Le programme du NFP propose d’engager de profondes transformations dans les trois mois suivant la période d’installation des 100 jours. A ce titre, il est proposé de réaffirmer une retraite à 60 ans pour tous en intégrant plusieurs critères nouveaux de financement et d’assiette de calcul. Pour autant, atteindre un tel objectif nécessite un effort de réflexion et de propositions à la fois précises et radicales particulièrement en termes de financement et de pouvoirs d’intervention des salariés.
Quel objectif voulons-nous atteindre ?
Au XXIe siècle, il est plus que jamais légitime de revendiquer des pensions dignes, avec le droit pour toutes et tous à un départ à 60 ans avec une pension à taux plein (en prenant en compte les années d’études), et de partir plus tôt pour celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt ou qui ont exercé des travaux pénibles.
Si telle est notre ambition, il faut prendre au sérieux l’ampleur des ressources financières que de tels objectifs imposent de mobiliser. Ainsi :
- un départ effectif à soixante ans implique, s’il était mis en application dès cette année, une forte augmentation du nombre de personnes à qui il faut servir une pension ;
- le calcul du montant des pensions sur une base favorable (dix meilleures années ou six derniers mois pour les fonctionnaires) augmente le montant global des pensions à verser ;
- différentes autres dispositions (reconnaissance de la pénibilité, prise en compte des années d’études dans les annuités, suppression de la décote, égalité femmes-hommes en matière de retraites comme en matière de salaires…) conduisent également à relever le montant global des dépenses de retraites.
Estimer l’effet immédiat de ces différentes améliorations, et son évolution au cours du temps, est une opération complexe mais les diverses évaluations disponibles, d’origine syndicale ou en provenance d’autres horizons, convergent pour admettre que le coût global du passage à un système de retraites tel que le souhaitent nos concitoyennes et concitoyens atteindrait au moins cent milliards d’euros par an, soit quelque 4 % du PIB.
La réponse est donc de consacrer une part accrue des richesses au financement des retraites mais il y a aussi bien d’autres dépenses à développer : pour la santé, l’éducation, la recherche, la sécurité, l’écologie… Il faut donc une « part du gâteau » plus grande pour les salaires, pour la Sécurité sociale, et pour les services publics. Mais toutes ces dépenses ne peuvent être compatibles entre elles que si le « gâteau » est plus gros, et surtout s’il est fabriqué avec une recette sociale et écologique, et non selon la « recette » capitaliste qui ne vise que le taux de profit le plus élevé pour les actionnaires et les financiers et qui lamine donc les dépenses publiques et sociales.
En somme, un projet aussi ambitieux ne peut être réalisé seulement en changeant la répartition des richesses : il exige de changer la façon de produire les richesses.
Concrètement, par quels moyens atteindre notre objectif ?
La retraite à 60 ans pour toutes et tous à taux plein exige de dépenser plus. C’est une exigence sociale mais au-delà un choix de société dans lequel nous voulons inscrire le XXIe siècle. Cela signifie :
- de prendre au sérieux l’ampleur des ressources financières à y consacrer : au moins 100 milliards d’euros chaque année, 4 % du PIB de 2021 ;
- que la seule redistribution des richesses existantes n’y suffira pas, d’autant que ces richesses sont amoindries par le chômage et la crise des gestions capitalistes ;
- qu’il faut produire autrement les richesses, c’est-à-dire faire prévaloir de nouveaux critères de gestion des entreprises et des banques ;
- que les propositions ci-après visent précisément à changer le comportement des entreprises : un prélèvement sur les revenus financiers des entreprises pour décourager leurs placements financiers, une modulation des cotisations patronales pour encourager les embauches, la formation, les hausses de salaires.
Ainsi, calculées sur un montant accru de salaires, les cotisations sociales augmenteront fortement, donnant les moyens à la Sécurité sociale d’augmenter les dépenses de retraites sans que ce soit au détriment d’autres dépenses sociales. Environ cent milliards de dépenses supplémentaires permettraient de financer un système de retraites digne du XXIe siècle tout en sortant le système de santé et la protection sociale de leur misère actuelle.
Des leviers sur la création de richesses dans les entreprises
Deux mesures sont centrales dans notre projet de financement des retraites :
- Un prélèvement sur les revenus financiers des entreprises pour les dissuader de placer leurs profits en titres financiers et les pousser à les utiliser, plutôt, pour des investissements porteurs d’emplois et d’efficacité économique. Les revenus financiers des entreprises ont atteint 613 milliards d’euros en 2023, dont 199 milliards d’intérêts et 274 milliards de dividendes (voir tableau ci-dessous). Si ces revenus étaient soumis à un prélèvement au même taux que celui des cotisations patronales vieillesse sur les salaires, cela rapporterait à la Sécurité sociale 64 milliards d’euros la première année.
Rendement d’un prélèvement sur les revenus financiers des entreprises
Revenus financiers des entreprises (milliards d’euros) | Sociétés non financières | Sociétés financières | Ensemble des entreprises |
Intérêts * | 165,5 | 33,8 | 199,3 |
Revenus distribués des sociétés | 191,1 | 83,4 | 274,5 |
Bénéfices réinvestis d’investissements directs étrangers | 30,2 | -1,1 | 29,1 |
Autres revenus d’investissements | 8,6 | 101,7 | 110,4 |
Total des revenus financiers soumis à prélèvement | 395,5 | 217,9 | 613,4 |
Montant du prélèvement au taux des cotisations sociales patronales (maladie, vieillesse, famille, chômage : 30,955%) | 122,4 | 67,4 | 189,8 |
Dont cotisations retraites (10,45%) | 41,3 | 22,8 | 64,1 |
Dont cotisations retraites et maladie | 92,7 | 51,1 | 143,8 |
* pour les sociétés financières : intérêts perçus nets des intérêts versés.
Source : INSEE, comptes nationaux 2023.
Toutefois, l’effet attendu de cette mesure est une réduction des placements financiers des entreprises, et donc des revenus qu’elles en tirent. Le produit de ce prélèvement est donc appelé à fondre avec le temps. Il serait progressivement remplacé par les ressources nouvelles dégagées d’une création de richesses accrues et des salaires distribués à partir de ces richesses. Ce qui valide d’autant plus la seconde proposition ci-après :
- Moduler les cotisations patronales pour agir sur les entreprises et changer leur relation à l’emploi. Les exonérations de cotisations dont bénéficie le patronat seraient progressivement supprimées. En outre, à partir d’un taux de base qui pourrait être plus élevé qu’aujourd’hui, le taux de cotisation sociale employeur serait augmenté pour les entreprises dont la part du total (salaires + dépenses de formation) dans la valeur ajoutée diminue, ou augmente moins, que la moyenne de leur branche. Les autres entreprises bénéficieraient du taux normal. L’incitation à accroître les salaires tendrait à augmenter la base des cotisations en valeur ajoutée produite et leur assiette salaire et, donc, la masse des cotisations.
Deux autres leviers d’action sur les gestions d’entreprises concourraient au même résultat :
- Une modulation du taux de l’impôt sur les sociétés en fonction du respect par les entreprises de critères précis en matière économique (création de valeur ajoutée en économisant le capital matériel et financier), sociale (emploi, formation, salaires) et écologique (économies d’énergie et de matières premières) ;
- Une réorientation du crédit bancaire et de la politique monétaire pour faire baisser l’influence des marchés financiers et le coût du capital et pour favoriser les investissements porteurs d’emploi de qualité.
Au total, si les dépenses de retraites étaient augmentées de 100 milliards d’euros au bout de cinq ans, elles passeraient en proportion du PIB, de 14 % en 2021 à 17 % en 2026. La « part du gâteau » consacrée aux retraites serait plus grande mais elle ne serait pas au détriment des autres parts puisque le gâteau grossirait lui aussi.
Des pouvoirs pour mobiliser les moyens
Une éradication, à terme, du chômage par la voie d’une sécurisation de l’emploi et de la formation pour toutes et tous est ainsi à la fois un objectif majeur de notre programme, et la clé économique de la réalisation de notre objectif.
Le principal obstacle, c’est le comportement des entreprises et des banques. Toutes leurs décisions sont dominées par la logique du capital (profit et accumulation), que ce soient :
- ses prélèvements sur les richesses créées,
- toutes ses décisions d’investissement matériel ou de délocalisations contre l’emploi et contre la création de richesses.
Nous devons entrer dans un bras de fer avec le capital et sa logique pour inverser radicalement la tendance. Engager dès maintenant cet effort est possible, et c’est ce qui rend réalistes nos propositions pour une autre réforme des retraites.
Cela exprimerait le passage progressif à un nouveau fonctionnement de l’économie, plus efficace parce qu’émancipé de la domination du capital et fondé sur le développement des capacités des travailleurs. Cela suppose
- La conquête de nouveaux pouvoirs des salariés dans les entreprises sur les décisions d’embauche, d’investissement, de recherche, de financement ;
- Des leviers d’action sur les entreprises pour les pousser à viser une production efficace de richesses utiles à l’ensemble de la population, et non les profits financiers et la baisse du coût du travail pour augmenter la rentabilité du capital.
C’est à partir de cette cohérence d’ensemble que nous parviendrons à dégager la société du poids de la fiance et de ses logiques, afin d’assurer durablement un nouveau moment de l’émancipation humaine ici et maintenant mais aussi en Europe et dans le monde, niveau x que nous ne pouvons en aucun cas ignorer.