
Ali Algul
Dans un secteur de la grande distribution en pleine restructuration après la chute de Casino, le groupe Carrefour poursuit une stratégie exclusivement dictée par la recherche de la rentabilité maximale du Capital. C’est ce que l’auteur, alors délégués syndical central CGT du groupe, dénonçait déjà à l’ouverture des négociations annuelles obligatoires de 2024.
Choisi par les actionnaires pour remplacer Georges Plassat en 2018, Alexandre Bompard devait rapidement mettre en place le projet dit de « redressement du groupe », un plan financier visant le démembrement du groupe pour faciliter la vente des magasins.
La finalité de ce projet imposée par les actionnaires était de réduire les coûts pour augmenter les dividendes. En quatre ans, Bompard devait mettre en place un stratégie pour y arriver, et dès qu’il s’est installé à son poste il a commencé à mettre à exécution son plan par:
- des suppressions massives des postes (dans les sièges) ;
- des plans de productivité dans les magasins qui ont considérablement dégradé les conditions du travail des milliers de salariés, comme le projet TOP (pour lequel Carrefour a été condamné) ;
- une diminution significative des investissements ;
- projet de location gérance des magasins.
En 6 ans, le bilan social de ce projet de transformation de Bompard s’est d’abord traduit par une baisse massive des effectifs. En effet, il y avait 109 000 salariés en France lors de l’arrivée d’Alexandre Bompard, et aujourd’hui nous sommes moins de 74 000 salariés, plus de 33,8 % de l’effectif en moins.
Reconduit cette année par le conseil d’administration des actionnaires à son poste, Bompard accélère son plan de démantèlement du groupe.
Il y a deux ans, le 8 novembre 2022, le PDG a présenté son nouveau plan stratégique pour les 4 années à venir. Le plan prévoyait :
- la poursuite du passage des magasins en franchise et location-gérance
- un plan de réduction des coûts de 4 milliards d’euros à l’horizon 2026
La stratégie, adoptée par la direction, de céder les magasins en location gérance, le plan de réduction des coûts de 4 milliards d’euros à l’horizon 2026 et la politique de non investissement dans les magasins, ont un impact considérable sur la santé physique et mentale de milliers de salariés. Leurs conditions de travail se dégradent de jour en jour, comme on pouvait le lire dans un rapport publié en 2023 par une organisation syndicale de Carrefour : après cette enquête mené auprès de 5 000 salariés, 70 % de salariés interrogés se disent physiquement épuisés par leur travail, 66 % se déclarent moralement épuisés et 80 % constatent une augmentation de leur charge de travail liée à la baisse des effectifs. Et près 20 % avouent prendre des médicaments et des stimulants pour tenir le coup.
Le modèle de location gérance (LG) n’est pas d’autre chose qu’un plan social déguisé. Car la LG permet la suppression de postes via le transfert des contrats à des repreneurs.
Depuis la mise en place de ce projet, ce sont 268 magasins qui ont été cédés : 80 Hyper et 225 Market (plus de 20 000 salariés concernés).
Cette stratégie est purement financière car elle permet également au groupe de générer une économie de rente via le versement d’une redevance.
Le seul objectif de cette stratégie d’Alexandre Bompard est de satisfaire la voracité des actionnaires en augmentant les dividendes, au détriment de ses salariés.
Rappelons également qu’à fin 2023 Carrefour aura dépensé plus de 2,250 milliards d’euros dans le rachat de ses propre actions, toujours dans ce même objectif de mieux rémunérer ses actionnaires.
Le projet de la location-gérance ou franchise, voué à démanteler la totalité des parcs des Hyper et des Market pour ne garder que les centrales d’achats et la logistique
Carrefour abandonne son activité principale, pour s’orienter vers une activité purement financière, comme nous venons de le voir.
Pourtant quand on analyse la situation économique du groupe, on constate qu’il n’y a aucune raison pour que le groupe abandonne son activité principale, c’est à dire la grande distribution. Regardons ces quelques chiffres pour comprendre :
- en 2020, Carrefour réalise ses meilleurs résultats depuis 20 ans avec +7,8 % de rentabilité, soit 78 milliards d’euros ;
- en 2021, le groupe affiche une solide performance avec un chiffre d’affaires en progression de 11,2 % et une progression de 4,1 % sur les profits, et dépense 700 millions d’euros pour rachat de ses actions
- en 2022, forte progression du chiffre d’affaires – 7,6 % – et 1,21 milliard d’euros de bénéfices ; Carrefour dépense 750 millions d’euros pour rachats de ses actions ;
- en 2023, Carrefour a réalisé un résultat net de 326 millions d’euros au premier semestre, en progression de 5,1 %. Cette année, Carrefour a distribué 450 millions d’euros de dividendes à ses actionnaires et dépense 800 millions d’euros pour rachat de ses propres action.
- les prévisions pour l’année 2024 suivent la même tendance, car Carrefour annonce l’achat de ses propre actions pour un montant de 700 millions d’euros.
Un article publié dans Alternatives Economiques le 29 décembre 2023 faisait le même constat : « Aux commande du groupe depuis 2017, Alexandre Bompard mène une politique de financiarisation tournée vers ses actionnaires, au détriment des salariés et de l’investissement. La hausse spectaculaire des sommes versés aux actionnaires en témoigne. En seulement deux ans (2021 et 2022), ces derniers auront empoché la bagatelle de 2,2 milliards d’euros, soit plus qu’au cours des huit années précédents ».
Alors que les salariés de Carrefour subissent une régression sociale et la dégradation de leurs conditions du travail depuis la mise en place des projets comme la location gérance, la franchise et la vente des magasins au groupe Brésilien Atacadao, Alexandre Bompard a trouvé le financement pour acheter l’enseigne Cora, avec un cout estimé 1,05 milliard d’euros.
D’un côté, il se débarrasse de ses magasins jugés pas assez rentable, de l’autre côté, il trouve le financement nécessaire pour acheter ses concurrents.
Cette acquisition, la plus importante pour Carrefour après le rachat du groupe Promodès en 1999, a un seul objectif, conforter sa deuxième place derrière Leclerc et rester devant Intermarché qui pouvait le doubler après leur acquisition de nombreux magasin du groupe Casino.
Nous pensons que ces activités basées essentiellement faites de rachat, de vente ou de rachat d’actions, ne sont que des activités qu’on peut qualifier de purement financières, et qu’elles mènent le groupe vers un avenir dangereux et incertain.
Pour notre organisation, seule la lutte engagée d’une manière déterminée par l’ensemble des organisations syndicales avec les salariés pourra stopper ces projets de destruction sociale et humain.