La plus violente des cinq réformes de l’assurance-chômage « suspendue » ?

Au soir de la défaite de son parti aux élections législatives, le Premier ministre a annoncé la « suspension » de la réforme de l’assurance chômage. Dans la situation incertaine où se trouve encore le pays, il n’est pas inutile de rappeler en quoi et pourquoi les principes qui ont inspiré cette réforme représentent un danger pour les privés d’emploi et pour notre système social.

Cette réforme s‘inscrivait dans la stigmatisation du chômeur en partant du principe populiste qu’il est mal vu dans l’opinion. Le comble, c’est que le chômeur est rendu responsable des plans de licenciements des entreprises, de coûter trop cher. C’est la vieille rengaine du coût du travail trop élevé, aussi le chômeur serait coupable de gonfler les dépenses d’assurance-chômage. Tout cela pour aller vers le « plein emploi » et « valoriser encore plus le travail ».

Cette réforme visait à récupérer 3,6 milliards d’euros, sur le dos des chômeurs, soit 10 % des dépenses, trois fois plus que les précédentes réformes. Elle affecterait jusqu’à un tiers des allocataires. Alors que sur plus de 5 millions de demandeurs d’emploi inscrits à France Travail, seuls 2,6 millions étaient encore indemnisés selon l’Unedic. Trois catégories sont particulièrement frappées par cette nouvelle réforme : les précaires, les jeunes et les seniors.

La méthode employée pour cette réforme a révolté tous les syndicats. Sans aucune concertation, elle imposait un violent durcissement des conditions d’accès à l’indemnisation, effectif au 1er décembre 2024, afin de les rendre plus contraignantes pour les chômeurs. Il faudra travailler 8 mois sur les 20 derniers mois (période de référence) pour être indemnisé, contre 6 mois au cours des 24 derniers mois actuellement. La durée d’indemnisation est réduite de 18 à 15 mois.

Un argument scandaleux part du principe qu’un chômeur, dès l’instant qu’il est indemnisé, est moins motivé à rechercher un emploi. Or, plus de 90 % des gens indemnisés recherchent activement du travail, selon la DARES [service statistique du ministère du Travail]. Les chômeurs devraient accepter n’importe quel emploi, à n’importe quel salaire, quel que soit leur niveau de compétences, leur secteur économique, parce qu’ils ont derrière eux le spectre de la pauvreté. Par ailleurs, cette réforme ne permettra pas de répondre au problème des emplois vacants dont une partie ne trouverait pas preneurs. Alors qu’il faudrait réfléchir à leurs véritables causes : conditions de travail, de rémunération, etc.

Les plus violemment touché·es seraient les travailleuses et travailleurs précaires, les demandeurs d’emplois les plus vulnérables. Avec un seuil d’affiliation passant de 6 mois de travail sur 24 à 8 mois sur 20, 2,8 milliards d’euros vont être économisés sur le dos de 185 000 personnes par an, écartées du droit à allocation. Un total de contrats à six mois, ne suffirait plus pour ouvrir le droit pour six mois d’allocations. Cela pénalisera les contrats courts et temporaires. Cela concernera les fins de CDD (saisonniers), et intérim, les salaires les plus faibles. Cette réforme est particulièrement dure pour les jeunes de moins de 25 ans, surreprésenté.es parmi les précaires. Le gouvernement précarise la jeunesse.

Un projet particulièrement violent pour les seniors

Les règles actuelles pour la « filière seniors » comprennent deux bornes. Aujourd’hui, les salariés âgés de 53 et 54 ans peuvent être indemnisés jusqu’à 22 mois et demi, et ceux âgés de 55 ans et plus jusqu’à 27 mois, contre 18 mois pour le reste des chômeurs. Les 53-57 ans sont les grands perdants de cette réforme. Si le gouvernement prévoit des dispositions pour faciliter leur maintien en entreprise dans le cadre d’un projet de loi débattu en fin d’année, les quelques mesures annoncées inquiètent concernant leur prise en charge. Partant du recul de deux ans de l’âge légal de la retraite, depuis la réforme des retraites de l’an dernier, le gouvernement modifie les règles d’indemnisations spécifiques aux seniors. La durée d’indemnisation serait nettement réduite pour certains seniors. Les conditions vont évoluer pour les nouveaux entrants, à compter du 1er décembre. Le premier palier (53-54 ans) va disparaître et la durée d’indemnisation maximale de ces demandeurs d’emploi va s’aligner sur celle des autres, elle ne sera plus que de 15 mois eu lieu de 22 et demi. Ils perdront une couverture pendant 7 mois et demi. Si Gabriel Attal prétend refuser que cette filière senior soit supprimée, affichant maintenir une protection et des règles spécifiques, l’entrée est reculée de 55 à 57 ans, et la période d’indemnisation passe de 27 à 22 mois et demi soit une perte de 4 mois et demi. Il plaide pour une convergence avec les autres demandeurs d’emploi. Cela va générer énormément de précarité, avec l’émergence de coûts induits privés et collectifs plus importants. L’État pense qu’il va faire des économies, mais cela va se traduire par une perte en consommation et en croissance.

Selon l’UNEDIC, en charge de la gestion de l’Assurance chômage, les seniors restent en moyenne bien plus longtemps inscrits à France Travail que les autres : 520 jours en moyenne en 2021, contre 340 pour les 25-49 ans. Et pour cause, le report de l’âge de la retraite, de réforme en réforme, tandis que les plans de licenciement touchent particulièrement les seniors. Les seniors qui ne pourront pas retrouver du travail vont se retrouver en fin de droits, compte tenu de la réforme de la retraite. Où finiront-ils ? Au RSA ? Les décisions du gouvernement se matérialisent, dans un texte très financier et anxiogène, il cherche de l’argent partout, sans s’occuper de la personne humaine.

Le gouvernement annonce un « bonus emploi senior » prétendant débloquer les recrutements pour les seniors, en déclarant « mieux accompagner la reprise d’un emploi », car il serait moins bien rémunéré que le précédent. L’UNEDIC devra compenser la perte de salaire des seniors mais seulement pendant un an. Ce dispositif permettrait à l’Assurance chômage de compléter ce nouveau revenu, pour atteindre la rémunération précédente. Gabriel Attal a précisé qu’il y aurait un « plafonnement ». La disposition a révolté les organisations syndicales. Cette compensation, après avoir été contraint d’accepter un emploi moins bien rémunéré, ne durera pas, et c’est l’Assurance chômage qui paiera. On va se retrouver avec une trappe à bas salaires. Aucune mesure incitative à l’embauche d’un senior n’a été prévue pour les entreprises. « Le senior discount, à moitié prix », comme l’a dénoncé François Hommeril, président de la CFE-CGC (Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres). Un senior au chômage qui reprendra un emploi moins bien rémunéré que son emploi précédent pourra cumuler son nouveau salaire diminué de moitié avec une allocation-chômage pour atteindre le même salaire qu’il avait avant de tomber au chômage. Ainsi, un demandeur de 57 ans qui était payé 3 000 euros brut et était indemnisé 1 600 euros mensuels par France Travail, demain, si on lui propose un emploi à 2 000 euros brut – donc 1 000 euros de moins que son ancienne rémunération –, pourra cumuler ce nouvel emploi à 2 000 euros avec 1 000 euros versés par l’Assurance chômage. Il retrouverait sa rémunération initiale mais seulement pendant un an. L’assurance chômage servira ainsi de machine à baisser les salaires des seniors pour le patronat. Le salarié qui a fait une carrière dans l’encadrement, et est licencié-e, on lui propose un emploi au-dessous de sa qualification, il-elle est obligé.e de le prendre parce qu’il y a derrière le spectre du RSA. L’employeur disposerait d’une personne expérimentée à bon marché et le gouvernement pourrait se vanter de ramener vers l’emploi des gens qui n’y étaient pas. Ce dispositif factice au bénéfice du patronat pèsera sur l’assurance-chômage sans répondre au maintien et à l’accès à l’emploi des seniors.

Aller « plus loin » ? la proposition d’un « CDI senior »

Cette piste, poussée par le patronat, prétend favoriser l’embauche des seniors de 60 ans ou plus (voir encadré). Les employeurs pourraient rompre un contrat dès que l’employé obtient ses trimestres pour pouvoir partir en retraite à taux plein. Un projet de CDI senior avait été censuré par le Conseil constitutionnel, au motif que la disposition était trop éloignée de l’objet initial du projet de loi. Les organisations syndicales s’étaient opposées d’un seul bloc au CDI senior au printemps 2024. L’annonce de Gabriel Attal et de Macron de s’en emparer passe mal. Cela fait une discussion déséquilibrée en faveur du patronat qui ne veut pas payer. Ainsi des entreprises ne jouent pas le jeu de la formation.

L’index seniors : cette disposition de la réforme des retraites avait été censurée l’an dernier dans le cadre de la bataille contre la réforme des retraites. Les syndicats relèvent que l’index égalité femmes-hommes ne fonctionne pas, il y a toujours 20 % d’écart de salaires entre les femmes et les hommes. Un index sans sanctions ne sert à rien.

En outre à l’avenir, en cas de baisse du taux de chômage officiel à 6,5 %, la durée maximale des droits, déjà réduite au 1er février 2023 de 25 %, serait cette fois réduite de 40 %passant à 12 mois maximum pour 3 milliards d’euros de plus d’économies.

Le gouvernement justifiait la précédente baisse de l’indemnisation par la baisse du taux de chômage, or le taux de chômage remonte en ce moment, mais il ne prévoit à nouveau que des coupes ! Même si le maintien de droit à l’assurance chômage à 62 ans, quand on ne dispose pas de droits à retraite à taux plein, serait conservé. L’allocation maintenue serait plafonnée à 2200 euros par mois, ce qui pénalisera toutes celles et ceux qui ont un peu d’ancienneté, ouvrier·es et employé·es, ingénieurs, cadres et technicien·nes , soit tous celles et ceux qui sont 25 % au-dessus du SMIC en fin de carrière et ont perdu un emploi avant le départ en retraite.

Le gouvernement n’a pas fourni d’études d’impact expliquant combien de perdant·es et quels profils sont touchés, c’est un manque de transparence due à des millions de personnes. L’heure est à la mobilisation pour construire une véritable réforme progressiste, comme notre projet de sécurité d’emploi ou de formation ou le projet de sécurité professionnelle de la CGT.


Encadré – Le CDI seniors

Un senior dans le monde professionnel est âgé de 50 ans ou plus, doté d’une expérience longue dans son domaine d’expertise. La création du CDI senior concernerait  les salariés de 60 ans et plus. Défini comme une « mission de fin de carrière », il  est sensé booster le recrutement des seniors, alors que la France est en retard dans ce domaine.

La durée du contrat senior devrait être calculée en fonction de la durée d’activité nécessaire au salarié pour faire valoir ses droits à la retraite. Les missions de fin de carrière pouvaient atteindre jusqu’à 20 % du temps de travail.

Des avantages ? Surtout pour les employeurs !

Ce CDI senior  permettrait  à des travailleurs de plus de 60 ans de réaliser une dernière mission avant de mettre fin à leur carrière. Similaire au CDI de chantier, le temps de travail pourrait être adapté et les conditions du contrat devaient être fixées entre le salarié et l’employeur ! Des missions de tutorat et d’encadrement de jeunes pouvaient être proposées.

Le CDI senior, réservé au plus de 60 ans, pouvait se terminer dès que l’employé aurait atteint le seuil pour bénéficier d’une retraite à taux plein et non plus selon l’âge butoir de 70 ans. Cependant, l’employeur devait respecter ces conditions et ne pas terminer le contrat avant l’obtention de ce taux plein. En ce qui concerne l’employeur, le CDI senior offrait aussi quelques avantages. En premier lieu, ce serait un contrat présentant peu de risques pour l’employeur.

Les missions de fin de carrière proposées seraient assez courtes et ne demanderaient que très peu d’investissement pour l’entreprise concernée. De plus, recruter un senior représenterait une véritable plus-value pour l’entreprise, il apporterait toute son expertise et son expérience, possèderait des softs skills ( compétences) très développées. Les seniors sauraient comment répartir leur temps de travail en possédant un sens de l’organisation rodé. Embaucher un senior serait surtout bénéfique pour l’employeur, le CDI senior permettrait aux entreprises d’être exonérées des cotisations familiales tout en s’engageant à conserver le salarié jusqu’à obtention du départ à la retraite à temps plein.

 Enfin, l’objectif de ce CDI était de compenser le coût d’un salarié senior qui pourrait prétendre à une rémunération plus élevée qu’un jeune actif.

Le CDI senior, la montée des oppositions

Le CDI senior contient de graves incohérences. Ainsi l’employeur ne peut pas mettre un salarié à la retraite avant 70 ans. Que se passerait-t-il si une personne atteint l’âge du taux plein avant cette échéance ? Alors que le CDI senior prétend offrir une solution.

Autre problème, la précarité de ce contrat. Si l’employeur devait s’engager à ne pas envoyer à la retraite un salarié avant qu’il n’ait atteint le taux plein, il pouvait cependant mettre un terme au contrat pour des raisons économiques, des motifs personnels, ou par rupture conventionnelle. Aussi, ce CDI senior qui devait être un contrat à durée indéterminée n’en était pas vraiment un au final, étant donné qu’un âge de fin de contrat serait défini. Il possédait donc une échéance fixe, ce qui pose problème.

 En outre, le CDI senior pouvait favoriser la discrimination à l’embauche. Les entreprises pouvaient faire le choix de ne recruter que des seniors âgés de plus de 60 ans afin de profiter de l’allègement des cotisations, laissant ainsi de côté les salariés en dessous de ce seuil.

Enfin, le CDI senior soulevait un problème de confidentialité. Pour que le salarié puisse bénéficier d’un départ à la retraite à taux plein, il pourrait être obligé de fournir des preuves et de partager des informations personnelles en rapport avec sa carrière.

Le Conseil constitutionnel avait censuré un projet précèdent le  12 avril 2024 présenté dans le cadre d’un projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificatif (PLFR), jugeant que les mesures ciblées sur l’emploi des seniors n’avaient pas leur place dans ce PLFR. Mais le voilà de retour !


1 Trackback / Pingback

  1. Numéro 838-839 (mai-juin 2024) - Économie et politique

Les commentaires sont fermés.