Le résultat de la dernière élection européenne a confirmé le choc de l’élection présidentielle de 2017. La gauche en est sortie plus affaiblie encore qu’elle ne l’a été de la dernière présidentielle. Le sens de ce scrutin est donc sans équivoque. En l’état, la gauche ne semble plus incarner le réceptacle naturel des colères sociales. Elle n’apparaît plus porteuse de perspectives politiques lisibles et crédibles. C’est désormais l’extrême droite, après son score électoral, qui joue ce rôle médiatique d’opposant à la macronie. Une opposition apparente bien évidemment, tant la confusion des options macronienne et lepeniste est de plus en plus flagrante en matière économique, social, d’emploi et de service public… mais aussi d’immigration.
Cette situation est très grave. L’incapacité de la gauche dans son ensemble à faire émerger du débat public des solutions politiques progressistes autres que celles de la social-démocratie, qui ont échoué, décrédibilise son action. Son incapacité à tenir compte des réalités de la crise d’efficacité du capital discrédite son propos. Or cette incapacité contribue à enfermer le débat public sur un substrat idéologique ultralibéral et autoritaire qui travaille un terrain politique duquel la gauche, ses idées comme ses valeurs, pourrait être évacuée pour longtemps, rejetant de fait aux calendes grecques toute possibilité concrète d’alternative politique de progrès.
La situation est d’autant plus grave que cette sclérose idéologique de la gauche française rend le mouvement social impuissant. Alors que les luttes syndicales éclatent de partout sur les mêmes fondements, ceux de l’austérité sociale et salariale et de la crise d’efficacité du capital, l’absence de perspectives politiques à ces luttes ruine leurs convergences possibles. De même, comment ne pas voir que le mouvement des Gilets jaunes, si exceptionnel par son ampleur et sa durée, s’est épuisé contre les symboles de la République, mais a laissé intact le cœur du système à l’origine de la colère sociale, à savoir l’entreprise et la logique capitaliste de la rentabilité du capital. S’il les a dénoncée, c’est sans jamais leur opposer d’alternative.
Cette sclérose à gauche empêche même de se saisir politiquement des prémisses d’une crise économique et financière de très grande ampleur qui se dessinent en conséquence des choix ultralibéraux des politiques menées à l’échelle du monde en faveur du grand capital, et qui exigeraient une réaction forte des forces de progrès.
En conséquence de quoi, E. Macron, ses amis de la haute finance et du Medef, déroulent sans peine leur projet de refondation ultralibérale de la France (et de l’Europe). Ainsi, après la loi Travail, la loi Pacte, la réforme de l’indemnisation du chômage, de la santé, des services publics… le gouvernement lance sa réforme systémique des retraites. L’objectif, mettre définitivement à bas notre modèle social issu de 1945 afin d’assurer le siphonnage de la richesse créée par le capital. La dépense publique et sociale doit servir les intérêts du capital et non plus la réponse aux besoins des populations.
Les arguments avancés pour justifier cette réforme sont clairs et s’appuient parfois sur des réalités. 30 ans de réformes paramétriques n’ont pas permis de régler la question financière des régimes ni celle de l’équité. Au contraire, l’allongement de la durée de cotisation pour une retraite à taux plein, le recul de l’âge légal de départ à la retraite, la désindexation des pensions de l’évolution des salaires n’ont fait que réduire considérablement les droits à pension des retraités. Et la remise en cause partielle mais réelle des droits non contributifs des retraités (droits pour enfants, réversion…) a amplifié ce recul des droits. En bref, ces réformes n’ont rien réglé, elles n’ont fait que dégrader les situations vécues par les retraités.
Le deuxième argument n’est pas non plus infondé. « Aujourd’hui, personne ne peut garantir l’avenir de sa profession dans sa pratique, son essence, sa démographie, son statut, son périmètre. Or notre système de retraite actuel est essentiellement fondé sur les solidarités professionnelles. Personne ne peut prévoir ce que sera la croissance économique, l’évolution du monde salarial, l’inflation, les nouvelles formes d’activité, l’impact sur l’économie des nouvelles contraintes environnementales et technologiques. Or notre système de retraite actuel est très dépendant des hypothèses de croissance économique et d’emploi ». Bien sûr, ces mots de Jean-Paul Delevoye, commissaire spécial chargé par le gouvernement de proposer une réforme des retraites, s’entendent à conditions économiques et politiques inchangées. Mais quand bien même ils ne disent pas tout, et notamment que cette incertitude sur l’emploi et l’économie résulte en grande partie des choix politiques libéraux et des choix de gestion du capital, ces mots posent que les conditions de production des richesses sont impactées par les défis informationnels et technologiques, mais aussi écologiques et démographiques, au point que les conditions d’hier sont désormais dépassées. Ce qui est juste.
Pour autant, la réforme proposée n’est pas à la hauteur de ces enjeux. L’ambition d’universalité, de justice et d’équité du nouveau système prônée par le pouvoir est balayée par le contenu d’une réforme dont l’objectif répond uniquement au siphonnage de la dépense publique et sociale par le capital. Cette réforme est en effet construite sur un principe central : la part de la dépense de retraite du pays ne doit pas dépasser 14 % de PIB, quels que soient les besoins et la démographie. Elle est aujourd’hui de 13,8 %, et avec la croissance du nombre des plus de 60 ans, elle devrait être à périmètre constant de prestations de 16,5 % en 2050 selon le COR. Conséquence, en gravant dans le marbre le plafonnement à 14 % de PIB de la part de la richesse créée qui sera consacrée au financement des pensions de retraite, c’est la part par tête qui va diminuer. Les retraités devront donc travailler plus longtemps pour maintenir un certain niveau de pension ; c’est le sens de « l’âge pivot » de la réforme (64 ans) en deçà duquel la pension subira une décote, et qui est différent de l’âge légal de départ (62 ans). Ou bien ils devront épargner durant leur vie active pour se constituer un pécule pour leurs vieux jours, et la capitalisation sera une solution. D’ailleurs, le gouvernement a déjà prévu dans la loi Pacte d’optimiser l’épargne retraite pour les ménages les plus riches.
Une pareille réforme ne peut se faire dans le cadre des mécanismes institutionnels de notre système de retraite solidaire. La réforme Delevoye propose donc d’instituer un système à points pour le calcul de la pension dont la valeur unitaire variera pour respecter le plafonnement à 14 % de PIB. En d’autres termes, à la différence d’aujourd’hui où chacun sait ce qu’il cotise et ce qu’il va pouvoir obtenir comme pension, chacun saura ce qu’il cotise mais pas ce qu’il percevra une fois à la retraite. Et rien ne dit que même à la retraite, il percevra toujours le même montant de pension.
Au total, le projet de la macronie ne répondra pas aux objectifs d’équité et de justice, ni même à celui d’universalité puisque l’individualisation du système ne permettra pas à chacun de bénéficier des mêmes perspectives de retraite. Mais surtout, ce projet remettra en cause les bases de notre système de retraite par répartition fondé sur la solidarité interprofessionnelle et intergénérationnelle. Plus personne ne bénéficiera de prestations de retraite selon ses besoins financées selon ses moyens. Plus personne ne pourra compenser les désavantages d’espérance de vie de sa vie active par un effort de la solidarité. C’est le retour du règne de la contractualisation individuelle et du chacun pour soi, dont pourtant nous savons les effets.
Il n’y a qu’à regarder dans les pays européens qui ont mis en place cette réforme. Pour les Suédois, les Allemands ou les Italiens, la mise en œuvre d’une réforme par points s’est traduite par un allongement de la durée d’activité et une perte considérable de pouvoir d’achat avec la remise en cause de leurs droits. En Suède, pays initiateur du mouvement de réforme en Europe, seuls 90 % des retraités demeurent couverts, signifiant que la réforme n’est donc pas universelle même dans les conditions définies par les réformateurs ; 300 000 retraités vivent sous le seuil de pauvreté suédois en percevant moins de 1 165 euros par mois, ce qui représente 16,8 % des plus de 65 ans et 24,35 % des plus de 75 ans. Et les pensions équivalent en moyenne à 53 % des salaires de fin de carrière, contre 60 % en 2000.
L’ampleur de la régression rappelle les ambitions initiales du Medef dans son projet de Refondation sociale. Mais de fait, elle oblige aussi à faire monter l’exigence de la riposte. Car il ne suffira plus de dénoncer le hold-up social du Méprisant des Riches pour s’opposer efficacement à la régression. Il ne suffira pas plus de revenir à une conception du système de retraite telle que conçue en 1945. Sans quoi on prendrait le risque de passer à côté des constats objectifs sur lesquels s’appuie justement le gouvernement pour engager sa régression, et surtout de ne pas tenir compte des défis démographiques et technologiques, économiques et sociaux, culturels qui s’imposent à nous aujourd’hui. Pour répondre à la crise d’un système qui ne permet pas le statu quo, il y a au contraire besoin de repenser une réforme de notre système de retraite par répartition et solidaire qui s’inscrive dans l’esprit d’Ambroise Croizat et de l’ambition révolutionnaire dont la Sécurité sociale à fait preuve alors, mais qui tienne compte aussi des conditions économiques et sociales d’aujourd’hui.
Or ce projet alternatif pour un système de retraite de progrès auquel le PCF a tous les moyens d’apporter sa contribution révolutionnaire est aussi potentiellement un vecteur de travail pour une refondation de la gauche dans son ensemble et pour un projet social de gauche. Faire émerger à gauche une réforme de progrès crédible, alternative à celle de la macronie et de la haute finance, constitue un moyen de construire un rapport des forces dans les luttes en rassemblant toutes les forces de progrès. Cette nouvelle bataille pour nos retraites est donc un moment crucial pour toute la gauche, et pour la place du PCF en son sein.