Jean-Marc DURAND
Nous sommes entrés dans un temps où l’histoire semble s’accélérer. Depuis l’élection des députés au Parlement européen, la France a fait un saut dans l’inconnu. Emmanuel Macron, dont la politique a été fortement désavouée lors de ce scrutin a en effet décidé de dissoudre l’Assemblée Nationale avec l’intention, a-t-il dit, de redonner la parole et la main aux Françaises et aux Français afin qu’ils remettent les choses en ordre. Il faut comprendre, soit pour qu’ils lui donnent les moyens de gouverner par une majorité recomposée, soit qu’ils lui indiquent la voie d’une cohabitation, particulièrement avec l’extrême droite de Mme Le Pen et M. Bardella, scénario qui paraissait d’ailleurs inscrit dans les plans élyséens et pour lequel semble-t-il (1), un certain travail d’approche avait déjà été réalisé.
Mais cette construction n’était visiblement pas en adéquation avec ce qu’avait en tête une large partie de la population qui a choisi un autre type de réponse. En effet en un temps record se sont déroulés deux évènements qui se sont d’ailleurs parfaitement complétés. D’une part est montée l’idée parmi le peuple de France que l’extrême-droite ne pouvait pas être la solution pour gouverner leur pays et, de l’autre, s’est réalisé un rassemblement des forces de gauche et écologiques aussi soudain qu’inédit. Un rassemblement incluant de fait les organisations syndicales – particulièrement la CGT qui a été très active et réactive ainsi qu’un certain nombre d’associations de défense des droits humains – qui s’est soudé autour d’un programme de progrès présenté sous la bannière du Nouveau Front populaire. Construit par les organisations politiques, le texte ainsi élaboré représente un pacte législatif qui constitue un socle sérieux pour la mise en œuvre d’une alternative politique permettant de commencer à répondre aux attentes sociales d’une large partie de la population et de briser ainsi leur sentiment d’isolement.
En l’espace d’un mois, la donne avait totalement changé. L’espoir créé à gauche ainsi que la mobilisation de l’arc républicain ont permis de déjouer les plans jupitériens et ont chuté sur une réalité politique nouvelle dont seul le peuple de France, fort de ses expériences tout au long d’une histoire qu’on peut faire remonter au moins à la révolution Française de 1789, a le secret. Le Nouveau Front populaire a recueilli le plus grand nombre de députés à l’Assemblée Nationale et le Rassemblement national n’est que la troisième force, même si tout cela doit être pondéré par deux données non négligeables. Le Nouveau Front populaire n’obtient pas la majorité absolue, et le Rassemblement national continue sa progression, doublant quasiment son nombre de députés. Toutes choses qui ne sont pas étrangères à la grande instabilité politique que traverse actuellement la France et aux vicissitudes que connaît encore, au moment où ses lignes sont écrites, la désignation d’un ou d’une Premier.e ministre issu.e du Nouveau Front Populaire.
Il faut aussi convenir que les événements actuels n’arrivent pas comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. De nombreux signaux d’alerte ont été envoyés à maintes reprises par celles et ceux qui subissent depuis des années les effets des choix néolibéraux ; des Gilets Jaunes à la mobilisation contre la réforme des retraites en passant par les émeutes de 2023. En réponse, il n’y a eu qu’autoritarisme et déni de démocratie, dont le recours quasi systématique au 49.3 sur tous les choix à enjeux réels. Tous les ingrédients d’une crise politique majeure étaient ainsi réunis.
Une crise qui traduit une crise globale, écologique, sociale, démocratique qui, loin de se réduire, est dans une phase d’accélération. Le capital au sortir de la crise covid se trouve en effet en mal de rentabilité et il cherche les voies pour régénérer son taux de profit. Le moyen qu’il a trouvé n’a rien d’original. Il s’agit de s’attaquer à la dépense publique et sociale et aux droits des salariés et des citoyens. La traduction concrète sont les déclarations à répétition, du ministre des Finances au président de la Cour des comptes, quant à la nécessité de sabrer dans la dépense publique pour faire au plus vite 25 milliards d’euros d’économies. Sauf que dans un contexte où l’ensemble des services publics et la quasi-totalité des droits sociaux sont déjà à l’os, une nouvelle cure d’austérité risque d’ouvrir sur des mouvements sociaux dont personne ne peut préjuger l’ampleur et la portée.
Voilà pourquoi Emmanuel Macron, relai zélé du MEDEF et de la finance, était prêt à jouer la carte du Rassemblement national, comptant sur la capacité de ce dernier à endiguer la rébellion populaire tant par la sidération provoquée par son marché de dupes en matière sociale que par sa capacité à prendre les dispositions nécessaires pour endiguer toute montée de mouvements sociaux.
Le Nouveau Front populaire au pied du mur
Voilà pourquoi le Nouveau Front populaire se trouve au pied du mur. Il se doit de ne pas décevoir au risque que les forces qui le composent retombent dans une marginalisation politique dont elles mettront longtemps à se remettre. Le PCF bien que très affaibli a une carte importante à jouer. Il dispose, certes dans un contexte compliqué, des atouts pour retrouver du crédit et une vraie identité parmi le peuple et, dans le même mouvement, pour remettre la gauche tout entière sur les bons rails. C’est-à-dire, sur ceux d’une transformation politique, sociale et écologique qu’elle a abandonné depuis 40 ans mais qui est cependant absolument indispensable pour sortir de l’ornière capitaliste.
Il y a aujourd’hui un enjeu de transformation révolutionnaire à prendre à bras le corps pour ne pas abandonner la France mais aussi l’Europe qui y a déjà plongé en partie, aux thèses réactionnaires, racistes et xénophobes des partis d’une extrême-droite néo-fasciste qui une fois installée ne se laisse pas déloger comme cela. Bien au-delà des coups de menton d’un Jean-Luc Mélenchon, le PCF, fort de son histoire et du travail de novation qu’il a conduit lors de ces deux derniers congrès (2), dispose de matériaux pour relever ce défi. Encore faut-il qu’il sache et soit déterminé à les faire connaître, les mettre en débat et les utiliser.
Dans ce numéro, Economie & Politique, journal dont l’esprit fondateur est de lier, d’articuler en permanence la réflexion théorique sur les questions économiques à l’action concrète sur le terrain, le lien théorie-luttes, propose un certain nombre de papiers traitant du besoin d’approfondissement des propositions économiques du Nouveau Front populaire pour enfin réussir. Il le fait dans un esprit ouvert et constructif, fort de la nouvelle donne issue de la situation du moment qui a permis de remettre l’économie au cœur de l’enjeu politique. Encore un terrain que notre revue n’a cessé de labourer tant à l’évidence, décisions économiques et choix politiques ont partie liée.
Au centre de l’issue politique actuelle est plus que jamais posée, alors que nous sommes dans une période de basculements, la question centrale des contenus du changement, du projet, des idées à partir desquelles identifier une transformation révolutionnaire et par conséquent le PCF, qui se doit d’en être un acteur déterminant dans l’espoir de redonner sens, crédibilité et visibilité à la gauche.
Une telle démarche, un tel objectif ne peuvent être atteints sans un travail qui s’effectue certes dans toutes les instances de ce parti mais qui cherche dans le même mouvement à irriguer l’ensemble des forces politiques, syndicales et associatives qui aspirent à un changement radical et bien réel. Ce qui suppose d’avoir le souci de se donner les moyens d’impulser un large débat public qui pourrait s’incarner dans des forums du Nouveau Front Populaire où le PCF pourrait mettre en débat ses propositions originales telles que :
- la Sécurité d’Emploi ou de Formation,
- la protection sociale,
- les services publics comme moyens de réorienter la politique de la France,
- les droits et les pouvoirs d’intervention pour une nouvelle gestion des entreprises et une autre utilisation de l’argent à partir de critères écologiques et sociaux,
- les moyens de financement avec une réforme de la BCE, de la politique du crédit avec des fonds de bonification installés du niveau régional à l’Europe, la mise en place d’un pôle public bancaire et financier, une réforme fiscale en priorité de la fiscalité des entreprises et non de celle du patrimoine, nécessaire mais qui n’est qu’une solution de replâtrage,
- des nationalisations dans des secteurs clés du développement économique, notamment pour répondre au défi climatique.
- un autre aménagement du territoire.
Tout doit être fait pour démultiplier et rendre indispensable le débat autour de telles idées. Non pas dans un esprit exclusif et hégémonique mais pour que chaque salarié.e, chaque citoyen.e s’en emparent et les fassent devenir des forces incontournables d’une transformation de la société que ne pourraient ni dénaturer ni dévoyer les forces du capital. Là est le véritable enjeu de classe de ce début de XXIe siècle. Il exige responsabilité et implication. C’est une problématique identique qui doit nous guider dans un travail d’enrichissement du plan climat 2050 qui fait l’objet d’un article important de ce numéro. Là encore, il s’agit, dans l’esprit qui a toujours guidé le PCF, de ne pas faire supporter à tout monde la réparation des dégâts engendrés par le capital et sa logique d’exploitation sans borne des hommes et de la nature, mais de bonifier les propositions en débat pour mettre en cohérence, dans les réponses aux enjeux du réchauffement climatique, les mesures de réorientation du développement économique avec celles de prise en mains des choix de gestion, d’utilisation de l’argent et de démocratie.
Le temps est plus que jamais à un large débat de novation, entrons-y pleinement. Prochains rendez-vous aux universités d’été et à la fête de l’Humanité.
- Voir in Libération du 9 juillet 2024
- 38ème Congrès d’Ivry de 2018 et 39ème congrès de Marseille de 2023