Pour répondre efficacement et réellement au défi démographique dans le cadre d’un système solidaire interprofessionnel et intergénérationnel, il est nécessaire d’accroître la part de la valeur ajoutée nationale affectée aux pensions de retraite. Et cela suppose de changer les conditions de production de la valeur ajoutée dans les entreprises, en s’attaquant à ce qui mine notre économie : chômage et précarité, domination de la finance, concurrence internationale effrénée. Car il ne suffit pas seulement d’augmenter la part du gâteau pour les retraités, il faut aussi changer la recette du gâteau pour en avoir un plus gros à partager.
Ce qui importe pour tout un chacun, c’est l’âge du départ à la retraite, le montant garanti de la pension en pourcentage du salaire de fin de carrière pour une carrière complète, le niveau de vie à la retraite.
Rien – et surtout pas les évolutions démographiques prévisibles – ne justifie une régression par rapport aux conquêtes sociales qui ont pu être arrachées jusqu’aux années quatre-vingt : possibilité de départ à 60 ans, avec une pension équivalente à 75 % du meilleur salaire et indexée sur l’évolution des salaires. Chaque travailleur crée bien plus de richesses aujourd’hui qu’en 1945 !
Mais répondre au défi des retraites exige de transformer profondément le système existant, et de commencer à s’attaquer à ce qui mine notre économie : chômage et précarité, domination de la finance, concurrence internationale effrénée. C’est un véritable changement de civilisation. Il faut répondre à un triple défi : l’augmentation de la part des plus de 60 ans dans la population, l’allongement de la durée de la vie, l’aspiration à un autre mode de vie.
Il faut en finir avec la coupure du cycle de vie entre formation, travail et retraite, développer la formation à tous les âges de la vie et transformer les conditions de transition de l’emploi à la retraite. Il faut favoriser un rôle actif des retraités dans les solidarités (auprès des enfants, des jeunes en formation ou des jeunes précaires, etc.) et encourager leurs activités utiles. Il faut aussi promouvoir, qualifier et financer les emplois à domicile de qualité pour les personnes âgées dépendantes1. Il faut réaliser effectivement l’égalité entre femmes et hommes, en matière de retraites donc de salaires, c’est-à-dire tout au long de la vie professionnelle. Tout cela implique toute une organisation, non marchandisée, de la vie après le travail, un véritable service public de type nouveau, à l’opposé des projets de silver economyqui cherchent à élargir sans cesse l’emprise du marché pour offrir des opportunités de profits aux capitaux privés.
À l’opposé du projet Macron, il faut donc, bien sûr, un système de retraites à prestations définies pour un âge de départ connu, garantissant par construction la solidarité entre les salariés, notamment en matière de pénibilité et de durée des carrières, conformément aux principes de notre système depuis la Libération. Chacun peut ainsi connaître les droits dont il disposera à 60 ans, sans vivre dans la crainte d’une réduction de la valeur du « point de retraite » au moment de la liquidation de la pension, et sans être mis sous pression pour accumuler des points au cours de sa vie professionnelle, en compétition avec les autres salariés.
Le PCF ne se contente pas d’énoncer ces objectifs. Il propose les moyens financiers de les atteindre et les leviers politiques à conquérir : c’est la cohérence du projet communiste, telle que l’exprime notre 38econgrès.
Contrairement à la pierre angulaire de la réforme Macron – la limitation à 14 % des dépenses de retraites en proportion du PIB qui donnera à un aréopage de planificateurs technocratiques le pouvoir de réduire la valeur du point au nom du respect de cette limite – il faut consacrer plus de richesses aux pensions versées à un nombre croissant de retraités, aux dépenses visant à préserver la santé et l’autonomie des personnes âgées, aux dépenses de formation.
En résumé, il faut une plus grande « part du gâteau » pour les retraites, mais à l’intérieur d’un « gâteau » plus gros.
C’est possible : dans le passé, les gains de productivité ont permis d’élargir et de renforcer les droits des retraités alors que leur nombre augmentait davantage que celui des salariés en activité. Mais aujourd’hui, les énormes prélèvements sur les richesses créées exigés par la rentabilisation d’une masse démesurément accrue de capitaux s’y opposent de plus en plus violemment. Les grands groupes se servent des gains de productivité liés à la révolution informationnelle pour supprimer des emplois et pour rejeter les salariés dans le chômage plutôt que pour développer l’emploi, la formation, l’écologie. Il en résulte non seulement une déformation du partage des richesses au détriment des salaires et de la protection sociale, mais d’immenses gâchis de capacités humaines et une perte d’efficacité économique : c’est tout cela, le coût du capital.
Trois millions de chômeurs officiellement recensés (en réalité beaucoup plus), soit 10 % de la population active, c’est autant de personnes qui ne peuvent pas faire bénéficier leurs concitoyens de leurs capacités à créer des richesses. Toutes choses égales par ailleurs, ces trois millions de personnes pourraient apporter 10 % de valeur ajoutée en plus, soit 235 milliards de PIB supplémentaire, dont 35 milliards seraient affectés aux dépenses de retraites.
Bien sûr, « toutes choses ne sont pas égales par ailleurs ». Pour que tous les chômeurs retrouvent du travail dans le cadre d’une sécurisation de l’emploi et de la formation, pour que la part des salaires et des cotisations sociales dans la valeur ajoutée regagne les 10 points perdus dans les années quatre-vingt, il faut faire progressivement prévaloir un nouveau type de croissance de la productivité fondé sur le développement des capacités humaines plutôt que sur l’accumulation de capital matériel et financier. Il faut changer la gestion des entreprises. Il faut s’attaquer à la domination du capital et aux prélèvements qu’il exerce sur la valeur ajoutée, et donc changer les critères qui président aux choix de production, d’investissement, d’embauches, de formation, de recherche, de financement.
La stratégie que nous proposons est de construire les rapports de forces et leur traduction institutionnelle qui permettront d’imposer des choix techniques, sociaux, financiers permettant de produire efficacement de la valeur ajoutée, et de l’utiliser pour développer les capacités des salariés qui la produisent,en augmentant les salaires et en développant la formation.
C’est sur cette base qu’on pourra dégager des moyens supplémentaires pour financer le développement des services publics et de la protection sociale. C’est l’affaire des luttes sociales, des mobilisations pour le développement des territoires, et c’est aussi une affaire de politiques économiques.
Précisément, les propositions économiques du Parti communiste sont conçues comme des points d’appui aux luttes pour changer les critères de gestion des entreprises et pour faire du développement de nouveaux services publics l’une des bases d’une nouvelle civilisation.
1. Nous proposons en premier lieu un prélèvement sur les revenus financiers des entreprises et des banques.
Sur la base des données relatives à l’année 2018, il pourrait rapporter 34 milliards d’euros à la branche vieillesse de la Sécurité sociale (voir tableau ci-dessous). Mais son produit serait appelé à diminuer avec le temps puisqu’il viserait avant tout à dissuader les entreprises de placer leurs profits sur les marchés financiers, et à les pousser à les investir pour créer des emplois et pour former les salariés.
Calcul d’un prélèvement sur les revenus financiers des entreprises et des banques
Revenus financiers des entreprises (milliards d’euros) | Sociétés non financières | Sociétés financières | Ensemble des sociétés |
Intérêts * | 50,9 | 41,7 | 92,6 |
Dividendes | 143,2 | 50,4 | 193,6 |
Prélèvements sur les revenus des quasi-sociétés | 2,5 | 2,5 | |
Bénéfices réinvestis d’investissements directs étrangers | 8,1 | 5,5 | 13,6 |
Autres revenus d’investissements | 2,0 | 20,1 | 22,1 |
Total des revenus financiers soumis à prélèvement | 206,7 | 117,7 | 324,4 |
Montant du prélèvement au taux des cotisations sociales patronales (maladie, vieillesse, famille, chômage : 30,95 %) | 64,0 | 36,4 | 100,4 |
Dont cotisations retraites (10,45 %) | 21,6 | 12,3 | 33,9 |
Notre deuxième proposition consiste en une modulation des cotisations sociales patronales pour pousser à la création efficace de valeur ajoutée et à élargir ainsi l’assiette des cotisations :le taux de cotisation serait alourdi pour les entreprises qui, en quête de rentabilité, détruisent et précarisent l’emploi, rationnent les salaires et les dépenses de formation ; les entreprises qui fondent leur efficacité sur l’embauche et la formation de salariés qualifiés seraient au contraire encouragées, avec un taux moins élevé, mais sur une assiette en croissance. Techniquement, nous proposons d’appliquer un taux de cotisations patronales plus élevé aux entreprises dont la part du total salaires + dépenses de formation dans la valeur ajoutée diminue ou augmente moins vite que la moyenne de leur branche. Les salariés et leurs représentants seront dotés de droits de suivi et d’alerte sur le respect de ces conditions. La même logique inspire notre proposition d’une modulation de l’impôt sur les sociétés en fonction de critères d’efficacité sociale.
3. Cette proposition est bien sûr cohérente avec la suppression des aides fiscales et sociales coûteuses et perverses dont bénéficient les entreprises, à commencer par le CICE et les exonérations de cotisations sociales patronales.
4. Et comme les modalités et le coût du financement des entreprises exercent une influence déterminante sur leurs choix de gestion, d’embauches, de formation, de R & D et d’investissement, nous formulons, de façon convergente, des propositions visant à une réorientation du crédit bancaire et de la politique monétaire, pour faire baisser l’influence des marchés financiers et le coût du capital qu’elle fait peser sur les entreprises, et pour encourager le financement de projets répondant à des critères précis en matière économique (création de valeur ajoutée dans les territoires), sociale (emploi, salaires, formation…) et écologique (économies d’énergies et de ressources naturelles).
En résumé, pour que la part qui revient au financement des retraites soit à la fois plus grosse et moins indigeste, nous proposons de changer la « recette du gâteau ».
L’accélération des gains de productivité ainsi obtenue et l’augmentation de la part des salaires dans la valeur ajoutée dégageraient ainsi les moyens de satisfaire les revendications du mouvement social (départ à 60 ans avec 75 % du salaire, indexation des pensions sur les salaires), puis d’aller au-delà pour répondre à la croissance des besoins, à l’âge de la retraite comme à tous les âges de la vie.
La condition pour y parvenir réside dans la conquête, par les travailleurs, de pouvoirs nouveaux d’intervention et de décision dans les entreprises. La même logique doit prévaloir dans la gestion du système de sécurité sociale lui-même, dans son organisation et dans celle des pouvoirs en son sein. Quant à l’aspiration massive à une simplification du système des retraites, elle pourra être obtenue en faisant converger vers le haut les différents régimes. L’exemple du régime de retraite couvrant tous les salariés des industries électriques et gazières montre que c’est possible, au moins au niveau de toute une branche.