Répondre, d’un même mouvement, aux urgences et à l’exigence d’une nouvelle civilisation

Au moment même où Emmanuel Macron se posait, devant le G7, en héraut planétaire de la cause écologique, son gouvernement scellait l’abandon des recherches sur la filière nucléaire de quatrième génération, une contribution pourtant majeure de la France aux efforts pour baisser les émissions de CO2 et répondre aux besoins d’énergie par la conception et le développement de filières plus sûres, économes en matières premières, allant vers la réutilisation des déchets. Bref profondément renouvelées par rapport aux technologies nucléaires actuelles.

Cet épisode met tristement en lumière le peu de cas que les dirigeants du monde capitaliste font de l’avenir de l’humanité, au regard de l’obsession de la rentabilité du capital qui anime financiers et dirigeants des multinationales. Ils prétendent « concilier maximisation de la valeur pour les actionnaires et écologie ». Mais même s’ils le voulaient vraiment, ils n’y arriveraient pas, car la révolution écologique nécessaire à la survie de l’humanité ne peut être, du même mouvement, qu’une révolution sociale : cesser de rechercher la croissance de la productivité par l’épuisement de la nature et la pression sur le « coût du travail », et donner au contraire la priorité au développement de toutes les capacités humaines, en particulier pour l’exercice de tous les nouveaux métiers qu’il faudra inventer et exercer dans la production d’énergie, dans le bâtiment, dans les transports, dans l’industrie… Mais, si le monde reste régi par Wall Street et par le dollar, on ne peut pas mettre à la disposition de sept milliards d’êtres humains ces biens communs que sont le climat, la biodiversité, la qualité de l’air et de l’eau !

Sociale et écologique, cette révolution devra donc être politique, conquérir du même pas pouvoirs dans les institutions politiques et pouvoirs sur les entreprises et les banques, pour qu’elles agissent autrement. Créer de nouvelles institutions, jusqu’à une monnaie commune mondiale.

La montée des périls qui résulte de ces contradictions explosives de notre système économique, politique et social hante désormais les esprits. De fait, pour s’en tenir à l’aspect économique de ce basculement du monde, la crise qui vient s’annonce encore bien plus grave que celle de 2007-2008. Il y a dix ans, pour sauver le système financier occidental, le pouvoir de création monétaire des banques centrales a été mobilisé pour déverser des liquidités, par milliers de milliards, sur les marchés financiers… alimentant la nouvelle bulle de spéculation et d’inflation des prix des titres financiers qui menace d’exploser aujourd’hui. Mais la crise financière plonge ses racines dans la sphère de la production et y exerce, en retour, ses ravages. Pour la première fois, une suraccumulation de capital se développe au sein même des pays émergents. De même, la guerre économique menée par les États-Unis contre la Chine est un phénomène profondément nouveau : après 2008, les deux puissances avaient contribué de façon convergente à la relance mondiale.

Leur affrontement souligne, par contraste, la faiblesse et la fragilité de l’Europe et de la France qui contribuent à déprimer la demande et à relancer la croissance financière et la délocalisation financière des activités.

Parce qu’ils font une critique radicale de l’ordre existant, et parce que leur raison d’être est de mener le combat politique concret pour lui substituer « une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement pour tous », les communistes ont une énorme responsabilité pour anticiper le désarroi que va provoquer le traumatisme de la crise et le désenchantement sur la capacité régulatrice et protectrice de l’État. Ils savent aussi que, au lieu d’aller à ces urgences sociales et écologiques, vraie voie d’une sortie de crise, des milliards et des milliards d’euros vont être encore plus captés par les marchés financiers pour, prétendument, empêcher la crise de survenir. En fait, tout en reculant la date de l’éclatement cela en approfondit la gravité. C’est d’ores et déjà le cas. Il s’agit de dénoncer dès maintenant les pompiers pyromanes : il est indispensable de changer dès maintenant les critères d’utilisation de ces masses d’argent et de crédit. La politique des taux zéros ne doit pas être utilisée pour nourrir la suraccumulation financière. Il ne faut surtout pas se priver de ce formidable outil que sont les banques, mais orienter tout autrement leur puissance. Les banques, et tout particulièrement la BCE, doivent tout de suite commencer à jouer un autre rôle. La France pourrait agir en ce sens dès à présent, anticipant des initiatives européennes indispensables.

Dans les milieux populaires monte l’idée de « changer de système », avec une conscience accrue du rôle des banques et de la question politique de la monnaie avec la crise de l’hégémonie du dollar. Toutefois, le traumatisme de la crise peut produire une montée du malthusianisme, et des divisions entre couches moyennes et couches populaires qui ne subiront pas de la même façon le choc des événements.

Il y a (comme dans les années trente) un rejet de la théorie mais aussi le souhait de nouvelles théories. Nous ne pouvons plus rester enfermés entre deux simplismes dont les limites sont de plus en plus tangibles : il faudrait stimuler la demande sans agir sur son contenu, sans modifier l’offre, conciliant de fait avec le système (« keynésianisme de comptoir ») ; il faudrait tout miser sur l’offre (la production) identifiée, à tort, à l’investissement matériel et au soutien aux profits (accumulation renforcée, néolibéralisme par la concurrence et destruction créatrice à la Schumpeter). Or la force de Keynes avait été de voir l’obstacle dressé par les exigences insensées de la rentabilité et la nécessité de limiter le rendement du capital. Aujourd’hui, les ressorts du capitalisme sont encore plus profondément mis en cause. Il est donc indispensable d’aller plus loin, d’agir pour imposer de nouveaux critères contre la rentabilité capitaliste : développement des capacités humaines (emploi de qualité, formation, services publics), économies en capital (accords non capitalistiques, partages des coûts, R & D, nouvel investissement matériel) sont au cœur de l’offre et peuvent permettre une demande très nouvelle. On peut le faire en s’emparant des leviers financiers et en pénalisant l’accumulation et les profits.

Le terrain de ce combat n’est pas seulement celui des politiques économiques : c’est aussi l’entreprise, le lieu de l’affrontement de classes sur les choix de production et de financement. Son enjeu est l’utilisation de l’argent des entreprises, des banques, et de l’argent public. C’est aussi ce qui rend si stratégique l’exigence d’une nouvelle industrialisation, incluant le développement de nouveaux services.

Et parce qu’ils concernent les êtres humains, la façon dont ils travaillent, dont ils se forment, dont ils développent leurs capacités créatives et leur capacité à les partager en coopérant, tous ces enjeux se rejoignent sur une question clé : l’emploi, sa qualification et sa sécurisation avec la formation tout au long de la vie.

Les propositions que voulons mettre à la disposition des lecteurs de ce numéro, en matière de retraites par exemple, ou pour relever le défi écologique qui fait la matière de notre dossier, s’inspirent de cette logique : création d’un fonds d’investissement pour le climat, maîtrise publique de filières décisives de l’économie (industrie, services et recherche), à commencer par la production d’énergie, développement des services publics, initiative internationale mettant autour d’une même table non seulement les gouvernements, mais aussi les multinationales, et les institutions financières internationales pour un financement des investissements nécessaires par une monnaie commune mondiale au lieu de promouvoir le CETA…

Ainsi peut-on ancrer dans les luttes et les revendications immédiates pour une réponse aux besoins urgents de nos concitoyens, la réponse révolutionnaire aux questions fondamentales que nous posent la révolution écologique, la révolution informationnelle, la révolution démographique, la révolution monétaire, et la construction d’une nouvelle civilisation.