ces points seront à l’ordre du jour de la grande conférence sociale sur les salaires, l’emploi et la qualification qui aura lieu à l’été.
Au total, dans l’hypothèse, très modeste, où l’augmentation des salaires irait des 200 euros annoncés pour le SMIC net, à 90 euros au niveau du salaire médian (2 100 euros nets actuellement), puis s’annulerait progressivement pour les salaires plus élevés, il en résulterait, compte tenu des taux de cotisation en vigueur, une dépense supplémentaire pour les employeurs de l’ordre de 60 milliards, soit une augmentation de 6 % de la rémunération brute totale des salariés des entreprises.
Il faut comparer cette dépense auxprofits des entreprises. On peut approximativement les mesurer, en comptabilité nationale, par l’excédent brut d’exploitation des sociétés financières et non financières, qui était de 491 milliards d’euros en 2023. Toutes choses égales par ailleurs, la hausse du SMIC les réduirait donc d’environ 12 %. Mais toutes choses ne sont pas égales par ailleurs.
D’une part, les profits des entreprises ne servent pas seulement à payer des dividendes et des intérêts. Les entreprises doivent continuer à se développer. Elles doivent investir : la formation brute de capital fixe des sociétés financières et non financières s’est élevée à 360 milliards d’euros en 2023, et la réindustrialisation, la transformation écologique de l’économie, exigeront des dépenses encore bien supérieures dans les prochaines années. Il faudra surtout développer l’emploi, la formation des salariés et les investissements qui les accompagnent, pour pouvoir augmenter les richesses produites avec une nouvelle efficacité économique, sociale et écologique.
D’autre part, la concurrence extérieure, y compris intra-européenne, est très importante. Elle ne disparaît pas d’un coup. Tout en engageant une logique de coopération, elle nécessite de continuer à réduire les coûts des entreprises pour tenir face à cette concurrence… mais, loin de l’obsession de la « baisse du coût du travail », il s’agit de baisser d’autres coûts et prélèvements : ceux du capital !
Enfin et surtout, nous savons bien que le patronat n’acceptera pas sans résistance de réduire ses profits pour augmenter les salaires. La hausse des salaires exigera donc une mobilisation dans les entreprises et dans le pays. Les salariés pourront s’appuyer sur l’élargissement de leur droit d’intervention dans l’entreprise qui figure dans le programme du Nouveau Front populaire. Ce programme comporte plusieurs dispositions qui les y aideront.
Il prévoit en effet une modulation des cotisations sociales patronales : ces cotisations seront augmentées pour les entreprises où la part de la masse salariale et des dépenses de formation dans la valeur ajoutée diminue, ou augmente moins que la moyenne de leur branche. Les entreprises seront ainsi fortement dissuadées de recourir à des licenciements, à des externalisations, ou de restreindre les salaires. Cela contribuera à sortir du cercle vicieux de la « baisse du coût du travail » et à amorcer un cercle vertueux de développement socialement et écologiquement efficace de l’emploi, de la valeur ajoutée et des salaires. Pour agir dans le même sens, l’impôt sur les sociétés serait rendu progressif en fonction de la taille des entreprises, et modulé pour encourager la création de valeur ajoutée économe en capital matériel et financier.
Le programme prévoit également de conditionner les aides aux entreprises au respect de critères environnementaux, sociaux et de lutte contre les discriminations au sein de l’entreprise, et de les inscrire dans une stratégie industrielle publique. La façon la plus efficace de le faire sera de remplacer une partie croissante de ces aides par un programme de crédits bancaires bonifiés et garantis par l’État. Au lieu de de distribuer des subventions qui n’alimentent que les profits, ou des exonérations sociales qui vident les caisses de la Sécurité sociale, la puissance publique (via par exemple un fonds national et des fonds régionaux pour l’emploi, la formation et la transformation écologique des productions) prendra en charge une partie des intérêts de ces crédits, pour ramener leur taux à un niveau très faible, voire nul ou négatif. Par exemple, sur les quelque 200 milliards d’aides aujourd’hui dispensés aux entreprises, 30 milliards pourraient être réaffectés à un programme de prêts bonifiés. Cela permettrait de réduire de 5 points le taux de 600 milliards de crédits, soit 44 % des crédits bancaires aux entreprises en cours. Cette réduction du coût du capital compenserait à elle seule la moitié des dépenses entraînées par la hausse des salaires, sans compter le développement des entreprises qu’elle rendrait possible. En effet, l’accès au crédit des entreprises, particulièrement les TPE-PME, en serait grandement facilité, libérant un considérable potentiel de création d’emplois et de richesses. Ces crédits auront vocation à être refinancés par la BCE, via la Banque de France, à des conditions préférentielles sur le modèle des refinancements à long terme ciblés (TLTRO) pratiqués par la BCE depuis 2014, ce qui contribuera à faire baisser leur coût pour les entreprises bénéficiaires. Bien sûr, celles-ci devraient, en contrepartie, s’engager à « jouer le jeu » des augmentations de salaires, des créations d’emplois et de la prise en compte de critères écologiques. Précisément le programme du NFP prévoit des droits de suivi des aides publiques par les salariés.
Pour compléter ces indications, il convient de souligner que cette évaluation ne porte que sur les salaires du secteur privé. De leur côté, l’État, les collectivités territoriales et la Sécurité sociale auront à financer la hausse des pensions et des minima sociaux, la hausse du point d’indice des fonctionnaires (entre 20 et 30 milliards de dépenses supplémentaires à effectifs constants), la garantie d’autonomie pour les ménages situés sous le seuil de pauvreté, etc.