Face à l’impasse de la gestion marchande de la forêt française, l’enjeu d’un service public rénové de la forêt

La forêt est le moins anthropisé des espaces terrestres concernés par l’activité humaine. Elle est pourtant l’un de ceux où les effets des impasses de notre modèle économique et de développement se manifestent le plus rapidement et le plus fortement. Ce ne sont ni les forces et volontés humaines de changements du modèle forestier, ni les connaissances techniques et scientifiques nécessaires qui manquent, ni les moyens financiers qui sont à l’origine des difficultés d’évolution du modèle forestier, mais le système marchand et financier qui pilote sa gestion actuelle. Pour répondre aux défis écologiques généraux, et forestiers en particulier, il nous faut donc chercher et imaginer des modèles de sylviculture et d’économie alternatifs qui reposent sur des critères de gestion de la forêt différents de ceux d’aujourd’hui.

La forêt française : de quoi parle-t-on ?

La notion de forêt est un concept trivial, a priorisimple et partagé. Il est cependant nécessaire avant d’aller plus loin d’apporter quelques précisions. Il n’y a pas en France de définition juridique de la forêt. Le Code forestier, ce monument du droit, est muet de même que tous les autres codes qui régissent la vie collective et donc l’économie et la politique. À défaut de définition légale il existe une définition technique plus ou moins consensuelle : c’est un espace suffisamment vaste (au moins plusieurs milliers de mètres carrés), continu ou quasi continu (des clairières, des passages ouverts y sont possibles) et majoritairement occupé par des arbres, y compris si à un instant donné ces arbres sont encore petits. Il faut y rajouter une notion d’intensité de la présence humaine, parfois délicate à préciser : le bois de Vincennes est une forêt, le parc boisé du jardin du Luxembourg Moyennant cette définition, il y a en France métropolitaine 17 millions d’hectares de forêts, soit 30 % du territoire. Pratiquement, en France, personne ne vit en forêt au sens d’y avoir son domicile permanent, et seulement quelques dizaines de milliers de personnes s’y rendent régulièrement pour y exercer une activité professionnelle. Finalement c’est l’abondance relative des arbres et des hommes qui distingue les espaces forestiers des deux autres grands occupants du territoire : les espaces agricoles et urbains.

Un système socio-écologique construit historiquement

La forêt est-elle pour autant un espace en dehors de la société humaine ? C’est ce que laissait entendre son étymologie latine :forestavenant de foris =dehors, ce qui est étranger, banni, sauvage, en dehors.

Ce fut peut-être le cas en France avant l’époque néolithique où les impacts humains étaient très faibles et ça le reste dans quelques régions boréales ou tropicales du globe. On considère aujourd’hui qu’à quelques rares exceptions près, depuis 5 000 ans tous les espaces forestiers français ont été occupés à une période ou une autre par autre chose que de la forêt. Cela concerne essentiellement des espaces anciennement dédiés à l’agriculture et au pastoralisme. La moitié des espaces forestiers actuels ne sont redevenus des forêts que depuis moins de deux siècles.

En fait, dans la quasi-totalité de l’espace français, il y a eu depuis au moins 2 500 ans des alternances d’occupation forestière et non forestière. Depuis le début du néolithique, les besoins en terre agricole pour nourrir la population ont été le facteur premier de défrichement forestier. À l’inverse durant les périodes de troubles, lorsque la population diminuait, la forêt augmentait spontanément de surface à nouveau. On peut considérer, comme ordre de grandeur, que chaque million d’habitant en plus ou en moins provoquait en sens contraire la disparition ou la réapparition spontanée d’autant d’hectares de forêts.

La forêt française a connu historiquement une exploitation plus intense qu’actuellement, au sens d’intervention humaine et d’impact sur les processus naturels. Le xviiieet le xixe siècles ont constitué une période critique qui vit la forêt française être à deux doigts de disparaître. Deux facteurs ont été en cause : la croissance démographique et l’industrialisation. La croissance démographique a généré à la fois une augmentation des besoins en terres agricoles et une pression supplémentaire sur les terres restantes, boisées. Les forêts servaient non seulement de ressource en bois, essentiellement pour la cuisson des aliments, mais aussi de lieu principal de nourrissage des animaux. Le développement de l’industrie, verrerie, métallurgie, fours à chaux, s’est initialement fait avec le bois comme source d’énergie thermique. On manque de données statistiques, mais on peut estimer que plus de 90 % du bois sortant des forêts étaient destinés la production d’énergie. Le décalage croissant entre les besoins et la ressource a produit des effets catastrophiques. Aux défrichements pour les usages agricoles s’est ajoutée une surexploitation forestière du bois avec des systèmes sylvicoles de taillis coupés à un rythme toujours plus élevé. Les tensions sur la ressource ont également généré des conflits sociaux de plus en plus vifs. Le système féodal avait instauré le principe de la propriété privée des forêts réservé à l’aristocratie et à l’église avec un très important domaine privé du roi dont sont issues la plupart des forêts domaniales actuelles. Le peuple, essentiellement rural et paysan, avait obtenu des droits d’usage (pacage et récolte de bois), sans cesse remis en cause par les propriétaires fonciers.

Le xixe siècle constitue une période charnière pour les forêts françaises et européennes connus sous le nom de « grande transition forestière ». Pour la première fois dans l’histoire la croissance démographique et économique s’est trouvée décorrélée de la décroissance forestière. Il y a deux causes bien identifiées à ce phénomène. D’une part le progrès des techniques et des connaissances agricoles a considérablement augmenté les rendements. Bien que la population continuât de croître, la surface nécessaire pour la nourrir diminuait rapidement dans un contexte où le commerce extérieur agricole restait peu important. Cette première cause a conduit à l’abandon progressif des terres agricoles les moins fertiles et les moins faciles d’accès. La deuxième cause est énergétique : l’usage du charbon puis du pétrole a, par effet de substitution, considérablement fait baisser la pression sur le bois-énergie.

Tant et si bien qu’après avoir connu un minimum de surfaces totales aux alentours de huit millions d’hectares, la forêt française ne cessera ensuite de progresser. À l’intérieur même des espaces boisés la situation s’est aussi améliorée, si on prend comme critère de qualité le volume de bois à l’hectare, Dans les deux cas, le moteur principal d’accroissement de la surface et du contenu en volume est la dynamique naturelle spontanée de l’écosystème forestier. En France, tout espace abandonné par l’homme est naturellement recolonisé par la forêt.

La Révolution française a également profondément modifié les relations entre la société et la forêt. Bien que déjà fortement engagée dans le système capitaliste en tant que ressource énergétique pour l’industrie émergente, la forêt restait fortement marquée par le système féodal. La propriété était concentrée dans les classes privilégiées : aristocratie et clergé. Cependant, une part du territoire boisé, qui pouvait être significative dans certaines régions, avait le statut de biens communs ou communaux. Ces biens communs, issus des luttes et de concessions passées des classes privilégiées, permettaient d’assurer certains moyens de subsistance des classes dominées sans pour autant leur accorder le droit de propriété. Les relations étaient gérées par un système complexe de droit coutumier entraînant des conflits juridiques permanents entre les anciens propriétaires seigneuriaux, nobles ou ecclésiastiques, et les communautés rurales locales.

Le pouvoir royal central avait enclenché un mouvement de partage-privatisation des biens communaux dès le xviiie siècle, mais c’est la Révolution en 1793 qui mit fin au système dans forme d’ancien régime Une partie des communaux est privatisée et mise en vente dans des condition telles qu’à côté d’une petite propriété forestière rurale qui se constitue alors, une importante partie devient propriété de la bourgeoisie locale ou urbaine. Ce mouvement de création d’une propriété bourgeoise de la forêt est amplifié par la vente des biens nationaux. Les forêts de l’église dès 1789 puis celles des émigrés et des suspects en 1792 ont été nationalisées et immédiatement remises en vente pour financer le budget de l’état.

La grande majorité du patrimoine foncier forestier, ressource naturelle, traitée comme un capital économique, a donc changé de mains à la Révolution avec la constitution d’une propriété forestière bourgeoise jusque-là quasi inexistante et l’émergence d’une propriété collective nationale ou communale s’inscrivant dans le cadre des nouvelles institutions.

Quelques chiffres permettent de mettre en perspective la situation foncière actuelle de la forêt française métropolitaine.

Elle couvre 17 millions d’hectares et continue de croître à un rythme de 80 000 à 100 000 ha par an :

  • La moitié était déjà présente à la Révolution. Dans le contexte féodal il s’agissait de propriétés de la noblesse et du clergé pour l’essentiel et de quasi-propriété populaire collective dans le cadre des communaux. Cette forêt ancienne a subi une mutation profonde de son statut foncier à la Révolution avec la constitution d’une propriété bourgeoise et de forêts publiques domaniales et communales.
  • L’autre moitié est issue de boisements spontanés liés à l’abandon des terres agricoles. Ces surfaces sont essentiellement de propriété privée et reflètent le statut de propriété foncière antérieur des terres agricoles. Les nouvelles forêts se sont développées depuis la Révolution avec une part de propriété foncière bourgeoise et une part de propriété anciennement paysanne de petite surface unitaire et morcelée, phénomène accentué par les partages successoraux.

L’histoire foncière et économique des forêts françaises actuelle se révèle donc complexe mais aussi très sédimentée au sens où des événements et des situations passés continuent de marquer la physionomie et la biologie des forêts et les comportements économiques, culturels et sociaux des hommes actuels.

La forêt française apparaît comme un remarquable exemple de système socio-écologique dont la structure et le fonctionnement sont le résultat d’interactions complexes et anciennes entre les processus naturels et l’activité humaine.

Cette vision écosystémique de la forêt, complexe et dynamique est sensiblement éloignée de deux représentations communes :

  • Une forêt naturelle toujours égale à elle-même, présente de tout temps dans l’aspect où on l’observe aujourd’hui et où la présence humaine se réduit à des prélèvements et des dégradations.
  • Une forêt machine-usine à bois réduite à sa composante « arbre à valeur commerciale », aménageable dans une logique d’outil de travail et répondant mécaniquement aux interventions humaines et aux apports d’intrants pour assurer la fourniture de produits quasi manufacturés.

Dans le champ de la politique publique et de ses discours dominants, la forêt apparaît dans premier temps comme espace complexe, mélange de nature et d’activité humaine. Dans la réalité, et particulièrement depuis la généralisation du modèle néolibéral, quelles que soient les alternances politiques, la forêt est essentiellement considérée comme un espace dédié à la production de bois dans un contexte d’économie de marché régulé par la concurrence. Les autres aspects de la réalité forestière : fonctions sociales et espace de nature sont considérés comme des contraintes.

L’impasse croissante du modèle de marché régulé par l’État et l’ONF

L’histoire et la situation actuelle de l’ONF vont servir ici d’illustration mais le raisonnement peut être étendu, avec les nuances nécessaires, à l’ensemble de la forêt française.

En 1965, Égard Pisani, ministre de l’Agriculture, fait le constat historique que les moyens humains et budgétaires affectés à la forêt publique sont insuffisants et inconstants selon la maxime désabusée des forestiers : « Les gouvernements affectent de l’argent public pour répondre aux besoins de la forêt quand tous les autres besoins sont satisfaits ; c’est-à-dire jamais ! ». La raison en est connue : les financements en forêts ne donnent pas ou peu de résultats visibles à court terme et à l’inverse les effets négatifs des non-financements ne se font pas sentir avant des décennies. Les gouvernants toujours en situation de tension budgétaires et entre deux élections font leurs choix.

E. Pisani décide donc de supprimer l’Administration des Eaux et Forêts soumise aux décisions et aléas des budgets annuels de l’état et de créer un établissement à budget autonome : l’ONF, dont le statut est différent selon qu’il s’agisse de la gestion des forêts appartenant à l’État (forêts domaniales) ou celles appartenant aux autres collectivités, essentiellement les forêts communales.

En forêt domaniale, il s’agit de gestion en compte propre. L’ONF n’est pas propriétaire des forêts domaniales qui sont de plus a prioriinaliénables, mais il assure ses propres charges (travaux et salaires) par les produits de son activité (vente du bois majoritairement).

En réalité, c’est une façon de tenir compte, sans le reconnaître explicitement, que les forêts publiques devraient être un bien commun naturel à entretenir et développer, une ressource vivante, à finalité à la fois écologique, humaine-culturelle et économique, et non un capital, valeur marchande appropriée dont on attend qu’elle gagne de la valeur et génère du profit. Si les forêts sont une ressource, et non un capital, un stock inerte, elles demandent donc à être entretenues par un service public, non marchand. Ceci indépendamment du fait que certains de ses produits peuvent nécessiter du travail humain, et donc cristalliser une valeur qui peut être réalisée sur un marché. Comme toujours en matière de biens naturels, on n’est pas dans le cas « pur » d’une marchandise reproductible qui serait essentiellement le produit du travail humain. Il y a donc une part de rente, qui n’est pas liée à la valeur créée qui a un caractère spéculatif et contingent, et une part de valeur ajoutée par le travail humain. Cela justifie, plus qu’une très forte intervention publique, la maîtrise de la filière par un service public non marchand, c’est-à-dire essentiellement non financé par les produits d’activités marchandes.

En forêt communale, il s’agit de gestion pour compte de tiers. L’ONF assure la gestion avec son personnel, mais ce sont les communes qui financent les travaux et perçoivent les recettes de la vente des bois. L’intervention de l’ONF est alors financée par un pourcentage sur la vente des bois, un versement forfaitaire des communes proportionnel à la surface de leur forêt et surtout un important versement compensateur forfaitaire versé par l’État à l’ONF. Ce système de versement compensateur offre plusieurs avantages :

  • Il met en œuvre un principe fondamental de la politique forestière issu de la Révolution : « Les forêts ont un caractère de bien commun et sont mises sous la protection de la Nation ».
  • Il assure une péréquation nationale entre communes riches et communes pauvres en ne faisant pas dépendre l’action de l’ONF sur le terrain des recettes de chaque commune.
  • En prenant en charge le coût humain du service de la forêt publique par un service public, il assure la pérennité de ce service dans le temps et l’espace.

Tous ces principes d’universalité nationale du service public de la forêt publique résultent d’un régime juridique particulier le « Régime forestier », codifié dans le Code forestier, mis en place en 1827 et jamais remis en cause jusqu’à ce jour.

Le choix politique d’E. Pisani était pragmatique et judicieux, mais il s’appuyait sur un second paradigme qui n’a jamais réellement fonctionné et qui depuis une quinzaine d’années conduit l’ONF dans une impasse budgétaire progressivement insoluble. Ce paradigme considère que la vente des bois des forêts permet à elle seule de financer sa gestion durable et multifonctionnelle. Ce paradigme contradictoire avec la notion de bien commun, pourtant affirmée comme principe, met le marché au centre.

Or les deux notions de durabilité et de multifonctionnalité ne sont pas du tout appréhendables par le marché, pour la bonne raison qu’elles ne renvoient pas – principalement – à des marchandises !

La notion de durabilité renvoie à la composante écosystème forestier du système socio-écologique forestier et décrit la capacité de ce système à fonctionner au sens écologique, dans toutes ses composantes et indépendamment des aléas environnementaux ou résultant de l’intervention humaine, dont la récolte de bois.

La multifonctionnalité renvoie à la composante « services écosystémiques », la forêt durable ne fournit alors pas seulement du bois mais aussi tous les autres services.

E. Pisani pensait que le produit de la vente des bois, mutualisée au niveau national, permettrait de faire fonctionner le système ONF.

Avec le temps, depuis 1965 l’État a pris conscience que d’autres fonctions que la production du bois devaient faire l’objet d’un financement particulier par l’État, à coût réel. Ce qui a conduit à créer les MIG (Missions d’intérêt général) financées par le budget de l’État qui en décide le montant. L’ONF fait avec ce que l’État lui donne pour ces actions : biodiversité, protection contre les risques torrentiels et d’érosion marine. Les collectivités locales financent également directement l’ONF pour des actions relevant de l’accueil du public en forêt.

Il reste que la vente du bois finançant la gestion durable et multifonctionnelle reste toujours le paradigme dominant de la politique forestière française.

L’observation économique basique comparée des volumes et du prix du bois vendu et des coûts de gestion montre à l’évidence que cela ne fonctionne pas. L’heure a sonné du dépassement de la social-démocratie : le marché compensé par de simples régulations étatiques doit être dépassé.

Les deux graphiques ci-après donnent depuis 1966 l’évolution des volumes de bois vendus qui ont augmenté passant de 4,5 à 5 millions de m3, alors que le total des recettes à significativement baissé. L’explication du phénomène tient à la baisse tendancielle des valeurs unitaires moyennes du bois vendu. L’analyse plus fine montre que cette baisse n’est pas la conséquence d’une baisse de qualité des produits et de leurs usages.

Une des courbes donne les volumes vendus en millions de m3 (échelle de droite). L’autre (échelle de gauche) donne le volume total desrecettes des ventes (en millions d’euros constants, valeurs 2018, graphique de gauche) et la valeur moyenne du m3 de bois vendus (eneuros constants valeurs 2018, graphique de droite). Source : ONf.

Dans le même temps la masse salariale, qui constitue l’essentiel des charges (55 %), a baissé mais moins que les effectifs totaux qui ont été très fortement réduits passant de 12 500 à 9 500. L’écart vient essentiellement de l’évolution des carrières, pour un personnel vieillissant du fait de la politique systématique de réduction des effectifs. Cette politique de réduction drastique des effectifs provoque une crise sociale grave au sein de l’ONF, aggravée par des menaces de démantèlement et de privatisation jamais vraiment démenties et qui ont conduit en 2018 à une forte mobilisation sociale et populaire à laquelle ont participé les grandes ONG écologistes et des élus, dont les élus et parlementaires communistes.

Les réponses classiques à la crise de l’ONF dans le cadre du marché

La production forestière est par nature non délocalisable. Il n’y a alors que quelques leviers permettant d’augmenter les recettes.

Augmenter les volumes mis en vente ?

Le bois est une ressource renouvelable avec un cycle de production long de 70 à 250 ans. Ce n’est pas un capital, au sens capitaliste du terme, même si fictivement il est en partie considéré ainsi dans notre société et dans certaines comptabilités. Pendant le cycle de production, la production annuelle et le stock de production accumulé les années précédentes sont confondus dans l’arbre ; on ne peut récolter et commercialiser l’une sans l’autre. Il y a donc par nature une forte capitalisation de la production, au sens de stock cumulé, dans la forêt. Il est possible d’augmenter temporairement la récolte en décapitalisant le stock. Mais surgit alors une première limite qui concerne le maintien d’un capital de bois sur pied vivant suffisant pour assurer la production de bois dans le futur, non seulement en volume total mais également en qualité de produits. Le volume total de bois sur pied assure également des fonctions écologiques essentielles à la durabilité forestière : support de biodiversité, captation et stockage de carbone, fertilité des sols.

L’augmentation des volumes mis en vente suppose également qu’il existe un marché capable de l’absorber, ce qui est loin d’être le cas en France. L’évolution de l’outil industriel de première transformation (sciages) a conduit à une inadaptation croissante de cet outil à la réalité forestière conditionnée par l’histoire et le climat. Le secteur de la première transformation demande de plus en plus de produits résineux normalisés alors que la forêt française produit majoritairement des bois feuillus d’espèces et de qualités diversifiées. Les causes de cette demande viennent à la fois de l’évolution des techniques de construction des bâtiments, d’erreurs stratégiques d’investissement tant des entreprises que des politiques publiques, et d’insuffisance des politiques de recherche et développement pour valoriser la ressource forestière française réelle.

Produire au sens de récolter plus de bois est un mantra des discours politiques depuis plus de trente ans. On ne compte plus le nombre de rapports qui le préconisent et de plans gouvernementaux qui le prévoient. Tous sont restés lettre morte faute de moyens et surtout d’une rencontre entre offre et demande. On a vu qu’en forêt publique les volumes récoltés ont augmenté. Ils accompagnent l’augmentation de la production en volume liés non pas à la surface des forêts domaniales (qui elles restent stable) ou à l’âge des peuplements, mais à l’effet d’accélération de la productivité biologique des écosystèmes liée à la modification de l’environnement global – effet favorable de l’augmentation du taux de CO2et retombées azotées liées aux émissions humaines. Il semble que cette première phase des changements globaux se stabilise comme prévu par les modèles scientifiques et qu’on pourrait même rapidement assister à une baisse de la productivité biologique. Ce phénomène est décrit comme déjà en cours par certains travaux scientifiques récents, comme une conséquence des impacts négatifs des changements climatiques actuels.

En forêt privée, la situation est assez semblable. À la différence près que l’écart cumulé au niveau national entre la récolte et la production biologique annuelle est significativement plus élevé et se traduit par une capitalisation plus rapide en particulier dans les bois feuillus.

La seule évolution significative de ces dernières années est l’augmentation rapide des récoltes de bois destinées aux usages énergétiques industriels. Mais cet usage est très faiblement générateur de plus-value car le bois est acheté à un prix très faible et immédiatement brûlé sans transformation. Dans le massif landais, on a pu calculer qu’à volume égal, les récoltes de bois à destination énergétiques génèrent dix fois moins d’emplois que les autres usages. De plus, le bois-énergie a un bilan carbone contesté contrairement à tous les autres usages du bois qui ont un bilan très favorable. La valorisation énergétique du bois dans les centrales thermiques est une solution durable de valorisation des sous-produits fatals de la première transformation ou des opérations d’entretien et de gestion forestière, les premières éclaircies, qui n’ont pas d’autres débouchés. L’augmentation rapide des récoltes de bois-énergie industriel que l’on observe depuis dix ans et la stagnation des récoltes de bois d’œuvre en sciage et d’industrie en panneaux de particules montrent que le couplage vertueux ne s’est pas mis en place en France. De la même manière, les dépérissements et mortalités d’arbres que l’on constate depuis deux ans en France et dans toute l’Europe vont probablement entraîner une augmentation de la récolte totale. Mais il s’agit ici de récoltes contraintes de bois de qualité très dépréciée sans aucune logique de réponse à une demande de marché. Le résultat que l’on voit déjà à l’œuvre depuis le début de l’année est une saturation du marché, un effondrement des cours et une désorganisation économique de la filière. Loin d’être un événement exceptionnel, il faut craindre que ces dépérissements et leurs conséquences économiques immédiates soient la manifestation du début des impacts négatifs durables du changement climatique, annoncé par le GIEC dans son rapport de l’automne 2018.

Modifier l’offre de bois en forêt pour l’adapter à la demande de la première transformation ?

Il s’agit là de la seconde solution fréquemment préconisée via le concept « la forêt doit s’adapter à la demande du marché ». Cet ajustement de la forêt à la demande des marchés est au cœur des politiques de forêt plantée. Elle a été très développée en Allemagne depuis le xixe siècle (plantations d’épicéa) où près de la moitié de la surface forestière totale est concernée. En France, cette logique a été au cœur de l’action du Fonds forestier national entre 1950 et 1980. Dans les régions de basses et moyennes montagnes non méditerranéennes, un peu moins de 1,5 million d’ha de forêts existantes et de terres agricoles abandonnées ont été enrésinés selon un modèle de sylviculture très simplifié.

Ce modèle concerne pour desparcelles entières et souvent dans toute une région, en la plantation sur terrain d’une ou deux espèces résineuses, souvent étrangères à la flore locale (exotiques comme le douglas ou descendues des montagnes comme l’épicéa commun puis coupées en coupe rase entre 50 et 70 ans).

Un modèle sylvicole identique, à base de pin maritime s’est également plus récemment mis en place dans le massif landais (900 000 ha). Ces modèles de sylviculture présentent des similitudes avec le modèle agro-industriel en particulier au niveau de l’idée de spécialisation, de normalisation des techniques de production et de produits finis. Il n’y est cependant pas totalement assimilable. L’artificialisation des techniques peut sembler importante voire excessive au regard de la gestion forestière traditionnelle. Il reste que ce modèle diffère du modèle agro-industriel par le très faible recours aux intrants fertilisants et pesticides, et la faible intégration des producteurs qui se trouvent souvent dans un système coopératif n’ayant pas ou pas encore connu les dérives du modèle agricole.

Cette stratégie d’adaptation de l’offre à la demande par la normalisation et la simplification technique est controversée quant à ses effets sur les paysages et la biodiversité. Il se trouve aujourd’hui interrogé sur sa durabilité face aux impacts des changements climatiques et environnementaux et face au regard de la société de plus en plus critique. Le principe même de la stratégie d’adaptation à la demande est aussi confronté au décalage temporel entre la demande au moment de l’installation de la plantation et de ce que sera la réalité du marché plusieurs décennies après, lors de la récolte finale.

Au final, au travers de la situation de l’ONF et du fonctionnement général du système socio-écologique forestier on constate que la mise en œuvre d’un modèle classique d’économie de marché régulé par l’ajustement de l’offre et de la demande sur une production unique, le bois, est en crise systémique interne.

Dans un monde économique ouvert, il faut aussi considérer les flux de produits forestiers. Les importations de bois tropicaux, non transformés, sont résiduelles (moins de 100 000 m3par an) provenant majoritairement mais pas totalement de forêts gérées durablement. L’impact écologique est très faible et négligeable au regard des effets de la déforestation tropicale liée à l’importation de produits agricoles (soja, huile de palme). Cette déforestation indirecte liée à nos modes de consommation alimentaire et récemment énergétiques (raffinerie Total de La Mède qui utilise l’huile de palme), conduit à la destruction annuelle de plus d’un million d’hectares de forêts tropicales en Amérique du Sud et en Asie. Globalement en France, le déséquilibre structurel et peu modifiable entre la demande en bois d’œuvre, majoritairement résineuse, et la ressource forestière essentiellement feuillus conduit à un déséquilibre important de la balance commerciale. Il se traduit, au sein du marché européen, pour l’essentiel, par l’exportation de bois feuillus non transformés à faible valeur ajoutée et l’importation de bois résineux. Un autre poste majeur de déséquilibre est lié à la perte massive de capacités de production en France dans les secteurs de l’ameublement et du papier-carton qui conduit à l’importation de produits finis.

Les lourdes insuffisances du réductionnisme économico-technique de la filière forêt-bois et le besoin d’une autre culture de la forêt et d’autres critères de l’activité

Quel que soit le modèle de production, la nature et l’organisation de la relation offre-demande, réduire la vision de la forêt à un espace de production de bois, entraîne des difficultés majeures et parfois radicales.

Une difficulté majeure concerne, d’une part, la nécessaire adhésion collective a un modèle économique pour la forêt, et, d’autre part, la volonté des propriétaires de se conformer à ce modèle.

Dans la société, les études d’opinion montrent que la fonction de production de bois des forêts se situe à un niveau très bas dans l’ordre des priorités et des attentes. La protection des forêts en tant que telles, de leur biodiversité et des paysages vient très largement en premier ; la coupe des arbres est même souvent associée à l’idée de dégradation. On observe aussi une forte demande d’intervention humaine pour assurer cette protection. Chez les propriétaires privés, la non prise en compte de la fonction de production de bois est moins développée, mais elle reste secondaire par rapport aux fonctions patrimoniales, de plaisir personnel retiré de sa forêt, et de lieu de conservation de la nature. Pour de nombreux propriétaires, environ la moitié, la fonction de production de bois concerne de plus l’autoconsommation de bois de chauffage domestique qui n’entre pas dans les circuits de commercialisation. Cette destination de la production française de bois est loin d’être marginale. Elle concernerait – faute de statistiques plus précises – 25 à 30 % de tout le bois récolté en France. Par contre, l’usage du bois en tant que matériau écologique est plébiscité en France, ce qui constitue un paradoxe au moins apparent.

La logique d’économie de marché du bois, qui est dominante dans le discours politique public, est en décalage avec le ressenti et les attentes de la population et de la majorité des propriétaires et acteurs forestiers de terrain eux-même. La notion de filière bois apparaît alors comme fortement marquée d’une approche technocratique de la forêt dans la logique de l’idéologie économique dominante.

Le changement climatique est un facteur d’aggravation, il illustre dans le secteur forestier des impasses multiples du modèle économique néolibéral et productiviste que font exploser l’austérité et la marchandisation à tous crins

Depuis dix ans, on a vu se succéder et s’accélérer des accidents climatiques et sanitaires qui ont affecté les grandes zones d’activité forestière tournées vers la récolte et la transformation du bois dans les pays développés. Ces accidents et leurs conséquences ont des caractéristiques communes que l’on peut analyser en partant des logiques de flux de stocks de l’économie classique.

Le schéma de crise suit toujours plus ou moins le même modèle :

  1. Existence de stock important au niveau de la production de bois en forêt, ce stock de bois vivant sur pied représentant 50 à 150 ans de production, il s’agit bien d’une production annuelle liée à l’activité biologique des forêts qui ne saurait être assimilés à un stock total fini de matière première comme dans le cas des énergies fossiles ou des minerais. En contexte environnemental stable, ce stock ne se dégrade pas et s’accroît spontanément (capitalisation) par l’activité biologique des forêts.
  2. Destruction brutale locale ou régionale du stock de bois vivant sur pied à l’occasion d’un événement brutal climatique ou sanitaire (insectes, maladies). Pour sa plus grande partie, ce stock devenu bois mort reste, même en partie de qualité dégradée, récoltable et transformable par l’aval de la filière à condition qu’il le soit dans un délai court : de quelques semaines à 2 ans. Au-delà il se dégrade totalement et, de plus, récolté on ne connaît pas de méthodes permettant de le conserver à des coûts supportables. Dans les forêts de production de bois, il doit aussi être évacué pour éviter des boucles de rétroaction négatives (incendies, maladies, insectes) qui affecteraient le stock restant vivant sur pied.
  3. Le stock mort, encore valorisable et à évacuer, représente pour le marché local plusieurs années de consommation annuelle de l’industrie de transformation ; parfois plusieurs décennies si cette industrie est spécialisée sur un type de produit (espèce, qualité de bois).
  4. La récolte et le transport de ce stock en situation de récolte contrainte nécessitent des moyens techniques et humains sans commune mesure avec les moyens régionaux ou nationaux matériels et humains ordinaires. Il se produit alors une délocalisation de moyens venant d’autres région et des investissements pour augmenter la capacité totale de récolte et de transport. Ce sont des investissements lourds qui sont ordinairement amortissables sur 20 à 30 ans et à condition qu’ils soient sur cette période toujours utilisés à un haut niveau de mise en œuvre.
  5. La récolte contrainte provoque un afflux massif de matière première en partie dégradée dans la filière en aval de première transformation (sciages, bois-énergie, pâtes papier-carton, panneaux de particules). Les capacités d’absorption de cette filière aval sont difficilement modifiables du fait de la lourdeur des investissements nécessaires et du temps long de leur amortissement. Il y a donc systématiquement une saturation du marché et un effondrement général des cours du bois (d’au moins 50 % de la valeur avant crise) qui affectent également et lourdement les régions et les produits non directement affectés par la crise. Les régions non affectées par la crise réagissent par un arrêt des récoltes, la valeur économique du stock vivant sur pied n’étant pas affectée tant qu’ils ne sont pas récoltés, mais les dépenses de fonctionnement de la gestion forestière continuent à courir. Les tempêtes de 1999 et 2009, régionalement localisées en France, ont ainsi aggravé la situation financière de l’ONF, premier producteur et vendeur de bois.
  6. À l’issue de la crise au bout de quatre à cinq ans, on rentre dans une situation inverse : la perte massive de stock vivant en forêt et le temps long de reconstitution, au moins trente ans, entraînent une pénurie durable de matière première. On passe d’une sous-capacité de récolte et de transformation à une surcapacité. Dans les deux cas les écarts sont massifs et peuvent dépasser en pourcentage la moitié des capacités en situation stable. Ils sont aussi durables. Le massif de pin maritime landais, où la filière forêt bois est très intégrée et industrialisée a ainsi connu, suite aux tempêtes, une période de saturation des marchés qui s’est récemment achevée et rentre dans une période longue (25 à 40 ans) de pénurie régionale de bois au regard des capacités locales de transformation.

Des situations de défaut d’ajustement offre-demande sont fréquentes et quasi consubstantielles a toutes les économies. Dans la théorie économique dominante, le marché régule le phénomène par les prix, les variations de stock et la destruction-création-mise en sommeil des capacités de production. L’État peut également intervenir pour atténuer les effets de ces crises, essentiellement par des aides conjoncturelles à la récolte, au transport et au stockage de bois, puis à la reconstitution des forêts. Cette intervention ne change pas fondamentalement le processus de déroulement de la crise. De la même manière, les systèmes classiques d’assurance sont peu adaptés à la forêt, du fait des dégâts massifs et généralisés qui, lorsqu’ils se produisent, dépassent les capacités d’indemnisation classiques.

Des secteurs d’activité tels que ceux des énergies fossiles, des minerais et de l’agriculture connaissent ces situations de manière ordinaire qui prennent souvent la forme de cycles. Sauf que le bois n’est pas une marchandise ! Ou en tout cas que de façon très partielle. Ainsi dans le secteur forestier, deux phénomènes perturbent cette régulation :

  1. Le temps long de la production et la nature des outils de production et de transformation qui viennent d’être évoqués et qui décale fortement la mise en place de l’ajustement. Cela est complètement en décalage avec les échelles de temps et le niveau du rendement capitaliste boursier.
  2. L’absence à peu près complète de possibilité d’intervention des acteurs économiques en réaction aux causes de surproduction. Les accidents climatiques et sanitaires sont quasi incontrôlables et il n’y a pas de moyens d’empêcher l’arrivée sur le marché de quantités massives de bois. Tant que ces accidents étaient relativement rares et régionalement cantonnés, le système économique pouvait absorber les chocs et revenait à des situations d’avant crise en restant globalement dans un système cyclique. Au besoin, l’État intervenait en tant qu’assureur ultime pour amortir très partiellement le choc et reconstituer le capital de production comme cela a été le cas en France pour les crises liées aux tempêtes de ce début de siècle.

La situation présente est apparemment nouvelle et probablement liée aux impacts des changements climatiques, mais aussi à la mondialisation hyper-marchande et à la financiarisation de toutes les activités, qui tendent à être détenues par des capitaux financiers cherchant un rendement en concurrence avec le rendement boursier. Les récoltes contraintes de bois augmentent fortement partout dans les pays développés, et la mondialisation de l’économie du bois, essentiellement par ses impacts sur les prix, provoque de plus des effets rapides de diffusion au niveau de l’économie globale du secteur. Il y a peut-être également des effets indirects liés aux variations de ressources disponibles sur le marché. Par exemple, les quantités gigantesques de bois dégradés à très bas coût en Amérique du Nord mises sur le marché mondial suite aux crises sanitaires des années 2005-2015 sont à mettre en relation avec la décision anglaise d’installer des méga-centrales thermiques à bois alors que ce pays ne dispose pas de ressource propre.

Il est trop tôt pour conclure, en tout cas si tôt, mais au vu du caractère massif et plutôt inattendu des dépérissements et mortalités forestières en cours, on peut craindre que l’économie forestière française – et plus largement celles des pays occidentaux développés – ne soit en train de passer d’un régime aléatoire et peu fréquente de crises forestières climatiques et sanitaires aléatoires à un régime quasi continu.

Si c’était le cas, cette situation nouvelle viendrait ajouter des effets déstabilisants à une situation économique structurelle déjà très dégradée et inadaptée. Tout cela sonne le glas, on l’a dit, d’un modèle de « marché régulé », avec des compensations étatiques sociales-démocrates et un service public qui concilie avec le marché. C’est un modèle où en réalité le marché finit par dominer tout et mettre en cause la durabilité écologique et la multifonctionnalité des forêts.

Quelles réponses possibles pour la forêt et sa gestion ?

Abandonner toute idée de récolte et de transformation de bois est un non-sens tant le bois est un matériau d’intérêt majeur pour les transitions écologiques, économiques et sociétales. Il nous faut donc chercher et imaginer des modèles de sylviculture et d’économie qui ne conduisent pas aux impasses insolubles du modèle dominant actuel.

Le premier niveau est celui de la durabilité de l’écosystème forestier qui est extrêmement dépendant de son environnement climatique et de plus en plus fragilisé par les changements en cours. Sauf par des changements politiques et sociétaux globaux de réduction des émissions de GES, totalement en dehors des moyens des forestiers, il n’y aucun moyen de changer ces contraintes. La seule solution est de s’y adapter en modifiant les pratiques de gestion. Tous les modèles actuels de gestion forestière sont concernés, mais il est probable que les modèles les plus intensifs, aujourd’hui les modèles simplifiés et artificialisés de la forêt plantée, sont ceux qui nécessitent le plus de remise en cause et de modifications. Le premier critère à désormais prendre en compte est la durabilité de l’écosystème forestier, avec sa résilience face aux chocs climatiques et sa capacité à s’adapter en continu à un climat changeant. L’inertie de la réponse des écosystèmes forestiers aux changements doit également être fortement prise en compte, elle se compte en décennies. C’est une toute autre échelle et de tout autres critères que ceux du capital et des marchés financiers des grands trusts de matières premières… Cela souligne l’importance décisive de développer un service public des forêts avec une ambition, des moyens et des missions élargies, et ouvert à l’intervention démocratique citoyenne.

Le second critère est la capacité de nouveaux modèles sylvicoles à répondre au mieux aux attentes et besoins de la société non seulement en fourniture de bois mais également pour tous les services écosystémiques, dont ceux en forte émergence de captation et de stockage de carbone et de protection de la biodiversité.

Ces deux critères dessinent autant de pistes de propositions et d’actions qui renvoient aux pouvoirs de la filière publique à élargir. Mais plus généralement au besoin de pouvoirs de tous les usagers potentiels des forêts, à conquérir. Il s’agit de pouvoirs d’intervention, mais aussi de suivi et de connaissance. Il s’agit aussi de moyens financiers à l’appui de pouvoirs d’intervention, moyens financiers d’investissement, mais aussi moyens financiers pour le service public, et son développement, pour la recherche en foresterie et pour la culture. Il s’agit enfin de pouvoirs d’intervention sur les prix et sur les filières, ainsi que sur les normes, y compris de façon concertée au niveau mondial, en commençant par le niveau européen.

Dans ce nouveau contexte, il apparaît clairement que l’option d’adaptation de la forêt aux besoins actuels du marché est une impasse. La transition incontournable des méthodes de sylviculture va conduire à une adaptation de la filière de transformation de bois dans un contexte où elle est elle-même fragilisée. Il apparaît alors que c’est une évolution qui sera très compliquée et probablement impossible dans le système économique néolibéral mondialisé actuel, les causes qui provoquent la crise tant de l’économie forestière que de celle de l’économie de la filière bois seront en permanence actives et bloqueront toute évolution.

Il est désormais clair que c’est ce même système économique qui est le principal frein à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ce ne sont ni les forces et volontés humaines de changements du modèle forestier, ni les connaissances techniques et scientifiques nécessaires qui manquent, ni les moyens financiers qui sont à l’origine du frein à l’évolution du modèle forestier. Ce qui empêche de les mettre en mouvement, c’est le système lui-même. La forêt est le moins anthropisé des espaces terrestres concernés par l’activité humaine ; elle est pourtant l’un de ceux où les effets des impasses de notre modèle économique et de développement se manifestent le plus rapidement et le plus fortement.

L’arrêt de l’aggravation du changement climatique et l’adaptation des forêts sont possibles, mais uniquement dans une nouvelle société à construire mettant en premier le rôle de l’État, les politiques publiques, la prise en compte de l’humain et des réalités territoriales et naturelles.

1. Forestier retraité de l’ONF, militant écologique, conseiller du CESE