Rapide analyse des annonces faites par la BCE le 12 mars 2020

Depuis quinze jours, les marchés affichaient leur confiance dans la capacité des banques centrales à faire « tout ce qu’il faut » pour empêcher un krach, ou au moins pour en atténuer les conséquences pour la finance mondiale. Ce jeudi 12 mars, les décisions très attendues du conseil des gouverneurs de la BCE n’ont fait que précipiter l’effondrement retentissant des Bourses amorcé après les annonces de Trump sur le coronavirus. Plus grave peut-être, les écarts entre les taux d’intérêt à long terme en Italie, en Espagne, en France, et les taux allemands se sont creusés, symptôme inquiétant pour la cohésion de la zone euro. Il est vrai que, prenant le contrepied des propos de son prédécesseur Mario Draghi en 2012, Christine Lagarde a consterné les marchés en affirmant que la politique monétaire n’est pas là pour atténuer ces écarts… Emmanuel Macron a lui-même jugé ces décisions « insuffisantes ». Les voici :

  • les taux directeurs officiels de la politique monétaire sont maintenus à leur niveau actuel, respectivement 0 % pour les opérations principales de refinancement (1,4 milliard au 6 mars 2020, c’est-à-dire un montant négligeable), à 0,25 % pour la facilité de prêt marginal (14 milliards) et à -0,50 % pour la facilité de dépôt ;
  • le troisième programme de refinancements à long terme ciblés (TLTRO) va être rendu plus favorable. De juin 2020 à juin 2021, les taux de ces prêts de l’Eurosystème aux banques de la zone euro vont être baissés d’un quart de point : de -0,5 % à -0,75 % dans le cas, le plus fréquent, des banques qui financent les entreprises et les ménages. Dans les faits, cela correspond bien à une baisse des taux effectivement pratiqués par la BCE puisque les TLTRO représentent depuis 2018 la quasi-totalité du refinancement des banques (le montant des TLTRO atteint 615,5 milliards au 6 mars 2020). Ces refinancements vont encore augmenter puisqu’ils pourront atteindre 50 % du montants total des prêts distribués par les banques, au lieu de 30 % ;
  • d’ici à juin, des refinancements ciblés supplémentaires, à 0 %, seront accordés pour prévenir le risque d’une insuffisance de liquidités dans le système bancaire ;
  • les opérations d’achats de titres sur le marché continuent (le portefeuille des titres détenus à des fins de politique monétaire était de 2 674,7 milliards au 6 mars 2020). En outre, une enveloppe supplémentaire de 120 milliards y sera consacrée d’ici à la fin de l’année. Tout se passe donc comme si la BCE accélérait, du rythme actuel de 240 milliards d’euros par an, à 360 milliards, l’augmentation de son portefeuille de titres. C’est modeste en comparaison des 1 654 milliards d’achats nets de titres opérés, per exemple, au cours de l’année 2016. Cette timidité vient peut-être en partie de ce que les limites que la BCE avait elle-même fixées à ses achats (ne pas posséder plus d’un tiers de la dette d’un État, par exemple) ne sont pas loin d’être atteintes ;
  • parallèlement, la BCE assouplit les règles de calcul des fonds propres des banques et assouplit ses modalités de contrôle des établissements de crédit. Les stress tests prévus pour 2020 sont reportés. La BCE demande poliment aux banques d’« utiliser les effets positifs de ces mesures pour soutenir l’économie et non pour accroître la distribution de dividendes ou les rémunérations variables »…

Deux points méritent l’attention dans l’intervention de Christine Lagarde devant la presse :

  • l’assouplissement de la politique monétaire doit bénéficier particulièrement aux PME ; mais elle n’a donné aucune indication sur les moyens que la BCE prévoit de mettre en œuvre à cet effet. Par exemple, il n’a été fait aucune mention d’un refinancement par l’Eurosystème des prêts de la Banque européenne d’investissement ;
  • et surtout, la présidente de la BCE a lourdement souligné que la réponse à la crise doit être « avant tout budgétaire ». Elle a martelé qu’une « réponse budgétaire ambitieuse et coordonnée » est nécessaire à l’échelle européenne, et que cette réponse doit être annoncée à l’Eurogroupe de lundi 16 mars. La relative retenue de ses actions de politique monétaire doit-elle donc être interprétée comme une forme de pression sur les gouvernements et sur la commission européenne ? On peut en déduire logiquement que les gouverneurs de la BCE, comme beaucoup d’autres dirigeants européens, se sont résolus à oublier (temporairement ?) les critères du Pacte de stabilité qui étaient présentés naguère comme intangibles… Les milieux dirigeants, bien informés de la situation financière, sont en effet conscients qu’ils n’ont jamais été aussi près de perdre le contrôle des événements économiques et financiers.

Par contraste, en se défaussant sur les États de la responsabilité de prendre des mesures extraordinaires face à une crise extraordinaire, la BCE donne l’impression d’un retour au dogmatisme monétariste de ses origines : signe d’une influence renforcée de la Deutsche Bundesbank sur les décisions du conseil des gouverneurs, prises cette-fois ci à l’unanimité comme l’a souligné sa présidente ?

De fait, les dogmes essentiels de la politique monétaire restent inentamés :

  • en ce qui concerne le financement des entreprises, et particulièrement des PME, la sélection des crédits qui bénéficieront du refinancement privilégié de la BCE reste à la discrétion des patrons et des banques privées, avec comme guide la rentabilité des capitaux privés. Il faudrait au contraire que ces refinancements obéissent à des critères précis en matière économique, sociale et écologique (sécurisation de l’emploi et de la formation, création de valeur ajoutée en économisant le capital matériel et financier pour pouvoir dépenser plus en salaires, en recherche, en formation, et dans les investissements nécessaires pour faire face à l’urgence écologique) ;
  • il ne suffira pas d’augmenter les dépenses publiques : encore faut-il que ces dépenses ne servent pas à soutenir les profits mais à développer les services publics sur la base de projets démocratiquement élaborés, décidés, suivis et contrôlés dans chaque État membre. C’est l’objet du Fonds de développement économique, social et écologique européen dont nous préconisons la création.
  • l’idée de l’exercice par les travailleurs et les citoyens de pouvoirs d’intervention, de décision et de contrôle sur l’utilisation de l’argent des entreprises, des banques et des banques centrales est bien sûr totalement absente du propos de la présidente de la BCE.

Cela souligne l’actualité des propositions du PCF pour faire face à la crise actuelle.