Combien d’argent public contre la crise… et pour quoi faire ?

Coronavirus : inventaire avant bilan

Alors même que les chiffres quotidiens diffusés par Santé Publique France semblent marquer une (trompeuse?) diminution des effets de la pandémie dans notre pays, il semble bien venu de procéder à une forme d’inventaire des mesures prises, non pas pour combattre la maladie (nous en avons beaucoup parlé) mais plutôt celles destinées à « accompagner «  le confinement.

       Dans le cadre de la loi de finances rectificative du 23 mars 2020 a engagé de nouvelles dépenses, et indiqué de nouveaux engagements de l’Etat.

       Au chapitre des dépenses nouvelles, 10 816 millions d’euros, à peine compensés par 598 millions d’annulations.

       Ces ouvertures nettes (plus de dix milliards d’euros tout de même) comportaient un ensemble de 5,5 Mds d’euros au titre de la prise en charge du chômage partiel et 750 millions d’aides aux entreprises (notamment les PME et TPE).

       Sur le dispositif de prise en charge du chômage partiel, on notera ce que disait le document de présentation du projet de loi (je cite et souligne les points clé)

       5,5 Md€ en AE et CP en titre 6 sont prévus afin de couvrir la dépense de l’Etat au titre du financement de ce  dispositif exceptionnel d’activité partielle. Ce montant correspond à une estimation du volume d’heures indemnisées à hauteur de 15% des heures travaillées pour une durée de deux mois. La prise en charge de l’Etat s’élève aux deux tiers du coût total de l’activité partielle, l’Unédic prenant en charge un tiers de celui-ci selon des modalités déterminées par convention. Ceci correspond à une prise en charge moyenne de 13,9€ par heure chômée, dont 9,3€ pris en charge par l’Etat et 4,6€ par l’Unédic

(fin de citation)

       On aura noté que le plafonnement de l’aide, à hauteur de 4,5 SMIC, intégrait, sans le dire, les effets du « télétravail » susceptible d’être proposé en alternative au chômage partiel aux salariés, et singulièrement aux cadres…

       Le reste de l’action publique, soulignons le, était constitué par les reports d’impôts et de cotisations sociales découlant du sérieux ralentissement de l’activité économique induit parle confinement (notamment la TVA frappée de plein fouet par la chute de la consommation populaire et, singulièrement, la baisse des consommations énergétiques).

       Le projet de loi intégrait également des pertes.

       On aura noté la forte réduction du produit attendu de l’impôt sur les sociétés (plus de 3 Mds d’euros), nettement supérieure aux 45 millions de pertes attendues pour l’impôt sur le revenu.

       Car, dans ce collectif, aucune mesure n’est venue interrompre le prélèvement à la source…

       Notons aussi l’annulation d’un apport de 2 milliards d’euros destiné à l’amortissement de la dette publique, qui aurait finalement été consacré à assurer l’équipement des personnels soignants en matériels de protection contre la pandémie.

       (On notera ici, subrepticement, que l’inscription de cette mesure signifiait de fait que, le 23 mars dernier, le Gouvernement constatait donc qu’il y avait quelques insuffisances de ce point de vue et qu’il convenait d’y remédier. A regarder avec les yeux du débat sur certaines déclarations intempestives en la matière).

       Mais la grosse affaire de ce premier collectif était effectivement constitué par la mise en place de la garantie de l’Etat sur les prêts bancaires accordés aux entreprises pour un montant de 300 Mds d’euros.

       Un montant à envisager pour tout contrat de prêt passé entre le 16 mars et le 31 décembre 2020.

       Avril arrive et nécessité se fait jour de définir une politique encore plus vive et significative.

       Le collectif du 25 avril (en attendant le troisième texte de ce type pour la mi juin) a ouvert pour 37,2 Mds d’euros de dépenses nouvelles ainsi réparties.

       D’une part, 11,7 Mds d’euros destinés au financement du chômage partiel, opération faisant donc plus que tripler la mise de départ.

       Ensuite, 5,5 Mds d’euros au titre du soutien aux TPE et PME, soit un ensemble de 6,25 Mds d’euros.

       Enfin, 20 Mds d’euros destinés à apporter des fonds à certaines entreprises dites stratégiques.

       Le tout est évidemment financé par la dette publique, puisque  le projet de loi de finances rectificatives intègre plus ou moins 35 Mds d’euros de moins values fiscales…

       C’est à dire que, depuis le début de la pandémie, le Gouvernement a mis 23,45 Mds d’euros entre financement du chômage partiel et aides aux PME, 20 Mds pour la recapitalisation des entreprises et mis 300 Mds en garantie.

       Soit un ensemble de 343,45 Mds d’euros, qu’il convient toutefois de majorer des concours des collectivités locales et de l’effort accompli par l’UNEDIC (pour la moitié des apports de l’Etat au chômage partiel, soit 8,6 Mds d’euros?), dont les emprunts ont été garantis par des articles des deux collectifs dont nous parlons…

       Faisons d’ailleurs ici observer que si la dette de l’UNEDIC va très sensiblement augmenter au terme de la crise, ce sont les salariés qui vont la prendre en charge dans les mois et années à venir, par le biais de leurs cotisations…

       Ceci sans compter les mesures de report des dettes fiscales et sociales des entreprises qui vont manquer, un temps, en trésorerie pour le compte de l’Etat comme de la Sécurité Sociale.

       C’est sans doute au milieu de ce continent pas trop connu des reports de paiement qu’il faut trouver la maille pour que l’effort de l’Etat soit effectivement à hauteur des 450 Mds d’euros annoncés par le Ministre de l’Economie, Bruno Le Maire.

       La documentation disponible souffre toutefois de ne pas nous permettre d’évaluer encore la situation budgétaire de l’Etat au 30 avril, c’est à dire au terme du premier mois complet d’état d’urgence sanitaire.

       La chute libre des recettes d’impôt sur les sociétés dès le mois de mars, en comparaison avec mars 2019 ( perte de 2,7 Mds et 31%) comme la hausse des dépenses d’intervention (hausse de 6 Mds ) traduisaient déjà l’évolution de la situation.

       Quand ces données auront été actualisées, il sera alors loisible de procéder à l’évaluation de la qualité de l’intervention publique.

       On pourra ainsi mesurer l’efficacité du dispositif « chômage partiel » au nombre de privés d’emploi que notre pays aura compté fin avril et qu’il comptera à la fin de l’année.

       De même, on peut produire une comparaison entre fonds de soutien TPE/PME et le nombre de procédures de redressement et de liquidation…

       Pour le soutien aux entreprises stratégiques, les premières annonces opérées (Air France, Renault) laissent entrevoir que l’argent public risque de financer des plans sociaux.

       Bruno Le Maire qui a confirmé que les sommes engagées chez Renault étaient destinées à un prêt (donc remboursable), a également précisé que l’Etat ne ferait pas obstacle à ce que « Renault adapte son outil de production ».

       Une acceptation implicite des fermetures prévues par le plan social qui se dessine…

       Ajoutons y les dispositifs sectoriels (tourisme, arts et spectacles par exemple) et leurs dépenses spécifiques et nous nous rapprochons des sommes annoncées…

       Enfin, sur le plus gros de l’affaire, c’est à dire les garanties bancaires, quelques éléments…

       Pour le moment, seul le comité de suivi parlementaire dispose de données chiffrées sur la consommation des sommes « mises sur la table ».

       La mise en place de la garantie de l’Etat ne vaut pas, rappelons le, dépense effective puisque celle ci n’aura lieu que dans l’hypothèse d’un défaut de l’entreprise débitrice.

       De fait, plus la dépense s’avérera élevée sur ce chapitre essentiel de l’action publique, plus la situation sera mauvaise.

       Ceci posé, il faudra donc attendre quelques temps pour tirer conclusion de l’ensemble du dispositif.        Surveillez bien les chiffres du chômage…

Coronavirus : tableau de marche

Pour mieux illustrer ce que le billet précédent recouvrait comme engagements de l’Etat pour cette crise sanitaire que nous connaissons, un petit schéma explicatif du circuit de l’argent…

Origine des ressources mobilisées

De manière exclusive, recours au financement par les marchés financiers.

Les deux collectifs budgétaires ont en effet prévu une hausse du montant de la dette publique, tant en titres de court terme (Bons du Trésor) qu’en titres de moyen et long terme (Obligations)

Engagements budgétaires

Financement du chômage partiel : 17,2 Mds pour l’Etat, 8,6 Mds pour l’UNEDIC (dont la capacité d’emprunt en découlant fait l’objet d’une garantie d’Etat).

Le coût net de l’opération va, bien évidemment, être en partie gagé par le fait que les revenus ainsi distribués sont imposables au titre de l’impôt sur le revenu…

Aide aux TPE et PME : 6,25 Mds au titre de l’Etat (plus 2 à 2,5 Mds pour les Régions), exonérés d’impositions et non assujettis aux cotisations sociales (coût marginal à évaluer)

Aides sectorielles : le plus significatif porte sur les 20 Mds d’euros prévus pour le refinancement de certaines entreprises dites stratégiques.

De manière générale, les plans sectoriels reprennent les caractéristiques des mesures déjà décrites en les « ‘adaptant » aux spécificités du secteur.

A noter que les mesures sectorielles mettent aussi à contribution d’autres partenaires (notamment la Sécurité Sociale au travers des reports de cotisations ou les collectivités locales au travers de la taxe de séjour, et même les comités d’entreprise pour les tickets restaurant périmés)

Primes pour les fonctionnaires de l’Etat et des autres administrations publiques, comme pour les salariés du privé.

Dans la fonction publique d’Etat, il n’y a pas de financement identifié.

Ce qui laisse penser que tout cela se fera par redéploiement des crédits

Pour ceux qui ne s’en étaient pas rendu compte, la prime des agents hospitaliers serait financée par relèvement de l’ONDAM inscrit dans une loi de financement de la Sécurité Sociale qui pourrait bien être celle de 2020, dans sa partie destinée à solder les comptes 2019.

Cette hausse figure dans la dégradation du solde des comptes publics décrite dans les articles liminaires des collectifs.

Elle serait de 8 Mds d’euros tout compris dont 1,3 Md au titre de la prime.

Le coût est majoré des exonérations sociales habituelles dans ces cas là, plus les exonérations fiscales associées…

Mesures d’allégements de cotisations sociales et de trésorerie

Les reports de cotisations sociales ou d’impôts seront constatés au fur et à mesure de l’évolution de l’ACOSS et de la situation mensuelle budgétaire de l’Etat.

Ainsi, pour le secteur tourisme/événementiel, 2,2 Mds d’euros d’exonérations sociales sont prévus.

De manière générale, les reports de cotisations ou d’imposition peuvent conduire à des abandons purs et simples de créances qui se retrouveront dans les articles de constatation de l’exercice 2020 de la loi de financement de la Sécurité Sociale et de règlement du budget 2020, au titre des Remboursements et dégrèvements.

Mesures financières et garanties

Avec 300 Mds au seul titre de la garantie des prêts bancaires, c’est de loin le plus important chapitre de « dépenses » et donc, les deux tiers des engagements annoncés.

Au strict plan financier, le coût réel de l’opération ne se mesurera qu’à l’aune des garanties appelées, minorées par la rémunération fixée pour le compte de l’Etat.

On se souviendra qu’en 2009, sur les 400 Mds mis sur la table en prêts par le Gouvernement Sarkozy pour refinancer les banques et relancer la « machine à crédit », tout n’avait pas été mobilisé et avait été rapidement remboursé par les établissements de crédit, soucieux de se libérer des contraintes, pourtant légères, associées à l’intervention de l’Etat…

De manière indirecte, le produit des impôts payés par les banques sur les emprunts garantis viendra aussi réduire le coût de l’affaire.

Pour leur part, les 20 Mds prévus pour Renault, Air France et autres entreprises sont des prêts portant intérêt et  donc, remboursables.